Israël-Palestine : Construire la paix, dans une perspective fédéraliste.

A la veille de la date-butoir du  29 avril 2014, fixée par l’initiative de paix israélo-palestinienne lancée par le secrétaire d’Etat américain John Kerry, neuf mois plus tôt, Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne a usé d’intimidations, de menaces, de pressions afin de se placer en position de force, en reportant la responsabilité de tout échec sur Israël. Une fois encore il confondait une guerre psychologique et médiatique avec une réelle négociation diplomatique pour une coexistence pacifique.

Cette stratégie du « bras de fer », appelée aussi du « poker menteur » et de la gestion à court terme d’une crise vieille de plus de soixante années, incite à des réactions en retour dans une certaine classe politique israélienne qui réplique par des rodomontades, des menaces de créer des « implantations » en Judée-Samarie. Le cycle infernal est ainsi amorcé

Les ficelles de pressions politiques de Mahmoud Abbas  se ressemblent, alors qu’il est à la veille d’un renouvellement de son mandat : Après avoir menacé de dissoudre l’Autorité palestinienne, il lançait ces jours derniers, la troisième tentative, depuis 2007, d’un « accord de principe »  pour une « réconciliation » avec le Hamas islamiste qui tient Gaza, tentative une fois encore improbable selon les meilleurs observateurs. Déjà en mai 2011, au Caire, le président de l’Autorité palestinienne proclamait, dans la liesse de ses partisans, un accord de rapprochement entre le Fatah et le Hamas.  En février 2012, à Doha (Qatar), il signait un nouvel accord, jamais mis en application.

Au cours du même processus de paix lancé par la diplomatie du président américain Obama, la direction palestinienne avait déjà  initié cette « guerre autrement » en demandant aux Nations unies l’adhésion à quinze agences et traités internationaux. Cette menace contrevenait à l’accord –Kerry,  accepté par le président Abbas, qui  suspendait, jusqu’à la fin des pourparlers, toute démarche d’adhésion aux 63 organisations et conventions internationales telle que le statut d’Etat-observateur à l’ONU permettait à la Palestine de prétendre depuis novembre 2012.

Il s’en suivait des répliques israéliennes avec des menaces de reprises de constructions en Cisjordanie, et de suspension de la quatrième phase de libération de prisonniers palestiniens incarcérés avant les accords d’Oslo de 1993 (sur un total de 104). Israël proposait alors, en échange de la libération du quatrième contingent de prisonniers,  une prolongation des négociations de paix au-delà du 29 avril, jusqu’à la fin 2014.

Un pari stratégique sur la Paix

Pourquoi les derniers pas vers une Paix entre palestiniens et israéliens  ont-ils été si difficiles à franchir, alors que le contexte géopolitique favorisé par Obama était potentiellement productif ?

La raison semble être que, pour les uns comme pour les autres, les réactions tactiques immédiates ont prévalu sur une approche stratégique à long terme.

Les responsables politiques israéliens ou palestiniens, sous la poussée de leurs opinions publiques respectives, se sont enfermés dans des réflexes de peur ghettoïques, hérités d’une longue histoire conflictuelle et dramatique.  Les murs psychologiques et politiques de la méfiance et de l’ostracisme sont longs et difficiles à abattre. Les moins pessimistes prônent alors un « motus vivendi provisoire ».

Or c’est principalement sur la confiance en un avenir commun que le pari de la Paix peut être bâti : Pour la quasi-totalité des israéliens, leur conviction est que ce pari se prendrait au péril de leurs vies. Alors tactiquement, le gouvernement de Benyamin Netanyahou multiplie les précautions, donnant  le sentiment à la communauté internationale, que ce Premier ministre est manœuvrié, qu’il recule pour mieux refuser la Paix, et maintenir une instabilité dans la région, qui lui serait favorable.

C’est pour les mêmes raisons tactiques que l’Autorité palestinienne, convaincue que ses atouts sont fragiles, multiplie les conditions préalables, avant toute véritable négociation, afin d’obtenir un maximum de concessions de la part d’Israël.

