la laïcité française partie 2

II : Au cours des deux dernières décennies, face aux religions et aux politiques

 

Sommaire

 

Chapitre 1: La laïcité face aux religions et aux mouvements de pensée

–Introduction

-Les poids démographiques des religions

-Nouvelles caractéristiques sociologiques

-Face à la laïcité

Des religions « partenaires » de la  laïcité

Le Vatican et l’Eglise catholique française

Au Vatican : Une laïcité réinterprétée

-De Rome vient la parole

-La liberté religieuse

-Jean-Paul II et la Loi de 1905

-Benoit XVI revisite la laïcité

-De la « laïcité positive » à la « juste laïcité »

-Face à l’islam

-Les « défis de la laïcité »

-Actions d’influence

-La supposée arrogance de la France

-La prétention d’un magister moral pour tous

-Le Vatican entre « laïcisme et fondamentalisme ».

–En France : Un héritage historique conflictuel

-L’histoire d’un ralliement

-Bon gré, malgré

-Période contemporaine

-Des solutions pragmatiques de contournement

–Les positions officielles sur :

-La loi de 1905

-La Constitution de 1958

–« Adapter la laïcité aux exigences de l’Eglise »

-La morale chrétienne

-Les relations avec le pouvoir politique

-Dialogue politique et revendications

-Les lois sur la bioéthique, et la fin de vie

-La  « théorie du genre » et les orientations sexuelles

-Le « mariage pour tous »

-Descendre dans la rue

-Actions de lobbying

–Ethnocentrisme chrétien : Prière pour la France

–Relation avec l’islam.

–Aux marges de l’Eglise

Un protestantisme renouvelé

–Relations avec la laïcité

–Nouvelles caractéristiques démographiques et religieuses

–Sur la loi de 1905, une « laïcité modeste »…

–…Ou une « Laïcité d’intelligence » ?

–Relations avec la société :

-L’islam

-L’Etat affaibli

–Revendications envers l’Etat

–Relations avec le politique

 

Le judaïsme et la tentation communautariste

–L’apport historique de la laïcité

–Le judaïsme contemporain

-Face à l’antisémitisme

-Une place dans l’espace public

-Le concept de « communauté juive »

-Fidélité à la loi de 1905

-Une définition juive de la laïcité ?

-Positions du CRIF

-Face au communautarisme

–Relations avec les autres religions

–Relations prudentes avec l’Etat

-Revendications

-Réponses des pouvoirs publics

-Relations avec le président François Hollande

A la recherche d’un islam de France

–Les musulmans face à la laïcité

-L’islam doctrinal

-Face à la laïcité moderne

-L’islam est-il compatible avec la Démocratie ?

-Le cas de la France

-Profil socio-démographique de l’islam en France

-La pratique religieuse

-Interprétations

–Au contact de la laïcité française

-Approches individuelles

-Un communautarisme spécifique

-Laïcité et immigration

-Vers une coexistence pacifique ?

-Paroles de théologiens

-Des dissidents

–Relations avec l’Etat

-Une représentativité éclatée

-Le rôle des  pouvoirs publics

-La vision du gouvernement Ayrault

-Qu’est l’UOIF ?

-Une représentativité dans l’impasse

-Après l’élection présidentielle de 2012

–Les revendications des musulmans de France

-Construction de mosquées

-Formation des cadres religieux

-Les « carrés » dans les cimetières

-L’abattage rituel

-Des actes antimusulmans

–Les réponses de l’Etat

-Une définition de la « laïcité sur mesure »

-Profanations et actes d’hostilité

-Financement public des lieux de culte

-Prières dans les rues

-Contacts avec le gouvernement Ayrault

Le bouddhisme tire profit de la laïcité

–Origines et histoire

–Profil sociologique

–Relation avec l’Etat

–Face à la laïcité

–Revendications

Le sikhisme en marge de la loi

 

