Racisme et antisémitisme

70 ans après Auschwitz, l’antisémitisme gangrène encore l’Europe

 

Les causes d’un Mal qui s’aggrave

En ce 27 Janvier 2015, marquant la 70e commémoration de la libération du camp d’extermination nazi d’Auschwitz-Birkenau, en Pologne, où un million de Juifs, enfants, femmes, hommes vieux ou jeunes, furent exterminés, originaires de différents pays d’Europe, sur six millions pour l’ensemble de la Shoa, ni les Juifs, ni l’ensemble des Européens n’ont encore réussi à panser leurs plaies, car leur incommensurable douleur commune est sans cesse ravivée en ces années 2 000.

Quantitativement et de par leur nature, les manifestations d’antisémitisme (menaces et violences) se sont aggravées au cours des dix dernières années partout en Europe, et singulièrement en France : C’est le constat que je fais, après avoir été l’instigateur et le rédacteur des Rapports annuels sur « La lutte contre le racisme et la xénophobie » que la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a remis à neuf Premiers ministres entre 1990 et 2006, ainsi qu’à l’origine, avec Jean Kahn, de la création de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et antisémites.

L’Europe souffre aujourd’hui de nouvelles formes d’antisémitisme évolutives qui ont une double origine :

  • En premier, une transposition en France, de même que dans l’ensemble des pays européens, du conflit israélo-palestinien, en une sorte de confusion entre antisionisme et antisémitisme.
  • Les mutations des extrêmes-droites européennes qui ont donné naissance à des partis populistes.

Mais cette double pseudo légitimation de l’antisémitisme a encore évolué au cours des derniers mois.

En fonction du terrorisme islamique

Si  on examine l’évolution de l’antisémitisme en France, qui s’est accru de 101% en 2014 par rapport à l’année précédente, on constatera qu’il n’a pas évolué de manière linéaire. Les assassinats de Merah à Toulouse, de Nemmouche à Bruxelles, et de Coulibaly à Vincennes ont été suivis de pics d’antisémitisme, de même que lors des attaques du Hamas contre Israël.

La nature de cet antisémitisme s’est de même aggravée : En 2014, le ministère de l’Intérieur enregistrait 851 actes de violence, contre 423 pour  l’ensemble de 2013.

C’est le terrorisme de l’Etat islamique-Daech qui a fait passer l’antisémitisme dans une autre dimension, celle qui vise directement les Juifs, partout où ils se trouvent, sans user du prétexte du conflit israélo-palestinien. Ainsi, pour le seul mois de Janvier 2014, 85 actes antisémites ont été recensés en France, soit autant que durant l’ensemble de  l’année 1999 (82 actes). On avait constaté ce phénomène en 2012, après la tuerie de Merah à l’école juive de Toulouse, lorsque 10 jours après le drame, le service de protection de la communauté juive avait recensé 90 actes antisémites, dont un grand nombre « commis en faisant référence au soutien ou à l’identification à Merah », selon les services spécialisés.

Si l’accroissement des violences physiques antisémites de 130% est  sensible en 2014, l’immense majorité de cet antisémitisme concerne des insultes, des menaces, des dégradations tels que des tags. Cette banalisation de l’antisémitisme a pris des formes très insidieuses,  telle cette « pudeur » de certains reporters qui se sont obstiné à situer le massacre de la porte de Vincennes, dans un « Hyper Cacher », il est vrai du nom de l’enseigne de l’épicerie, mais sans jamais indiquer que c’était un commerce juif, fréquenté par des Juifs, et qu’il s’agissait de tuer le plus grand nombre de Juifs possible. On a même vu, une assemblée de notables très respectables mettre à l’ordre  du jour de ses travaux, l’examen de « l’attaque contre un hypermarché ».  Les observateurs spécialisés ont dû battre leur coulpe d’avoir ignoré jusque- là que le djihadisme de Daech était entré en « guerre contre la grande distribution ».

La seconde caractéristique de cette extension de l’antisémitisme est qu’elle touche la quasi-totalité des pays du Conseil de l’Europe.

Le Conseil de l’Europe, mobilisé depuis avril 2014, a adopté à l’unanimité (26 juin 2014) une Recommandation qui, sous le titre : « Lutter contre l’antisémitisme en Europe »,  se déclare « vivement préoccupé par la banalisation d’une part et l’aggravation de l’antisémitisme sous des manifestations anciennes et nouvelles d’autre part qui frappent la quasi-totalité des Etats membres».  La Conférence des Organisations internationales non gouvernementales (OING) du Conseil de l’Europe, parmi lesquelles  nombre d’organisations juives, qui en a pris l’initiative,  estime également que « l’antisémitisme constitue une grave menace et une agression  contre la démocratie, les valeurs universelles des droits de l’homme et la cohésion sociale, fondées sur le respect de la dignité humaine ».

Cette recommandation adressée aux 47 Etats membres ainsi qu’aux institutions européennes (Conseil des ministres, Assemblée parlementaire, Congrès des pouvoirs locaux, ainsi que tous les organes compétents du Conseil de l’Europe), se déclare « convaincue que l’Europe dont l’histoire est marquée par l’antisémitisme et qui, il y a 70 ans, a été frappée par le génocide spécifique que fut la Shoah se doit aujourd’hui de condamner et de combattre fermement l’antisémitisme ».

CONF/PLE(2014), de la Conférence des OING du Conseil de l’Europe, sur proposition du Comité de pilotage « Agir contre l’antisémitisme en Europe », et après approbation à l’unanimité de la Commission des droits de l’homme (24 juin 2014), présidée par Annelise Oeschger (Suisse).

Une étude/ rapport sur les faits et la typologie en Europe

Cette recommandation était justifiée par notre étude/rapport sur « La montée de l’antisémitisme en Europe dans les années 2 000 » (Voir plus loin).

Elle établit que statistiquement et qualitativement les manifestations d’antisémitisme se sont très sensiblement aggravées, partout en Europe. Bien que nombre d’Etats n’en font toujours pas un décompte  précis, les institutions européennes, qu’il s’agisse de l’Agence des droits fondamentaux ou de l’ECRI, tout comme des organismes indépendants, attestent de cet accroissement, dont les détails dont donnés avec précisions, y compris dans des pays qui n’ont aucune tradition en la matière.

(Publié dans la Newsletter du CRIF du 27 janvier 2015)

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L’islamophobie  n’est pas reconnue comme un racisme,  au même titre que l’antisémitisme

 

Est-il pertinent de mettre en parallèle « antisémitisme » et « islamophobie » ?

Non, cinq fois Non : Ni sémantiquement, ni historiquement, ni sociologiquement, ni politiquement et encore moins juridiquement, ces deux termes et les concepts qu’ils sous-tendent ne sont de même nature. Il serait non seulement faux, mais aussi dangereux pour tous, de les mettre en regard sur un même plan.

 

Le terme « islamophobie » est apparu pour la première fois sur la scène internationale  au lendemain des attaques terroristes du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis. Il était lancé par l’Iran à destination du monde occidental pour qualifier une vague de réprobation qui ne s’était pas encore manifestée. En liant volontairement une manifestation de « terrorisme » et une conséquence sur «l’islam », Téhéran tentait une manipulation à triple détente : Laisser croire que la profonde émotion collective qu’allait exprimer l’Occident face à ces attentats couvrait en réalité une volonté de mettre au ban des Nations une religion, ainsi que le souligne Alain Gresh (dans « Islamophobie », Le Monde diplomatique, novembre 2001).

La deuxième était de créer dans l’esprit des musulmans de la diaspora un sentiment de victimisation les distinguant de l’ensemble de la Nation dont ils devraient se séparer.

Enfin, en tissant  un lien de causalité entre terrorisme et islam, l’Iran chiite des Mollahs se présentait comme le seul défenseur de l’Islam, en une tentative qui fut prolongée dans les instances onusiennes, d’obtenir une définition juridique internationale du « terrorisme », qui puisse distinguer une sorte de « bon terrorisme », ou de « terrorisme admissible », lorsqu’il serait employé par un peuple ou une religion se déclarant agressés.

Cette mécanique de propagande et de manipulation initiée par Téhéran est actuellement reprise par les djihadistes sunnites, particulièrement par l’Etat islamique-Daech qui pratique la terreur au nom de l’islam.

Dans une offensive sémantique, les défenseurs de l’islam indifférencié, particulièrement en France, ont tenté de substituer au racisme anti-arabe ou anti-maghrébin, jusque-là pris en compte dans les documents officiels,  dans l’opinion publique, et les médias, un supposé phénomène nouveau de dénonciation ou de critique de l’islam : l’islamophobie. Cet argumentaire a ainsi permis de mener campagne contre l’interdiction du port de la burqa dans l’espace public ou du voile islamique dans l’école, et par conséquent de porter atteinte à la laïcité.

En même temps que l’apparition de cette terminologie problématique, la France, pays européen qui accueille la plus forte population d’origine musulmane, où se sont développés parallèlement des débats politiques sur  l’identité nationale et qui enregistre régulièrement des statistiques d’actes racistes et xénophobes, constate une poussée des revendications religieuses, particulièrement de la part de musulmans.

Ceux qui veulent promouvoir le terme « islamophobie » militent pour une nouvelle désignation de phénomènes antérieurs  tels que « arabophobie » ou « racisme anti-maghrébin », ou « racisme anti-immigrés », en laissant entendre que ces attitudes agressives vont au-delà des immigrés, victimes maghrébines ou arabes, pour toucher des personnes (africaines, turques, pakistanaises etc…) de confession musulmane, ce qui n’est nullement vérifié.

Ils l’étendent pour la première fois à une discrimination envers une religion, l’islam, ce qui n’est nullement le cas pour l’antisémitisme. Celui-ci est une ségrégation racialiste, et non pas un rejet des textes sacrés de la foi israélite, par ailleurs reconnue et respectée par les autres monothéismes- chrétienté et islam- toutes  « religions du Livre ».

Ainsi que le soulignait la CNCDH, il y a plus de dix ans, « l’islamophobie ne serait alors qu’un nouveau processus de légitimation de l’ethnicisassion de l’autre, de son altérité. » Et ce alors que la population supposée musulmane, ou d’origine maghrébine, ou étrangère est pour une grande part intégrée au point de partager les mêmes écoles, les mêmes pratiques sociales, les mêmes professions ou de connaitre un nombre d’unions « mixtes » important, ainsi que le souligne Emmanuel Todd (Le Destin des immigrés, Le Seuil, 1997). Pour autant, il existe bien une relation complexe, qu’on ne peut ignorer, entre origine ethnique/religion/ intégration/ laïcité/lutte contre les discriminations/ exclusion sociale.

Ainsi qu’on le voit actuellement de la part de la minorité salafiste, il est incontestable que des courants intégristes  islamistes tentent d’obtenir la requalification du racisme anti-maghrébin en « islamophobie » pour mieux tirer bénéfice des frustrations, ou de la crise économique. Ces extrémistes religieux tentent de jouer sur des réflexes de replis identitaires  d’une certaine partie de la population d’origine maghrébine et de faire du religieux un critère absolu de différenciation.

Une définition impossible ?

Une tentative de définition lexicale de « l’islamophobie » apparait pour la première fois en 2005 dans le dictionnaire Le Petit Robert (édition 2006)  comme étant : « Une forme particulière de racisme dirigé contre l’islam et les musulmans qui se manifeste en France par des actes de malveillance et une discrimination ethnique contre les immigrés magrébins ».

Le Petit Larousse (édition 2004) ignorait totalement le terme.

Dans les instances internationales, le Conseil de l’Europe s’essai en 2004 à une définition lors d’un colloque tenu à Budapest sur le thème : « L’islamophobie et ses conséquences pour les jeunes ». Il proposait : « L’islamophobie est la peur, ou une vision altérée dans des préjugés, de l’islam, des musulmans et des questions en rapport (…) Quelle se traduise par des actes quotidiens de racisme et de discrimination ou des manifestations plus violentes, l’islamophobie est une violation des Droits de l’homme et une menace pour la cohésion sociale ».

Aux Nations Unies, l’Organisation de la conférence islamique (OCI- 57 Etats membres)  a tenté, sans succès jusque-là, d’introduire en droit international un délit de « diffamation des religions », assimilant toute critique de l’islam à un « blasphème », sous couvert d’une « lutte contre l’islamophobie ».

Etymologiquement on pourrait définir « l’islamophobie » comme étant la peur irraisonnée et le rejet global de l’islam « à la fois religion, mode de vie, projet communautaire et culture », ainsi que le propose Michel Reeber (L’islam, Milan, Toulouse 1995).

Peut-on statistiquement distinguer des actes « purement islamophobes » ?

Selon les services de police et les associations antiracistes, l’auteur de violence ou de menace envers un Maghrébin  n’identifie pas celui-ci à une religion, mais à un étranger, d’où une attitude raciste, ou xénophobe lorsque l’identification se fait au faciès. A l’école, dans la majorité des cas, les heurts entre groupes relèvent plus de phénomènes de bandes de quartiers ou d’immeuble. Pour certains jeunes qui se disent victimes, il s’agirait d’une justification de leur échec ou difficultés scolaires, ou même de frustrations.

Un terme non reconnu officiellement

Alors qu’il était ministre de l’Intérieur, Manuel Valls déclarait (Nouvel Observateur ; juillet 2013) qu’il se refusait d’utiliser le terme « islamophobie », favorisant l’usage de l’expression « racisme antimusulmans ».

Dans l’ensemble de ses rapports annuels sur « La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie » la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), auprès du Premier ministre, n’a jamais utilisé le terme « islamophobie »,  tant dans les statistiques, que dans les sondages d’opinion ou les analyses sociologiques.

Elle utilise les termes : « intolérance anti-islam », ou « aversion pour l’islam » dans ses études qualitatives (sondages).

Dans les statistiques  annuelles, elle met en regard de l’antisémitisme, la catégorie des « actes et menaces à caractère raciste antimusulmans ». Dans toutes les statistiques émanant tant du ministère de l’Intérieur, que du ministère de la Justice pour ce qui concerne les poursuites et les condamnations, ou  du ministère de l’Education nationale, n’apparait jamais une catégorie « islamophobie ». C’est dans l’ensemble : « racisme et xénophobie » qu’apparait le « racisme antimusulmans », ou le « racisme contre les immigrés ».

Quant aux condamnations judiciaires  elles sont prononcées génériquement sur la base du racisme  ou des discriminations « …à raison de la religion », sans distinction. Le droit français ne mentionne jamais « l’islamophobie ».

