Le Conseil de l’Europe appelle à une mobilisation contre la montée de l’antisémitisme sur le continent

Les juifs ont-ils un avenir en Europe ?

A cette question posée de manière récurrente ces dernières semaines, particulièrement aux Etats-Unis[1], alors que chacun constatait un accroissement très sensible de l’antisémitisme dans la quasi -totalité des pays européens dans les années 2 000, les autorités juives françaises, en tête desquelles  le nouveau Grand rabbin, Haïm Korcia[2], et le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Roger Cukierman, répondaient par l’affirmative, sans pour autant mésestimer les nouvelles manifestations de cet antisémitisme.

Un constat lucide

Le Conseil de l’Europe, mobilisé à nouveau en avril 2014, vient d’adopter à l’unanimité (26 juin 2014) une Recommandation[3] qui, sous le titre : « Lutter contre l’antisémitisme en Europe »,  se déclare « vivement préoccupé par la banalisation d’une part et l’aggravation de l’antisémitisme sous des manifestations anciennes et nouvelles d’autre part qui frappent la quasi-totalité des Etats membres».  La Conférence des Organisations internationales non gouvernementales (OING) du Conseil de l’Europe, parmi lesquelles  nombre d’organisations juives, qui en a pris l’initiative,  estime également que « l’antisémitisme constitue une grave menace et une agression  contre la démocratie, les valeurs universelles des droits de l’homme et la cohésion sociale, fondées sur le respect de la dignité humaine ».

Cette recommandation adressée aux 47 Etats membres ainsi qu’aux institutions européennes (Conseil des ministres, Assemblée parlementaire, Congrès des pouvoirs locaux, ainsi que tous les organes compétents du Conseil de l’Europe), se déclare « convaincue que l’Europe dont l’histoire est marquée par l’antisémitisme et qui, il y a 70 ans, a été frappée par le génocide spécifique que fut la Shoah se doit aujourd’hui de condamner et de combattre fermement l’antisémitisme ».

Une étude/ rapport sur les faits et la typologie

Cette recommandation était justifiée par une étude/rapport sur « La montée de l’antisémitisme en Europe dans les années 2 000 »[4].

Elle établit que statistiquement et qualitativement les manifestations d’antisémitisme se sont très sensiblement aggravées, partout en Europe. Bien que nombre d’Etats n’en font toujours pas un décompte  précis, les institutions européennes, qu’il s’agisse de l’Agence des droits fondamentaux ou de l’ECRI, tout comme des organismes indépendants, attestent de cet accroissement, dont les détails dont donnés avec précisions, y compris dans des pays qui n’ont aucune tradition en la matière.

Un deuxième constat est fait, qui porte sur la typologie de ces phénomènes antisémites : Nous savons qu’ils ont évolué depuis la Haute Antiquité, mais nous découvrons qu’ils ont pris de nouvelles formes dans les années 2 000.

Cette évolution était déjà décelée clairement en 2007 par l’Assemblée parlementaire qui, dans sa résolution 1563 : « Regrette que le conflit du Proche Orient ait eu des répercussions sur le développement de l’antisémitisme en Europe. Cela est particulièrement le cas parmi beaucoup d’immigrés dans les villes européennes ». Depuis 7 ans, il y a eu aggravation, avec des morts.

Est venue s’ajouter l’émergence, à l’échelle du continent, et particulièrement à l’occasion des dernières élections pour la représentation au Parlement européen, de partis dits populistes qui prospèrent sur un terreau nationaliste, xénophobe et trop souvent antisémite.

Quant aux milieux traditionnellement d’Extrême-droite, ils connaissent une vigueur nouvelle, d’une part dans leurs alliances conjoncturelles avec une extrême-gauche anti-européenne, et d’autre part du fait de l’utilisation de nouveaux vecteurs de diffusion de leurs idéologies, particulièrement en matière d’antisémitisme.

Et c’est justement là que se trouve la troisième mutation qui revigore l’antisémitisme en Europe : L’utilisation des technologies informatiques, avec l’investissement du Web et des réseaux sociaux (Facebook ; Hashtags ; Twitter) qui diffusent et mobilisent, conditionnant les cerveaux le plus faibles et les plus perméables à l’antisémitisme. C’est le nouveau terrain investi par les propagandistes, qu’ils soient islamistes radicaux ou néo-nazis. Il en va de même pour des chaines de télévision arabes véhiculant des programmes à caractère antisémite haineux et diffamatoire.

Deux types d’outils de répression pénale doivent être mis en œuvre : Au plan national par une législation claire, fondée sur une définition juridique efficace ; au plan international, par un contrôle des débordements sur le web, comme il en fut le cas pour la pédophilie.

A cela s’ajoute la prévention, qui passe principalement par l’éducation, la sensibilisation et la formation

Mobilisation des Etats

Dans ces circonstances, le Conseil de l’Europe  demande, en premier lieu, aux responsables politiques des Etats membres de « condamner fermement et sans ambiguïté toutes les manifestations d’antisémitisme (agressions, propos, écrits, etc…) » qui apparaissent sur leur sol. Il faut souligner les deux termes employés : « fermement » et « sans ambigüité », ayant constaté dans le passé, chez certains gouvernants, des atermoiements, des faux-fuyants ou des sous-estimations.

Aussi, pour les Etats européens, la première mesure qui conditionnera la lutte contre ces phénomènes est leurs évaluations, leur connaissance la plus précise possible : C’est le sens de la recommandation qui demande à tous les Etats qui ne l’ont pas fait à ce jour de « collecter systématiquement des données  sur les manifestations antisémites et les analyser », comme c’est le cas dans quelques Etats seulement, dont la France.

