I -Faut-il renforcer la laïcité dans l’enseignement supérieur, et abroger l’accord avec le Vatican ?

Revendications religieuses

Tout comme dans l’enseignement primaire et secondaire, des présidents d’universités ont pu noter différents cas de récusation d’examinateurs par certains étudiants, en raison de leur sexe. L’enseignement de l’Islam et du Coran est refusé lorsqu’il est dispensé par un non-musulman ou par une femme. Certaines étudiantes ont refusé d’enlever leur voile ou leur burqa lors des vérifications d’identité obligatoires à l’entrée des salles d’examen (à Nanterre, en juin 2005). Dans les salles d’examen, on a constaté que certains étudiants consultaient, de manière ostentatoire, un livre religieux, ou que d’autres s’isolaient en fond de salle pour prier.

A propos des dates d’examens et concours de l’enseignement supérieur, les cultes communiquent chaque année au gouvernement les dates de leurs fêtes afin qu’il n’y ait pas concordance. Mais en 2011, à l’occasion de la Pâque juive (Pessah ; 19-26 avril 2011), des étudiants ultra-orthodoxes se présentant aux concours des grandes écoles (Mines-Pont et Centrale-Supélec) ont demandé des dérogations pour l’ensemble de ces dates, et non pas pour la seule journée prévue, qui leur ont été refusés, provoquant une levée de boucliers. La présidente de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) d’alors, Arielle Schwab, demandait des « aménagements au cas par cas » face à des « crispations arc-boutées » au nom de la laïcité, alors que le Grand rabbin de France et le président du Consistoire central avaient   dénoncé « un procès en laïcité ».

On a noté, dès 2004, des demandes de répartition par sexe des étudiants dans les étages des cités universitaires, demandes qui ont été repoussées jusque-là.

Deux exemples significatifs de ces revendications religieuses en milieu universitaire peuvent être cités :

*A l’Université Lyon II, centre Louise Labé, au moins 1% de filles porte le voile ou le foulard dans les cours (juin 2005), la tendance allant en s’amplifiant.

* A l’Université de Nanterre, lors du passage d’un examen, une étudiante portant une burqa a refusé de se dévoiler devant le préposé à la vérification des identités, demandant l’intervention d’une femme, dans une cabine isolée. Le vice-président de l’Université a donné son accord.

Une étudiante coiffée d’un hidjab a refusé de se découvrir pour laisser un examinateur constater qu’elle ne portait pas une oreillette dissimulée sous son voile la reliant à l’extérieur, comme cela avait été constaté à plusieurs reprises auparavant.

La législation existante

Il existe bien une législation portant sur la laïcité dans l’enseignement supérieur:

En effet, à la loi du 12 juillet 1875 (dite loi Laboulaye) qui faisait un sort particulier à l’enseignement supérieur, en précisant que : « L’enseignement supérieur est libre » (art. 1er), est venue s’ajouter la Loi n°84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur (dite loi Savary) qui, en développant la loi de 1875,  fait entrer la laïcité dans l’enseignement supérieur, c’est-à-dire dans les universités et grandes écoles, établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel. Elle précise :

« Le service public de l’enseignement supérieur est laïc et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique ».

Les dispositions relatives à l’enseignement supérieur sont récapitulées dans le Code de l’éducation (articles L. 141-6 et L. 811-11).

Mais à l’Université, le paradoxe est que le port de signes religieux par les étudiants n’est pas interdit, alors qu’il l’est pour le personnel, les intervenants ou les « accompagnants ». Néanmoins, certains établissements d’enseignement supérieur ont adopté, en toute autonomie, des règlements intérieurs interdisant tout affichage religieux.

Débats et jurisprudence

Une polémique est ouverte concernant ces distinctions faites avec les mesures en vigueur dans l’éducation nationale.

Les étudiants disposeraient d’une liberté d’expression qui inclut la possibilité d’exprimer leurs convictions religieuses à l’intérieur des universités, constate Jean-Michel Ducomte[1]. Il ajoute que toutefois, cette liberté ne saurait leur permettre d’exercer des pressions sur les autres membres de la communauté universitaire en adoptant un comportement ostentatoire, prosélyte, de propagande ou tendant à perturber les activités d’enseignement et de recherche.