Quant à l’origine des statistiques détaillant les menaces et violences racistes de toutes natures, elles  sont établies et validées  par les services du ministère de l’Intérieur, sur rapports des services de police. Elles sont ensuite relayées par les différentes communautés intéressées :

Pour l’antisémitisme, c’est le Service de protection de la communauté juive (SPCJ), soutenu par les institutions officielles de cette communauté (CRIF, Consistoire central et FSJU), qui coopère avec le ministère de l’Intérieur, reçoit ces chiffres officiels et propose ses commentaires.

Pour les musulmans de France, deux organismes concurrents jouent ce rôle : L’Observatoire national contre l’islamophobie (ONCI) et le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF).

Les définitions de « l’islamophobie » et ses évaluations diffèrent légèrement entre ces deux organismes issus d’horizons différents : Pour l’ONCI qui est une émanation du Conseil français du culte musulman (CFCM), représentant officiel de cette communauté, ce sont les définitions et chiffrages du ministère de l’Intérieur qui font foi.

Pour le CCIF, l’islamophobie couvre les discriminations et violences « en raison de l’appartenance réelle ou supposée à l’islam », incitant « à l’hostilité et au rejet des musulmans ». Pour Marwan Muhammad, son représentant, le terrorisme ou le djihadisme n’ont rien à voir avec l’islam. Sa préoccupation première est le soutien à « la cause palestinienne ».

Quelles que soit le contenu donné à l’islamophobie, il  s’agit pour l’une et l’autre organisation d’une hostilité vis-à-vis de personnes de confession musulmane, mais il n’est jamais question de « critique de l’islam ».

Il n’en demeure pas moins que ces deux organisations présentent souvent des statistiques différentes. Ainsi, en 2013, le CCIF annonçait 691 actes « islamophobes » sur l’ensemble du territoire, alors que l’Observatoire en recensait 226.

La situation française

Il n’empêche que c’est bien l’islam-religion qui est visé lors de diffusion de tracts antimusulmans provenant de la mouvance d’Extrême-droite, de tentatives d’incendie ou de graffitis visant des lieux de culte, de destruction de sépultures, de violence verbales ou physiques contre des imams.

Pour Dalil Boubakeur, Recteur de la Grande mosquée de Paris et président du Conseil français du culte musulman (CFCM) : La France n’est pas globalement hostile à l’islam. Il s’agit surtout d’ « islamistophobie, c’est à dire d’un rejet des islamistes radicaux. Et il est légitime de se méfier de la politisation de l’islam. » C’est justement cette confusion entre religion révélée et conduites politiques publiques qui est aujourd’hui prônée par le djihadisme de Daech, imposant la charia comme étant la Loi de la cité.

Le Dr. Boubakeur précise bien : « Ce qui différencie l’islam de l’islamisme, c’est justement le refus de toute implication dans le monde politique. Le rôle de l’islam n’est pas de répondre aux problèmes sociaux et économiques. La religion fait partie d’une autre sphère et ceux qui veulent trouver des solutions à partir des textes religieux, à partir des problèmes actuels-même identitaires- font fausse route et sont dangereux ». Pour le président du CFCM : « Ce type d’attitudes aboutit à terme au communautarisme car il entraine des replis identitaires contraires à notre esprit d’intégration et favorise l’instauration de petits pouvoirs intra-communautaires » (audition devant la CNCDH, le 6 novembre 2003).

Si cette prise de position du représentant officiel de l’islam en France reste valable dix ans plus tard, il n’en demeure pas moins vrai que l’opinion publique et certaines franges de l’échiquier politique national  font une confusion entre musulman/ fondamentaliste/islamiste/terroriste, amalgame qui s’est justement propagé depuis 2001.

Dans un pays fortement sécularisé comme la France, dans notre République laïque, l’islam, bien qu’implanté depuis fort longtemps, aujourd’hui démographiquement évalué comme étant la deuxième religion du pays, est toujours frappé d’une triple suspicion : En tant que religion des ex-colonies, que religion porteuse de terrorisme, et que « religion combattante et conquérante du Djihad ».

Aussi est-il aisé pour certains d’utiliser cette hostilité polymorphe  pour parvenir, à travers le nouveau terme d’ « islamophobie », à une instrumentalisation politique.

Tant que l’islam-religion n’aura pas procédé lui-même à son aggiornamento, comme le judaïsme et le christianisme le firent en leurs temps pour se réformer et se modérer, il conservera ses réflexes originels remontant du VIIe siècle,  comme on le vit lors du massacre de Charlie Hebdo. En particulier, il ne supportera pas un regard extérieur, même non-critique du fait qu’il est né et s’est développé en terre de conquête, en voulant ignorer qu’il puisse s’installer en diaspora avec un statut de minoritaire.

Aujourd’hui en France, à la recherche d’une existence et d’une représentativité en terre non-islamique, bien des musulmans croient devoir s’inspirer du judaïsme, même négativement, en dénonçant un « deux-poids-deux-mesures ». Cette inspiration véhicule, peut-être sans le vouloir, des stéréotypes antisémites :-«Les  juifs sont tout-puissants (par leurs richesses et leur influence),  alors il faut les imiter », ou les dénoncer comme étant à l’origine du « complot » -« Ils  bénéficient de privilèges du fait qu’ils ont subi la Shoa » ; d’où l’invocation de l’ « islamophobie », mauvais équivalent comme nous l’avons vu de l’antisémitisme. Il n’en demeure pas moins que nombre de musulmans sont victimes de racisme et de xénophobie. Donnons à cette violation des Droits de l’homme son exacte appellation.

(Publié par le Crif le 30 Janvier 2015)

 

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Le Conseil de l’Europe appelle à une mobilisation contre la montée de l’antisémitisme sur le continent

Les juifs ont-ils un avenir en Europe ?

A cette question posée de manière récurrente ces dernières semaines, particulièrement aux Etats-Unis[1], alors que chacun constatait un accroissement très sensible de l’antisémitisme dans la quasi -totalité des pays européens dans les années 2 000, les autorités juives françaises, en tête desquelles  le nouveau Grand rabbin, Haïm Korcia[2], et le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Roger Cukierman, répondaient par l’affirmative, sans pour autant mésestimer les nouvelles manifestations de cet antisémitisme.

Un constat lucide

Le Conseil de l’Europe, mobilisé à nouveau en avril 2014, vient d’adopter à l’unanimité (26 juin 2014) une Recommandation[3] qui, sous le titre : « Lutter contre l’antisémitisme en Europe »,  se déclare « vivement préoccupé par la banalisation d’une part et l’aggravation de l’antisémitisme sous des manifestations anciennes et nouvelles d’autre part qui frappent la quasi-totalité des Etats membres».  La Conférence des Organisations internationales non gouvernementales (OING) du Conseil de l’Europe, parmi lesquelles  nombre d’organisations juives, qui en a pris l’initiative,  estime également que « l’antisémitisme constitue une grave menace et une agression  contre la démocratie, les valeurs universelles des droits de l’homme et la cohésion sociale, fondées sur le respect de la dignité humaine ».

Cette recommandation adressée aux 47 Etats membres ainsi qu’aux institutions européennes (Conseil des ministres, Assemblée parlementaire, Congrès des pouvoirs locaux, ainsi que tous les organes compétents du Conseil de l’Europe), se déclare « convaincue que l’Europe dont l’histoire est marquée par l’antisémitisme et qui, il y a 70 ans, a été frappée par le génocide spécifique que fut la Shoah se doit aujourd’hui de condamner et de combattre fermement l’antisémitisme ».

Une étude/ rapport sur les faits et la typologie

Cette recommandation était justifiée par une étude/rapport sur « La montée de l’antisémitisme en Europe dans les années 2 000 »[4].

Elle établit que statistiquement et qualitativement les manifestations d’antisémitisme se sont très sensiblement aggravées, partout en Europe. Bien que nombre d’Etats n’en font toujours pas un décompte  précis, les institutions européennes, qu’il s’agisse de l’Agence des droits fondamentaux ou de l’ECRI, tout comme des organismes indépendants, attestent de cet accroissement, dont les détails dont donnés avec précisions, y compris dans des pays qui n’ont aucune tradition en la matière.

Un deuxième constat est fait, qui porte sur la typologie de ces phénomènes antisémites : Nous savons qu’ils ont évolué depuis la Haute Antiquité, mais nous découvrons qu’ils ont pris de nouvelles formes dans les années 2 000.

Cette évolution était déjà décelée clairement en 2007 par l’Assemblée parlementaire qui, dans sa résolution 1563 : « Regrette que le conflit du Proche Orient ait eu des répercussions sur le développement de l’antisémitisme en Europe. Cela est particulièrement le cas parmi beaucoup d’immigrés dans les villes européennes ». Depuis 7 ans, il y a eu aggravation, avec des morts.

Est venue s’ajouter l’émergence, à l’échelle du continent, et particulièrement à l’occasion des dernières élections pour la représentation au Parlement européen, de partis dits populistes qui prospèrent sur un terreau nationaliste, xénophobe et trop souvent antisémite.

Quant aux milieux traditionnellement d’Extrême-droite, ils connaissent une vigueur nouvelle, d’une part dans leurs alliances conjoncturelles avec une extrême-gauche anti-européenne, et d’autre part du fait de l’utilisation de nouveaux vecteurs de diffusion de leurs idéologies, particulièrement en matière d’antisémitisme.

Et c’est justement là que se trouve la troisième mutation qui revigore l’antisémitisme en Europe : L’utilisation des technologies informatiques, avec l’investissement du Web et des réseaux sociaux (Facebook ; Hashtags ; Twitter) qui diffusent et mobilisent, conditionnant les cerveaux le plus faibles et les plus perméables à l’antisémitisme. C’est le nouveau terrain investi par les propagandistes, qu’ils soient islamistes radicaux ou néo-nazis. Il en va de même pour des chaines de télévision arabes véhiculant des programmes à caractère antisémite haineux et diffamatoire.

Deux types d’outils de répression pénale doivent être mis en œuvre : Au plan national par une législation claire, fondée sur une définition juridique efficace ; au plan international, par un contrôle des débordements sur le web, comme il en fut le cas pour la pédophilie.

A cela s’ajoute la prévention, qui passe principalement par l’éducation, la sensibilisation et la formation

Mobilisation des Etats

Dans ces circonstances, le Conseil de l’Europe  demande, en premier lieu, aux responsables politiques des Etats membres de « condamner fermement et sans ambiguïté toutes les manifestations d’antisémitisme (agressions, propos, écrits, etc…) » qui apparaissent sur leur sol. Il faut souligner les deux termes employés : « fermement » et « sans ambigüité », ayant constaté dans le passé, chez certains gouvernants, des atermoiements, des faux-fuyants ou des sous-estimations.

Aussi, pour les Etats européens, la première mesure qui conditionnera la lutte contre ces phénomènes est leurs évaluations, leur connaissance la plus précise possible : C’est le sens de la recommandation qui demande à tous les Etats qui ne l’ont pas fait à ce jour de « collecter systématiquement des données  sur les manifestations antisémites et les analyser », comme c’est le cas dans quelques Etats seulement, dont la France.

L’objectif est dès lors, pour chaque gouvernement, de se donner les moyens de la répression  pénale en dotant leur législation nationale de dispositions permettant d’une part « de poursuivre et sanctionner effectivement tout groupe ou parti politique qui utiliserait des arguments antisémites dans ses discours ou ses activités », et  d’autre part afin que «  l’apologie, la négation ou la banalisation intentionnelles et publique de la Shoah soient punissables de sanctions effectives (…) y compris lorsque ces actes ont été commis par des personnes morales ».

Quant à la prévention, cette Recommandation demande aux Etats membres du Conseil de l’Europe, de « redoubler d’efforts pour combattre l’ignorance et l’intolérance, y compris chez les générations futures, au moyen d’actions éducatives systématiques et permanentes, qui consistent notamment à enseigner la Shoah avec la plus grande rigueur historique ».

Les 47 gouvernements européens sont appelés à élaborer toutes mesures de lutte contre l’antisémitisme  dans « des stratégies et des plans nationaux, dans le cadre d’une coopération entre les institutions publiques, les représentants des communautés juives et d’autres organisations de la société civile concernées ».

Engagements des organes du Conseil de l’Europe.

La deuxième partie de cette recommandation  invite les organes du Conseil de l’Europe, en particulier le Conseil des ministres, l’Assemblée parlementaire, ainsi que le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux à encourager et à contribuer à ces efforts d’éradication de l’antisémitisme sur le continent, en premier lieu sur le plan juridique dans deux domaines :

–L’élaboration d’ « une définition juridique de l’antisémitisme »,  ce qui permettrait aux Etats membres de rédiger des lois répressives ;

–L’élimination des messages et propos antisémites sur Internet et sur les réseaux sociaux, dans le cadre de recommandations aux Etats membres.  Il sera en particulier demandé à ceux-ci de « mettre en place des autorités publiques nationales chargées d’empêcher le diffusion transfrontière et de réprimer les contenus illicites des messages racistes et antisémites sur le Web, en rendant les éditeurs de contenus totalement responsables de leurs propos devant la loi, indépendamment du média servant de support à leur expression ».

Dans le domaine de la prévention et de l’éducation, cette Recommandation demande aux organes du Conseil de l’Europe,  de « proposer et organiser des programmes de sensibilisation et de formation en la matière tant au niveau européen que dans le cadre national ».  Il est en particulier demandé au Conseil de l’Europe d’organiser le 27 janvier 2015, une manifestation sur le parvis du Conseil de l’Europe,  marquant la journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah et de la libération d’Auschwitz, «  qui soit un signe fort de la condamnation par l’organisation de toute forme d’antisémitisme et de son engagement pour sa prévention à travers le continent ».

Appel à la société civile.

Dans ce combat pour les valeurs fondamentales des Droits de l’homme, et pour l’éradication de l’antisémitisme, du racisme et de la xénophobie, la société civile – c’est-à-dire les militants des Organisations non gouvernementales- forts de leur expérience de terrain, sont bien souvent les premiers à constater l’extension de l’antisémitisme. Ces OING ont un rôle important à jouer dans la mobilisation pour une vigoureuse réponse publique à son encontre, ainsi que le précisait la Résolution 2017 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qu’il faut mettre en œuvre avec force, aujourd’hui, sans tarder. Les Gouvernements sont appelés à « coopérer plus activement avec la société civile et les ONG ». Et celles-ci à faire pression sur les autorités nationales, régionales et internationales, et se porter au secours des victimes.