Les pressions des extrémistes religieux

–Une terminologie délicate

–L’islamisme implanté en France

-Théoriciens et institutions islamiques

-Le Salafisme à double visage

-Le piétisme en terre de mission

-Le Salafisme Takfiri djihadiste

-La mission prosélyte du Tabligh

-Et sa version violente

-Dans l’éducation publique

-Dans les prisons

-Dissolution et expulsions

– Le Hassidisme messianique du judaïsme

–Des intégristes-traditionnalistes chrétiens

-Une doctrine

-Des groupuscules

-Dans le protestantisme : Les Eglises pentecôtistes

–Un ennemi commun, la laïcité

Des mouvements laïcs nombreux et vigilants

–Un inventaire sommaire

–Premier « appel commun »

–Constitution d’un Collectif laïque : Des demandes au président François Hollande

 

 

Chapitre 2: La laïcité dans le jeu politique

 

–Modifier les orientations politiques du pays

-Les tentatives d’influence de l’Eglise catholique

-Pressions sur la démocratie en 2012

–La « Sainte alliance des clergés »

-Ordres du jour

-Les limites du front commun

-Un Observatoire du pluralisme des cultures et des religions

-Le poids des cultes est-il réel ?

-Nation et religion

Positionnements des partis politiques

  • L’Etat
  • Le président Sarkozy et l’UMP revisitent la laïcité

–Le concept libéral sarkozien de la laïcité

-Théorisation de la « laïcité positive »

-Racines chrétiennes de la France et identité nationale

-Modification de la loi de 1905

-Vers l’islam, plusieurs messages

-Une attention au judaïsme et au protestantisme

-Des soutiens dérogatoires aux religions

-Réactions de soutien et critiques

–Cacophonie à l’UMP

-Un débat avorté sur l’identité nationale

-Une convention sur la laïcité polarisée sur l’islam

–Le gouvernement Fillon tente de suivre

-Réseaux d’instances de quadrillage

-Le Premier ministre ambassadeur de « La Fille ainée de l’Eglise »

-L’UMP dans l’opposition

  • Le Parti radical

–Les propositions de différentes études

-La « nouvelle laïcité » du rapport Baroin

-Les constats d’atteinte à la laïcité du rapport Stasi

-Le rapport Machelon : La laïcité au service des religions

-Autres rapports et institutions

  • La Front national voit la laïcité à travers son rejet de l’islam

 

  • Le Mouvement démocratique de François Bayrou entre deux chaises

 

 

  • La Parti socialiste entre retour aux sources et realpolitik

-Les soubassements de la pensée socialiste

-Une voie social-démocrate ?

-Trois approches en 2012

-Positions doctrinales du PS

-Positionnement sur des questions d’actualité

-La crèche Baby Loup

-Des revendications religieuses dans l’hôpital public

-Le bilan du quinquennat Sarkozy

  • Les nuances de la Gauche

–Le Parti radical de gauche

–Le Parti de gauche

–Le Parti Europe Ecologie les Verts

 

La laïcité invitée dans la campagne électorale 2012

 

            –L’Eglise catholique accroit son implication

–L’exécutif encourage le ralliement

–L’Eglise catholique s’engage clairement

–Le protestantisme suit

–Le judaïsme dans l’expectative

–Les musulmans silencieux

–Polémiques électoralistes à propos de…

-La viande halal/casher

-La « chasse » aux extrémistes islamiques

-De prétendues consignes de vote musulman

 

Les engagements du président François Hollande et du gouvernement

-Définition de la laïcité

-Loi de 1905

-Le communautarisme et les extrémismes

-Les droits des religions

-La Charte de la laïcité dans les services publics

-La fin de vie

-L’enseignement du fait religieux

-La loi Carle

-La collation des diplômes

-L’abattage rituel

-Modification de la Constitution

 

Après l’élection du président Hollande

-Rencontres avec les cultes

-Observatoire de la laïcité

-Propositions du gouvernement.

-Enseignement laïque de la morale

L’opinion publique face aux religions et à la laïcité

            –La perception des religions. Sécularisation de la France

–L’appartenance et la pratique religieuses

-L’image de l’islam

–La perception de la laïcité.