En l’absence d’un texte législatif explicite, le Conseil d’Etat a confirmé la liberté de port du foulard islamique  en invalidant l’interdiction à deux étudiantes portant ce signe religieux faite par  le doyen de l’université de Lille (CE 26 juillet 1996, université de Lille II)

Concernant les enseignants-chercheurs, le président de la Ligue de l’enseignement, juriste et professeur à l’Institut d’études politiques de Toulouse, estime que la liberté d’expression et l’indépendance de ceux-ci doivent se concilier, en permanence, avec le respect d’un certain nombre de règles de tolérance et d’objectivité.

Ainsi, le Conseil d’Etat a-t-il considéré qu’un universitaire, M. Notin, avait, sous sa signature et en sa qualité, développé des thèses racistes et antisémites en s’appuyant avec véhémence et exclusivement sur des arguments non scientifiques  (CE 28 septembre 1998).

Certains universitaires souhaitent que la laïcité n’ait pas droit de cité dans l’Université. Ainsi, le président de la Conférence des présidents d’universités (CPU), Jean-Loup Salzmann estime-t-il que « l’interdiction des signes religieux, même ostensibles, serait contraire à la tradition universitaire faite de dialogue et non d’interdiction ». Il justifie sa position en estimant que « les étudiants étant majeurs, le rôle de l’université n’est pas de les empêcher d’exprimer et d’afficher leurs opinions, également religieuses, mais de leur apprendre à respecter celle de leurs camarades et à en discuter, et ceci tant que ces opinions sont dans le respect de la légalité ».

La Commission nationale consultative des droits de l’homme (Cncdh) en conclut ainsi qu’ « une interdiction générale du port de signes religieux aux personnes fréquentant les établissements d’enseignement supérieur est à la fois inutile et attentatoire aux libertés fondamentales»[2]. Elle justifie sa position en estimant que : « D’une part, le besoin d’une telle interdiction n’est pas avéré, et elle n’est pas souhaitée par une très grande majorité des acteurs de l’université. D’autre part, l’histoire de l’université française lui confère un statut particulier et lui permet de bénéficier de « franchises universitaires » qui rendent difficile l’introduction d’une telle interdiction. Enfin (…) interdire le port des signes religieux viendrait contredire la tradition de dialogue et d’ouverture de l’université ».

Pour certains analystes, la Cncdh prend ainsi un avis sous influence corporatiste, s’éloignant des principes de la laïcité, de la législation existante (loi Savary) et qui, de plus, fait fi des principes énoncés par la « charte de la laïcité dans les services publics »,  dont elle demande pourtant une meilleure diffusion.

Il faut relever que la jurisprudence de la Cncdh précisait pourtant (avis sur le port du voile intégral, du 21 janvier 2010) que celui-ci « est constitutif d’une atteinte à la dignité de la personne humaine. Ce vêtement apparait pour beaucoup comme une contrainte sociale, que l’on peut considérer comme une forme d’oppression. (…) L’impossibilité de distinguer le visage des femmes portant le voile intégral peut être ainsi perçu comme une négation de leur personnalité, et comme un refus de communication avec autrui … ». Ce pourquoi la Cncdh demandait alors « la stricte application du principe de laïcité et du principe de neutralité dans les services publics ». Dans une étude de 1992 (Le droit à l’expression religieuse dans une société laïque », la Cncdh avait affirmé que la liberté religieuse n’est « ni spécifique, ni absolue ».

L’enseignement supérieur public doit-il rester en dehors de la laïcité ?

Sauf à soutenir que celles-ci bénéficieraient, en la matière, d’un statut dérogatoire inspiré des « franchises universitaires » moyen-ageuses allant jusqu’à les assimiler à des zones de non-droit, la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public est applicable, lorsqu’elle prévoit que « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage «  (art.1). Il est vrai que la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse  n’a pour lieux d’application que « les écoles, collèges et lycées publics ». Le Conseil d’Etat s’y était opposé. Sa circulaire ministérielle d’application (27 mai 2004), a introduit d’autres limitations lors des « épreuves d’un examen ou d’un concours dans les locaux d’un établissement public d’enseignement ». Ce que cette circulaire a fait, un texte législatif peut le défaire, afin de rendre l’application de la laïcité plus lisible et cohérant.