Le troisième volet de la nouvelle Recommandation du Conseil de l’Europe pour lutter contre l’antisémitisme en Europe vise ainsi à la mobilisation de la société civile.  Il leur est demandé de « renforcer leur vigilance et leur participation », et de porter assistance aux victimes, de même que de proposer aux acteurs nationaux « des programmes de sensibilisation et de formation et alerter les instances nationales et européennes sur des cas d’antisémitisme ».

Ainsi, en ce mois de juin 2014, le Conseil de l’Europe a-t-il tenu à affirmer, avec force et netteté que l’antisémitisme n’est pas une opinion comme une autre, l’Histoire l’ayant douloureusement montré sur son continent. L’heure n’est pas  plus à la consternation, à la réprobation, à l’abattement. Nul ne peut se retrancher derrière des attitudes ambiguës : Il était temps et urgent de réagir énergiquement, tous ensemble, et chacun dans son domaine, afin de purger effectivement l’Europe de ce poison qui menace d’étouffer la Démocratie. S’il est vrai que l’antisémitisme est indissociable des autres formes de racisme et de xénophobie, il a été clairement acté qu’il s’agit d’une forme spécifique qui demande des réponses adaptées, et un traitement adéquat, sans tarder, avec la plus grande énergie fasse à sa recrudescence depuis le début des années 2 000.

(Publié dans la Newsletter du CRIF du 3 juillet 2014)

 

 Cliquez ici pour lire l’étude.

 

 


[1] Wall Street Journal, et Huffington Post (23 juin 2014)

[2] Interview à la radio Europe 1

[3] CONF/PLE(2014), de la Conférence des OING du Conseil de l’Europe, sur proposition du Comité de pilotage « Agir contre l’antisémitisme en Europe », et après approbation à l’unanimité de la Commission des droits de l’homme (24 juin 2014), présidée par Annelise Oeschger (Suisse).

[4] Par Gérard Fellous, expert à  l’ONU et au Conseil de l’Europe. Consulter en ligne …..

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La montée de l’antisémitisme en Europe  dans les années 2 000

Plus de 70 ans après la Shoa, l’Europe connait une montée exceptionnelle de l’antisémitisme : C’est le cri d’alarme que lançait fin janvier 2014 le Commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muiznieks. Estimant que l’Europe reste hantée par l’antisémitisme, il ajoutait : « En dépit de l’absence de statistiques officielles dans bien des pays, des recherches et des sondages montrent qu’une hostilité profondément enracinée continue de menacer la sécurité et la dignité humaine des juifs dans toute l’Europe ».

La judéophobie qui se développe en Europe au cours des années 2 000 prend principalement trois formes:

  • La première, peut-être la plus fréquente est le produit d’un transfert sur notre continent des tensions au Proche-Orient ;
  • La deuxième réside dans l’apparition marquée, dans les échiquiers politiques nationaux, d’un populisme politique issu de l’extrême-droite traditionnelle;
  • Il faut y ajouter le discours et les actes de l’Extrême-droite traditionnelle, avec son avatar qu’est le négationnisme.

Les récents travaux des instances européennes, particulièrement ceux de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne de Vienne, ainsi que ceux de l’ECRI du Conseil de l’Europe de Strasbourg donnent de nombreuses illustrations, de ces manifestations de judéophobie.

Le ressenti de l’antisémitisme

Une enquête menée en 2013 par l’Agence des droits fondamentaux auprès de 6 000 juifs dans 8 pays de l’Union européenne ( Allemagne, Belgique, France, Hongrie, Italie, Lettonie, Royaume-Uni et Suède) montre que 2/3 des personnes interrogées (66%) considèrent que l’antisémitisme est un réel problème . ¾ (76%) indiquent qu’il s’est aggravé ces dernières années dans le pays où ils vivent. 75% des personnes interrogées constatent que l’antisémitisme sur Internet est un problème, et qu’il s’est développé ces dernières années.

Un quart des personnes interrogées dans ces 8 pays (26%) révèlent qu’au cours de l’année 2012, elles ont été personnellement victimes d’insultes verbales ou de harcèlements, et 4% déclarent avoir été victimes de menaces ou de violences physiques.

Il en résulte un climat de crainte chez ces juifs interrogés, 46% d’entre eux déclarant avoir peur d’être victime d’agression verbale ou de harcèlement antisémite dans les 12 mois suivants, et 1/3 (33%) craint une agression physique.  Il en résulte que plus de  ¼ (27%)  évitent certains lieux dans leur quartier, parce qu’ils ne se sentiraient pas en sécurité. 23% déclarent éviter, occasionnellement d’assister à des manifestations juives ou de visiter des sites juifs.

Sans entrer dans le détail de cette enquête qui porte également sur les formes de discrimination, sur la négation ou la banalisation de la Shoa, sur les moyens de faire face à ces phénomènes ou sur leur répartition par pays, je retiendrai principalement que l’antisémitisme est bien réel dans l’Europe des années 2000 et qu’il est perçu comme s’aggravant.

Il est difficile de quantifier avec précision ces manifestations d’antisémitisme. En effet de nombreux pays du continent n’ont aucune statistique officielle des menaces et actes de racisme, d’antisémitisme ou de xénophobie ;  et seulement la moitié des Etats membres de l’Union européenne (13 sur 27) collectent des données sur les manifestations d’antisémitisme signalées, dont la France.

Des statistiques en hausse

Prenons quelques pays qui établissent des statistiques fiables :

*En Belgique, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme a enregistré en 2012, 88 plaintes à la suite d’actes antisémites, en accroissement par rapport à 2011 (62), et 2010 (57). Elles se répartissent en 2012 entre des déclarations antisémites sur Internet (28), des agressions verbales (15), des affirmations négationnistes (13 et des actes de vandalisme (11). Pour le président de ce Centre, il ne s’agirait ici que « de la pointe de l’iceberg car un nombre significatif de victimes ne porte pas plainte ».

*Au Danemark, le Conseil municipal de Copenhague enregistre en 2013, environ une attaque antisémite par semaine.

*En France, l’année 2012 a marqué un sommet dans les violences antisémites, avec 4 morts, dont 3 enfants à Toulouse, et 614 actes antisémites en 2013, contre 389 en2011, soit une augmentation de 58% Les agressions physiques ou verbales ont augmenté de 84% entre ces deux années.

*En Hongrie, 7% de la population affirme qu’il n’y a pas eu de chambres à gaz dans les camps de concentration.

**En Norvège, une étude réalisée par la ville d’Oslo indique que 33% des étudiants juifs de la ville sont physiquement menacés ou agressés par leurs camarades au moins deux fois par mois.

*En Suède, dans la troisième ville du pays, Malmö, les incidents antisémites ont triplé au cours des 18 derniers mois, par rapport aux deux années précédentes. Sur les 700 juifs encore inscrits en 2009, une trentaine a déjà quitté la ville.

*En Grande Bretagne, au cours des six premiers mois de 2012, le Community Security Trust a dénombré 299 actes antisémites, dont 148 à Londres.

Esquisse de typologie européenne.

Le transfert en Europe du conflit israélo-palestinien : Ce phénomène est apparu dans les démocraties occidentales après les attaques terroristes aux Etats unis, et au moment de la seconde Intifada de 2000. En France, le mois d’octobre 2000 marque un apogée de violentes antisémites : Une voiture fonce sur des fidèles sortant de la synagogue d’Aubervilliers, dans la banlieue parisienne ; un cocktail Molotov est lancé sur une synagogue du XIXe. Arrondissement de Paris, des élèves sont agressés à la sortie d’une école juive dans le XIXe. Arrondissement de Paris,  de même que devant une autre école juive de Saint-Ouen,, une bouteille incendiaire est lancée sur un restaurant cacher parisien, de même sur une école d’Aubervilliers, et sur la synagogue de Clichy-sous-Bois, tandis que des tombes juives sont profanées dans le cimetière de Trappes, 3 cocktails Molotov sont lancés sur la synagogue des Ulis, alors que celle de Trappes est totalement ravagée, le rabbin de la synagogue de Créteil est agressé, deux appartements sont incendiés à Choisy-le-Roi. Pour cette période du 1er. au 25 octobre 2000 le chercheur du CRIF, Marc Knobel a relevé une cinquantaine d’agressions antisémites à Paris et en région parisienne. Il précise qu’en une dizaine de jours, 70 incidents antisémites sont  alors recensés de Toulouse à Paris, de Lille à Rouen.

Ce phénomène se poursuit, avec une moindre intensité jusqu’en 2014.

Pour une forte part il est lié à un contexte géopolitique marqué par la montée du radicalisme islamique sunnite et chiite, de même que par la sortie du thème du conflit israélo-palestinien des revendications des révolutions du « Printemps arabe », et pour certains, par les perspectives d’un accord de paix entre Israël et la Palestine, sous égide américaine.

Ce nouveau type d’antisémitisme trouve ses racines dans plusieurs milieux et se manifeste de diverses manières : On peut citer un antisionisme provenant de l’extrême-gauche pro-palestinienne ; un prosélytisme de l’islam radical prétendant mener un « Djihad extérieur, auprès de populations musulmanes en France. Il se manifeste de trois manières au moins :

  • En développant le thème du complot mondial, cette fois israélo-américain, et son avatar, celui de la finance juive responsable de la crise mondiale ;
  • Inversant le thème de la Shoa, en assimilant le sionisme à un nazisme en Palestine. L’amalgame s’énonce de la manière suivante : Les juifs hier persécutés par les nazis, sont les nazis d’aujourd’hui qui persécutent les Palestiniens. Le second volet étant de parler de « sionisme » pour désigner le judaïsme.
  • En développant la « théorie du double standard » qui revient à mettre à égalité l’extermination de six millions de juifs européens durant la Shoa, avec le racisme et la xénophobie dont souffrent certaines populations musulmanes ou immigrées, en forgeant le concept, contestable d’ « islamophobie ». Dans ses réflexions sur la judéophobie contemporaine, Pierre-André Taguieff dénonce ce « poncif », ce « cliché de propagande » selon lequel « l’islamophobie d’aujourd’hui est la répétition de l’antisémitisme d’hier ».

Pour Taguieff, il s’agit « d’une diffamation globale, permanente, entretenue par une partie du système médiatique, rallié au point de vue « antisioniste », et relayant des rumeurs négatives », véhiculé par un « gauchisme culturel ».

On en arrive à ce que Taguieff appelle : « L’expression de la banalisation d’une culture antijuive dans certains milieux issus de l’immigration de culture musulmane, endoctrinés par des islamistes ». C’est ce que le Hamas résume dans sa Charte (article 28- aout 1988) par la formule : « Israël, parce qu’il est juif et a une population juive, défie l’islam et les musulmans. » Ainsi, le conflit israélo-palestinien est-il aujourd’hui transformé en un méga-conflit « sionisto-islamiste ».

Taguieff fait remarquer, à juste titre que la judéophobie dans l’Histoire, n’a cessé de prendre des formes nouvelles, de s’adapter à l’esprit du temps, de trouver de nouveaux alibis, d’inventer des justifications inédites.

Le populisme politique : Dans les pays européens à forte tradition antisémites, comme en France, Russie, Autriche, Romanie, Pologne, Hongrie, Suisse ou Grèce, on retrouve aujourd’hui un discours antisémite structuré par des partis politiques qui ont souvent réalisé des percées significatives. Ces partis politiques se situent dans la mouvance d’extrême droite qualifiée aujourd’hui de « populiste ».

Par contre d’autres pays européens à faible tradition antisémite, comme la Grande Bretagne, Scandinavie, République tchèque, Italie, Espagne, Pays Bas, les partis politiques d’extrême-droite qui s’y développent ne portent pas de rhétorique anti-juive.

L’Allemagne est un cas particulier en raison de son histoire. On y constate néanmoins, depuis peu un ébrèchement, une fragilisation des effets de l’éducation contre le nazisme et l’antisémitisme qui se manifeste par une radicalisation significative des forces politiques de droite. Le relativisme du génocide se développe sur le thème que c’est le peuple allemand qui a souffert de la seconde guerre mondiale, et pas les juifs, et que ceux-ci sont moins victimes que ne le sont les palestiniens.

J’évoquerai enfin les formes de judéophobie véhiculées par l’Extrême-droite traditionnelle : Celle-ci se recrute toujours  chez les catholiques intégristes ou ultra-conservateurs, et dans certains pays européens parmi les Eglises orthodoxes. Sa caractéristique actuelle est d’avoir fait jonction avec l’Extrême-Gauche « national-socialiste ».

On peut également citer des formes d’antisémitisme archaïques, comme par exemple en Hongrie où il a un peu plus d’un an, un appel était lancé lors d’une séance au Parlement afin de recenser les juifs qui représenteraient « une menace pour la sécurité nationale », ravivant ainsi le terrible souvenir des politiques nazies. Ou encore en Roumanie, où en décembre dernier, une chaine de télévision publique avait diffusé un chant de Noel aux paroles antisémites.

On constate également sur l’ensemble des pays européens que les véhicules de l’antisémitisme se diversifient, allant des écrits, des invectives sur la voie publique aux manifestations publiques comme les rencontre sportives, en passant par  l’utilisation de l’Internet et des réseaux sociaux, ou de représentations théâtrales, comme dans le cas, en France de Dieudonné M’bala M’Bala.

Il faut souligner que l’antisémitisme est indissociable des autres formes de racisme et de xénophobie, bien que spécifique dans ses origines et ses manifestations. La lutte contre ces phénomènes racistes attentatoires aux valeurs des Droits de l’homme et à la démocratie nécessite non seulement une forte réaction des pouvoirs publics, et des familles politiques démocratiques, mais aussi, et peut-être surtout de l’ensemble des citoyens européens, des opinions publiques qui doivent, avec fermeté, rejeter ce poison qui risque d’être fatal à vos sociétés.

(26 janvier 2014 ; éléments de conférence donnée devant la Quatrième convention régionale du CRIF-Marseille-Provence)

 

 

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Derrière l’amuseur public Dieudonné, derrière le « gag » qui se veut « antisystème »  de la « quenelle », derrière l’usage intensif et systématique des réseaux promotionnels sur l’Internet, se cache en réalité  un militant engagé, de son vrai nom, Dieudonné M’bala M’bala qui développe des discours politiques  violemment antisémites qu’il faut rappeler sans complaisance.

