Les quatre principes juridiques fondamentaux de la laïcité

Des interprétations multiples et erronées

 

La France, et bien au-delà, semble avoir redécouvert la laïcité au lendemain des massacres djihadistes de Charlie Hebdo et de l’Hyper-casher, dans les premiers jours de janvier 2015. S’eut été salutaire si ce retour dans l’actualité brulante n’était accompagné d’une série de déformations ou d’interprétations souvent mal intentionnées.

 

Gloser sur la laïcité française est devenu pour certains contempteurs une arme facile pour la détourner, l’affaiblir ou la faire disparaitre, en l’affublant de maints qualificatifs ou en voulant la redéfinir.

 

**N’en déplaise au pape Jean Paul II qui, dans la lignée de Pie XII et de Paul VI, qualifiait le « laïcisme » français issu de la loi de 1905 de « juste laïcité » qui  « s’il est bien compris, appartient aussi à la doctrine sociale de l’Eglise » (17 juin 1965, pour le centenaire de la loi de 1905). Benoit XVI va dans le même sens en estimant, devant le président de la République française, « qu’une nouvelle réflexion sur le vrai sens et sur l’importance de la laïcité est devenue nécessaire » (septembre 2008). Il plaide pour une « dimension publique de la religion » (Journée mondiale de la paix, janvier 2011) : Il s’agissait bien d’une tentative de retour de la religion catholique dans la sphère politique, dont la République laïque s’était débarrassée au lendemain de la loi de 1905.

**N’en déplaise à l’ancien président  Nicolas Sarkozy qui s’est fait le chantre d’une « laïcité positive »,  car disait-il à la basilique Saint-Jean-de Latran, au Vatican : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou la pasteur » : Il s’en est suivi un débat délétère sur « l’identité nationale » qui a ouvert la porte au racisme du Front National. En passant dans l’opposition, le chef de l’UMP suggère même d’utiliser la laïcité « pour affronter la crise ».

La porte était alors opuverte à une avalanche de qualificatifs que les uns et les autres accolèrent à la laïcité : « de combat » ; « respectueuse », « limitées » ou même « sainte ».

**N’en déplaise à ceux qui accusent grossièrement la laïcité d’être « une religion d’Etat », aux mains des « laïcards » ; ou à d’autres pervers qui s’interrogent : « Et si la laïcité était un christianisme ? » ; ou à d’autres encore qui affirment nonobstant que « la laïcité doit l’emporter sur le rite religieux ».

**N’en déplaise à cet historien relativiste qui défend une « laïcité plurielle » dans un ouvrage intitulé : « Les Sept laïcités françaises », après avoir affirmé que « le modèle français de la laïcité n’existe pas ».

**N’en déplaise à ceux qui, pour mieux la tuer, la déclarent obsolète, et donc à redéfinir, probablement à la mesure de chaque culte.

**N’en déplaise à ceux qui veulent « accommoder » la laïcité française à toutes les sauces, imitant les « accommodements raisonnables » du Québec qui ont fait long feu dans la Belle province.

**N’en déplaise à ceux qui voudraient que la laïcité résolve grand nombre de problèmes sociétaux, tel celui de la place d’un « islam de France » : Comme ce « polémiste à succès » qui voudrait l’utiliser pour « combattre l’ordre coranique dans les cités », ou ce romancier à gros tirage qui proclame qu’ « aujourd’hui l’athéisme est mort, la laïcité est morte, la République est morte ». Ou encore de demander à la laïcité d’apporter des solutions à l’intégration et à l’assimilation de populations étrangères, ou à l’identité française, etc…

 

A tous ces ennemis de la laïcité, Rama Yade répondait après le massacre de Charlie Hebdo : « Il faut appliquer la laïcité, point ! », car elle n’est pas négociable, elle n’est un remède à aucun fait de société, mais un pilier constitutionnel de la République française.

 

Avant de débattre sur les implications sociologiques ou sur la portée philosophique, ou sur les incidences politiques de la laïcité ne perdons pas de vue ses fondamentaux républicains qui tiennent solidement depuis plus d’un siècle et qui relèvent de l’ordre juridique.

 

En effet, la définition de la laïcité française, principe constitutionnel, prend en compte l’ensemble des normes juridiques aussi bien nationales qu’internationales – dont les Droits de l’Homme universels- définissant les relations entre la citoyenneté républicaine et l’appartenance religieuse, au regard de quatre principes fondamentaux :

 

 

Liberté de conscience et d’opinion, « même religieuse »

 

Cette liberté est garantie parles instruments juridiques suivants:

–La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (art.10) ;

–La loi concernant la séparation des Eglises et de l’Etat-1905 (art.1)

–La Déclaration universelle des droits de l’homme (art.18 ; art.29) ;

–Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art.18)

–La Convention européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe (art.9)

–La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (art.10)

 

Ce principe implique :       

*  La liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix

*      La liberté de changer de religion ou de conviction

*      La liberté des parents et, le cas échéant des tuteurs légaux, de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions.