Ainsi, de part et d’autre, le piège de l’immobilisme se ferme sur la perspective de Paix, car il n’existe pas de solution tactique à ce conflit. Ce fut le cas des accords d’Oslo qui ont produit un effet à court terme, mais n’ont pas vu au-delà.

Comment en sortir ? Par une approche stratégique portée par un courage politique de part et d’autre qui consisterait à annoncer, sans tarder, l’objectif à atteindre à long terme, en laissant la possibilité d’une réalisation pas-à-pas, et pour une part empiriquement.

Une vision d’avenir

Cette vision d’un avenir commun serait celle du fédéralisme.

Cette structure étatique est bien connue dans le monde : Par exemple dans la Fédération de Russie, qui réunit des peuples, des religions, des traditions culturelles multiples ; mais aussi aux Etats Unis d’Amérique, pays composé d’Etats jouissant d’une grande autonomie ; ou encore en Allemagne fédérale, composée de Länders. Le cas de la Suisse des cantons peut également inspirer, contrairement à celui du Liban qui refuse le statut fédéraliste faute d’un Etat viable. Dans l’histoire moderne, la Yougoslavie avait réuni des Etats disparates, qui ont aujourd’hui repris leur indépendance tant bien que mal, mais dont la formule avait fonctionné en son temps. Le modèle de l’Union européenne transnationale est de même à prendre en considération, dans sa dimension d’espace économique commun, mais aussi du fait qu’elle reconnait les régions, au-delà des Etats, avec leurs langues, leurs cultures et leurs économies spécifiques.

Dans le cas d’un fédéralisme israélo-palestinien, il faudrait distinguer clairement trois niveaux :

  • Celui d’un Etat fédéral commun, dont les contours géographiques et juridiques seraient définis par une Constitution. Techniquement sa faisabilité est connue, qu’il s’agisse d’une monnaie commune, ou des attributs de la Démocratie (processus électoraux, libertés individuelles, respect des Droits de l’homme, justice indépendante avec ses grands principes…)
  • Des pouvoirs centraux dits régaliens, portant principalement sur la Défense, avec une seule armée intégrée composée de bataillons homogènes : Israël en a l’expérience avec des bataillons druzes. Mais aussi sur les relations internationales, avec une seule diplomatie.
  • Des pouvoirs régionaux bénéficiant de régimes spécifiques, avec des langues et cultures différentes (hébreu, arabe, druze…), des histoires spécifiques, des parlements régionaux élus, des adaptations juridique, sociale et religieuse, mais aussi des adaptations économiques ou fiscales.

Se trouvera-t-il un leader politique israélien, et son homologue palestinien pour ne plus fonder leur stratégie de dialogue sur les peurs, les menaces, et bâtir la Paix sur la confiance entre deux peuples, dans une vision  à long terme, et non plus au jour- le- jour, de trêve en trêve ?

Se trouvera-t-il au Proche Orient  des hommes de la stature du général de Gaulle, de Nehru, un nouveau Ben Gourion, un autre Léopold Cedar Senghor, qui puissent voir plus loin, plus haut ?

Il est vrai que les difficultés ne manqueront pas sur cette voie : Comme dans tous les cas semblables, la création de ces « cantons » ou « Etats fédérés » s’accompagnera de mouvements de populations, afin de parvenir, naturellement, à des entités quelque peu homogènes. C’est probablement le dossier le plus ardu à affronter, mais cette Terre en a connu de semblables dans l’Histoire.  Il n’empêchera que la libre circulation des hommes et des biens sera fondamentale.

Le second volet de ce « pari de la Paix » pour les dirigeants et les opinions publiques  d’Israël et de Palestine sera d’accepter que progressivement les nationalismes cèdent la place à des destins imbriqués, comme ce fut dans la vieille Europe. L’Histoire n’est plus aux nationalismes, même dans les pays arabo-musulmans, mais à la mondialisation et à la régionalisation qui profitent à tous les peuples.

C’est alors que la « Terre trois fois Sainte », une terre où coule le lait et le miel, où fleuri la haute technologie et la science au service des Hommes, apportera son message universel à l’humanité.

Gérard FELLOUS

(Tribune publiée le 29 Avril 2014 dans la Newsletter du CRIF)