En campagnes électorales

Le masque est tombé la première fois avec le lancement, en mars 2009, au Théâtre de la Main d’Or, d’une « liste antisioniste »  conduite par Dieudonné, pour la circonscription Ile-de-France dans les élections européennes (7 juin 2009).  Il était secondé par Alain Soral qui n’avait pas obtenu d’être tête de liste du Front national en Ile-de-France, et qui quitta ce parti en février 2009 pour rejoindre le « Parti antisioniste ». Ce parti est présidé par le leader de la Communauté chiite iranienne de France, Yahia Gousmi. Les candidats inscrits sur cette liste étaient issus de groupuscules politiques allant des marges de l’extrême-droite, à celles de l’extrême-gauche. Au cours de la conférence de presse de lancement de sa liste, Dieudonné accusa les « esclavagistes » du « système sioniste » de dominer la métropole. La liste de Dieudonné reçu le soutien d’Ilich Ramirez Sanchez (Carlos, détenu pour terrorisme).

Pour l’association antiraciste MRAP, cette liste avait « recyclé les pires thèmes de l’extrême-droite, en développant des théories qui « rappellent celles des conspirationnistes de toujours ». L’Union des étudiants juifs (UEJF)  attira alors l’attention sur son « vaste programme politique haineux »

Cette liste réalisa un score de 1,30 % en Ile-de-France, (36 601 voix)  avec son meilleur score de 2,83% en Seine-Saint-Denis,  et une pointe de 5,18% à Clichy-sous-Bois ( 4,92% à Stains ; 4,9 % aux Mureaux ; 4,84% à Bobigny ; 4,22% à Saint-Denis ville). A Paris, la liste antisioniste de Dieudonné a dépassé le 1,5 % dans les XIXe et XXe arrondissements.

Déjà en juin 2004, aux élections européennes, Dieudonné M’bala M’bala avait figuré sur une « Liste Euro-Palestine » à Paris. Elle obtint un score de 1,83% en Ile-de-France.,  avec un pic de 10,75% à Garges-lès-Gonesse (Val d’Oise).

Le terreau de ses diatribes politiques est ainsi constitué.

Adoubé par l’Iran des Mollahs.

Les relations de M. M’bala M’Bala avec le régime des mollahs iranien sont sans ambiguïté. Déjà, lors de la campagne électorale de 2009, ses amis et ses opposants avaient ouvert une polémique sur un possible financement par Téhéran.

En septembre 2011 il se rend, en famille, dans la capitale iranienne où il est longuement interviewé par la télévision officielle Sahar TV, devant laquelle il développe ses principaux thèmes politiques. Puis il enregistre à Téhéran une vidéo en aout 2013. (Images difusées par MEMRI- The middle east media and research Institut):

Antisionisme égale Antisémitisme : Interviewé dans un vaste fauteuil, au coté d’un monumental portrait en pied de l’imam Khomeiny, Dieudonné M’Bala M’bala  précise bien à la télévision ce qu’il entend par « sionisme » en déclarant clairement : « Le sionisme a tué le Christ. C’est le sionisme qui prétendait que Jésus est le fils d’une putain ». Ainsi, la forme nouvelle d’antisémitisme qu’est l’antisionisme est clairement énoncée.

Le second thème développé est celui du « complot sioniste/juif », et de « l’invasion » juive. Dieudonné déclare ainsi à Téhéran : «  Israël est un projet quasi terminé. Je pense qu’Israël ne survivra pas à cette décennie. Et finalement les sionistes les plus hystériques vont être obligés de se déplacer. Il vont donc arriver en France, là où le Président de la République est un sioniste invétéré, ainsi que les medias et la plupart des institutions françaises qui sont sous contrôle des sionistes ». Il ajoute que « Paris est devenu aujourd’hui une capitale du sionisme ».  Montrant des policiers ou des militaires faisant « la quenelle », dont il refuse de donner la définition,  il prédit une « révolution prochaine en France (…) Ce serait bien qu’il y ai bientôt un coup d’Etat (…) c’est le chemin qui nous conduira vers la victoire » Pour Dieudonné, la France sera le premier point de repli de ces « sionistes », avant les Etats-Unis.

Le choc des civilisations : Le troisième  thème politique de Dieudonnéest celui de la victoire de l’islam radical dans un choc prochain de civilisation (décrit par Huntington) face aux Juifs. Il déclare ainsi, à la télévision de Téhéran : « Les valeurs islamiques arrivent de partout dans le monde. C’est pour cela que le sionisme développe aujourd’hui une communication islamophobe : A la télévision, dans les discours politiques, pour le sionisme, l’ennemi premier de la démocratie, c’est l’islam ».

Qualifiant le sionisme/judaïsme de « science du mensonge, de haine profonde de l’humanité », Dieudonné y voit « une épreuve envoyée à l’humanité, que nous allons surmonter. Nous survivrons au sionisme. » lance-t-il.

Appel aux chrétiens contre les juifs : Dans son combat phantasmatique qui trouve écho chez les mollahs, Dieudonné appelle à une alliance islam/chrétienté. Il déclare : » Dans l’islam, il y a un respect pour Jésus qui annonce la venue du prophète, du Messager ». Il lance devant les téléspectateurs iraniens : « Il faut aujourd’hui convaincre les chrétiens, comme cela se fait au Liban, de se joindre au grand mouvement islamique universel,  qui est la porte vers la liberté ».

Il prétend alors que « depuis quelques années, on assiste à une guerre médiatique ouverte contre les musulmans. La volonté est de les séparer des chrétiens ».  Sa vision obsessionnelle est que « le sionisme, partout où il arrive, tente d’abroger les valeurs morales d’un pays… Puis vient l’islam qui libère les populations qui sont de plus en plus attirées par lui ».

Prosélyte d’un islam radical : Le quatrième thème de M. M’bala M’bala est donc  que « l’heure est venue de constituer un large front contre le sionisme : les musulmans doivent tendre la main aux chrétiens ». Il avance alors que « les chrétiens sont aujourd’hui perdus ; ils doivent rejoindre l’islam ouvert, cet islam moderne qu’a lancé l’iman Khomeiny, qui est une perspective universelle qui concerne la planète toute entière, tous les continents qui se battent contre l’injustice qui a pour nom le sionisme ». Dieudonné se fait ainsi le propagandiste d’un Djihad universel. Il ne cache pas, en exhibant une écharpe que le leader « des combattants fiers du Hamas », Khaled Mechaal, lui aurait offerte personnellement « lors d’une rencontre dans la région, là-bas, chez le Hamas, aux portes d’Israël ». Il illustre ainsi son engagement politique auprès d’une organisation  qualifiée de « terroriste » par la communauté internationale.

Admiration pour les mollahs chiites : Enfin, probablement en signe de reconnaissance, et de détestation de la France,  Dieudonné M’bala M’Bala, exprime son admiration pour l’Iran des mollahs, devant les téléspectateurs de la télévision officielle. Rappelant qu’en Iran, le pouvoir est bicéphale « il y a d’un côté les politiques, et de l’autre les sages, malheureusement cela n’existe pas en France ». Il en conclue que « c’est pour cela que dans ce pays, la guerre contre l’islam est devenue une priorité ». Signalant que son fils l’accompagne dans ce voyage, il ajoute que celui-ci est «  impressionné de voir un pays debout, fier et exemplaire. Nous avons besoin d’exemple, et qu’il y a une vie après le sionisme ».

Incontestablement, Dieudonné ne peut se retrancher derrière le statut d’un humoriste, ou d’un artiste, il est bel et bien un militant politique qui enfourche les formes récentes les plus virulentes de la judéophobie, constituant une menace pour la République.

(Publié dans la Newsletter du CRIF, le 13 janvier 2014)

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Entre 1990 et 2006, c’est-à-dire durant dix-sept années, Gérard Fellous a été rapporteur du Rapport sur la lutte contre le racisme et la xénophobie publié par la Commission nationale consultative des droits de l’homme dans le cadre de la loi du 13 juillet 1990 (article 2) qui stipule qu’un tel rapport doit être présenté  au gouvernement et rendu public le 21 mars de chaque année, date retenue par l’Organisation des Nations unies pour la journée internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Ces rapport ont été publiés par La Documentation Française, et fait l’objet de nombreuses ressentions de presse, dont on trouvera quelques exemples ici.

Dans ce domaine, l’activité internationale a été très riche, particulièrement à l’ONU : On trouvera également ci-dessous, à titre d’illustrations, deux missions effectuées par Gérard Fellous.

 I : L’UNIVERSALITE DES DROITS DE L’HOMME CONFRONTEE AU RELATIVISME CULTUREL

Par Gérard FELLOUS

 

Résumé

 

La Constitution marocaine a inscrit, dès son article 2, la reconnaissance des droits de l’homme universels. Le Maroc a signé et ratifié, en 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme. Depuis, et à l’exclusion de rares cas de réserves émises – dont nous pouvons espérer qu‘elles soient levées progressivement-, le Maroc a également signé et ratifié la majorité des 60 instruments internationaux onusiens. Ces engagements ont récemment été traduits par l’élévation du statut de votre nouveau Conseil national des droits de l’homme, inscrit dans la Constitution.

Néanmoins, dans bien des régions du monde, et aujourd’hui dans les pays arabo-musulmans, la question se pose: Quel avenir pour les droits de l’Homme?  En d’autres termes, l’universalité des droits de l’homme est-elle menacée ?

Ma thèse- que j’ai explicité dans un récent ouvrage intitulé « Les droits de l’homme : Une universalité menacée »- est que l’universalité est contestée, en ce début du XXIe siècle.

«  Le principe même d’universalité des droits de l’homme est clairement remis en cause dans certains milieux (…) Aujourd’hui les Etats ne semblent pas faire preuve de la même volonté que celle qui les animait au lendemain de la Seconde guerre mondiale pour affirmer fortement l’universalité de nos droits et de nos libertés », constatait récemment l’ancienne Haut-commissaire pour les droits de l’homme des Nations unies, Madame Louise Arbour.

Ce colloque international est d’autant plus important qu’il vient à un moment où les religions s’efforcent , dans certains pays, de régir la sphère politique, et ainsi de sortir de la sphère privée, celle des consciences et des convictions intimes, pour investir la sphère politique, comme on le voie par exemple, aujourd’hui, dans la France laïque.

Il ne m’appartient pas de suggérer ici la position d’une religion monothéiste par rapport aux droits de l’homme : Il en est de la responsabilité de chaque autorité religieuse. Mais je voudrais citer la récente prise de position de l’Eglise catholique : Le Vatican s’est réapproprié les droits de l’homme, en soulignant que les principes qui sous-tendent ceux-ci sont bel et bien inscrits dans la doctrine sociale de l’Eglise catholique.

L’autre religion abrahamique, le judaïsme qui, à l’instar de l’islam, ne possède pas de hiérarchie religieuse universelle, s’est, au fil des siècles, adaptée afin de faire disparaitre les scories idéologiques liées à l’histoire, pour parvenir à ce que la civilisation chrétienne a appelé un « aggiornamento ». Il en fut de même en certaines périodes de l’histoire de l’islam, sous le califat par exemple. Mais il ne m’appartient pas d’en traiter. Il y a ici suffisamment de spécialistes pour l’évoquer dans la suite de nos travaux.

Pour l’heure, je me suis borné à soulever des questionnements, et à indiquer quelques pistes de réflexion. A vous d’y réponde durant ce colloque international.

 

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L’islamophobie  n’est pas reconnue comme un racisme, au même titre que l’antisémitisme

 

 

Est-il pertinent de mettre en parallèle « antisémitisme » et « islamophobie » ?

Non, cinq fois Non : Ni sémantiquement, ni historiquement, ni sociologiquement, ni politiquement et encore moins juridiquement, ces deux termes et les concepts qu’ils sous-tendent ne sont de même nature. Il serait non seulement faux, mais aussi dangereux pour tous, de les mettre en regard sur un même plan.

 

Le terme « islamophobie » est apparu pour la première fois sur la scène internationale  au lendemain des attaques terroristes du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis. Il était lancé par l’Iran à destination du monde occidental pour qualifier une vague de réprobation qui ne s’était pas encore manifestée. En liant volontairement une manifestation de « terrorisme » et une conséquence sur «l’islam », Téhéran tentait une manipulation à triple détente : Laisser croire que la profonde émotion collective qu’allait exprimer l’Occident face à ces attentats couvrait en réalité une volonté de mettre au ban des Nations une religion, ainsi que le souligne Alain Gresh (dans « Islamophobie », Le Monde diplomatique, novembre 2001).

La deuxième était de créer dans l’esprit des musulmans de la diaspora un sentiment de victimisation les distinguant de l’ensemble de la Nation dont ils devraient se séparer.

Enfin, en tissant  un lien de causalité entre terrorisme et islam, l’Iran chiite des Mollahs se présentait comme le seul défenseur de l’Islam, en une tentative qui fut prolongée dans les instances onusiennes, d’obtenir une définition juridique internationale du « terrorisme », qui puisse distinguer une sorte de « bon terrorisme », ou de « terrorisme admissible », lorsqu’il serait employé par un peuple ou une religion se déclarant agressés.

Cette mécanique de propagande et de manipulation initiée par Téhéran est actuellement reprise par les djihadistes sunnites, particulièrement par l’Etat islamique-Daech qui pratique la terreur au nom de l’islam.

 Dans une offensive sémantique, les défenseurs de l’islam indifférencié, particulièrement en France, ont tenté de substituer au racisme anti-arabe ou anti-maghrébin, jusque-là pris en compte dans les documents officiels,  dans l’opinion publique, et les médias, un supposé phénomène nouveau de dénonciation ou de critique de l’islam : l’islamophobie. Cet argumentaire a ainsi permis de mener campagne contre l’interdiction du port de la burqa dans l’espace public ou du voile islamique dans l’école, et par conséquent de porter atteinte à la laïcité.

En même temps que l’apparition de cette terminologie problématique, la France, pays européen qui accueille la plus forte population d’origine musulmane, où se sont développés parallèlement des débats politiques sur  l’identité nationale et qui enregistre régulièrement des statistiques d’actes racistes et xénophobes, constate une poussée des revendications religieuses, particulièrement de la part de musulmans.

Ceux qui veulent promouvoir le terme « islamophobie » militent pour une nouvelle désignation de phénomènes antérieurs  tels que « arabophobie » ou « racisme anti-maghrébin », ou « racisme anti-immigrés », en laissant entendre que ces attitudes agressives vont au-delà des immigrés, victimes maghrébines ou arabes, pour toucher des personnes (africaines, turques, pakistanaises etc…) de confession musulmane, ce qui n’est nullement vérifié.

Ils l’étendent pour la première fois à une discrimination envers une religion, l’islam, ce qui n’est nullement le cas pour l’antisémitisme. Celui-ci est une ségrégation racialiste, et non pas un rejet des textes sacrés de la foi israélite, par ailleurs reconnue et respectée par les autres monothéismes- chrétienté et islam- toutes  « religions du Livre ».