La collation des diplômes universitaires

Une seconde question concerne l’université française :

La République française et le Saint-Siège ont signé le 18 décembre 2008 à Paris un accord sur la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur, complété par un protocole additionnel d’application.

Cet accord a fait l’objet en France d’un décret du 16 avril 2009. Il est entré en vigueur le 1er mars 2009. Il n’y a pas eu à ce jour de ratification par voie parlementaire de cet accord.

Cet accord porte sur :

« La reconnaissance mutuelle des périodes d’études, des grades et des diplômes de l’enseignement supérieur délivrés sous l’autorité compétente de l’une des Parties (La France et le Vatican), pour la poursuite d’études dans le même niveau ou dans le grade de niveau supérieur dans les établissements dispensant un enseignement supérieur de l’autre Parties ».

Il s’agit :

– Pour la France, des grades et diplômes délivrés par les établissements d’enseignement supérieur placés sous l’autorité de l’Etat. C’est-à-dire le baccalauréat « comme condition d’accès aux diplômes de l’enseignement supérieur », la licence, le master et le doctorat ;

–et pour l’Etat du Saint-Siège, des grades et diplômes délivrés par les Universités catholiques, les Facultés ecclésiastiques et les établissements d’enseignement supérieurs habilités par le Vatican, définis sur une liste établie par la Congrégation pour l’Education catholique, ainsi que les diplômes ecclésiastiques délivrés par les facultés ecclésiastiques directement placées sous l’autorité du Saint-Siège.

Ainsi, sont reconnus de même niveau :

-Le doctorat français et les diplômes ecclésiastiques de doctorat ;

-Les diplômes français de master (300 crédits ECTS) et les diplômes ecclésiastiques de licence ;

-Le diplôme français de licence (180 ECTS) et les diplômes ecclésiastiques de baccalauréat.

L’article 4 du protocole additionnel traite de la reconnaissance des périodes d’études et des diplômes ne conférant pas un grade.

Il est précisé (article 6) que cet accord est « conclu pour une durée indéterminée », mais qu’il « peut être dénoncé par chacune des parties » à tout moment, la décision entrant en vigueur dans les trois mois suivants.

Positions officielles françaises : Le Premier ministre d’alors,  François Fillion, tente de « dissiper les craintes »[3] suscitées en précisant que cet accord France/Vatican « a pour objet, dans le cadre de cette convention, d’organiser la coopération administrative nécessaire à la reconnaissance des grades et des diplômes dans l’enseignement supérieur, comme nous l’avons fait avec d’autres Etats parties ». Le Premier ministre précise que l’équivalence entre grades et diplômes « sera effectuée dans tous les cas par une instance française à savoir le Centre national de reconnaissance académique et de reconnaissance professionnelle, pour ce qui concerne la lisibilité des diplômes, et l’établissement d’enseignement supérieur dans lequel souhaite s’inscrire l’étudiant concerné par la poursuite des études ». 

Les ministères français des Affaires étrangères et européennes, et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, sous la présidence Sarkozy, justifient également la signature de cet accord par le fait qu’il s’inscrit dans un cadre européen. Il répondrait à la Convention sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur dans la région européenne, signée à Lisbonne le 11 avril 1997 et ratifié par la France et le Saint-Siège. Il entrerait également dans le cadre du « processus de Bologne » qui « encourage à participer pleinement à la construction de l’espace européen de l’enseignement supérieur en améliorant la lisibilité des grades et des diplômes d’enseignement supérieur délivrés par les établissements habilités ».

Il n’en demeure pas moins que tant la Convention de Lisbonne que la directive européenne de Bologne prennent une signification particulière en l’occurrence, et « changent de nature[4] » lorsqu’il s’agit d’un Etat théocratique comme celui du Saint-Siège et une République laïque, comme la France.