 

 

Conclusion

 

Le paysage religieux a évolué au cours des dernières années. En France, et dans bien des pays européens, les sociétés enregistrent un déclin de la foi, de la religiosité et des pratiques, avec des lieux de culte se vidant et des vocations se raréfiant, et dans le même temps ces religions sont soumises à un durcissement minoritaire se manifestant par un regain d’engagement sous la bannière de Dieu, en des formes conquérantes. Toutes les croyances, tout au moins les trois religions monothéistes implantées en Europe, sont traversées par des courants intégristes, qui débouchent sur des pratiques extrêmes de certains de leurs adeptes. Ainsi, concomitamment au premier mouvement apparaissent d’autres façons de « vivre sa foi », et de l’inscrire dans le paysage national, plus ou moins bien acceptées lorsqu’elles sortent ostensiblement de la sphère privée, pour prendre des formes prosélytes. Dans le même temps, des revendications s’expriment en faveur d’un retour à certaines  pratiques communautaristes, laissant penser qu’en France le creuset citoyen-républicain ne fonctionnerait plus.

Les demandes adressées par les fidèles et par les organisations  représentatives des cultes, tant à la puissance publique qu’à la société civile laïques prennent des aspects multiples, qu’il s’agisse de formes cultuelles ou culturelles de leurs expressions.

Dressant un bilan de cent ans d’application de la loi de 1905, le Conseil d’État, tout en mettant en valeur le poids de l’histoire et en soulignant «  la complexité du sujet, qui va bien au-delà du strict exercice des cultes, et le pragmatisme avec lequel le principe de laïcité s’est appliqué, dans un contexte parfois ponctué de crises », constatait que de nouvelles questions se posent aujourd’hui car le paysage français des croyances est plus diversifié  qu’en 1905, et qu’elles bénéficient d’une visibilité plus grande. Il ajoutait dans la conclusion de son étude,  que «  le regard porté sur cette question est aujourd’hui nourri, mais aussi brouillé, par celle, plus large, de l’intégration et des dangers à cet égard du communautarisme ». Il n’en demeure pas moins que la jurisprudence de la haute autorité administrative, de même que celle du Conseil constitutionnel ou des juridictions n’a pas toujours aidé à la clarification.

L’histoire a pu jouer en faveur des religions les plus anciennement implantées en France qui ont, au fil du temps, négocié leur place dans le paysage national. Elles ont su faire, dans le passé, évoluer leurs revendications pour ne pas heurter les autres convictions ou les non-croyants et, progressivement, pour accepter formellement les principes de la laïcité. En ce sens, on peut reconnaitre dans la laïcité un levier essentiel de l’évolution des pratiques religieuses, à la fois parce qu’elle aurait permis de tracer l’épure du sentiment religieux et parce qu’elle aurait favorisé des attitudes moins discriminantes et plus œcuméniques.

Mais face aux phénomènes sociologiques contemporains, les institutions religieuses représentatives semblent aujourd’hui débordées, réagissant après coups avec un net souci de « pacification », et de récupération au sein de la communauté religieuse traditionnelle. Dès lors, le débat n’est pas seulement entre laïcité et religions, il est également à l’intérieur des cultes. Il porte sur la liberté des comportements religieux des individus dans leur vie personnelle et familiale, ayant une incidence sur leur environnement social.

L’objet n’est pas de soumettre la « vérité » transcendantale des religions  à la pertinence des valeurs modernes sécularisées (émancipation de la femme, respect de la vie…), et encore moins aux principes de la laïcité, en une vaine discussion théologique sur les textes sacrés (bible, évangiles, coran…), ce qui laisserait croire que la laïcité serait une nouvelle religion qui tenterait de prendre la place des croyances séculaires.