Ainsi que le soulignait la CNCDH, il y a plus de dix ans, « l’islamophobie ne serait alors qu’un nouveau processus de légitimation de l’ethnicisassion de l’autre, de son altérité. » Et ce alors que la population supposée musulmane, ou d’origine maghrébine, ou étrangère est pour une grande part intégrée au point de partager les mêmes écoles, les mêmes pratiques sociales, les mêmes professions ou de connaitre un nombre d’unions « mixtes » important, ainsi que le souligne Emmanuel Todd (Le Destin des immigrés, Le Seuil, 1997). Pour autant, il existe bien une relation complexe, qu’on ne peut ignorer, entre origine ethnique/religion/ intégration/ laïcité/lutte contre les discriminations/ exclusion sociale.

Ainsi qu’on le voit actuellement de la part de la minorité salafiste, il est incontestable que des courants intégristes  islamistes tentent d’obtenir la requalification du racisme anti-maghrébin en « islamophobie » pour mieux tirer bénéfice des frustrations, ou de la crise économique. Ces extrémistes religieux tentent de jouer sur des réflexes de replis identitaires  d’une certaine partie de la population d’origine maghrébine et de faire du religieux un critère absolu de différenciation.

Une définition impossible ?

Une tentative de définition lexicale de « l’islamophobie » apparait pour la première fois en 2005 dans le dictionnaire Le Petit Robert (édition 2006)  comme étant : « Une forme particulière de racisme dirigé contre l’islam et les musulmans qui se manifeste en France par des actes de malveillance et une discrimination ethnique contre les immigrés magrébins ».

Le Petit Larousse (édition 2004) ignorait totalement le terme.

Dans les instances internationales, le Conseil de l’Europe s’essai en 2004 à une définition lors d’un colloque tenu à Budapest sur le thème : « L’islamophobie et ses conséquences pour les jeunes ». Il proposait : « L’islamophobie est la peur, ou une vision altérée dans des préjugés, de l’islam, des musulmans et des questions en rapport (…) Quelle se traduise par des actes quotidiens de racisme et de discrimination ou des manifestations plus violentes, l’islamophobie est une violation des Droits de l’homme et une menace pour la cohésion sociale ».

Aux Nations Unies, l’Organisation de la conférence islamique (OCI- 57 Etats membres)  a tenté, sans succès jusque-là, d’introduire en droit international un délit de « diffamation des religions », assimilant toute critique de l’islam à un « blasphème », sous couvert d’une « lutte contre l’islamophobie ».

Etymologiquement on pourrait définir « l’islamophobie » comme étant la peur irraisonnée et le rejet global de l’islam « à la fois religion, mode de vie, projet communautaire et culture », ainsi que le propose Michel Reeber (L’islam, Milan, Toulouse 1995).

Peut-on statistiquement distinguer des actes « purement islamophobes » ?

Selon les services de police et les associations antiracistes, l’auteur de violence ou de menace envers un Maghrébin  n’identifie pas celui-ci à une religion, mais à un étranger, d’où une attitude raciste, ou xénophobe lorsque l’identification se fait au faciès. A l’école, dans la majorité des cas, les heurts entre groupes relèvent plus de phénomènes de bandes de quartiers ou d’immeuble. Pour certains jeunes qui se disent victimes, il s’agirait d’une justification de leur échec ou difficultés scolaires, ou même de frustrations.

Un terme non reconnu officiellement

Alors qu’il était ministre de l’Intérieur, Manuel Valls déclarait (Nouvel Observateur ; juillet 2013) qu’il se refusait d’utiliser le terme « islamophobie », favorisant l’usage de l’expression « racisme antimusulmans ».

Dans l’ensemble de ses rapports annuels sur « La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie » la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), auprès du Premier ministre, n’a jamais utilisé le terme « islamophobie »,  tant dans les statistiques, que dans les sondages d’opinion ou les analyses sociologiques.

Elle utilise les termes : « intolérance anti-islam », ou « aversion pour l’islam » dans ses études qualitatives (sondages).

 Dans les statistiques  annuelles, elle met en regard de l’antisémitisme, la catégorie des « actes et menaces à caractère raciste antimusulmans ». Dans toutes les statistiques émanant tant du ministère de l’Intérieur, que du ministère de la Justice pour ce qui concerne les poursuites et les condamnations, ou  du ministère de l’Education nationale, n’apparait jamais une catégorie « islamophobie ». C’est dans l’ensemble : « racisme et xénophobie » qu’apparait le « racisme antimusulmans », ou le « racisme contre les immigrés ».

Quant aux condamnations judiciaires  elles sont prononcées génériquement sur la base du racisme  ou des discriminations « …à raison de la religion », sans distinction. Le droit français ne mentionne jamais « l’islamophobie ».

Quant à l’origine des statistiques détaillant les menaces et violences racistes de toutes natures, elles  sont établies et validées  par les services du ministère de l’Intérieur, sur rapports des services de police. Elles sont ensuite relayées par les différentes communautés intéressées :

Pour l’antisémitisme, c’est le Service de protection de la communauté juive (SPCJ), soutenu par les institutions officielles de cette communauté (CRIF, Consistoire central et FSJU), qui coopère avec le ministère de l’Intérieur, reçoit ces chiffres officiels et propose ses commentaires.

Pour les musulmans de France, deux organismes concurrents jouent ce rôle : L’Observatoire national contre l’islamophobie (ONCI) et le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF).

Les définitions de « l’islamophobie » et ses évaluations diffèrent légèrement entre ces deux organismes issus d’horizons différents : Pour l’ONCI qui est une émanation du Conseil français du culte musulman (CFCM), représentant officiel de cette communauté, ce sont les définitions et chiffrages du ministère de l’Intérieur qui font foi.

Pour le CCIF, l’islamophobie couvre les discriminations et violences « en raison de l’appartenance réelle ou supposée à l’islam », incitant « à l’hostilité et au rejet des musulmans ». Pour Marwan Muhammad, son représentant, le terrorisme ou le djihadisme n’ont rien à voir avec l’islam. Sa préoccupation première est le soutien à « la cause palestinienne ».

Quelles que soit le contenu donné à l’islamophobie, il  s’agit pour l’une et l’autre organisation d’une hostilité vis-à-vis de personnes de confession musulmane, mais il n’est jamais question de « critique de l’islam ».

Il n’en demeure pas moins que ces deux organisations présentent souvent des statistiques différentes. Ainsi, en 2013, le CCIF annonçait 691 actes « islamophobes » sur l’ensemble du territoire, alors que l’Observatoire en recensait 226.

La situation française

Il n’empêche que c’est bien l’islam-religion qui est visé lors de diffusion de tracts antimusulmans provenant de la mouvance d’Extrême-droite, de tentatives d’incendie ou de graffitis visant des lieux de culte, de destruction de sépultures, de violence verbales ou physiques contre des imams.

Pour Dalil Boubakeur, Recteur de la Grande mosquée de Paris et président du Conseil français du culte musulman (CFCM) : La France n’est pas globalement hostile à l’islam. Il s’agit surtout d’ « islamistophobie, c’est à dire d’un rejet des islamistes radicaux. Et il est légitime de se méfier de la politisation de l’islam. » C’est justement cette confusion entre religion révélée et conduites politiques publiques qui est aujourd’hui prônée par le djihadisme de Daech, imposant la charia comme étant la Loi de la cité.

Le Dr. Boubakeur précise bien : « Ce qui différencie l’islam de l’islamisme, c’est justement le refus de toute implication dans le monde politique. Le rôle de l’islam n’est pas de répondre aux problèmes sociaux et économiques. La religion fait partie d’une autre sphère et ceux qui veulent trouver des solutions à partir des textes religieux, à partir des problèmes actuels-même identitaires- font fausse route et sont dangereux ». Pour le président du CFCM : « Ce type d’attitudes aboutit à terme au communautarisme car il entraine des replis identitaires contraires à notre esprit d’intégration et favorise l’instauration de petits pouvoirs intra-communautaires » (audition devant la CNCDH, le 6 novembre 2003).

Si cette prise de position du représentant officiel de l’islam en France reste valable dix ans plus tard, il n’en demeure pas moins vrai que l’opinion publique et certaines franges de l’échiquier politique national  font une confusion entre musulman/ fondamentaliste/islamiste/terroriste, amalgame qui s’est justement propagé depuis 2001.

Dans un pays fortement sécularisé comme la France, dans notre République laïque, l’islam, bien qu’implanté depuis fort longtemps, aujourd’hui démographiquement évalué comme étant la deuxième religion du pays, est toujours frappé d’une triple suspicion : En tant que religion des ex-colonies, que religion porteuse de terrorisme, et que « religion combattante et conquérante du Djihad ».

Aussi est-il aisé pour certains d’utiliser cette hostilité polymorphe  pour parvenir, à travers le nouveau terme d’ « islamophobie », à une instrumentalisation politique.

Tant que l’islam-religion n’aura pas procédé lui-même à son aggiornamento, comme le judaïsme et le christianisme le firent en leurs temps pour se réformer et se modérer, il conservera ses réflexes originels remontant du VIIe siècle,  comme on le vit lors du massacre de Charlie Hebdo. En particulier, il ne supportera pas un regard extérieur, même non-critique du fait qu’il est né et s’est développé en terre de conquête, en voulant ignorer qu’il puisse s’installer en diaspora avec un statut de minoritaire.

Aujourd’hui en France, à la recherche d’une existence et d’une représentativité en terre non-islamique, bien des musulmans croient devoir s’inspirer du judaïsme, même négativement, en dénonçant un « deux-poids-deux-mesures ». Cette inspiration véhicule, peut-être sans le vouloir, des stéréotypes antisémites :-«Les  juifs sont tout-puissants (par leurs richesses et leur influence),  alors il faut les imiter », ou les dénoncer comme étant à l’origine du « complot » -« Ils  bénéficient de privilèges du fait qu’ils ont subi la Shoa » ; d’où l’invocation de l’ « islamophobie », mauvais équivalent comme nous l’avons vu de l’antisémitisme. Il n’en demeure pas moins que nombre de musulmans sont victimes de racisme et de xénophobie. Donnons à cette violation des Droits de l’homme son exacte appellation.

(Publié par le Crif le 30 Janvier 2015)

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Le Conseil de l’Europe appelle à une mobilisation contre la montée de l’antisémitisme sur le continent

 

Les juifs ont-ils un avenir en Europe ?

A cette question posée de manière récurrente ces dernières semaines, particulièrement aux Etats-Unis[1], alors que chacun constatait un accroissement très sensible de l’antisémitisme dans la quasi -totalité des pays européens dans les années 2 000, les autorités juives françaises, en tête desquelles  le nouveau Grand rabbin, Haïm Korcia[2], et le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Roger Cukierman, répondaient par l’affirmative, sans pour autant mésestimer les nouvelles manifestations de cet antisémitisme.

Un constat lucide

Le Conseil de l’Europe, mobilisé à nouveau en avril 2014, vient d’adopter à l’unanimité (26 juin 2014) une Recommandation[3] qui, sous le titre : « Lutter contre l’antisémitisme en Europe »,  se déclare « vivement préoccupé par la banalisation d’une part et l’aggravation de l’antisémitisme sous des manifestations anciennes et nouvelles d’autre part qui frappent la quasi-totalité des Etats membres».  La Conférence des Organisations internationales non gouvernementales (OING) du Conseil de l’Europe, parmi lesquelles  nombre d’organisations juives, qui en a pris l’initiative,  estime également que « l’antisémitisme constitue une grave menace et une agression  contre la démocratie, les valeurs universelles des droits de l’homme et la cohésion sociale, fondées sur le respect de la dignité humaine ».

Cette recommandation adressée aux 47 Etats membres ainsi qu’aux institutions européennes (Conseil des ministres, Assemblée parlementaire, Congrès des pouvoirs locaux, ainsi que tous les organes compétents du Conseil de l’Europe), se déclare « convaincue que l’Europe dont l’histoire est marquée par l’antisémitisme et qui, il y a 70 ans, a été frappée par le génocide spécifique que fut la Shoah se doit aujourd’hui de condamner et de combattre fermement l’antisémitisme ».

Une étude/ rapport sur les faits et la typologie

Cette recommandation était justifiée par une étude/rapport sur « La montée de l’antisémitisme en Europe dans les années 2 000 »[4].

Elle établit que statistiquement et qualitativement les manifestations d’antisémitisme se sont très sensiblement aggravées, partout en Europe. Bien que nombre d’Etats n’en font toujours pas un décompte  précis, les institutions européennes, qu’il s’agisse de l’Agence des droits fondamentaux ou de l’ECRI, tout comme des organismes indépendants, attestent de cet accroissement, dont les détails dont donnés avec précisions, y compris dans des pays qui n’ont aucune tradition en la matière.

Un deuxième constat est fait, qui porte sur la typologie de ces phénomènes antisémites : Nous savons qu’ils ont évolué depuis la Haute Antiquité, mais nous découvrons qu’ils ont pris de nouvelles formes dans les années 2 000.

Cette évolution était déjà décelée clairement en 2007 par l’Assemblée parlementaire qui, dans sa résolution 1563 : « Regrette que le conflit du Proche Orient ait eu des répercussions sur le développement de l’antisémitisme en Europe. Cela est particulièrement le cas parmi beaucoup d’immigrés dans les villes européennes ». Depuis 7 ans, il y a eu aggravation, avec des morts.

Est venue s’ajouter l’émergence, à l’échelle du continent, et particulièrement à l’occasion des dernières élections pour la représentation au Parlement européen, de partis dits populistes qui prospèrent sur un terreau nationaliste, xénophobe et trop souvent antisémite.

Quant aux milieux traditionnellement d’Extrême-droite, ils connaissent une vigueur nouvelle, d’une part dans leurs alliances conjoncturelles avec une extrême-gauche anti-européenne, et d’autre part du fait de l’utilisation de nouveaux vecteurs de diffusion de leurs idéologies, particulièrement en matière d’antisémitisme.

Et c’est justement là que se trouve la troisième mutation qui revigore l’antisémitisme en Europe : L’utilisation des technologies informatiques, avec l’investissement du Web et des réseaux sociaux (Facebook ; Hashtags ; Twitter) qui diffusent et mobilisent, conditionnant les cerveaux le plus faibles et les plus perméables à l’antisémitisme. C’est le nouveau terrain investi par les propagandistes, qu’ils soient islamistes radicaux ou néo-nazis. Il en va de même pour des chaines de télévision arabes véhiculant des programmes à caractère antisémite haineux et diffamatoire.

