Les « Printemps arabes » à l’épreuve de la démocratie.

En ce mois de juillet 2013, au moment où l’Egypte s’enfonce dans la guerre civile, où la Syrie comptabilise plus de cent mille morts civils, où la Libye est éclatée en tribus, ou l’Irak voit s’affronter dans le sang sunnites et chiites, et où le pouvoir en Turquie  glisse vers l’islamisme et l’autoritarisme, la question se pose de savoir si les « Printemps arabes », nés il y a huit ans en Tunisie, étaient bien un espoir vers la Démocratie, telle qu’elle vit le jour dans la Grèce antique, ou une palinodie visant à remplacer des régimes autoritaires dictatoriaux civils et militaires par d’autres régimes  autoritaires à caractère théocratique ?

En d’autres termes, la question qui se pose aujourd’hui pour bon nombre, est de savoir si l’islamisme admet la Démocratie et la laïcité dans les pays où il prend le pouvoir ?

Si les Frères musulmans en Egypte, le Hezbollah au Liban, l’AKP en Turquie ou Ennadah en Tunisie , les courants intégristes de l’islam, utilisent une stratégie de « double jeu » ou de « double langage »  visant à utiliser  la Démocratie comme un tremplin leur permettant d’obtenir une légitimité dans le paysage politique national, de s’implanter, de s’organiser pour, dans un second temps, y prendre le pouvoir seuls et installer une théocratie et la Loi de Dieu (Chariaa) ?

Cette stratégie, actuellement à l’œuvre au lendemain des « Printemps arabes » consiste à remplacer une dictature par une autre,  installée par le verdict dit « démocratique » des urnes, la tradition musulmane voulant que « le vainqueur l’emporte sans partage », ainsi que le fait remarquer Gérard Chaliand. Une preuve en est donnée avec l’incapacité, pour ces pays, d’adopter une Constitution qui ne soit pas celle de Dieu, à l’exception du Maroc royaliste, mais  où le parti islamiste (Parti Justice et Développement), porté au pouvoir par les urnes en novembre 2011, en fut écarté en juillet 2013.

Pour nombre de théologiens musulmans et d’observateurs occidentaux, comme Bruno Etienne  ou Bernard Lewis, «séparer strictement religion et politique (…) est une idée totalement étrangère à l’islam qui ne saurait admettre la domestication (réduction à la sphère privée) », car l’islam « comporte un principe de totalité » entre la vie privée et la conduite politique ». C’est ce qui a été enseigné par l’Ecole du théologien Ibn Hanbal (IXe siècle), celle d’Ibn Taymiya (1263-1328) ou celle d’Ibn Tayma (1730-1792)  dont est né le wahhabisme d’Arabie saoudite.

Pour les islamistes (salafistes, djihadistes et autres extrémistes) : »Il n’y a pas d’autres gouvernement que celui de Dieu », déduisant que « la Démocratie est un système imparfait », car « l’islam est sa propre forme de démocratie ». Comment alors interpréter les slogans des Frères musulmans égyptiens qui demandent le rétablissement du président Morsi au nom de la « Démocratie » et du verdict des urnes ?  Leila Babès, sociologue des religions (Université catholique de Lille) : « L’islam pensé comme un système global, l’Etat islamique, ne peut pas accepter la Démocratie ». Elle constate que si « la Oumma est une  communauté de foi, elle ne se décline pas en société civile ou en Etat. La parole individuelle n’est pas empêchée par la Oumma, mais par les dirigeants qui, d’ailleurs, se réfèrent à la loi religieuse ».

Une seconde tendance théologique de l’islam  qui sépare la religion de la conduite des affaires politiques a existé historiquement, mais se trouve aujourd’hui en recul :  Elle avait été théorisée et mise en application par les « Mutazilles » (2ème siècle de l’Hégire) ; les « Ikhwana as-Safa (Frères de la Pureté)  en Irak dans la deuxième moitié di IXème siècle ; Averroès (1126-1198) et les philosophes de Cordoue ; enfin  vers le milieux du XIXème siècle, par la « Nahda » (Renaissance arabe) dont le slogan  était : « La religion est affaire de Dieu et la patrie nous concerne tous ». Ce courant était tourné vers le sultan ottoman qui se voulait calife et chef spirituel et politique de tous les musulmans du monde ». La « Nahda » a été reprise au XXème siècle par nombre  d’intellectuels et de sages musulmans, dans le sillage de l’égyptien Ali Abderraziq (1888-1966)   qui, dans son ouvrage « Islam et fondement du pouvoir », soumet la conception religieuse traditionnelle à la critique de la raison et aboutit à la reconnaissance de l’autonomie de la sphère politique au regard de la religion.

La situation de l’islam minoritaire.

Quelle attitude les musulmans se trouvant en dehors de « terres d’islam » (la Oumma), c’est-à-dire en situation minoritaire dans des pays, peuvent-ils adopter au regard de la Démocratie, et de la laïcité ?

L’opposition parlementaire française, par la voix du député UMP des Alpes-Maritimes, Christian Estrosi, vient de soulever la question  en affirmant péremptoirement que l’islam de France n’est « pas compatible » avec la Démocratie, en réponse à un porte-parole de la présidence de la République qui aurait affirmé, lors d’un voyage en Tunisie, que « la France sait que l’islam et la démocratie sont compatibles ».

Ce débat est lancé dans la confusion si la situation actuelle des pays musulmans est assimilée à celle des musulmans en France, par exemple. La question de la laïcité et de la religion est ainsi à nouveau instrumentalisée politiquement par certains courants extrémistes.

Concernant la doctrine musulmane, la mosquée de Corbeille-Essonne rappelle, à juste titre : « On distingue entre la Chariaa (droit islamique) qui est l’ensemble des règles générales stipulées par le Coran et la Sunna, et le « figh » (jurisprudence) qui est le travail d’adaptation que les juristes opèrent pas le biais de l’ »ijtihâd » (activité de réflexion et de raisonnement). Les juristes doivent répondre aux questions de leur temps, en tenant compte des réalités sociales, économiques, politiques de leur lieu de vie ». C’est ce que firent le catholicisme avec  l’ « aggiornamento », le protestantisme avec la réforme, le judaïsme avec sa soumission à la République.

Gérard FELLOUS

(Voir « La Laïcité française » de Gérard Fellous)