C’est le décret signé par Nicolas Sarkozy en 2009 qui pose en réalité problème. En effet, pour exercer en France, les facultés catholiques n’avaient, depuis 1880, que deux choix : soit délivrer des diplômes canoniques du Vatican, non reconnus dans le système universitaire français, soit opter pour des diplômes d’Etat qui les obligeaient à faire valider leurs formations par des universités publiques ou des jurys rectoraux français. Ainsi, l’Etat ne pouvait décerner de diplômes qu’aux seuls enseignements qu’il pouvait contrôler et approuver. Ce n’est plus le cas depuis cet accord.

Les autorités françaises précisaient néanmoins que « les universités françaises conservent leur liberté de reconnaitre ou non le niveau des diplômes ». Elles en donnent publiquement une interprétation restrictive en rappelant, dans un communiqué, que « sont visés par cet accord les diplômes canoniques délivrés par les universités catholiques et les établissements d’enseignement supérieur dûment habilités par le Saint Siège, ainsi que les diplômes ecclésiastiques directement délivrés par les facultés ecclésiastiques sous l’autorité du Saint-Siège ».

L’organisme français de reconnaissance des diplômes (ENIC-NARIC) relativise également la portée de cet accord. Sa présidente, Françoise Profit déclarait alors : « Il existe une trentaine d’accords de reconnaissance réciproque des diplômes avec d’autres pays : Espagne, Chine, Australie, Colombie, etc. L’accord ne revient pas sur l’autonomie des universités qui sont libres de choisir si elles acceptent ou non et à quel niveau, un diplôme étranger ».

Le nombre d’étudiants concernés n’est pas connu. Seul l’Institut Catholique de Paris indique que 1 200 étudiants étaient inscrits en 2012-2013 en Sciences économiques et sociales. Les étudiants notent que dans aucun document il n’est spécifié que ces diplômes français sont en réalité « made in Vatican », et estampillés « masters » pour des diplômes canoniques à Bac+5, alors que cette appellation est réservée aux études françaises.

Interrogations

Cet accord soulève plusieurs questionnements tant au regard de la législation française qu’à celui plus précisément de la laïcité.

  • Cet accord contrevient-il aux engagements internationaux de la France ?

Au regard des instruments internationaux des droits de l’homme et des libertés fondamentale, cet accord se heurte à l’obligation des Etats d’assurer une éducation objective, critique et pluraliste. Cette obligation est prévue dans l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) ; par les articles 13 aliéna 1 et 18 du Pacte des droits civils et politiques ; et par le protocole n°1, article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Des juristes ont fait remarquer que cet accord peut permettre que des titres attestant de la connaissance de dogmes relevant d’une croyance, comme par exemple l’existence de Dieu, l’immaculée conception ou la sainte trinité, tout comme les impératifs de gouvernement de l’Eglise catholique et de ses fidèles, comme l’infaillibilité du pape, l’indissolubilité du mariage ou l’interdiction de la contraception et de l’avortement , donnent accès, par le jeu des équivalences, à un diplôme d’Etat français en sciences humaines. Les diplômes confessionnels du Vatican donneraient également accès à des modules de diplômes français portant par exemple sur l’Histoire générale des religions ou l’Histoire du droit des religions qui perdraient ainsi la distance nécessaire à une approche scientifique et critique de ces savoirs.

En droit international, ni la Déclaration commune des ministres européens de l’éducation, signée le 19 juin 1999 à Bologne, ni la Convention sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur dans la région européenne, signée le 11 avril 1997 à Lisbonne, ne font en aucune manière obligation à la France de signer un tel accord.

  • Cet accord est-il conforme à la jurisprudence européenne ?

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, rappelant le Protocole 1 (art.2) souligne que : « L’Etat en s’acquittant des fonctions assumées par lui en matière d’éducation et d’enseignement, veille à ce que les informations ou connaissances figurant au programme soient diffusées de manière objective, critique et pluraliste. Elle lui interdit de poursuivre un but d’endoctrinement qui puisse être considéré comme ne respectant pas les convictions religieuses et philosophiques des parents » (CEDM, Grande chambre, 6 juin 2007/ Folgero et autres c. / Norvège). Cet arrêt se réfère également à une décision du Comité des droits de l’homme de l’ONU , selon lequel : « Le paragraphe 4 de l’article 18 (Pacte international des droits civiles et politiques) permet d’enseigner des sujets tels que l’histoire générale des religions et des idées dans les établissements publics, à condition que cet enseignement soit dispensé de façon neutre et objective (…) L’éducation publique incluant l’enseignement d’une religion ou d’une conviction particulière est incompatible avec le paragraphe 4 de l’article 18… » (Arrêt rendu le 3 novembre 2004).