L’objectif est dès lors, pour chaque gouvernement, de se donner les moyens de la répression  pénale en dotant leur législation nationale de dispositions permettant d’une part « de poursuivre et sanctionner effectivement tout groupe ou parti politique qui utiliserait des arguments antisémites dans ses discours ou ses activités », et  d’autre part afin que «  l’apologie, la négation ou la banalisation intentionnelles et publique de la Shoah soient punissables de sanctions effectives (…) y compris lorsque ces actes ont été commis par des personnes morales ».

Quant à la prévention, cette Recommandation demande aux Etats membres du Conseil de l’Europe, de « redoubler d’efforts pour combattre l’ignorance et l’intolérance, y compris chez les générations futures, au moyen d’actions éducatives systématiques et permanentes, qui consistent notamment à enseigner la Shoah avec la plus grande rigueur historique ».

Les 47 gouvernements européens sont appelés à élaborer toutes mesures de lutte contre l’antisémitisme  dans « des stratégies et des plans nationaux, dans le cadre d’une coopération entre les institutions publiques, les représentants des communautés juives et d’autres organisations de la société civile concernées ».

Engagements des organes du Conseil de l’Europe.

La deuxième partie de cette recommandation  invite les organes du Conseil de l’Europe, en particulier le Conseil des ministres, l’Assemblée parlementaire, ainsi que le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux à encourager et à contribuer à ces efforts d’éradication de l’antisémitisme sur le continent, en premier lieu sur le plan juridique dans deux domaines :

–L’élaboration d’ « une définition juridique de l’antisémitisme »,  ce qui permettrait aux Etats membres de rédiger des lois répressives ;

–L’élimination des messages et propos antisémites sur Internet et sur les réseaux sociaux, dans le cadre de recommandations aux Etats membres.  Il sera en particulier demandé à ceux-ci de « mettre en place des autorités publiques nationales chargées d’empêcher le diffusion transfrontière et de réprimer les contenus illicites des messages racistes et antisémites sur le Web, en rendant les éditeurs de contenus totalement responsables de leurs propos devant la loi, indépendamment du média servant de support à leur expression ».

Dans le domaine de la prévention et de l’éducation, cette Recommandation demande aux organes du Conseil de l’Europe,  de « proposer et organiser des programmes de sensibilisation et de formation en la matière tant au niveau européen que dans le cadre national ».  Il est en particulier demandé au Conseil de l’Europe d’organiser le 27 janvier 2015, une manifestation sur le parvis du Conseil de l’Europe,  marquant la journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de la Shoah et de la libération d’Auschwitz, «  qui soit un signe fort de la condamnation par l’organisation de toute forme d’antisémitisme et de son engagement pour sa prévention à travers le continent ».

Appel à la société civile.

Dans ce combat pour les valeurs fondamentales des Droits de l’homme, et pour l’éradication de l’antisémitisme, du racisme et de la xénophobie, la société civile – c’est-à-dire les militants des Organisations non gouvernementales- forts de leur expérience de terrain, sont bien souvent les premiers à constater l’extension de l’antisémitisme. Ces OING ont un rôle important à jouer dans la mobilisation pour une vigoureuse réponse publique à son encontre, ainsi que le précisait la Résolution 2017 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qu’il faut mettre en œuvre avec force, aujourd’hui, sans tarder. Les Gouvernements sont appelés à « coopérer plus activement avec la société civile et les ONG ». Et celles-ci à faire pression sur les autorités nationales, régionales et internationales, et se porter au secours des victimes.

Le troisième volet de la nouvelle Recommandation du Conseil de l’Europe pour lutter contre l’antisémitisme en Europe vise ainsi à la mobilisation de la société civile.  Il leur est demandé de « renforcer leur vigilance et leur participation », et de porter assistance aux victimes, de même que de proposer aux acteurs nationaux « des programmes de sensibilisation et de formation et alerter les instances nationales et européennes sur des cas d’antisémitisme ».

Ainsi, en ce mois de juin 2014, le Conseil de l’Europe a-t-il tenu à affirmer, avec force et netteté que l’antisémitisme n’est pas une opinion comme une autre, l’Histoire l’ayant douloureusement montré sur son continent. L’heure n’est pas  plus à la consternation, à la réprobation, à l’abattement. Nul ne peut se retrancher derrière des attitudes ambiguës : Il était temps et urgent de réagir énergiquement, tous ensemble, et chacun dans son domaine, afin de purger effectivement l’Europe de ce poison qui menace d’étouffer la Démocratie. S’il est vrai que l’antisémitisme est indissociable des autres formes de racisme et de xénophobie, il a été clairement acté qu’il s’agit d’une forme spécifique qui demande des réponses adaptées, et un traitement adéquat, sans tarder, avec la plus grande énergie fasse à sa recrudescence depuis le début des années 2 000.

(Publié dans la Newsletter du CRIF du 3 juillet 2014)



[1] Wall Street Journal, et Huffington Post (23 juin 2014)

[2] Interview à la radio Europe 1

[3] CONF/PLE(2014), de la Conférence des OING du Conseil de l’Europe, sur proposition du Comité de pilotage « Agir contre l’antisémitisme en Europe », et après approbation à l’unanimité de la Commission des droits de l’homme (24 juin 2014), présidée par Annelise Oeschger (Suisse).

[4] Par Gérard Fellous, expert à  l’ONU et au Conseil de l’Europe. Consulter en ligne …..