Forum sur l’universalité des Droits de l’homme Oslo- 21-22 octobre 2010

  • Oslo- Conseil de l’Europe- ONG

 

La Conférence des Organisations non gouvernementales du Conseil de l’Europe a consacré un forum sur l’universalité des droits de l’homme, les 21 et 22 octobre 2010, à Oslo, en collaboration avec le Centre européen Wergeland. Une centaine de participants dirigeants d’ONG ou d’établissements d’éducation, venant de vingt pays européens ont participé aux travaux qui se sont déroulés autour de l’invité Gérard Fellous.

LES DROITS DE L’HOMME AUX DEFIS DU XXI ème SIECLE

Une universalité menacée

Par Gérard FELLOUS

Introduction :

« Les droits de l’homme sont universel . Ils sont le bien inaliénable de toute personne » rappelle le Conseil de l’Europe (déclaration du Comité des Ministres du 12 mai  2009- 119e Session de Madrid), ajoutant qu’il devra « répondre aux défis posés par les mutations de notre époque ».

De l’avis de la Haut-commissaire pour les droits de l’homme des Nations unies, Madame Louise Arbour qui s’exprimait à la fin de son mandat :

«  Le principe même d’universalité des droits de l’homme est clairement remis en cause dans certains milieux », ajoutant : « Aujourd’hui les États ne semblent pas faire preuve de la même volonté que celle qui les animait au lendemain de la Seconde guerre mondiale pour affirmer fortement l’universalité de nos droits et de nos libertés ».

 Pour autant, partout dans le monde, sous toutes les latitudes, et particulièrement sur le continent européen, il ne se trouve une seule personne qui se déclare prête à renoncer volontairement aux garanties et protections contenues dans la Déclaration universelle des droits de l’homme,  plus de 60 ans après sa proclamation.

La Déclaration universelle des droits de l’homme doit à René Cassin- l’un de ses rédacteurs- que certains ont appelé son «  prophète » – deux apports fondamentaux, entre autres : D’une part le remplacement, dans son titre initial de la formule   « Déclaration  internationale » d’inspiration anglo-saxonne, par « universelle », et d’autre part la rédaction de son article premier qui proclame : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

Il  s’agissait pour René Cassin de promouvoir universellement l’individu en tant que destinataire et créateur de normes internationales et donc sa qualité de sujet, et pas seulement d’objet de droit international, y compris des droits économiques, sociaux et culturels. Devant la Commission des droits de l’homme  de l’ONU, qu’il avait créé, René Cassin déclarait début février 1947 que la DUDH rassemblait quelques concepts fondamentaux dans ce qu’il a appelé

«  Le premier manifeste(…) le premier mouvement d’ordre éthique que l’humanité organisée ait jamais adopté ».

Il n’en demeure pas moins que des menaces pèsent, en ce début du XXIe siècle ,  sur l’universalité des droits de l’homme, sachant que certaines sont bien connues depuis plus de soixante ans et perdurent , et que d’autres sont apparues plus récemment, et semblent avoir vocation à se développer dans les prochaines décennies, si l’on n’y prend pas garde.

Nous traiterons  plus longuement l’une de ces menaces mutantes, évoquées par la Déclaration du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, et sur laquelle commence à se développer une réflexion  sous l’identification de «  relativisme culturel et religieux ». Il s’agit bien d’un

«virus », au sens informatique du terme, qui risque de faire exploser l’ensemble du corpus du droit international des droits de l’homme.

Le débat n’est pas seulement théorique, il est illustré concrètement par les offensives menées, aujourd’hui et sous nos yeux, dans le système onusien et régional des droits de l’homme.

Les menaces qui pèsent sur ce  XXI° siècle

L’universalité à l’épreuve du « relativisme culturel et religieux ».

 

Le « relativisme culturel et religieux » conteste radicalement l’universalité des droits de l’homme telle que proclamée par la DUDH.

Le « relativisme culturel », concept né de l’anthropologie, a fait l’objet de longs débats depuis 1947, à partir de l’idée que toutes les cultures ont la même valeur. S’il est vrai que la culture de  chaque être humain est une composante identitaire importante, enfermer symboliquement l’individu dans sa communauté est réducteur et porteur de stéréotypes racistes et liberticides. Le droit à la différence et la tolérance ne peuvent être prétextes à brimer la dignité et la liberté humaines. Les violations des droits de femmes peuvent illustrer le propos.