D’une manière générale, les pratiques religieuses ont tendance à sortir du stricte domaine de la vie privée pour, trop souvent, partir à la conquête de la sphère publique, non sans une volonté affichée ou sous-jacente d’affirmation identitaire. A ces tensions au sein des grandes familles de pensée, déstructurantes pour la laïcité et pour la cohésion nationale, viennent s’ajouter le développement inquiétant d’églises dissidentes, ou de « sectes » qui se réclament d’une légitimité religieuse et demandent un statut au nom de la liberté de culte ou de la liberté de  conscience, sur les modèles pratiqués outre-Atlantique. Ce qui est frappant, c’est que le religieux se manifeste alors moins sous des formes institutionnelles que sous des formes spontanées. Chaque individu démocratique a aujourd’hui son mode particulier de croyances et de pratiques, ainsi que le constate Dominique Schnapper.  Et l’on voit se développer des manières de croire qui empruntent à des traditions et à des cultures très diverses. Cet apparent « retour au religieux » ouvre de nouveaux enjeux et remet au cœur des débats la pratique de la laïcité dans de nombreux secteurs de la vie nationale.

Face à cette transformation du paysage religieux de la France, et plus généralement de l’Europe au cours de ces trente dernières années, le cadre juridique, dans lequel s’expriment ces religions n’a pas fondamentalement changé. Alors se pose régulièrement la question de l’adéquation des multiples revendications dans l’espace public, avec les réponses apportées par la laïcité.

Dès 2003, en présentant son rapport « Laïcité et République », Bernard Stasi constatait, non sans étonnement, que « les comportements, les agissements attentatoires à la laïcité sont de plus en plus nombreux, en particulier dans l’espace public ». Appelant à  la clairvoyance, il se penchait alors sur les raisons de la dégradation de la situation de la laïcité en France. Sans jamais désigner les religions qui seraient à l’origine de ces menaces, Bernard Stasi en cherchait les racines sociologiques, dans les difficultés d’intégration « de ceux qui sont arrivés sur le territoire national au cours de ces dernières décennies » ; les conditions de vie dans les banlieues de nos villes, que l’on qualifie depuis de « banlieues sensibles » ; le chômage, accru depuis la crise financière et économique ; le sentiment de discrimination , que certains appellent aujourd’hui « islamophobie » ; et enfin dans le « chant des sirènes » des groupes extrémistes qui sont à l’œuvre dans notre pays pour tester la résistance de la République et pour pousser certains jeunes à rejeter la France et ses valeurs, que l’on désigne par la tentation du communautarisme. Ce diagnostic du début des années 2 000, tout en étant prémonitoire, avançait des analyses partielles, sinon partiales sur l’origine de ces phénomènes attribués exclusivement à la religion musulmane et à son acclimatation dans le contexte religieux français.

Il s’est avéré depuis que ces diagnostiques ne sont pas univoques.

Pour certains analystes la revendication des jeunes filles qui portent un voile, par exemple, n’est pas cléricale et l’affichage du signe procèderait de l’affirmation de soi, dans le cadre de l’individualisme démocratique contemporain. Les temps seraient alors à l’application d’un droit laïque, dont aucune force sociale ne programmerait sérieusement la disparition, dans une société plurielle et individualiste, estime Pierre Kahn.

Pour d’autres, la laïcité fut, ces dernières années, victime de glissements et de réinterprétations permises par la jurisprudence administrative. Il faut constater que si la réforme de la justice judiciaire fait partie des priorités de la présidence Hollande, le silence est fait sur la justice administrative, que certains juristes estiment nécessaire. L’instauration d’un Etat impartial devrait éviter la politisation de la mise en œuvre administrative de la laïcité.

A ces changements du paysage religieux vient s’ajouter une intrusion du débat politique.

De la « laïcité positive » préconisée par le président Sarkozy et par le pape Benoît XVI à la « laïcité d’ignorance » qui, pour Régis Debray, devrait  se transformer en une « laïcité d’intelligence » , en passant par « la sainte laïcité » des intégristes catholiques français, « l’autre laïcité » du Grand rabbin de France; la « laïcité du vivre-ensemble » du président du CFCM; la « laïcité pure et dure » de Jean-Pierre Chevènement;  ou la « laïcité apaisée » du rapport Machelon; en passant par la « laïcité post chrétienne » enseignée par le philosophe  Michel Onfray et la « laïcité roseau » de Jean Baubérot, chacun veut la tailler à sa mesure.