 La Cour européenne des droits de l’homme a rappelé, dans un arrêt du 4 décembre 2008 « qu’en France, comme en Turquie et en Suisse, la laïcité est un principe constitutionnel, fondateur de la République, auquel l’ensemble de la population adhère et dont la défense parait primordiale, en particulier à l’école. La Cour réitère qu’une attitude ne respectant pas ce principe ne sera pas nécessairement acceptée comme faisant partie de la liberté de manifester sa religion, et ne bénéficiera pas de la protection qu’assure l’article 9 de la Convention » (Affaire Refah Partisi/Turquie).

Par ailleurs, la CEDH affirme que : « Eu égard à la marge d’appréciation qui doit être laissée aux Etats membres dans l’établissement des délicats rapports entre l’Etat et les Eglises, la liberté religieuse ainsi reconnue et telle que limitée par les impératifs de la laïcité parait légitime au regard des valeurs sous-jacentes à la Convention » (Affaires Dogru c/France et Kervanci c/France).

  • Le Gouvernement Fillon était-il compétent pour ratifier, sous forme simplifiée, un tel accord ?

Il ne le pouvait qu’après habilitation législative, soutiennent nombre de juristes. En effet l’article 53 de la Constitution dispose que les accords internationaux « qui modifient des dispositions de nature législatives (…) ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi ». De même, l’article 34 de la Constitution dispose que « la loi détermine les principes fondamentaux :-de l’enseignement (…)». La définition de l’autorité chargée de délivrer les grades et diplômes relève des principes fondamentaux organisant l’enseignement, et doit donc faire l’objet d’une loi pour pouvoir être modifiée.

Le Gouvernement aurait donc été manifestement incompétent pour ratifier, sous forme simplifiée, un accord international ayant pour effet de modifier des dispositions de natures législatives et constitutionnelles.

  • Cet accord viole-t-il les principes constitutionnels de laïcité et de monopole de l’Etat pour la collation des grades ?

Effectivement car ce monopole, établi par l’article 17 de la loi du 26 janvier 1984, puis l’article 137 de la loi du 18 janvier 2002 (repris dans le code de l’éducation à l’article L. 613-1) est un principe de valeur constitutionnelle.

L’accord contrevient directement au préambule de la Constitution de 1946 qui dispose, dans son 13e. alinéa que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat ».

Il viole également le principe d’indépendance de l’enseignement supérieur. Dans un avis, le Conseil d’Etat « a estimé que le principe suivant lequel la collation des grades est réservée aux établissements publics d’enseignement qui remonte à la loi du 16 fructidor an V et que les lois de la République n’ont jamais transgressé depuis 1880 s’impose désormais au législateur »[5]. Enfin, cet accord est contraire à la neutralité du service public.

  • S’agit-il d’une simple reconnaissance d’équivalence comme il en existe avec les Etats européens ?

Pas précisément, puisque cet accord porte sur une capacité nouvelle donnée à un Etat étranger, en l’occurrence le Vatican, de délivrer des grades et des diplômes sur le territoire d’un autre Etat souverain, la France. En effet, son protocole additionnel précise bien que les Universités catholiques et les établissements d’enseignement supérieurs habilités par le Saint-Siège, établis sur le territoire français, pourront délivrer l’ensemble des diplômes et grades de toutes les spécialités (Droit, Histoire, Sciences sociales, Mathématiques, Physique, etc.).

  • Les dispositions de cet accord sont-elles discriminatoires ?

Si l’accord France/Vatican devait produire des effets durables en droit positif français, en établissant une confusion entre science et croyance, il introduirait une discrimination entre les instances représentatives d’autres cultes qui gèrent des établissements d’enseignement supérieurs confessionnels, qu’il s’agisse des yeshivot, écoles coraniques, madrasas, ashrams ou autres, qui seraient en droit de revendiquer les mêmes droits que l’Eglise catholique. Cette discrimination touche également les établissements privés non confessionnels qui pourraient revendiquer la reconnaissance par la France de titres universitaires sur lesquels l’Etat serait privé de toute appréciation.