Il est aujourd’hui admis que les particularismes culturels ne sont recevables qu’à condition qu’ils ne portent pas atteinte à « l’égale dignité » et aux droits égaux de tous les êtres humains. L’universalisme suppose chez toute personne une essence humaine qui transcende tous les particularismes, y compris culturel ou religieux. Au postulat de l’égalité des cultures répond l’égalité et la liberté des individus. En réalité le danger est que le « droit à la différence » glisse juridiquement vers une   « différence des droits ».

Autre dérive induite de la défense du relativisme culturel, l’apparition d’une thèse admettant que la dignité humaine n’est pas vécue de la même manière selon que l’on est Chinois, Indien maya ou Suisse.

Il faut également évoquer le danger que les « particularismes culturels » reconnus se dressent les uns contre les autres en une sorte de choc des civilisations. Dans un souci de conciliation, certains professeurs de droit international, comme Mireille Delmas-Marty ou Gérard Cohen-Jonathan,  suggèrent une « conception pluraliste des droits de l’homme ». Ceux-ci seraient   « conçus à partir de principes directeurs communs, appliqués avec une marge nationale d’appréciation qui reconnaitrait aux États une sorte de droit à la différence mais à condition de ne pas descendre au-dessous d’un certain seuil de compatibilité, qui peut d’ailleurs varier selon qu’il s’agit d’une question plus consensuelle ou plus conflictuelle ». En quelque sorte des droits de l’homme à géométrie variable, laissés éventuellement à l’appréciation des pires violateurs, sans qu’un contrôle international ou régional ne puisse s’exercer, ce qui reviendrait à la mort de la DUDH.

Depuis un demi siècle, certains gouvernements ou instances religieuses et politiques dénient l’universalité de la Déclaration- selon les thèses dites de Singapour- au prétexte qu’elle serait l’expression de la seule culture occidentale, fondée sur la primauté de l’individu, alors que d’autres sociétés, notamment asiatiques ou africaines, accordent une valeur première à l’harmonie du groupe, et que c’est à travers la protection des droits collectifs de la communauté que se réaliseraient plus surement les droits individuels de la personne. D’autres vont plus loin en assimilant la diffusion universelle des droits de l’homme à une simple variante de l’impérialisme blanc. Ce à quoi répliquait Kofi Annan, lorsqu’il était secrétaire général des Nations unies :  « il n’est pas nécessaire d’expliquer ce que signifient les droits de l’homme à une mère asiatique ou à un père africain dont le fils ou la fille a été torturé ou assassiné. Ils le savent malheureusement beaucoup mieux que nous ».

Sur la scène internationale, un type de relativisme a déjà disparu avec la disparition de l’URSS et la chute du Mur de Berlin. A la Conférence mondiale qui s’est tenue à Vienne en 1993, 171 États se sont solennellement engagés à respecter les droits de l’homme universellement définis, comme le commande l’article 55 de la Charte des Nations unies à tous les États membres. La déclaration finale de Vienne rappelait solennellement que « s’il convient de ne pas perdre de vue l’importance des particularismes nationaux et régionaux, et la diversité historique culturelle et religieuse, il est du devoir des États, quel qu’en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales ». On relèvera de même que c’est au nom des droits de l’homme universels que s’est faite toute la décolonisation et que l’apartheid a disparu dans le sud de l’Afrique.

En réponse à ces questionnements la philosophe Jeanne Hersch invoquait   « l’exigence fondamentale que l’on perçoit partout » , à savoir quelque chose qui est dû à l’être humain du seul fait qu’il est un être humain : un respect, un égard, un comportement qui sauvegarde ses chances de faire de lui-même celui qu’il est capable de devenir ; la reconnaissance d’une dignité qu’il revendique parce qu’il vise consciemment un futur et que sa vie trouve là un sens dont il est prêt à payer le prix. Pour Jeanne Hersch « cette universalité là parait d’autant plus importante que l’extrême diversité des modes d’expression en garantit l’authenticité ». Ou, selon la formule de René Cassin : « Il y a quelque chose dans chaque homme qui est universel ».