Deux types d’outils de répression pénale doivent être mis en œuvre : Au plan national par une législation claire, fondée sur une définition juridique efficace ; au plan international, par un contrôle des débordements sur le web, comme il en fut le cas pour la pédophilie.

A cela s’ajoute la prévention, qui passe principalement par l’éducation, la sensibilisation et la formation

Mobilisation des Etats

Dans ces circonstances, le Conseil de l’Europe  demande, en premier lieu, aux responsables politiques des Etats membres de « condamner fermement et sans ambiguïté toutes les manifestations d’antisémitisme (agressions, propos, écrits, etc…) » qui apparaissent sur leur sol. Il faut souligner les deux termes employés : « fermement » et « sans ambigüité », ayant constaté dans le passé, chez certains gouvernants, des atermoiements, des faux-fuyants ou des sous-estimations.

Aussi, pour les Etats européens, la première mesure qui conditionnera la lutte contre ces phénomènes est leurs évaluations, leur connaissance la plus précise possible : C’est le sens de la recommandation qui demande à tous les Etats qui ne l’ont pas fait à ce jour de « collecter systématiquement des données  sur les manifestations antisémites et les analyser », comme c’est le cas dans quelques Etats seulement, dont la France.

L’objectif est dès lors, pour chaque gouvernement, de se donner les moyens de la répression  pénale en dotant leur législation nationale de dispositions permettant d’une part « de poursuivre et sanctionner effectivement tout groupe ou parti politique qui utiliserait des arguments antisémites dans ses discours ou ses activités », et  d’autre part afin que «  l’apologie, la négation ou la banalisation intentionnelles et publique de la Shoah soient punissables de sanctions effectives (…) y compris lorsque ces actes ont été commis par des personnes morales ».

Quant à la prévention, cette Recommandation demande aux Etats membres du Conseil de l’Europe, de « redoubler d’efforts pour combattre l’ignorance et l’intolérance, y compris chez les générations futures, au moyen d’actions éducatives systématiques et permanentes, qui consistent notamment à enseigner la Shoah avec la plus grande rigueur historique ».

Les 47 gouvernements européens sont appelés à élaborer toutes mesures de lutte contre l’antisémitisme  dans « des stratégies et des plans nationaux, dans le cadre d’une coopération entre les institutions publiques, les représentants des communautés juives et d’autres organisations de la société civile concernées ».

Engagements des organes du Conseil de l’Europe.

La deuxième partie de cette recommandation  invite les organes du Conseil de l’Europe, en particulier le Conseil des ministres, l’Assemblée parlementaire, ainsi que le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux à encourager et à contribuer à ces efforts d’éradication de l’antisémitisme sur le continent, en premier lieu sur le plan juridique dans deux domaines :

–L’élaboration d’ « une définition juridique de l’antisémitisme »,  ce qui permettrait aux Etats membres de rédiger des lois répressives ;

–L’élimination des messages et propos antisémites sur Internet et sur les réseaux sociaux, dans le cadre de recommandations aux Etats membres.  Il sera en particulier demandé à ceux-ci de « mettre en place des autorités publiques nationales chargées d’empêcher le diffusion transfrontière et de réprimer les contenus illicites des messages racistes et antisémites sur le Web, en rendant les éditeurs de contenus totalement responsables de leurs propos devant la loi, indépendamment du média servant de support à leur expression ».

Dans le domaine de la prévention et de l’éducation, cette Recommandation demande aux organes du Conseil de l’Europe,  de « proposer et organiser des programmes de sensibilisation et de formation en la matière tant au niveau européen que dans le cadre national ».  Il est en particulier demandé au Conseil de l’Europe d’organiser le 27 janvier 2015, une manifestation sur le parvis du Conseil de l’Europe,  marquant la journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah et de la libération d’Auschwitz, «  qui soit un signe fort de la condamnation par l’organisation de toute forme d’antisémitisme et de son engagement pour sa prévention à travers le continent ».

Appel à la société civile.

Dans ce combat pour les valeurs fondamentales des Droits de l’homme, et pour l’éradication de l’antisémitisme, du racisme et de la xénophobie, la société civile – c’est-à-dire les militants des Organisations non gouvernementales- forts de leur expérience de terrain, sont bien souvent les premiers à constater l’extension de l’antisémitisme. Ces OING ont un rôle important à jouer dans la mobilisation pour une vigoureuse réponse publique à son encontre, ainsi que le précisait la Résolution 2017 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qu’il faut mettre en œuvre avec force, aujourd’hui, sans tarder. Les Gouvernements sont appelés à « coopérer plus activement avec la société civile et les ONG ». Et celles-ci à faire pression sur les autorités nationales, régionales et internationales, et se porter au secours des victimes.

Le troisième volet de la nouvelle Recommandation du Conseil de l’Europe pour lutter contre l’antisémitisme en Europe vise ainsi à la mobilisation de la société civile.  Il leur est demandé de « renforcer leur vigilance et leur participation », et de porter assistance aux victimes, de même que de proposer aux acteurs nationaux « des programmes de sensibilisation et de formation et alerter les instances nationales et européennes sur des cas d’antisémitisme ».

Ainsi, en ce mois de juin 2014, le Conseil de l’Europe a-t-il tenu à affirmer, avec force et netteté que l’antisémitisme n’est pas une opinion comme une autre, l’Histoire l’ayant douloureusement montré sur son continent. L’heure n’est pas  plus à la consternation, à la réprobation, à l’abattement. Nul ne peut se retrancher derrière des attitudes ambiguës : Il était temps et urgent de réagir énergiquement, tous ensemble, et chacun dans son domaine, afin de purger effectivement l’Europe de ce poison qui menace d’étouffer la Démocratie. S’il est vrai que l’antisémitisme est indissociable des autres formes de racisme et de xénophobie, il a été clairement acté qu’il s’agit d’une forme spécifique qui demande des réponses adaptées, et un traitement adéquat, sans tarder, avec la plus grande énergie fasse à sa recrudescence depuis le début des années 2 000.

(Publié dans la Newsletter du CRIF du 3 juillet 2014)

 

 Cliquez ici pour lire l’étude.

 


[1] Wall Street Journal, et Huffington Post (23 juin 2014)

[2] Interview à la radio Europe 1

[3] CONF/PLE(2014), de la Conférence des OING du Conseil de l’Europe, sur proposition du Comité de pilotage « Agir contre l’antisémitisme en Europe », et après approbation à l’unanimité de la Commission des droits de l’homme (24 juin 2014), présidée par Annelise Oeschger (Suisse).

[4] Par Gérard Fellous, expert à  l’ONU et au Conseil de l’Europe. Consulter en ligne …..

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La montée de l’antisémitisme en Europe dans les années 2 000

Plus de 70 ans après la Shoa, l’Europe connait une montée exceptionnelle de l’antisémitisme : C’est le cri d’alarme que lançait fin janvier 2014 le Commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muiznieks. Estimant que l’Europe reste hantée par l’antisémitisme, il ajoutait : « En dépit de l’absence de statistiques officielles dans bien des pays, des recherches et des sondages montrent qu’une hostilité profondément enracinée continue de menacer la sécurité et la dignité humaine des juifs dans toute l’Europe ».

La judéophobie qui se développe en Europe au cours des années 2 000 prend principalement trois formes:

  • La première, peut-être la plus fréquente est le produit d’un transfert sur notre continent des tensions au Proche-Orient ;
  • La deuxième réside dans l’apparition marquée, dans les échiquiers politiques nationaux, d’un populisme politique issu de l’extrême-droite traditionnelle;
  • Il faut y ajouter le discours et les actes de l’Extrême-droite traditionnelle, avec son avatar qu’est le négationnisme.

Les récents travaux des instances européennes, particulièrement ceux de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne de Vienne, ainsi que ceux de l’ECRI du Conseil de l’Europe de Strasbourg donnent de nombreuses illustrations, de ces manifestations de judéophobie.

Le ressenti de l’antisémitisme

Une enquête menée en 2013 par l’Agence des droits fondamentaux auprès de 6 000 juifs dans 8 pays de l’Union européenne ( Allemagne, Belgique, France, Hongrie, Italie, Lettonie, Royaume-Uni et Suède) montre que 2/3 des personnes interrogées (66%) considèrent que l’antisémitisme est un réel problème . ¾ (76%) indiquent qu’il s’est aggravé ces dernières années dans le pays où ils vivent. 75% des personnes interrogées constatent que l’antisémitisme sur Internet est un problème, et qu’il s’est développé ces dernières années.

Un quart des personnes interrogées dans ces 8 pays (26%) révèlent qu’au cours de l’année 2012, elles ont été personnellement victimes d’insultes verbales ou de harcèlements, et 4% déclarent avoir été victimes de menaces ou de violences physiques.

Il en résulte un climat de crainte chez ces juifs interrogés, 46% d’entre eux déclarant avoir peur d’être victime d’agression verbale ou de harcèlement antisémite dans les 12 mois suivants, et 1/3 (33%) craint une agression physique.  Il en résulte que plus de  ¼ (27%)  évitent certains lieux dans leur quartier, parce qu’ils ne se sentiraient pas en sécurité. 23% déclarent éviter, occasionnellement d’assister à des manifestations juives ou de visiter des sites juifs.

Sans entrer dans le détail de cette enquête qui porte également sur les formes de discrimination, sur la négation ou la banalisation de la Shoa, sur les moyens de faire face à ces phénomènes ou sur leur répartition par pays, je retiendrai principalement que l’antisémitisme est bien réel dans l’Europe des années 2000 et qu’il est perçu comme s’aggravant.

Il est difficile de quantifier avec précision ces manifestations d’antisémitisme. En effet de nombreux pays du continent n’ont aucune statistique officielle des menaces et actes de racisme, d’antisémitisme ou de xénophobie ;  et seulement la moitié des Etats membres de l’Union européenne (13 sur 27) collectent des données sur les manifestations d’antisémitisme signalées, dont la France.

Des statistiques en hausse

Prenons quelques pays qui établissent des statistiques fiables :

*En Belgique, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme a enregistré en 2012, 88 plaintes à la suite d’actes antisémites, en accroissement par rapport à 2011 (62), et 2010 (57). Elles se répartissent en 2012 entre des déclarations antisémites sur Internet (28), des agressions verbales (15), des affirmations négationnistes (13 et des actes de vandalisme (11). Pour le président de ce Centre, il ne s’agirait ici que « de la pointe de l’iceberg car un nombre significatif de victimes ne porte pas plainte ».

*Au Danemark, le Conseil municipal de Copenhague enregistre en 2013, environ une attaque antisémite par semaine.

*En France, l’année 2012 a marqué un sommet dans les violences antisémites, avec 4 morts, dont 3 enfants à Toulouse, et 614 actes antisémites en 2013, contre 389 en2011, soit une augmentation de 58% Les agressions physiques ou verbales ont augmenté de 84% entre ces deux années.

*En Hongrie, 7% de la population affirme qu’il n’y a pas eu de chambres à gaz dans les camps de concentration.

**En Norvège, une étude réalisée par la ville d’Oslo indique que 33% des étudiants juifs de la ville sont physiquement menacés ou agressés par leurs camarades au moins deux fois par mois.

*En Suède, dans la troisième ville du pays, Malmö, les incidents antisémites ont triplé au cours des 18 derniers mois, par rapport aux deux années précédentes. Sur les 700 juifs encore inscrits en 2009, une trentaine a déjà quitté la ville.

*En Grande Bretagne, au cours des six premiers mois de 2012, le Community Security Trust a dénombré 299 actes antisémites, dont 148 à Londres.

Esquisse de typologie européenne.

Le transfert en Europe du conflit israélo-palestinien : Ce phénomène est apparu dans les démocraties occidentales après les attaques terroristes aux Etats unis, et au moment de la seconde Intifada de 2000. En France, le mois d’octobre 2000 marque un apogée de violentes antisémites : Une voiture fonce sur des fidèles sortant de la synagogue d’Aubervilliers, dans la banlieue parisienne ; un cocktail Molotov est lancé sur une synagogue du XIXe. Arrondissement de Paris, des élèves sont agressés à la sortie d’une école juive dans le XIXe. Arrondissement de Paris,  de même que devant une autre école juive de Saint-Ouen,, une bouteille incendiaire est lancée sur un restaurant cacher parisien, de même sur une école d’Aubervilliers, et sur la synagogue de Clichy-sous-Bois, tandis que des tombes juives sont profanées dans le cimetière de Trappes, 3 cocktails Molotov sont lancés sur la synagogue des Ulis, alors que celle de Trappes est totalement ravagée, le rabbin de la synagogue de Créteil est agressé, deux appartements sont incendiés à Choisy-le-Roi. Pour cette période du 1er. au 25 octobre 2000 le chercheur du CRIF, Marc Knobel a relevé une cinquantaine d’agressions antisémites à Paris et en région parisienne. Il précise qu’en une dizaine de jours, 70 incidents antisémites sont  alors recensés de Toulouse à Paris, de Lille à Rouen.

Ce phénomène se poursuit, avec une moindre intensité jusqu’en 2014.

Pour une forte part il est lié à un contexte géopolitique marqué par la montée du radicalisme islamique sunnite et chiite, de même que par la sortie du thème du conflit israélo-palestinien des revendications des révolutions du « Printemps arabe », et pour certains, par les perspectives d’un accord de paix entre Israël et la Palestine, sous égide américaine.

Ce nouveau type d’antisémitisme trouve ses racines dans plusieurs milieux et se manifeste de diverses manières : On peut citer un antisionisme provenant de l’extrême-gauche pro-palestinienne ; un prosélytisme de l’islam radical prétendant mener un « Djihad extérieur, auprès de populations musulmanes en France. Il se manifeste de trois manières au moins :

  • En développant le thème du complot mondial, cette fois israélo-américain, et son avatar, celui de la finance juive responsable de la crise mondiale ;
  • Inversant le thème de la Shoa, en assimilant le sionisme à un nazisme en Palestine. L’amalgame s’énonce de la manière suivante : Les juifs hier persécutés par les nazis, sont les nazis d’aujourd’hui qui persécutent les Palestiniens. Le second volet étant de parler de « sionisme » pour désigner le judaïsme.
  • En développant la « théorie du double standard » qui revient à mettre à égalité l’extermination de six millions de juifs européens durant la Shoa, avec le racisme et la xénophobie dont souffrent certaines populations musulmanes ou immigrées, en forgeant le concept, contestable d’ « islamophobie ». Dans ses réflexions sur la judéophobie contemporaine, Pierre-André Taguieff dénonce ce « poncif », ce « cliché de propagande » selon lequel « l’islamophobie d’aujourd’hui est la répétition de l’antisémitisme d’hier ».

