Séminaire U.E. Erevan

Une table-ronde sur le thème de « La protection du droit à la liberté d’expression et d’opinion, le rôle du Médiateur et des ONG » s’est tenue le 8 octobre dans les locaux du Défenseur des droits de l’homme d’Arménie à Erévan, avec la participation des représentants d’une douzaine d’ONG professionnelles. Ce séminaire était présidé et animé par l’expert Gérard Fellous.

LA LIBERTE D’EXPRESSION
Le rôle de l’Ombudsman et des ONG

 

Introduction par le président de séance, Gérard FELLOUS

Si nous désirons traiter aujourd’hui avec vous de « la liberté d’opinion et d’expression » c’est pour deux raisons importantes : la première est qu’il s’agit d’un droit fondamental des droits de l’homme; la seconde est que la question est d’une grande actualité pour l’Arménie.
Rappelons qu’il y a quelques semaines, à la mi-juillet, le Défenseur arménien des droits de l’homme attirait l’attention sur « la situation inquiétante » de la liberté des médias en Arménie, dans un rapport spécial que vous connaissez. Il a en particulier déploré un manque de pluraliste dans la couverture des informations par les télévisions et radios locales. Il a fait de même état de nombreux problèmes dans les médias électroniques en Arménie.
Cette question de la liberté d’expression et de réunion avait également fait l’objet d’un examen de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) après les restrictions au droit de réunion pacifique suite aux modifications apportées à la loi de mars 2008 interdisant dans la capitale les réunions, rassemblements et manifestations.
Cette restriction à la liberté d’expression et de réunions, ainsi que des agressions contre des journalistes ont de même fait l’objet d’un rapport sévère d’Amnesty international. Rappelons que, dans son Rapport 2010, cette organisation de défense des droits de l’homme se déclare préoccupée par le défaut d’enquêtes sur les agressions violentes visant des journalistes, créant ainsi un climat d’impunité, particulièrement dans la poursuite et la condamnation des auteurs de l’agression contre le journaliste Arguichti Kiviryan, roué de coups de bâtons, à Erevan, le 30 avril dernier. Cette préoccupation est partagée par l’Organisation pour la sécurité et
la coopération en Europe (OSCE).
Les récents changements législatifs sur la télévision et la radio, ainsi que la question de la protection des journalistes ont de même inquiété la Secrétaire d’Etat américaine, Hilary Clinton qui, lors d’une visite en Arménie en juillet dernier, a exprimé l’espoir de voir le gouvernement apporter un amendement à cette loi, cet automne.
Ces quelques rappels de l’actualité, non exhaustifs, veulent montrer que la question de la liberté d’expression que nous allons traiter aujourd’hui est une sérieuse préoccupation pour vous , ainsi que pour votre pays.

2 La liberté d’opinion et d’expression en droit international, et ses limitations admissibles
Par Gérard FELLOUS, expert

I: La liberté d’opinion et d’expression:

1. Définition:

La liberté d’opinion, telle qu’affirmée solennellement dans la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 précise en son article 11 :
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme: tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
Elle s’accompagne de 4 autres libertés:
 La liberté d’expression, qui s’exerce par tous les supports : presse écrite et audio-visuelle, livres, films, internet , etc.;
 La liberté d’association, qui permet de se réunir en partageant les mêmes opinions, par exemple dans le cadre d’un parti politique;
 La liberté de réunion qui permet à plusieurs personnes de se rencontrer librement pour partager des idées ou soutenir une cause;
 La liberté de manifestation qui permet de s’exprimer dans l’espace public, donc dans la rue.

2. Historique:

Les origines de la liberté d’expression dans le monde occidental relèvent d’une tradition laïque, républicaine et démocratique qui remonte à la fin du XVIIe. siècle. Elle était jusque là réservée aux autorités royales, seigneuriales ou religieuses.
En 1789, la liberté d’expression est inscrite dans deux constitutions:
- celle des Etats unis d’Amérique de 1776, modifiée en 1789, avec le Premier amendement :
« Le Congrès ne fera aucune loi (…) restreignant la liberté d’expression, la liberté de la presse ou le droit des citoyens à se réunir pacifiquement (…) »
-celle de la France , dans la veine de la Révolution française, avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Il faut attendre le XXe siècle, la fin de la Seconde guerre mondiale , et la création de l’ONU pour que la DUDH en fasse un droit universel, en 1948. En 1950, le Conseil de l’Europe défend la liberté d’expression dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En 1966, le Pacte relatif aux droits civils et politiques de l’ONU reprend les termes de la Convention européenne pour leur donner une portée universelle.