De plus, les établissements dont les diplômes seront reconnus par cet accord n’auront aucun lien juridique nécessaire avec l’Etat du Vatican, mais se définiront uniquement par les deux critères cumulatifs : Leur caractère religieux catholique, et leur subordination à l’autorité religieuse du Vatican.

Si la loi de 1905 imposant à l’Etat la neutralité religieuse, vise également une stricte égalité de traitement entre les cultes, cette égalité est rompue par cet accord dès lors qu’un culte particulier voit reconnus publiquement les seuls diplômes, y compris « ecclésiastiques », qu’il délivre. Les protestants ont déjà bénéficié d’un accord semblable.

  • Sur la forme, peut-on admettre une mise en œuvre rétroactive de cet accord, compte tenu du fait que son protocole additionnel d’application a été signé le 18 décembre 2008, et que ces dispositions ont été applicables plus d’un mois avant ?

Le principe de non rétroactivité des actes administratifs est consacré comme un principe général du droit contribuant à assurer la sécurité juridique par les jurisprudences constantes du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat. Si de manière générale la fixation par une convention internationale de son entrée en vigueur antérieurement à sa publication est admise, l’accord France/Vatican prévoit en l’occurrence qu’il « entre en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant la date de la dernière notification des parties s’informant mutuellement de l’accomplissement des procédures internes requises pour son entrée en vigueur ». Il reste que les actes de ratification ou d’approbation des conventions internationales sont susceptibles de faire l’objet d’un contrôle de légalité par le Conseil d’Etat.

  • L’accord lui-même peut-il être contesté ?

Pour nombre de juristes, l’accord France/ Vatican a été dispensé de tout contrôle parlementaire. De plus la Constitution (article 53) prévoit que « les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’Etat, ceux qui modifient des dispositions de nature législative (…) ne peuvent être ratifiées ou approuvés qu’en vertu d’une loi ».

De plus, le juge administratif peut constater l’inconstitutionnalité d’une convention internationale et la priver de validité dans l’ordre juridique national, en vertu de l’article 54 de la Constitution selon lequel : « La suprématie conférée aux engagements internationaux ne s’applique pas dans l’ordre interne aux dispositions de nature constitutionnelle ».

Réactions

La Conférence des présidents d’université (CPU) a regretté que cet accord « ravive inutilement le débat sur la laïcité », et a réclamé que les diplômes profanes ne soient pas concernés par ce texte. Rappelons que c’est la Congrégation pour l’Education catholique du Vatican qui en établira la liste précise.

Lors de la conclusion de cet accord, Jean Michel Baylet, président du Parti radical de gauche, estimait que « la faveur aujourd’hui accordée à la religion catholique fournit l’occasion de rappeler à Nicolas Sarkozy que l’idée laïque n’est pas le plus petit dénominateur commun des influences religieuses, mais un principe intransigeant, non susceptible de négociation, voire de modernisation »[6]. Il résume par ailleurs la situation inconfortable dans laquelle se trouvent à présent les instituts supérieurs catholique français par le constat : « La rupture opérée par le décret porte atteinte à la liberté des institutions d’enseignement catholiques elles-mêmes (…) Or, en étendant l’accord aux enseignements profanes, la France a remis sous l’autorité canonique mais aussi « scientifique » du Vatican des institutions qui s’accommodent mieux du contrôle tolérant de l’Etat que des injonctions vétilleuses de l’Eglise catholique. Un seul exemple en convaincra : les cinq « cathos » françaises devront-elles demain traiter à parts « scientifiques égales », le créationnisme et l’évolutionnisme ? »[7].

Les Assises de l’enseignement supérieur, réunies à la mi-décembre 2012 avaient demandé au président de la République, François Hollande l’abrogation du décret Sarkozy, et la renégociation de l’accord France-Vatican.

Recours devant le Conseil d’Etat.