Pour Taguieff, il s’agit « d’une diffamation globale, permanente, entretenue par une partie du système médiatique, rallié au point de vue « antisioniste », et relayant des rumeurs négatives », véhiculé par un « gauchisme culturel ».

On en arrive à ce que Taguieff appelle : « L’expression de la banalisation d’une culture antijuive dans certains milieux issus de l’immigration de culture musulmane, endoctrinés par des islamistes ». C’est ce que le Hamas résume dans sa Charte (article 28- aout 1988) par la formule : « Israël, parce qu’il est juif et a une population juive, défie l’islam et les musulmans. » Ainsi, le conflit israélo-palestinien est-il aujourd’hui transformé en un méga-conflit « sionisto-islamiste ».

Taguieff fait remarquer, à juste titre que la judéophobie dans l’Histoire, n’a cessé de prendre des formes nouvelles, de s’adapter à l’esprit du temps, de trouver de nouveaux alibis, d’inventer des justifications inédites.

Le populisme politique : Dans les pays européens à forte tradition antisémites, comme en France, Russie, Autriche, Romanie, Pologne, Hongrie, Suisse ou Grèce, on retrouve aujourd’hui un discours antisémite structuré par des partis politiques qui ont souvent réalisé des percées significatives. Ces partis politiques se situent dans la mouvance d’extrême droite qualifiée aujourd’hui de « populiste ».

Par contre d’autres pays européens à faible tradition antisémite, comme la Grande Bretagne, Scandinavie, République tchèque, Italie, Espagne, Pays Bas, les partis politiques d’extrême-droite qui s’y développent ne portent pas de rhétorique anti-juive.

L’Allemagne est un cas particulier en raison de son histoire. On y constate néanmoins, depuis peu un ébrèchement, une fragilisation des effets de l’éducation contre le nazisme et l’antisémitisme qui se manifeste par une radicalisation significative des forces politiques de droite. Le relativisme du génocide se développe sur le thème que c’est le peuple allemand qui a souffert de la seconde guerre mondiale, et pas les juifs, et que ceux-ci sont moins victimes que ne le sont les palestiniens.

J’évoquerai enfin les formes de judéophobie véhiculées par l’Extrême-droite traditionnelle : Celle-ci se recrute toujours  chez les catholiques intégristes ou ultra-conservateurs, et dans certains pays européens parmi les Eglises orthodoxes. Sa caractéristique actuelle est d’avoir fait jonction avec l’Extrême-Gauche « national-socialiste ».

On peut également citer des formes d’antisémitisme archaïques, comme par exemple en Hongrie où il a un peu plus d’un an, un appel était lancé lors d’une séance au Parlement afin de recenser les juifs qui représenteraient « une menace pour la sécurité nationale », ravivant ainsi le terrible souvenir des politiques nazies. Ou encore en Roumanie, où en décembre dernier, une chaine de télévision publique avait diffusé un chant de Noel aux paroles antisémites.

On constate également sur l’ensemble des pays européens que les véhicules de l’antisémitisme se diversifient, allant des écrits, des invectives sur la voie publique aux manifestations publiques comme les rencontre sportives, en passant par  l’utilisation de l’Internet et des réseaux sociaux, ou de représentations théâtrales, comme dans le cas, en France de Dieudonné M’bala M’Bala.

Il faut souligner que l’antisémitisme est indissociable des autres formes de racisme et de xénophobie, bien que spécifique dans ses origines et ses manifestations. La lutte contre ces phénomènes racistes attentatoires aux valeurs des Droits de l’homme et à la démocratie nécessite non seulement une forte réaction des pouvoirs publics, et des familles politiques démocratiques, mais aussi, et peut-être surtout de l’ensemble des citoyens européens, des opinions publiques qui doivent, avec fermeté, rejeter ce poison qui risque d’être fatal à vos sociétés.

(26 janvier 2014 ; éléments de conférence donnée devant la Quatrième convention régionale du CRIF-Marseille-Provence)

 

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ANTISEMITISME

Le discours politique antisémite de

Dieudonné M’bala M’bala.

Par Gérard FELLOUS*

Derrière l’amuseur public Dieudonné, derrière le « gag » qui se veut « antisystème »  de la « quenelle », derrière l’usage intensif et systématique des réseaux promotionnels sur l’Internet, se cache en réalité  un militant engagé, de son vrai nom, Dieudonné M’bala M’bala qui développe des discours politiques  violemment antisémites qu’il faut rappeler sans complaisance.

En campagnes électorales

Le masque est tombé la première fois avec le lancement, en mars 2009, au Théâtre de la Main d’Or, d’une « liste antisioniste »  conduite par Dieudonné, pour la circonscription Ile-de-France dans les élections européennes (7 juin 2009).  Il était secondé par Alain Soral qui n’avait pas obtenu d’être tête de liste du Front national en Ile-de-France, et qui quitta ce parti en février 2009 pour rejoindre le « Parti antisioniste ». Ce parti est présidé par le leader de la Communauté chiite iranienne de France, Yahia Gousmi. Les candidats inscrits sur cette liste étaient issus de groupuscules politiques allant des marges de l’extrême-droite, à celles de l’extrême-gauche. Au cours de la conférence de presse de lancement de sa liste, Dieudonné accusa les « esclavagistes » du « système sioniste » de dominer la métropole. La liste de Dieudonné reçu le soutien d’Ilich Ramirez Sanchez (Carlos, détenu pour terrorisme).

Pour l’association antiraciste MRAP, cette liste avait « recyclé les pires thèmes de l’extrême-droite, en développant des théories qui « rappellent celles des conspirationnistes de toujours ». L’Union des étudiants juifs (UEJF)  attira alors l’attention sur son « vaste programme politique haineux »

Cette liste réalisa un score de 1,30 % en Ile-de-France, (36 601 voix)  avec son meilleur score de 2,83% en Seine-Saint-Denis,  et une pointe de 5,18% à Clichy-sous-Bois ( 4,92% à Stains ; 4,9 % aux Mureaux ; 4,84% à Bobigny ; 4,22% à Saint-Denis ville). A Paris, la liste antisioniste de Dieudonné a dépassé le 1,5 % dans les XIXe et XXe arrondissements.

Déjà en juin 2004, aux élections européennes, Dieudonné M’bala M’bala avait figuré sur une « Liste Euro-Palestine » à Paris. Elle obtint un score de 1,83% en Ile-de-France.,  avec un pic de 10,75% à Garges-lès-Gonesse (Val d’Oise).

Le terreau de ses diatribes politiques est ainsi constitué.

Adoubé par l’Iran des Mollahs.

Les relations de M. M’bala M’Bala avec le régime des mollahs iranien sont sans ambiguïté. Déjà, lors de la campagne électorale de 2009, ses amis et ses opposants avaient ouvert une polémique sur un possible financement par Téhéran.

En septembre 2011 il se rend, en famille, dans la capitale iranienne où il est longuement interviewé par la télévision officielle Sahar TV, devant laquelle il développe ses principaux thèmes politiques. Puis il enregistre à Téhéran une vidéo en aout 2013. (Images difusées par MEMRI- The middle east media and research Institut):

Antisionisme égale Antisémitisme : Interviewé dans un vaste fauteuil, au coté d’un monumental portrait en pied de l’imam Khomeiny, Dieudonné M’Bala M’bala  précise bien à la télévision ce qu’il entend par « sionisme » en déclarant clairement : « Le sionisme a tué le Christ. C’est le sionisme qui prétendait que Jésus est le fils d’une putain ». Ainsi, la forme nouvelle d’antisémitisme qu’est l’antisionisme est clairement énoncée.

Le second thème développé est celui du « complot sioniste/juif », et de « l’invasion » juive. Dieudonné déclare ainsi à Téhéran : «  Israël est un projet quasi terminé. Je pense qu’Israël ne survivra pas à cette décennie. Et finalement les sionistes les plus hystériques vont être obligés de se déplacer. Il vont donc arriver en France, là où le Président de la République est un sioniste invétéré, ainsi que les medias et la plupart des institutions françaises qui sont sous contrôle des sionistes ». Il ajoute que « Paris est devenu aujourd’hui une capitale du sionisme ».  Montrant des policiers ou des militaires faisant « la quenelle », dont il refuse de donner la définition,  il prédit une « révolution prochaine en France (…) Ce serait bien qu’il y ai bientôt un coup d’Etat (…) c’est le chemin qui nous conduira vers la victoire » Pour Dieudonné, la France sera le premier point de repli de ces « sionistes », avant les Etats-Unis.

Le choc des civilisations : Le troisième  thème politique de Dieudonnéest celui de la victoire de l’islam radical dans un choc prochain de civilisation (décrit par Huntington) face aux Juifs. Il déclare ainsi, à la télévision de Téhéran : « Les valeurs islamiques arrivent de partout dans le monde. C’est pour cela que le sionisme développe aujourd’hui une communication islamophobe : A la télévision, dans les discours politiques, pour le sionisme, l’ennemi premier de la démocratie, c’est l’islam ».

Qualifiant le sionisme/judaïsme de « science du mensonge, de haine profonde de l’humanité », Dieudonné y voit « une épreuve envoyée à l’humanité, que nous allons surmonter. Nous survivrons au sionisme. » lance-t-il.

Appel aux chrétiens contre les juifs : Dans son combat phantasmatique qui trouve écho chez les mollahs, Dieudonné appelle à une alliance islam/chrétienté. Il déclare : » Dans l’islam, il y a un respect pour Jésus qui annonce la venue du prophète, du Messager ». Il lance devant les téléspectateurs iraniens : « Il faut aujourd’hui convaincre les chrétiens, comme cela se fait au Liban, de se joindre au grand mouvement islamique universel,  qui est la porte vers la liberté ».

Il prétend alors que « depuis quelques années, on assiste à une guerre médiatique ouverte contre les musulmans. La volonté est de les séparer des chrétiens ».  Sa vision obsessionnelle est que « le sionisme, partout où il arrive, tente d’abroger les valeurs morales d’un pays… Puis vient l’islam qui libère les populations qui sont de plus en plus attirées par lui ».

Prosélyte d’un islam radical : Le quatrième thème de M. M’bala M’bala est donc  que « l’heure est venue de constituer un large front contre le sionisme : les musulmans doivent tendre la main aux chrétiens ». Il avance alors que « les chrétiens sont aujourd’hui perdus ; ils doivent rejoindre l’islam ouvert, cet islam moderne qu’a lancé l’iman Khomeiny, qui est une perspective universelle qui concerne la planète toute entière, tous les continents qui se battent contre l’injustice qui a pour nom le sionisme ». Dieudonné se fait ainsi le propagandiste d’un Djihad universel. Il ne cache pas, en exhibant une écharpe que le leader « des combattants fiers du Hamas », Khaled Mechaal, lui aurait offerte personnellement « lors d’une rencontre dans la région, là-bas, chez le Hamas, aux portes d’Israël ». Il illustre ainsi son engagement politique auprès d’une organisation  qualifiée de « terroriste » par la communauté internationale.

Admiration pour les mollahs chiites : Enfin, probablement en signe de reconnaissance, et de détestation de la France,  Dieudonné M’bala M’Bala, exprime son admiration pour l’Iran des mollahs, devant les téléspectateurs de la télévision officielle. Rappelant qu’en Iran, le pouvoir est bicéphale « il y a d’un côté les politiques, et de l’autre les sages, malheureusement cela n’existe pas en France ». Il en conclue que « c’est pour cela que dans ce pays, la guerre contre l’islam est devenue une priorité ». Signalant que son fils l’accompagne dans ce voyage, il ajoute que celui-ci est «  impressionné de voir un pays debout, fier et exemplaire. Nous avons besoin d’exemple, et qu’il y a une vie après le sionisme ».

Incontestablement, Dieudonné ne peut se retrancher derrière le statut d’un humoriste, ou d’un artiste, il est bel et bien un militant politique qui enfourche les formes récentes les plus virulentes de la judéophobie, constituant une menace pour la République.

(Publié dans la Newsletter du CRIF, le 13 janvier 2014)

 *Expert en Droits de l’homme auprès des Nations unies, de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe.

 

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Entre 1990 et 2006, c’est-à-dire durant dix-sept années, Gérard Fellous a été rapporteur du Rapport sur la lutte contre le racisme et la xénophobie publié par la Commission nationale consultative des droits de l’homme dans le cadre de la loi du 13 juillet 1990 (article 2) qui stipule qu’un tel rapport doit être présenté  au gouvernement et rendu public le 21 mars de chaque année, date retenue par l’Organisation des Nations unies pour la journée internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Ces rapport ont été publiés par La Documentation Française, et fait l’objet de nombreuses ressentions de presse, dont on trouvera quelques exemples ici.

Dans ce domaine, l’activité internationale a été très riche, particulièrement à l’ONU : On trouvera également ci-dessous, à titre d’illustrations, deux missions effectuées par Gérard Fellous.

 

  • 3 juin 2009- Genève- ONU

 

Les menaces cachées de la Conférence sur le racisme- Durban II

 

Gérard Fellous

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L’arbre a-t-il caché la forêt  au cours de la Conférence mondiale Durban II de 2009 ? Le relativisme culturel et religieux, provisoirement tenu en échec, fait-il sa réapparition ?

Le ton modéré  de la déclaration finale de cette conférence de Genève d’examen de la troisième conférence mondiale sur le racisme de Durban (2001) , obtenu après les premiers éclats des déclarations incendiaires de Mahmoud Ahmadinejad, président de la République islamique d’Iran, laisse dans l’ombre plusieurs autres aspects du discours de celui-ci, et certains articles du texte de consensus adopté, à l’arraché. De nouveaux coups de butoirs sont lancés contre les fondements laïcs et universels des droits de l’homme, tels que définis par la Déclaration universelle, soixante ans après sa proclamation.

Le relativisme culturel et religieux remettant en cause l’universalité des droits de l’homme qui menace depuis plusieurs années les travaux des instances onusiennes, a trouvé toute son illustration au cours de cette conférence Durban II autour des thèmes du racisme anti religieux, du blasphème, de la liberté d’expression.

