Les difficultés de la social-démocratie française

 Vers une recomposition du paysage politique

La modernisation, par sa recomposition, du paysage politique français ne se fait pas sans réactions douloureuses. La social-démocratie que souhaite installer François Hollande, que les électeurs avaient accepté en l’élisant, est l’objet, pour certains d’un malentendu et pour d’autres d’un accomodement difficile. La France serait l’un des derniers pays européens à en faire l’expérience, elle qui s’est enlisée, depuis le début de la Vème République, dans un affrontement manichéen Droite/Gauche, autour d’un centre mouvant et incertain, et des extrêmes sans poids décisif.

Vers une définition moderne

Les partis sociaux-démocrates  issus de l’entre-deux-guerres du XX° siècle, particulièrement en Scandinavie, ont  rompu d’avec le communisme, le marxisme et les perspectives révolutionnaires pour une voie politique modérée, attachée à la protection sociale, et au consensus politique entre l’Etat, le patronat et les salariés. Tournant le dos à l’Internationale communiste, ils intègrèrent l’Internationale socialiste. En Europe, leur dénominateur commun est de prôner un courant politique de gauche ou de centre-gauche, réformiste et admettant l’économie de marché. Pour l’historien Michel Winnoc,  la social-démocratie se caractérise par un « profond enracinement dans la classe laborieuse, lequel s’opère grâce à l’alliance, l’osmose ou simplement l’articulation entre  Parti (socialiste) et syndicat ».

Il faut ajouter que les partis sociaux-démocrates européens se déclarent socialistes, tout en étant convaincus que la suppression du capitalisme est impossible, mais qu’il est nécessaire et urgent de lui apporter des amendements sociaux, dans une économie mixte.

La difficulté de distinguer entre socialisme et social-démocratie

La quasi-totalité des pays européens ont une vie politique apaisée dès le verdict des urnes connu, à l’exception de la France où les acteurs politiques poursuivent leurs combats en légitimité contre les vainqueurs. Certains pays européens connaissent des exécutifs d’union nationale, d’autres sont gouvernés au centre depuis des lustres, mais aucun ne connait, comme la France, un exécutif social-démocrate cohabitant avec un pouvoir législatif  clivé entre la Gauche et la Droite.

Pour la Droite française, cette social-démocratie est définie, de manière critique, comme une « forme molle » de réformisme, et le président Hollande, qui la porte, comme un « mou » hésitant. La méthode du dialogue social est contraire à son autoritarisme naturel. Son ultra-libéralisme financier et économique ne souffre d’aucune limitation.

Aujourd’hui en France, lorsque ce n’est pas la Droite qui combat frontalement la social-démocratie gouvernementale, c’est la Gauche socialiste historique qui tente de tirer la couverture à elle, afin d’accroitre son influence (Affaire Léonarda). Il en résulte que les uns et les autres accusent le président de la République d’entretenir la cacophonie, ou l’incertitude. La première est nostalgique d’un régime autoritaire à la Sarkozy ; la seconde d’un régime libertaire et révolutionnaire. La voie moyenne de la synthèse offerte par la social-démocratie a du mal à être prise en compte dans les esprits des analystes et de l’homme de la rue  habitués à des visions tranchées et antagonistes.

La Gauche résiste à son évolution

Les leaders politiques de la Gauche française ont proposé leur définition de cette social-démocratie contemporaine.

Jacques Delors y voit un système politique offrant un double compromis entre l’Etat et le marché d’une part, et d’autre part entre le patronat et les syndicats. Le Premier ministre Lionel Jospin (1999)  assimilait la social-démocratie à un « socialisme moderne » représentant non un système, mais « une inspiration, une façon d’agir, une référence constante à des valeurs démocratiques et sociales…une façon de réguler la société et de mettre l’économie de marché au service des hommes ». Auparavant le premier secrétaire du Parti socialiste, Pierre Mauroy, expliquait en 1991, la difficulté rencontrée par la social-démocratie de s’installer dans la Gauche en estimant que le Parti socialiste pouvait être pleinement lui-même dans la social-démocratie « mais sous la pression d’un fort Parti communiste, nous ne pouvions pas l’être complètement ». L’ancien Premier ministre Michel Rocard, qui s’exprimait aux Universités du PS à La Rochelle (Terra Nova-septembre 2012) définissait les régimes sociaux-démocrates comme étant les pays où il est possible d’instaurer un accord profond, prioritaire, presque exclusif, et même organique, entre un mouvement syndical unique et puissant, et un parti de gauche lui aussi unique et puissant.   S’inscrivant dans le sillage de Pierre Mendès-France qui siégea à la conférence de Bretton Woods, Michel Sapin, ministre, du Travail, de l’Emploi et du Dialogue social estime qu’il n’y a pas de social-démocratie sans combat pour l’égalité, sans volonté de régulation de ce marché. Mais il ajoute que la France et la Gauche française ne sont pas « naturellement » social-démocrate, mais elles peuvent progresser dans ce sens.

Pour l’ancien Premier ministre Michel Rocard, la Gauche française n’a pas été perméable à la social-démocratie, parce qu’elle a toujours refusé  les dogmes initiaux de la social-démocratie, à savoir l’acceptation de l’économie de marché, qu’il serait toujours question de renverser, et des accords salariaux qui seraient la reconnaissance du pouvoir patronal. Michel Rocard rappelle que la social-démocratie procède par contrats négociés, avec l’espoir que le Parlement les ratifie, ce qui constitue la deuxième difficulté.

 

Un lent processus

En cette deuxième année du quinquennat de François Hollande, et alors que la vague ultra-libérale conquérante a été freinée tant aux Etats-Unis, qu’en Europe et particulièrement en Grande-Bretagne, sous les coups de butoir de la crise financière, la relance viendra-t-elle de la social-démocratie en ce début du XXIe. siècle ?  Cette social-démocratie s’installera-t-elle sur la lancée de sa tradition historique et de ses valeurs ou pourra-t-elle se réinventer  dans le cadre de ses idéaux de justice sociale et de solidarité ?

La France est-elle en train d’inventer une former endogène de social-démocratie, en tenant compte de son histoire politique, de sa culture de gauche, et de ses institutions forgées sous la Ve. République ?

Pour certains, il n’est pas question  de transposer, en l’important, la social-démocratie allemande où la loi est un produit de la négociation entre partenaires sociaux, alors qu’en France, c’est le Parlement bipolaire qui impose sa loi. De plus, d’autres soulignent que la qualité des relations sociales est dégradée en France, engendrant une forte conflictualité, et une absence de confiance. Il faut également souligner que le taux de syndicalisation en France est l’un des plus bas dans les pays développés (4 à 5%) : Cette faible qualité des relations sociales est de nature à ralentir la productivité et la performance économique.

Le Président Hollande et son gouvernement, après avoir fait la démonstration, dans les faits (comme ce fut le cas avec l’Accord national interprofessionnel –ANI ; 11 janvier 2013) et non pas dans les proclamations, de la viabilité sociale, économique et éthique de la voie social-démocrate aura à mener une profonde campagne pédagogique dans cette vieille France engluée dans ses réflexes conservateurs de Droite et de Gauche, à  moins que les arguments réactionnaires de tous bord ne prévalent, que le temps ne lui en manque  et qu’il faille attendre une génération politique pour faire bouger les lignes.

Gérard FELLOUS

Octobre 2013