Il n’y aurait donc pas, en principe, d’exception culturelle pour la garantie des droits de l’homme, sauf que, en pratique, on peut lire par exemple dans la Convention contre la torture des Nations unies de 1984, en son article 1 que le terme de torture ne « s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes ». Faudrait-il alors admettre que des peines de mutilation existant dans des traditions culturelles, pourraient être admissibles ? Les juristes en débattent encore, même si la conscience universelle s’en trouve révulsée.

Concernant plus spécifiquement le «  relativisme religieux », la menace est encore plus dangereuse pour l’universalité des droits de l’homme.

De nombreux gouvernements, dans le monde musulman, invoquent les textes sacrés de l’Islam pour refuser cette universalité. Les droits fondamentaux sont alors redéfinis et réinterprétés à l’aune de la Charia. Le phénomène est récent. En effet, le 10 décembre 1948 sur les 56 États ayant voté la DUDH, 8 se sont abstenus, parmi lesquels un seul État musulman, l’Arabie saoudite, alors qu’avaient voté pour, l’Afghanistan, l’Égypte, l’Iran, l’Irak, le Pakistan et la Syrie. Mais à partir de 1966, pour les deux pactes internationaux et les différents traités -particulièrement en ce qui concerne les conventions portant sur les droits des femmes, ou sur ceux des enfants-, les pays islamiques ont introduit des

 «  réserves » au nom de la Charia.

Le monde musulman a d’ailleurs édicté deux déclarations, concurrentes de la DUDH : une première rédigée par le Conseil Islamique pour l’Europe et adoptée en septembre 1981 sous le titre « Déclaration islamique universelle des droits de l’homme », et la seconde, bien plus importante,  adoptée en aout 1990 au Caire par l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), sous le titre « Déclaration sur les droits de l’homme en Islam ». Cette dernière proclame (dernier article 25) que «  la Charia est l’unique référence pour l’explication ou l’interprétation de l’un quelconque des articles contenus dans la présente Déclaration ». Soulignons que son article 22 stipule que «  tout homme a le droit d’exprimer librement son opinion pourvu qu’elle ne soit pas en contradiction avec les principes de la Charia(…) Il est prohibé d’utiliser ou d’exploiter (l’information) pour porter atteinte au sacré et à la dignité des prophètes… ».

Deux Prix Nobel ont dénoncé récemment le piège du «  relativisme culturel et religieux ».  Pour l’iranienne Shirin Ebadi, « la plupart des États musulmans non démocratiques érigent l’Islam en idéologie pour justifier «  la barbarie » de leur régime ». Le nigérian Wole Soyinka ajoutait pour sa part : «  Le relativisme culturel prétend nous inculquer le rejet des différences, mais en fait il exige de nous d’accepter la barbarie des crimes d’honneur, la dictature, les discriminations fondées sur le sexe et la race. C’est un piège ».  Le français Stéphane Hessel tente une conciliation en estimant « qu’au fond dans toutes cultures du monde, dans toutes les grandes religions et dans toutes les grandes philosophies, il y a la même conception fondamentale de la dignité de la personne humaine, et c’est la raison pour laquelle un relativisme culturel est inadmissible ».

Dans les instances européennes.

Si ce «  relativisme culturel et religieux » fait sous nos yeux un très inquiétant entrisme dans les différentes instances onusiennes, il est moins présent dans les instances régionales européennes.

Au Conseil de l’Europe, l’Assemblée parlementaire (résolution 1615-2008) s’est récemment alarmée à propos de l’égalité hommes-femmes, en invitant les États membres « à combattre tout relativisme culturel ou religieux qui empêche encore souvent les femmes et les jeunes filles de tirer pleinement parti de leur potentiel et de participer à égalité au développement de leur société ».