La laïcité ne souffre pas de l’adjonction d’un qualificatif. Elle est un produit de l’histoire d’un pays. Ainsi peut-on parler d’une « laïcité française », et non pas « à la française ».

Dans le débat politique qui a pollué la mise en œuvre de la laïcité, les partis de droite et d’extrême-droite ont tenté d’enfermer la gauche, venue au pouvoir dans la deuxième moitié de 2012, dans une nasse. Cette dernière partie de l’échiquier politique semblait alors dépossédée de toute initiative significative, paralysée, vouée à un immobilisme, empêchée d’aborder des questions clivantes sur l’identité française, l’immigration et son volet d’intégration, l’islam, la politisation des Eglises, toutes questions connotées négativement durant le précédent quinquennat. Il tarde d’en sortir.

Alors la crainte est à juste titre exprimée, en ce début de XXIe. siècle, de voir la laïcité mise en péril en France.

L’alternative qui semble être imposée à la laïcité entre résister ou céder aux pressions des revendications religieuses et des instrumentalisations politiques s’avère être un piège létal.

Le premier constat qui peut être tiré des multiples tentatives de pressions faites sur la laïcité est que bien des libertés ont été prises et des entorses infligées dans le quotidien de l’Etat et de la société civile, qu’il faudra bien redresser.

Le second est plus particulièrement que les réponses données par les collectivités locales sont incertaines et pour beaucoup contradictoires. Elles ressortissent, dans bien des situations, de l’improvisation, des « arrangements raisonnables » dans lesquels la laïcité n’est plus la motivation première. Chacun y va de sa propre interprétation ou de sa lecture partisane.

Dans ce capharnaüm, les repères sont perdus, et rares sont ceux, parmi les citoyens français, et encore moins dans le monde, qui perçoivent encore la définition juridique de la laïcité française.

Pour les défenseurs de la laïcité, il serait abusif de laisser croire que celle-ci devrait se transformer, s’adapter aux exigences religieuses ou se plier à des manipulations politiciennes, être repensée et réécrite.

C’est l’inverse qui doit advenir, c’est-à-dire que tout un chacun, et au premier chef les instances religieuses, doit se couler dans le moule républicain de la laïcité et respecter la loi, dans son esprit et dans sa lettre.

S’il fallait, dans tel ou tel domaine, développer le corpus législatif, l’approfondir, le décliner dans certaines situations nouvelles, pourquoi pas, mais sans jamais le pervertir, ni même s’en éloigner. Il en fut ainsi, par exemple, des Droits de l’homme universels qui, en plus de soixante ans furent déclinés en de nombreux domaines, en une soixantaine d’instruments, sans jamais être contraires au texte fondateur qu’est la Déclaration universelle de 1948.

Il semble possible aujourd’hui de parvenir à un consensus national : Ni une « laïcité d’interdiction», ni une « religion d’Etat », il s’agit pour la France, de mettre en œuvre une laïcité de séparation, de délimitation entre convictions religieuses et ordre républicain. La laïcité fait alors pleinement partie de l’identité de la France, que certains, dans le monde, qualifient de « patrie des Droits de l’homme ».

Ainsi la laïcité n’a besoin ni d’être redéfinie ou revisitée, ni d’être confondue avec la « liberté religieuse », et encore moins d’être « accommodée » à une quelconque sauce. Elle a besoin d’être clarifiée et débarrassée des scories qui sont venus la parasiter avec le temps, et d’être résolument consolidée, afin qu’elle puisse pleinement assurer sa fonction d’encadrement des pratiques religieuses dans la sphère publique, et non pas des convictions intimes. La laïcité n’est rien d’autre qu’un corpus de lois, décrets, règlements qui encadrent et codifient, non pas les croyances religieuses ou, la non-croyance qui sont personnelles et restent libres, mais les expressions multiples des cultes, dans l’espace de la République.

Du point de vue des tenants de la laïcité plusieurs voies s’offrent pour parvenir à la consolidation de celle-ci :

La plus importante est celle d’une définition constitutionnelle issue du titre premier de la loi de 1905.  Cette clarification mettrait fin à toute velléité de remise en cause de la séparation des Eglises et de l’Etat, à toute opposition entre laïcité-législative et « République laïque » de la Constitution de 1958, ou à des interprétations par le biais des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (PFRLR).