Peut-on ignorer que le président iranien ait consacré la deuxième partie de son intervention, à une annonce messianique d’une ère nouvelle dans le monde et aux Nations unies ? Il lançait alors la formule liminaire : « Le monde est entré dans des changements fondamentaux », ce « monde inéquitable et injuste qui arrive au bout de sa route », pour laisser la place  à la victoire  « d’un système mondial tel que promis par Dieu et ses Messagers ». Mahmoud Ahmadinejad propose alors comme solutions d’avenir, la   « nécessaire référence aux valeurs divine et humaine, en se référant à la véritable définition de l’avenir humain ». Ce «  nouveau monde décent » fondé sur l’amour, la fraternité et la soumission à Dieu  donnera naissance à « l’homme parfait ».. L’objectif poursuivi plusieurs années par l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) étant une réécriture de la Déclaration universelle des droits de l’homme à l’aune des valeurs religieuses. C’est ce même Iran qui veut faire partie du Conseil des droits de l’homme, à l’occasion du renouvellement de ses membres.

La deuxième inquiétude réside dans le texte de la Déclaration finale de la Conférence de Genève : Un article (68) est passé inaperçu  qui renvoie au blasphème religieux et à l’affaire des caricatures de Mahommet. Rappelons que la communauté internationale a refusé que soit pénalisée une critique d’une religion, quelle qu’elle soit. Or cet article porte sur « des incitations à la haine dirigée contre des communautés (…) religieuses… » par des « médias  écrits, audiovisuels ou électroniques ». On passe ainsi des victimes individuelles, prévues par le droit international (et le droit français), à des victimes collectives.

Le troisième aspect passé pratiquement inaperçu à la conférence de Genève est l’espoir que certains Etats mettent, justement, sur une révision des normes internationales en matière de racisme et de discrimination, en y introduisant de nouvelles normes juridiques portant sur le blasphème des religions. C’est dans le cadre d’un  « Comité ad-hoc pour l’élaboration de normes internationales complémentaires en matière de racisme », créé en 2002, que les travaux intergouvernementaux se poursuivent. Son objectif est d’inclure « la haine religieuse », soit en réécrivant complètement la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD), soit en ajoutant au texte actuel des protocoles additionnels[1]. C’est dire que le champ d’action de l’Iran et de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) reste ouvert. Autant dire qu’il en serait fini de la liberté d’opinion et d’expression envers des doctrines, des croyances ou des idées. Il nous faut faire preuve d’une vigilance constante afin que des droits de l’homme d’essence transcendantale ou divine, tels que prônés par le relativisme culturel et religieux, ne se substituent aux droits de l’homme universels tels fixés par la DUDH de 1948 et par les nombreux instruments internationaux qui en ont découlé.


[1] Résolution 6/21 du 28 septembre 2007 du Conseil des droits de l’homme

 

  • Septembre 2001-Durban-Afrique du sud

 

Conférence mondiale sur le racisme – Durban I-

 

 

durbanLa  troisième Conférence mondiale des Nations unies contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée s’est tenue en septembre 2001 à Durban / Afrique du Sud. La CNCDH-France y était représentée par son président, M. Jean Khan et par son secrétaire général M. Gérard Fellous qui prit une part active tant auprès du réseau international des I.N., que dans la délégation officielle française.

Impressions : Le contraste entre les différents quartiers de la mégapole Johannesburg est saisissant pour un européen. De l’hôtel Balalaïka dans le quartier huppé des grattes ciel de Standfor à l’immense concentration horizontale de Soweto, c’est un bond entre plusieurs siècles et plusieurs Afrique que nous faisons sans transition. Soweto l’explosive nous parait bien assagie avec ses rues viabilisées, ses constructions en dur à perte de vue, ses restaurants pour touristes et la visite incontournable de la maison  de Mandela. Mais nous traversons les quartiers «  downtown » de Johannesburg dans un bus à impériale, voyant défiler des rues défoncées et peu sures, à l’ombre des terrils des anciennes mines à ciel ouvert. L’accueil que nous réserve la Commission sud-africaine des droits de l’homme est chaleureux et exemplaire. Son implication dans l’organisation de la Conférence mondiale est forte et efficace.

Les travaux.

Les travaux préparatoires entre Institutions nationales se sont tenus à Durban, le 1 er. septembre, pour aboutir à l’adoption d’une déclaration commune. On retiendra de celle-ci qu’il est demandé qu’ « une attention particulière soit accordée aux situations susceptibles d’engendrer une escalade pouvant aboutir à un génocide, à une purification ethnique avec ou sans conflit armé. Les Institutions nationales ont un rôle à jouer dans les processus d’alerte rapide relatifs aux risques liés à ce genre de situation ». Elles «  reconnaissent que l’effectivité du combat contre le racisme… requiert absolument une volonté politique des Etats ».

Dans leurs recommandations à la Conférence mondiale, les Institutions nationales «  demandent aux Etats d’inscrire dans leurs  compétences et attributions la lutte contre le racisme et de leur fournir des ressources humaines et financières suffisantes ». Elles prennent l’engagement de veiller «  à la promulgation , à l’amélioration et au renforcement des législations nationales »  en ces matières ; de même qu’elles s’engagent à participer aux plans d’action mis en place par les gouvernements, particulièrement en matière de prévention, de dénonciation et d’enquête ( y compris sur Internet) , de campagnes d’information, et enfin déclarent qu’ elles «  mettront en œuvre ou favoriseront, là où cela s’avèrera indiqué, le recours aux mesures alternatives de résolution des conflits dans le cas de discriminations… »

Cette déclaration des Institutions nationales a été transmise comme contribution à la Conférence mondiale. De plus, elle a été lue devant l’assemblée plénière et annexée aux documents officiels des Nations Unies.

On remarquera que durant leurs travaux, les Institutions nationales ont évité, par consensus tacite, d’introduire  tout élément de nature politique, concernant en particulier Israël, qui a par ailleurs donné lieu à d’âpres débats polémiques à Durban. Elles ont considéré que les questions relatives à la décolonisation, aux luttes de libération nationale, au Proche-Orient, à l’impact de l’esclavage etc… ne devraient pas les diviser. Elles ont résisté aux pressions de certains Etats et ONG, pour parvenir à une position commune strictement liée aux questions de racisme.

A la veille de l’ouverture de la Conférence mondiale, le 30 août, la centaine de représentants de  soixante-dix Institutions présentes recevaient  la Haut-commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme, au cours d’un dîner offert par le président de la Commission sud-africaine des droits de l’homme, le Dr. Barney Pityana. Mme. Mary Robinson soulignait, dans son allocution, le rôle important que les Institutions nationales seront appelées  à jouer durant la Conférence mondiale et dans son suivi. Elle a rappelé le rôle déterminant  joué par les Institutions nationales dans la préparation de la Conférence et les a remercié pour leur déclaration commune. Mme. Robinson les a enfin encouragés à participer activement aux travaux, au niveau le plus élevé.

Participation active

Durant les travaux de la Conférence mondiale Mme. Robinson, dans sa fonction de Secrétaire général, a invité les Institutions nationales à participer, le 3 septembre, à une réunion conjointe avec les membres des organes de traités et les agences de l’ONU sur le thème : « Eléments d’une alliance globale contre le racisme… : Le rôle et les responsabilités des organes relevant des traités des droits de l’homme, des Institutions des droits de l’homme et autres institutions concernées ». L’objectif du Haut-commissariat était de constituer «  une alliance contre le racisme », suscitant une participation active des Institutions nationales et créant une synergie avec les organes des traités, en particulier le CERD (Comité pour l’élimination de la discrimination raciale) et le CEDAW (Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes).

Par ailleurs, les Institutions nationales ont été invitées à participer aux «  évènements parallèles », particulièrement en ce qui concerne «  les liens entre le Sida/HIV et la discrimination » (5 septembre).

Il faut noter que durant toute la Conférence de Durban, les Institutions nationales ont bénéficié d’un bulletin de liaison édité par le Commission sud-africaine des droits de l’homme. Un secrétariat permanent était mis à leur disposition, organisant des réunions de coordination tous les deux jours.

Impressions : Le Centre des conférences internationales de Durban est un vaste complexe de halls dans lesquels se mêlent des milliers de participants venus des quatre coins de la planète, pour bon nombre d’entre eux en costume national. La douce et calme station balnéaire de Durban est transfigurée. Les délégations des Institutions nationales sont logées en plusieurs hôtels du bord de mer. La Commission sud-africaine des droits de l’homme est installée dans l’un d’entre eux, au Royal Hôtel, proche du centre des expositions.

Nous constatons que la Conférence se transforme bien vite en un gigantesque forum politique où toutes les «  causes », tous les thèmes sont exposés et défendus par une myriade d’ONG de toutes natures. Les Institutions nationales ont du mal à trouver leur place dans les manifestations parallèles ou dans les salles d’exposition. Elles se concentrent sur les travaux menés avec les Etats, évitant les «  happenings » permanents organisés en marge des travaux par des «  collectifs » ou des regroupements de lobbying. Les échos des assemblées générales d’ONG, des spectacles musicaux, des meetings politiques et même du marché aux objets folkloriques parviennent néanmoins jusqu’à nous. Les Institutions nationales se rencontrent, plusieurs fois par jour, dans un jardin attenant à la salle plénière, autour d’un café, pour échanger leurs informations et coordonner leurs positions.

Un statut et des résolutions favorables.

Le règlement de la Conférence de Durban a prévu, en son point 65 que «  les représentants désignés par les Institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme peuvent participer, à titre d’observateurs, aux délibérations de la Conférence, de tous comité ou groupe de travail sur les questions de leur compétence ».

Il ajoute que «  dans le cas où un pays n’a pas d’Institution nationale, les représentants désignés par les Ombudsman ou par des organismes indépendants spécialisés dans la promotion et la protection de l’égalité raciale, peuvent participer, à titre d’observateurs, aux (mêmes) délibérations ». Le règlement joint une première liste de quarante-cinq Institutions nationales ou assimilées.

En pratique, les Institutions nationales sont informées que, compte tenu de la capacité de cinq mille participants dans le centre de conventions internationales de Durban, celles-ci devront réduire leur présence à deux participants pour chacune d’entre elles en séance plénière. Il est demandé de s’inscrire sur une liste d’intervenants pour une prise de parole de cinq minutes par Institution nationale  et de déposer trois cent exemplaires de chaque intervention qui seront diffusés .Par ailleurs, la participation au Comité principal des résolutions (50 à 60 places) est accessible à une délégation représentative des Institutions nationales. Enfin,  leur participation au Centre d’expositions et aux évènements parallèles n’est pas limitée. C’est le Bureau des Institutions nationales du Haut-commissariat aux droits de l’homme qui se charge de la coordination entre   la présidence, le bureau de la Conférence et les Institutions nationales.

Il faut remarquer que ce règlement fait une claire distinction entre les Institutions nationales de compétence générale en matière de droits de l’homme, et les organismes spécialisés en matière de racisme,  leur donnant le même statut. Néanmoins, la Conférence de Durban est silencieuse  sur la distinction entre les Institutions nationales dites accréditées, c’est-à-dire conformes aux «  Principes de Paris », et celles, en particulier étatiques ou en cours de constitution, qui jouissent du même statut. Il n’en demeure pas moins que dans la pratique, les Institutions nationales ont, elles- mêmes, organisé la priorité d’expression à celles jugées conformes à la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU de 1993.

La Déclaration finale de Durban contient un paragraphe (112) consacré aux Institutions nationales. Il déclare :

«  Nous reconnaissons l’importance des Institutions nationales indépendantes, conformes aux Principes relatif aux statut des Institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme, annexés à la résolution de l’Assemblée générale 48/134 du 20 décembre 1993, et d’autres institutions spécialisées créées par la loi pour la promotion et la protection des droits de l’homme, y compris les institutions de l’Ombudsman, dans la lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, aussi bien que pour la promotion des valeurs démocratiques et de l’Etat de droit.

Nous encourageons les Etats, dans le cadre le mieux approprié, de créer de telles institutions et demandons aux autorités et à la société en général de ces pays où elles exercent leurs actions de promotion, de protection et de prévention, de coopérer de la meilleure manière possible avec ces institutions, dans le respect de leur indépendance ».

Ce texte, présent dès la première version du projet, n’a fait l’objet d’aucune contestation.

De plus, le Programme d’action adopté à Durban invite les Etats à prendre toute une série de mesures et notamment à élaborer avec les Institutions nationales et avec la société civile un plan d’action national et à le transmettre aux Nations unies.

Sous le titre de chapitre «  Création et renforcement des Institutions nationales indépendantes, spécialisées et de médiation », le Programme d’action précise (paragraphes 90 et 91) :

« …demande( urges) aux Etats membres de créer, de consolider, revoir et renforcer l’effectivité des Institutions nationales des droits de l’homme indépendantes, de la manière la plus appropriée, particulièrement sur les points relevant du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, en conformité avec les Principes relatifs aux statuts des Institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme, annexés à la résolution de l’Assemblée générale 49/134 du 20 décembre 1993, et de les doter de ressources financières adéquates, d’une compétence et d’une faculté d’investigation , de recherche, d’éducation et de campagnes publiques pour combattre ces phénomènes ».

«  De même, demande (urges) aux Etats :

- de favoriser la coopération entre ces Institutions et d’autres organes nationaux ;

- de veiller à ce que des individus ou groupes d’individus qui sont victimes du racisme…puissent participer pleinement à ces Institutions ;

-  de soutenir ces Institutions et organes similaires, en particulier pour la publication et la diffusion des législations nationales existantes et de la jurisprudence, et pour la coopération  avec les Institutions d’autres pays, afin de mieux connaître les manifestations, les caractéristiques et les mécanismes de ces pratiques  ainsi que les stratégies mises en œuvre pour les prévenir, les combattre et les éradiquer » [1]

Ainsi la Conférence de Durban souligne l’importance des Institutions nationales et appelle les Etats à les soutenir et à coopérer avec elles. Elle demande que leurs compétences soient élargies au racisme. Elle leur fixe une «  feuille de route » pour les années à venir.

Le suivi de Durban

Appelées à assurer le suivi de la Conférence mondiale, les Institutions nationales ont consacré plusieurs de leurs réunions à ce thème. On citera par exemple la Table ronde régionale sur le racisme qui s’est tenue en Nouvelle Zélande (Auckland : 2 à 5 février 2004). A cette occasion, quinze Institutions nationales de la région Asie/Pacifique ont échangé leurs «  bonnes pratiques »,  précisé leurs actions dans la lutte contre ces phénomènes  et  jeté les bases d’une coopération avec les pouvoirs publics, les milieux économiques et les médias.

(Extrait de l’ouvrage « Les Institutions nationales des droits de l’homme » de Gérard Fellous, édité à La Documentation Française).


[1] UNDOC. A/CONF. 185/5 du 8 septembre 2001

 

 

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