La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (1950) est fortement marquée par l’influence de la DUDH et par les engagements pris alors par les États européens. Sa spécificité idéologique et politique la démarque néanmoins de l’universalité de la DUDH: la Convention européenne tend « à assurer la garantie collective de certains droits énoncés dans la Déclaration universelle » (préambule). Faut-il voir dans l’expression « certains droits » une limitation ou une insistance dans les priorités? On peut également se demander ce que cette région entend lorsqu’elle exprime son attachement à « la démocratie véritable », par rapport à d’autres démocraties dans le monde.

La notion de « diversité culturelle » est étrangère aux instruments et organismes régionaux européens. Les États signataires de la Convention insistent plutôt sur ce qui les unit, proclamant , dans le préambule, qu’ils sont « animés d’un même esprit », et partagent « un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit ». La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne stipule néanmoins que « l’Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique » (art.22)

Si la Convention européenne ne fait aucune place aux particularismes culturels et religieux, comme l’ont voulu ses concepteurs, la mise en œuvre de ces droits, particulièrement par la Cour européenne des droits de l’homme, n’est pas exempte de ces influences. En effet , dans plusieurs affaires traitées par la Cour, des spécificités culturelles sont invoquées: tantôt par l’État mis en cause qui se prévaut des particularités de la société qu’il représente pour justifier une mesure contestée; tantôt par le requérant qui soutient que des entraves subies dans la pratique de sa religion, de sa langue ou de ses traditions constituent une violation d’un droit garanti. La Cour n’a pas systématiquement écarté ces arguments, pourtant contraires à l’esprit de la Convention. Dans de nombreux cas, elle a admis que, compte tenu des circonstances, les caractéristiques culturelles propres à l’État, à la région ou à une communauté constituent un élément pertinent à prendre en considération pour apprécier l’existence d’une violation de la Convention.

Certaines menaces perdurent depuis soixante ans. J’en citerais quelques unes :

Tout d’abord ce que Mme. Louise Arbour a appelé le «  schisme de la Guerre froide » : il ne s’agit pas d’idéologie, mais d’un schisme juridique qui, dans le cadre des neuf grands traités internationaux qui ont offert un fondement contractuel et contraignant à la DUDH, a donné successivement prééminence aux droits civils et politiques, ou aux droits économiques, sociaux et culturels.  Les États-Unis et les pays occidentaux avaient une préférence marquée pour les premiers, l’URSS autrefois, la Chine, Cuba et certains pays du Sud au sein du groupe dit des non-alignés pour les seconds.  Un compromis s’est dégagé, qui n’est pas encore consolidé, selon lequel les populations peuvent plus facilement accéder aux droits économiques, sociaux et culturels, si elles ont bénéficié, concomitamment, de leurs droits civils et politiques.

Le refus de ce que certains États, généralement dictatoriaux ou autoritaires, appellent une «  ingérence internationale dans les affaires intérieures ». Cette menace qui pèse sur les victimes des violations des droits de l’homme est née avec la DUDH et n’a toujours pas disparue, aujourd’hui par exemple à propos du Tibet.

Eleanor Roosevelt et René Cassin, à la tête de la commission chargée de rédiger le projet de texte, savaient bien que le point d’achoppement était celui de la «  non-ingérence dans les affaires intérieures des États », par ailleurs au fondement du système des Nations unies naissant. Face aux premières protestations contre la persécution des juifs, Goebbels répondait « Charbonnier est maître chez soi ».

La DUDH a établi un droit de regard, voire d’ingérence de la Communauté internationale en cas de violation des libertés. Il est battu en brèche par une forme de « réal politik » qui préfère fermer les yeux face à des États violateurs, en échange d’avantages diplomatiques ou économiques.

Parmi les menaces connues et qui se poursuivrons, citons également celles qui affectent l’indivisibilité des droits de l’homme. Nous savons bien que l’universalité est étroitement liée à l’indivisibilité. Dès son article 2, la Déclaration proclame que « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune… » En effet, le corpus des droits de l’homme n’est pas un « menu » dans lequel les États pourraient faire le choix qui leur convient, et ignorer certains droits, comme par exemple l’égalité pour les femmes ou la prohibition de la torture

On sait, depuis soixante ans, que la pauvreté est à la fois la cause et la conséquence des violations des droits de l’homme, et que la DUDH a plus de mal à être mise en œuvre dans les pays du sud.