Sur la base d’une initiative citoyenne, un Collectif pour la promotion de la laïcité s’est constitué pour déposer un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat à fin d’obtenir l’annulation du décret. Ce Collectif estime que « l’accord passé entre le Saint-Siège (présenté comme l’Etat du Vatican mais agissant en fait comme autorité religieuse) et le gouvernement français conduit à une remise en cause manifeste du monopole de la délivrance des grades et diplômes universitaires nationaux, puisqu’il s’applique aux établissements catholiques privés de droit français ». Il ajoute qu’ « en accordant à l’église catholique, et à elle seule, le pouvoir de délivrer des grades et des diplômes universitaires sur le territoire français, l’accord confère ainsi à une autorité religieuse des prérogatives de puissance publique contraires au principe de laïcité ».

Saisi par douze recours (syndicats, associations, parlementaires, citoyens), introduits contre le décret de publication de l’accord du 18 décembre 2008, le Conseil d’Etat les a tous rejetés (Décision CE. Ass. 9 juillet 2010).

Sa confirmation de l’accord tourne autour de trois points :

1–Tout en constatant que le traité aurait dû faire l’objet d’une autorisation parlementaire avant sa ratification (article 53 de la Constitution), le Conseil d’Etat se défausse en jugeant qu’il ne lui appartient, ni de contrôler la conformité d’un traité à la Constitution, ni de vérifier la conformité d’un traité à d’autres engagement internationaux conclus par la France. Il refuse ainsi d’examiner la conformité de l’accord avec la Constitution, pas plus que sa conformité avec la convention de Lisbonne, tout comme il refuse de se prononcer sur le fait que cet accord aurait dû faire l’objet d’une loi autorisant sa ratification.

2–Sur le point de savoir si l’accord porte atteinte au code de l’éducation (art. L. 613-1) qui confère à l’Etat le monopole de la collation, c’est-à-dire de la délivrance des grades et titres universitaires, le Conseil d’Etat esquive la question en interprétant cet accord comme n’instituant pas un régime automatique de reconnaissance des diplômes. Il justifie sa position en relevant que les universités françaises appelées à recevoir les titulaires d’un « diplôme ecclésiastique » ont la liberté de refuser leur inscription.

3–Enfin, concernant l’atteinte au principe de laïcité (code de l’éducation –art. L 141-6, et loi de 1905), le Conseil d’Etat « botte en touche » en relevant que cet accord ne contient aucune disposition obligeant qu’un culte soit salarié ou subventionné, et qu’il ne confère aux titulaires des « diplômes ecclésiastiques » aucun droit particulier leur ouvrant automatiquement les portes d’un établissement de l’enseignement supérieur public français.

Commentaires de la décision

Certains juristes relèvent que par cette décision « le Conseil d’Etat défait subrepticement le caractère laïque de l’enseignement supérieur »[8]. Le Conseil d’Etat s’est borné à rendre compte de ses limites pour éviter à se pencher sur le sens, plus que sur le contenu précis, du protocole additionnel à l’accord. Il affirme par ailleurs que, dès lors qu’un « diplôme ecclésiastique » sera reconnu institutionnellement, l’appréciation des établissements publics devra obéir aux principes généraux du droit, particulièrement à celui d’égalité. Enfin, en se référant à la loi de 1905, plutôt que de rappeler les termes de la Constitution ou ceux du préambule de 1946, le Conseil d’Etat préfère ainsi se pencher sur une question cultuelle qui n’a pas sa place dans le système éducatif, et faire en sorte que toute la dynamique propre au principe de laïcité dans l’enseignement public à tous les degrés soit décalée. Le philosophe Blaise Pascal aurait parlé d’une influence de la casuistique.

D’autres commentateurs[9] relèvent que le juge administratif suprême répond positivement à l’argumentation gouvernementale d’alors selon laquelle il n’y avait pas lieu de faire ratifier le protocole additionnel par la loi. Ce faisant, il y aurait un effet boomerang pour l’enseignement supérieur privé : l’accord ne s’appliquerait que dans le cadre et les limites des dispositions législatives nationales existantes. Ainsi toute « automaticité » est exclue, ce que rappelle le principe d’autonomie universitaire. En conséquence, du fait des recours que le Conseil d’Etat a eu à connaitre, le protocole France/Saint Siège est strictement encadré par la jurisprudence.