Ces trois premières libertés  sont indérogeables,

  • La liberté d’exercice des cultes. Liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte, l’accomplissement des rites, l’enseignement, et les pratiques

Seule cette dernière  peut être soumise à restrictions prévues par la loi dans une société  démocratique (dans le cadre du concept juridique de limitations admissibles) : Pour la protection de la sécurité publique, de l’ordre public, de la santé publique, de la morale, des libertés et droits fondamentaux d’autrui, et du bien-être général, ou en cas de conflits dedroit.

Ces libertés sont encadrées par le régime général des libertés publiques ainsi que par la police des cultes (titre V de la loi de 1905).

Commentaires :

-La liberté religieuse, lorsqu’elle est reliée, comme cas spécifique, à la liberté de conscience, c’est-à-dire dans sa forme intime et privée, est un droit indérogeable, ne souffrant aucune restriction ;

-La liberté religieuse, lorsqu’elle se rattache à la liberté de manifestation des cultes, en particulier dans sa forme collective, c’est-à-dire dans le cadre de l’expression religieuse dans une société laïque, peut être soumise à « certaines restrictions », à des limitations admissibles édictées par la loi seulement, au même titre que toutes les collectivités traditionnelles (associations, communication, presse…)

-L’ordre public est de la seule responsabilité de l’Etat, les autorités religieuses ne peuvent ni le perturber, ni participer à sa définition.

 

Egalité et non-discrimination entre les citoyens

 

-      La Déclaration des droits de l’homme et du citoyens (art.1), la Constitution française (art.1), la Déclaration universelle des droits de l’homme (art.2), ainsi que les instruments internationaux et régionaux des droits de l’homme garantissant les libertés fondamentales, affirment que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ; et interdisent toute discrimination, notamment à raison de la religion et de l’opinion.

Ce principe implique:

·         L’égale dignité des personnes;

  • L’égalité de droit et de traitement entre citoyens, y compris entre croyants de différentes religions ;
  • L’égalité  de  traitement  entre  croyants  et  non-croyants  (athées, agnostiques…) ;
  • Le     refus      du     communautarisme,     la      République     étant constitutionnellement « une et indivisible ».

Précisions : - Le principe de non-discrimination exclu tout traitement dérogatoire,   appelé aussi dans le système anglo-saxon « discrimination positive ». En France, toute discrimination doit être supprimée, plutôt que compensée ;

-   Ce principe  exclue également le « droit à la différence » en particulier fondé sur la confession religieuse ;

-Le communautarisme qui accorde des droits et des traitements spécifiques collectifs à des groupes définis par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance, ne doit pas être confondu avec le multiculturalisme, qui est la coexistence de l’expression libre de plusieurs cultures dans une même société.

-  La loi commune, s’exerçant dans l’espace commun à tous les hommes, sans aucune distinction, est le fondent d’une éthique universelle

 

Séparation des Eglises et de l’Etat

Ce principe est garantie par:

-La  Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

-La loi du 9 décembre 1905 modifiée ;

-La Constitution française du 4 octobre 1958 (art. 1er.)

 

Ce principe implique :

 

·         La République et la légitimité institutionnelle de l’Etat sont indépendantes d’un ordre de transcendance et d’un droit religieux;

  • La dissociation claire entre un espace politique et civil qui procède de l’universel, et le domaine privé, lieu privilégié de la

conscience et des croyances religieuses, tant vis-à-vis de l’individu que des groupes ;

  • Le principe républicain de privatisation, c’est-à-dire de sortie du religieux de l’espace public;
  •  Le double refus de la République d’une part de reconnaitre et d’autre part de salarier ou de subventionner une religion

(suppression du service public du culte, du financement public…).

 

 

Commentaires :

-La séparation juridique  entre  les institutions publiques et les religions exclue que l’Etat puisse être soumis- d’aucune manière- à un quelconque magistère religieux ;

-C’est la République qui est laïque dans toutes ses acceptions, et en particulier l’Etat, les services publics nationaux et décentralisés (agents et usagers), les collectivités locales ;

-La laïcité en tant que principe de séparation juridique n’est pas à confondre avec « la sécularisation » qui vise à organiser des rapports, plus ou moins étroits entre le politique et une ou plusieurs religions (par exemple en Allemagne ou en Suisse).