Le renforcement du statut juridique de la laïcité est prioritaire, afin que sa mise en œuvre dans la République puisse être impartiale, mais également applicable à l’ensemble du territoire national, conformément à l’impératif constitutionnel selon lequel « la République est une et indivisible ». Il en découle la nécessaire sortie, selon des modalités à préciser, du régime dérogatoire des cultes en Alsace et en Moselle, ainsi que dans certains territoires d’Outre –mer. Tout particulièrement, il s’agira de mettre fin à la prise en charge des constructions de lieux de culte et des salaires des personnels du culte sur le budget public, assimilant ceux-ci à des fonctionnaires d’Etat. Autre exception incohérente à faire disparaitre : La suppression du caractère obligatoire des cours de religion dans l’enseignement public, c’est-à-dire la généralisation à l’ensemble du territoire national de la loi établissant la laïcité à l’école primaire, votée en 1882 sur proposition de Jules Ferry ; de même que l’abrogation du délit de blasphème, encore en vigueur dans les départements d’Alsace-Moselle et dans certains territoires d’Outre-mer.

Afin d’endiguer de nombreux glissements, il serait urgent de réécrire, en la détaillant, une Charte de la laïcité dans la fonction publique, et de veiller à sa mise en œuvre effective par une autorité d’arbitrage et de contrôle. De même, l’éducation nationale française ne saurait se passer, plus longtemps, d’un code de conduite, d’une charte spécifique de la laïcité à l’école.

L’enseignement supérieur ne peut être plus longtemps tenu à l’écart des impératifs de la laïcité. Il sera en particulier nécessaire de faire respecter le monopole de la collation des grades par l’Université, garantie de la liberté de recherche et d’enseignement, en mettant fin à l’accord passé entre l’Etat français et le Vatican sur la reconnaissance mutuelle des diplômes. De même, la formation des enseignants dans le cadre des « Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation », ainsi que dans tous les concours des trois fonctions publics, devra s’enrichir de modules obligatoires d’histoire et de droit de la laïcité.

Afin qu’il soit véritablement partie prenante dans l’enseignement public, l’enseignement privé qui souhaite bénéficier des avantages accordés par l’Etat lorsqu’il choisit d’être « sous contrat d’association », devra pleinement se soumettre à ses obligations, et en particulier renoncer aux dispositions de la loi Carles, lui accordant le financement obligatoire de la scolarité par les autres communes, et l’abrogation de l’article 89 du code général des collectivités territoriales.

Le financement de la construction et de l’activité des lieux de culte devra faire l’objet d’un encadrement plus strict et plus clair, non seulement en ce qui concerne les origines étrangères de certains de ses investissements, mais également lorsqu’il s’agit d’avantages accordés par des collectivités locales qui devront être précisément permis dans leur code.

La laïcité française ne peut accepter l’intrusion de la « finance islamique » dans le système bancaire national appelant des modifications règlementaires et législatives ; pas plus que l’implication de toute autorité religieuse dans la régulation des opérations bancaires.

L’envahissement de la sphère politique par les religions est à endiguer, particulièrement avec la suppression des « conférences départementales de la liberté religieuse », et de l’institution dans les préfectures de référents de l’Etat, qui ont conféré aux cultes une reconnaissance publique contraire à la loi

Parmi les mesures symboliques qui peuvent donner meilleure visibilité à la laïcité, outre l’installation et le fonctionnement effectifs d’un Observatoire de la laïcité, annoncés pour 2013 par le président de la République, il serait nécessaire que l’Assemblée nationale, suivant dans les mêmes termes le texte adopté en 2011 par le Sénat, vote une résolution instituant une Journée de la laïcité, le 9 décembre de chaque année, estiment également ses défenseurs.

