« Tombouctou la mystérieuse » tombée aux mains des fanatiques

Pourquoi et comment les deux-tiers nord de la République du Mali sont-ils tombés, en quelques semaines le 27 juin 2012 et sans résistance, aux mains de fanatiques, faisant de cette partie du Sahara méridional un sanctuaire d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique), une menace terroriste majeure pointée vers le Proche-Orient, l’Europe et particulièrement la France ?

 

 C’est sur le terrain, au cours d’une mission effectuée en décembre 2007 dans le cadre de la Francophonie, que se dessinent pour moi les prémisses de ce développement qui aboutissait, en janvier 2012 à l’attaque de Tombouctou et des régions administratives de Kidal et Gao par le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), groupe armé indépendantiste touareg, évincé, le 27 juin 2012, par Ançar Dine (Défenseur de l’Islam), émanation de l’AQMI. La France est principalement visée, puisque cinq de ses ressortissants y sont retenus en otages. Par ailleurs, entre les 11 et 22 mars 2012, le terroriste Mohamed Merah revendique son affiliation au « Jun ak-Khilifah », proche de l’AQMI.

En arrivant dans la région de l’Azawad, accompagné de la ministre malienne de la fonction publique et des droits de l’homme, elle-même protégée par deux militaires armés, je sais que le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) d’origine algérienne, s’est transformé, quelques mois plus tôt en AQMI.

Comment, dans une région à plus de 90 % musulmane, au contact pacifique avec une minorité animiste, les islamistes ont-ils pris le pouvoir ?

Certainement pas par adhésion de la population, l’histoire de Tombouctou, en témoignant : L’âge d’or de ce pôle culturel africain ouvert remonte au Moyen-âge, avec en particulier l’empire Songhaï.

Au XVIIe siècle, le chroniquer Abderhaman Sâdi l’a célébré (dans le Tarik as-Soudan-1630) comme étant la « ville exquise, pure, délicieuse, illustre, citée bénie, plantureuse et animée… », avec ses 333 saints, ses trois mosquées cathédrales : Djingarrey Berre, Sankoré et Sidi Yéhia.

Tombouctou, nichée au cœur du désert, est paradoxalement au carrefour de la culture grecque et de l’Occident, par l’intermédiaire de l’islam marocain et espagnol. Il y avait au XVe siècle dans Tombouctou qui comptait 100 000 habitants, 25 000 étudiants se répartissant entre une université et 180 écoles islamiques. Alors que le Moyen-Âge européen se coupait de ses racines grecques, les philosophes étaient traduits en arabe. Il est surprenant de pouvoir photographier des traductions perdues d’Aristote par exemple, dans ce famélique centre culturel de Tombouctou, traductions qui, remontées vers Tanger en particulier par Ibn Batouta (1353) étaient à nouveau traduites, cette fois en Français, par des sépharades espagnols ou par des juifs du Comtat-Venaissin, parmi lesquels la famille des « Tibonides ». Il est surprenant d’apprendre que des dizaines de manuscrits sont cachés dans des bibliothèques de grandes familles de la ville, qui ne veulent pas s’en dessaisir. J’en fus choqué alors, mais je comprends mieux aujourd’hui cette précaution ancestrale en voyant la bibliothèque municipale détruite par les fanatiques d’Ançar Dine.

Tout comme il ne reste rien, hormis dans mon album photo, de la porte sainte de la mosquée Djingarrey ou du minaret hérissé de poutres des lieux de prière.

De plus, dans le Tombouctou de 2007, la civilisation touareg donne une place économique et sociétale prédominante aux femmes qui cultivent et commercent, alors que les hommes voyagent.

C’est de cet islam ouvert, tolérant, cohabitant avec l’animisme et avec le Maghreb que les fanatiques ne veulent pas, et combattent.

La seconde découverte faite au cours de cette même mission dans l’Azawad fut, au bout d’une piste cahoteuse, un lac gigantesque tombé de nulle part dans le décor aride. Et, plus surprenant encore, sur une rive, une bâtisse, ou plutôt un fortin qui, en s’approchant s’avère être un « palais », celui que Kadhafi se fit construire dans une région qu’il considérait comme sienne, et où il a foré profondément pour alimenter ce lac miraculeux.

Jamais, aucune chancellerie n’avait dénoncé cette emprise libyenne.

Mais au lendemain de la chute du régime de Tripoli et du départ précipité de ses mercenaires Touaregs emportant leurs armes, on comprend mieux que leurs points de replis furent dans cette région déjà sillonnée pas les hommes de l’AQMI.

Le nord d’un Mali qui fut sous la protection de la France, est devenu un abcès purulent que nul ne veut voir s’étendre jusqu’à Bamako, ou plus encore vers la Mauritanie, l’Algérie ou le Niger.

Les peuples Touaregs en seraient les premières victimes. Il faudrait les aider à en guérir sans tarder.