Le syndicat UNSA-Education « relève le caractère alambiqué » de cette décision du Conseil d’Etat. Il constate que celui-ci a occulté le principe de non reconnaissance institutionnelle des cultes défini par l’article 2 de la loi de 1905. Il tire de cette décision deux conclusions : Constatant que le titre « d’université » ne peut être utilisé par des établissements catholiques français, il demande que cette décision soit immédiatement appliquée aux facultés catholiques qui contreviennent, depuis longtemps, à cette interdiction. De plus, ce syndicat conteste tous financements publics dont bénéficieraient les établissements d’enseignement supérieurs privés considérés comme appartenant à l’Etat du Saint-Siège.

Pour sa part, un responsable de l’Eglise catholique à Paris a estimé que l’accord constitue « un pas favorable ».

Au même moment, le gouvernement reconnaissait d’utilité publique la Fondation Saint-Matthieu, chargée de réunir des fonds pour l’enseignement catholique privé, qui bénéficiera ainsi d’un régime fiscal dérogatoire.

Les engagements du président François Hollande

 

Durant la campagne électorale pour la présidentielle, le candidat Hollande avait promis au Comité national d’action laïque (CNAL) l’abrogation du décret, voulu par « le Président-prédicateur Sarkozy » qui, à ses yeux remettait « en cause une disposition fondamentale du droit français ».

Ainsi, la reconnaissance par l’Etat de la valeur des grades, diplômes et cursus d’études effectués dans les établissements d’enseignement supérieur catholiques, reconnus par le Saint- Siège, est rejetée par le candidat Hollande (réponse à la GLFF). Il précise : Cet accord est revenu sur un point fondamental du droit français depuis la loi Jules Ferry du 18 mars 1880 selon lequel « l’Etat a le monopole de la collation des grades et des titres universitaires » (art. L.613-1 du Code de l’Education).

François Hollande s’est alors félicité que « ce décret a perdu son caractère dangereux », après l’arrêt du Conseil d’Etat de 2010 qui « a totalement vidé de son contenu ce décret scandaleux » en l’interprétant comme une simple possibilité pour les universités, qui existe déjà dans le droit, d’attribuer des équivalences de diplômes aux étudiants, quels qu’ils soient, venant du public comme du privé». Néanmoins, le candidat Hollande prend l’engagement d’abroger ce décret.

Dans un courrier adressé en mars 2013, au Collectif laïque, le président Hollande fait preuve de constance, en écrivant que « le monopole de l’Etat sur la collation des grades et diplômes continuera d’être respecté », et « les conditions d’application des accords conclus avec le Vatican feront l’objet d’un examen attentif ».

(11 octobre 2013)

5 questions sur la laïcité contemporaine

Nous traiterons prochainement des interrogations suivantes :

  • Faut-il étendre le principe de neutralité aux personnes privées lorsqu’elles accomplissent  des missions de délégation de service public, ou d’intérêt général ?
  • Faut-il légiférer afin d’aider le secteur privé à faire respecter le principe de laïcité lorsqu’il le souhaite ?
  • Faut-il constitutionnaliser la définition de la laïcité ?
  • Faut-il supprimer les exceptions à la laïcité en Alsace-Moselle et dans certains territoires d’Outre-mer ?

[1] J-M Ducomte ; Laïcité, Laïcité(S) ; Le comptoir des idées, Privat.

[2] Cncdh Avis du 26 septembre 2013

[3] Courrier du 8 juillet 2009 adressé par M. François Fillon, au président de l’Observatoire international de la laïcité.

[4] Caroline Fourest, « Quand le prêtre formera l’instituteur », Le Monde, 30 avril 2009.

[5] Avis du Conseil d’Etat, publié dans les Etudes et documents 1987. P.138)

[6] J-M Baylet, « Le droit accordé au Vatican de reconnaitre des diplômes est une entorse à la laïcité », débats Le Monde.

[7] Tribune libre dans Le Monde du 20 mai 2009.

[8] Geneviève Koubi, « Droit de l’éducation », 10 juillet 2010

[9] Luc Bentz et Eddy Khaldi, syndicat UNSA-Education