Sur ces questions, comme sur toutes celles soulevées dans ces pages, à l’issue de l’état des lieux qui en est tenté,  et du panorama des opinions exprimées à ce jour, il serait sain et utile que la connaissance en soit largement ouverte, afin de protéger la laïcité française de tout errement, de toute tentative d’instrumentalisation et de la renforcer, avec l’accord de tous. Alors il serait légitime d’envisager d’ajouter à la devise de la République : « Liberté- Egalité- Fraternité », le volet : « Laïcité » qui prendrait son sens et son poids véritable.

 

Paris, Mars 2013

 

 

 

Postface

de Jean-Michel BAYLET

président du Parti Radical de Gauche

 

 

Ajouter quelques mots après un travail d’une ampleur et d’une qualité telles que celles de l’essai magistral ici livré par Gérard Fellous suppose, de façon paradoxale, un peu d’orgueil et beaucoup d’humilité.

L’humilité est commandée par l’excellence des réflexions qui nous sont proposées. Qu’il s’agisse des bases juridiques de notre laïcité, de la longue et conflictuelle histoire des cultes et de leurs rapports avec la puissance publique ou encore des dynamiques religieuses modernes et de leur approche par la philosophie politique, la vaste panorama dessiné par Gérard Fellous présente à la fois une vue d’ensemble très juste et des détails saisissants. Comme dans ces immenses polyptiques de la peinture flamande – souvent d’inspiration religieuse – où la description du monde et de son fragile équilibre va de pair avec la restitution d’un visage, d’un animal, d’une plante. C’est que, dans une vision laïque exigeante, il n’y a pas de petit sujet ; tout doit obéir à une harmonie globale. Après la lecture de cet ouvrage, le militant doit observer prudence et retenue, d’autant plus que l’ambition de Gérard Fellous dépasse largement les limites que son titre semblait imposer à sa réflexion.

Mais c’est aussi de notre parfaite concordance de vues que le radical de gauche que je suis peut tirer un peu d’orgueil. Aucune vanité personnelle certes mais l’orgueil collectif des radicaux qui ont inscrit la laïcité dans notre droit positif et dont l’auteur reconnaît ici qu’ils sont encore les gardiens les plus vigilants de ce principe essentiel.

C’est donc bien avec modestie et fierté tout à la fois qu’on peut apporter quelques précisions sur des faits, des évolutions, des idées sous-jacents dans le texte de Gérard Fellous.

L’Histoire n’est pas finie. Le diagnostic péremptoire et assez puéril qu’avaient entraîné la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, celui de la fin de l’Histoire, a été violemment démenti par les attentats du 11 septembre 2001. Beaucoup d’autres événements (à l’heure où j’écris ces lignes, les affrontements religieux en Birmanie ou aux Philippines, la canonisation socialiste d’Hugo Chavez, l’institution d’un fan-club planétaire pour le nouveau pape ou encore la suppression de la mixité dans les écoles de Gaza) ont démontré la permanence de l’Histoire, la permanence aussi de son caractère tragique, mais également son organisation autour d’une ligne de conflit, informelle, immatérielle, fluctuante, entre l’universalisme et l’identitarisme. Mais ces deux visions du monde ont été dévoyées en une caricature, celle d’un match Ben Laden vs George Bush. Quand l’universalisme se transformait en libéralisme effréné, en matérialisme sans principes, en individualisme sans foi (eh oui !) ni loi, l’identitarisme se réfugiait dans l’ethnicisme, le tribalisme et la religiosité tout en s’habillant d’un moderne costume d’Arlequin, le multiculturalisme.

Nous refusons cette vision réductrice de l’Histoire. Nous sommes tenants de valeurs universelles qui peuvent, s’il le faut, être résumées à l’autonomie du sujet, à l’égalité en droit et aux formes démocratiques de la représentation politique. Il s’agit là d’un socle insusceptible de la moindre transaction, de la moindre concession.