 

Neutralité juridique de l’Etat

En corollaire des précédents principes de liberté de conscience d’une part, et d’autre part de séparation, et particulièrement du fait que la République ne « reconnait » aucune religion, l’Etat est tenu à un principe de neutralité par rapport à toutes les convictions, y compris religieuses.

Ce principe implique :

·         Un principe d’autonomie qui induit que :

 

** L’Etat ne peut intervenir dans l’organisation, ou le développement d’aucune religion ;

** Réciproquement, il n’est pas permis aux religions de s’impliquer, à titre collectif, dans l’espace du politique et dans l’expression de la souveraineté de la Nation.

 

  • Un principe de pluralisme et de cohabitation qui a pour conséquences que :

 

** La République ne distingue pas entre les religions, selon leur importance, leur ancienneté, leur dogme ou leurs observances. Les lois s’appliquent également à toutes.

** L’Etat s’abstient d’intervenir dans les relations entre les religions, sauf dans le cas de maintien de la paix civile ;

** Aucune religion ne peut prétendre à un statut privilégié en droit, sauf dérogations prévues par la Loi de 1905.

Commentaires:

-     L’Etat accepte que les religions s’organisent de façon autonome, et leur délègue toute l’organisation de leur structure et de leur culte.

-      Les religions sont également soumises au droit commun.

-          Le droit religieux (canonique, rabbinique, chariaa…) doit se soumettre au droit civil, et ne bénéficie d’aucune priorité ou exception. Les expressions de ce droit religieux ne peuvent se manifester que dans le cadre précis du droit à l’intimité de la vie privée.

-       L’Etat ne s’immisce pas dans la vie privée des citoyens, particulièrement en matière de conscience et de conviction religieuse ;

-   Toutes les institutions publiquesconstituent un espace neutre dans lequel ne s’affiche ou ne se manifeste aucune idéologie ou aucune croyance ;

-   Dans l’ensemble desservicespublics, locaux publics et monuments, les usagers bénéficient d’un accès et d’un traitement égal, quelles que soient leurs croyances religieuses ; les agents publics sont soumis à la même neutralité dans l’exercice de leurs fonctions.

-      Le   pluralisme   des   religions   s’exerce   dans   l’espace   public,   à l’exclusion des institutions et du domaine étatique.

-    L’espa ce pu blicest juridiquement neutre, c’est-à-dire impartial, au service de l’intérêt général, protégé et indépendant de toute intervention prosélyte. Il est soumis au respect de l’ordre public, des libertés fondamentales et de l’intégrité des personnes. L’expression religieuse et l’exercice du culte sont régis dans l’espace public par la police des cultes (titre V de la loi de 1905)

S’entend par « espace public », les espaces dont la collectivité publique est propriétaire, qui sont attachés au domaine public artificiel immobilier de cette collectivité et qui sont affectés à l’usage direct du public. Il s’agit en l’occurrence des voies publiques ainsi que les lieux ouverts au public ou affectés à un service public, à l’exclusion des lieux de culte ouverts au public.

Remarques générales

1  : Les principes de la laïcité, ainsi rappelés, sont indivisibles. Sauf à dénaturer la laïcité, il est impossible de favoriser l’un d’entre eux au détriment des autres, ou de n’en retenir qu’une partie

2  : Des normes juridiques d’application de la laïcité, dans les cas –et dans les cas seulement– où il s’agit de restrictions ou limitations admissibles, peuvent faire l’objet de lois complémentaires, ne remettant nullement en cause les principes fondamentaux de la laïcité, mais en les approfondissant en droit coutumier pour des situations non traitées ou nouvelles.

3  : Dans un Etat de droit, il est exclu de procéder par mesures empiriques souvent conjoncturelles, négociations politiques, ou adaptations amiables, par secteur public ou par sujet, ce que l’on appelle par ailleurs « des accommodements raisonnables » qui n’ont pas de statut juridique.

4  : Le secteur privé, particulièrement le monde du travail qui s’intègre à la République laïque peut prendre contractuellement toute disposition règlementaire intérieure afin de se mettre en conformité avec les principes de la laïcité.

5  : La laïcité, dont les principes démocratiques et républicains sont universels, se caractérise également par une chronologie historique spécifique à chaque pays, par des options politiques de construction de la paix civile, par des évolutions sociologiques particulières et par des réflexions philosophiques sur sa valeur morale.

Gérard FELLOUS  (15/02/2015)