Pour certains, comme Mireille Delmas-Marty, « à l’heure de la mondialisation économique, l’universalité des droits de l’homme est plus que jamais à l’ordre du jour. Elle montre la voie, si l’on veut éviter une mondialisation hégémonique, pour inventer un droit commun réellement pluraliste » Fait aggravant, la crise financière qui se répand – y compris dans les pays émergents- fait que les plus pauvres et les plus fragiles se retrouvent dans une situation pire que celle qu’ils connaissaient jusque là. La Haut-commissaire aux droits de l’homme a appelé à une vigilance accrue dans les mois à venir pour assurer que les programmes de développement et les filets de sécurité soient maintenus et renforcés, afin que les effets économiques et sociaux de la crise ne deviennent pas calamiteux.

Il faut noter par ailleurs que certains profitent pour séparer, et parfois opposer, les instruments dits « régionaux » de protection des droits de l’homme, au nom d’un « relativisme géographique ».

La Déclaration de 1948 ne pouvait imaginer les progrès techniques et scientifiques qui ont marqué la fin du XXe. Siècle et qui se développeront, mettant à l’épreuve la dignité humaine et les libertés fondamentales de manière inégale à travers le monde. Qu’il s’agisse par exemple du patrimoine génétique, de la reproduction assistée, de la fin de vie, du développement de la communication par les moyens électroniques ou des dégradations de l’environnement, la mise en conformité avec les droits de l’homme doit être universelle.

Bien  qu’aujourd’hui les principes formulés par la DUDH soient repris et intégrés dans les constitutions et les lois de plus de 90 pays, que des mécanismes internationaux, régionaux et nationaux de promotion et de protection des droits de l’homme aient été mis en place, la majorité de la population de la planète ignore toujours qu’elle a des droits exigibles. Le préambule de la Déclaration de 1948 souligne que « la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révolte la conscience de l’humanité », reprenant du reste la formulation de la Déclaration française de 1789 : «  l’ignorance, l’oubli et le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements ».

Autre menace récurrente contre l’universalité de la DHDH et de ses instruments internationaux, la non-effectivité des droits de l’homme. De la proclamation à la mise en œuvre effective il y a trop souvent un fossé, y compris dans nos pays démocratiques.

On y ajoutera les effets pervers et plus subtils des « réserves » apportées par de nombreux États. Ceux-ci donnent l’impression de jouer le jeu en ratifiant un texte international, mais ils utilisent de façon abusive la technique des « réserves » pour, en réalité, nationaliser le texte et revenir au traditionnel « chacun est maitre chez soi », et donc refuser l’internationalisation  des normes.

Conclusion.

A la racine des valeurs fondant l’universalité des droits de l’homme, Hannah Arendt disait que c’est « l’idée d’humanité qui constitue la seule idée régulatrice en terme de droit international ».

Cette prise en compte de l’homme comme « mesure de toutes choses » trouve ses racines philosophiques dans la conscience universelle, et appartient en héritage indivis à toutes les civilisations et toutes les religions, soulignait le professeur Emmanuel Decaux. L’affirmation des droits de l’homme vaut partout et pour tous, ou elle ne vaut rien. Elle implique en effet « la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine », sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion.

Ces droits innés trouvent cependant des limites, et d’abord dans le respect des droits d’autrui, voire des dérogations au nom de l’ordre public ou du devoir de vivre ensemble, sans compter d’éventuels conflits de droits. S’agit-il dès lors de « droits naturels » inviolables et sacrés, ou seulement de droits relatifs encadrés par la loi, sinon octroyés par l’État souverain ? Peut-on opposer le particularisme des situations et des cultures à l’universalité des valeurs ? La Déclaration universelle des droits de l’homme a répondu il y a plus de 60 ans à ce dilemme : Avec elle, c’est le droit international positif lui-même qui consacre pleinement les droits de l’homme comme des  droits égaux et inaliénables, qui doivent être protégés par un régime de droit.

La Déclaration universelle appartient à chacun des êtres humains. Elle n’appartient pas aux États, mais elle les oblige. Elle reste, hier comme demain, « l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations », comme l’a voulu René Cassin.

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