Car la laïcité est un principe de rigueur. Nous ne sommes ni des dogmatiques laïques, ni des intégristes armés contre les autres intégrismes. La laïcité, rappelons-le, n’est pas une pensée de combat antireligieuse, elle est la garantie de la liberté de conscience. Et c’est pourquoi elle dresse autour des institutions publiques, en particulier autour de l’école qui est la matrice de l’éveil de cette pensée libre, un rempart garantissant leur neutralité contre toutes les influences, celles des confessions bien sûr, mais aussi celles de l’argent ou de l’esprit partisan.

C’est un rempart d’airain. Il faut refuser l’adjonction de ces qualificatifs qui viendraient affaiblir cette neutralité. Nous n’avons que faire d’une laïcité modernisée, ouverte, positive. Nos principes ne vont pas au gré de l’air du temps. Ces appauvrissements recouvrent, en vérité, deux dérives également inacceptables. Pour les uns, la laïcité tolérante n’est qu’une lassitude, une résignation, quelque chose comme le plus petit dénominateur commun d’une République réduite par les assauts anti-républicains. Pour les autres, farouches adversaires de la laïcité par le passé, ce principe n’est invoqué aujourd’hui que pour fonder une volonté de discrimination. Bref, s’il faut interdire le voile, il faut aussi interdire aux extrémistes de se dissimuler sous la laïcité.

Qu’est-ce, à la fin, que la tolérance ? Dans le tableau qu’il dresse des positions politiques, G. Fellous n’oublie pas de rappeler que certains abandons du principe laïque sont venus de cette gauche qui prétendait moderniser la laïcité pour la renforcer. L’enfer philosophique étant, lui aussi, pavé de bonnes intentions, ces reculades étaient opérées au nom de la tolérance. Mais la tolérance est un moyen au service de la liberté, comme le doute méthodique et la raison discursive ; elle n’est pas une fin en soi. C’est parce qu’elle est tolérante à la liberté que la laïcité doit être intolérante à ces petites lâchetés.

A quoi rime-t-il, au moins dans une France républicaine, de juger que telle forme d’islam est plus tolérante que telle autre, que telle théocratie juive est plus estimable que sa concurrente, ou que tel pape est plus « moderne » que son prédécesseur ? A quoi correspondent, sinon à un projet d’assignation à résidence religieuse, ces statistiques faisant d’une religion la première, la deuxième ou la troisième du pays, comme s’il fallait légitimer par avance leurs empiètements sur la sphère publique ?

La République n’a pas à évaluer la prétendue tolérance des croyances aveugles, spécialement pas celle des religions qui prétendent à l’universel et s’y appliquent par leur prosélytisme.

S’il fallait exprimer une infime nuance à propos de cet ouvrage qui a conquis notre adhésion quasi-totale et dont nous remercions l’auteur, je dirais, à l’inverse de la conclusion de Gérard Fellous, que la laïcité n’a pas à être ajoutée à la devise républicaine. Ce serait la réduire. Elle est la colonne vertébrale de nos institutions et c’est elle qui éclaire les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, elle, et elle seule, qui leur donne tout leur sens pour aujourd’hui et pour l’avenir.

Jean-Michel BAYLET

 

 

4eme de couverture

 

Trois protagonistes sont concernés par la laïcité française : la République, les cultes, et le politique : Les religions tentent de contourner le principe de séparation en investissant la décision politique ; en retour, une partie du monde politique tente d’instrumentaliser les religions. C’est ce « jeu à trois » qui est examiné dans cet ouvrage, la première partie ayant traité des principes et de l’encadrement juridique de la laïcité française.

En tout état de cause, la laïcité reste, avec la Liberté, l’Egalité et la Fraternité le quatrième pilier de la République française, fidèle aux valeurs fondatrices du Siècle des Lumières.

La particularité de cet ouvrage est qu’il sera prolongé par une actualisation régulière, au fil des débats et des évènements qui interviendront à l’avenir sur ces sujets, mise en ligne sur le web, et accessible gratuitement sur le site web de l’auteur : www.gerardfellous.com

 

Après avoir été Secrétaire général de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (1986-2007) auprès de neuf Premier ministre, Gérard Fellous est expert et consultant en matière de droits de l’homme près des Nations unies, de l’Union européenne, du Conseil de l’Europe et de l’Organisation internationale de la francophonie.