3. Protection par le droit international:

 Dans la Déclaration universelle des droits de l’homme , l’article 19 précise:
« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit »
Si cette déclaration de 1948 ne fixe aucune restriction à cette liberté, un certain nombre d’instruments onusiens postérieurs la limite en interdisant , par exemple, l’incitation à la haine raciale, nationale ou religieuse, en condamnant l’appel au meurtre, tous délits inscrits dans la loi démocratique dont nous parlerons plus loin.
 Le Pacte relatif aux droits civils et politiques- dont les dispositions sont contraignantes pour les pays qui l’ont signé et ratifié- précise en son article 19 que:
« 1- Nul ne peut être inquiété pour ses opinons.
2- Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher , de recevoir et de répandre les informations et les idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. »
 La protection par les instruments régionaux européens est prévue dans deux instruments : * la Convention européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui précise en son article 10:
« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir et de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière »
* la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui stimule dans son article 11 dédié à la liberté d’expression et d’information que:
« Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières.
La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés »
4. Les cas spécifiques de l’Internet, et de la religion:
Le rôle nouveau de l’Internet – considéré par la Cour Suprême des Etats-Unis comme étant une « conversation mondiale sans fin » entre individus, organisations, sociétés et autorités- est perçu par les ONG de défense des droits de l’homme comme étant un nouveau moyen important pour la liberté d’expression, et pour la promotion des droits de l’homme. Depuis son développement partout dans le monde, il n’y a pratiquement plus de « frontières opaques » dans lesquelles les violations peuvent se développer à l’abris du regard de la communauté internationale. Pour certains gouvernements autoritaires ou dictatoriaux c’est un « ennemi » qu’il faut interdire pour « réguler » le flot des informations. Toutefois ils sont incapables de contrôler totalement cette dynamique. Cela fait dire à certains que l’Internet permet aujourd’hui une véritable liberté d’expression universelle, un demi-siècle après la DUDH.
Par ailleurs, la liberté d’expression a été et continue à être combattue dans les instances onusiennes , au nom du « relativisme culturel et religieux » qui veut donner aux religions le pouvoir de la limiter. Des caricatures de Mahomet dans des pays nordiques ont provoqué de fortes tensions et de multiples tentatives de limiter la liberté d’expression dans les textes internationaux, dans le cadre d’une révision de ce droit à la lumière de la Chariaa , la Loi islamique. Récemment encore , le nouveau secrétaire général de l’Organisation de la conférence islamique (OCI- qui regroupe 57 pays à l’ONU) , le professeur turc Ekmeleddin Ihsanoglu, demandait que le respect des symboles religieux soit mis sur le même plan que le respect du drapeau national, estimant que « c’est là où s’arrête votre liberté » (interview au journal Le Monde du 23 septembre).

II: Les limitations admissibles

1. La théorie de l’abus de droit. L’encadrement des libertés par la loi:

Il est entendu qu’un droit fondamental peut n’être pas absolu, il peut être encadré par les textes internationaux et par la loi nationale dans le cadre d’une démocratie.
Ainsi, par exemple, la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789, précise-t-elle dans son article 4:
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui: ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la société le jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi »
La théorie de l’abus de droit , ou de la limitation admissible s’est développée au cours du XIXe. siècle
Si la DUDH ( article 19) n’explicite aucune limitation, le Pacte international relatif aux droits civils et politique stipule ( art 19, para 3) que l’exercice de la liberté d’expression
« …comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires:
a/ au respect des droits ou de la réputation d’autrui,
b/ à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques »,
Un article 20 de ce même Pacte fixe d’autres limites à cette liberté d’expression en ces termes:
« – Toute propagande en faveur de la guerre est interdite par la loi;
- Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la loi »
De même des limitations sont internationalement admises en matière de droit de réunion ( art.21) , et de droit d’association (art.22).
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales prévoit également un encadrement par la loi.
On relèvera en particulier que la CEDH indique que la liberté d’expression prévue dans son article 10,
« …N’empêche par les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion , de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations »
Ce même article indique que cette liberté comporte des « formalités, conditions, restrictions prévues par la loi, dans les cas suivants:
« de mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher a divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire »
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne précise également que la liberté d’expression est le prolongement nécessaire de la liberté de pensée, de conscience et de religion inscrite dans son article 10.
L’article 11 de la Charte doit s’entendre avec les seules limites énoncées par l’article 10.2 de la Convention européenne des droits de l’homme, cité plus haut.
Le droit de l’Union européenne en la matière est précisé par une série de directives prises depuis 1989, de résolutions, de décisions et d’initiatives politiques, particulièrement en matière d’Internet.
Par ailleurs la Cour européenne des droits de l’homme a développé au cours des dernières années une jurisprudence fournie qui balise tant la liberté d’expression que la liberté d’opinion et de conviction ou la liberté de réunion et d’association.
On peut diviser les exceptions au principe de la liberté d’expression en deux groupes:
1) La protection des personnes, des groupes et des valeurs démocratiques:
 La liberté et la diffamation, la réputation;
 La pornographie, surtout enfantine;
 La propagande haineuse.
2) La protection de l’Etat:
 La sécurité publique,
 La sécurité politique,
 La sécurité nationale.
Si ces protections doivent être assurées et validées par les tribunaux nationaux, en cas de conflit ou de litige, au plan international, et particulièrement en ce qui concerne l’Internet , il n’existe pas de garde-fou.
De nombreuses tentatives sont faites pour réguler la liberté d’expression sur l’Internet. En France, par exemple, le Conseil d’Etat a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’avoir des dispositions spécifiques, les règles et lois applicables à d’autres médias restent valables pour celui-ci.
Par ailleurs des dispositions spécifiques ont été prises en France, en matière de négationnisme (loi Gayssot de 1990) portant sur la contestation des crimes contre l’humanité; en matière de protection de l’enfance, de défense du droit de propriété intellectuelle, ou de « propos discriminatoires », la propagande ou la publicité en faveur de produits ou de méthodes préconisées comme moyens de se donner la mort, l’atteinte au secret professionnel, la diffamation et l’injure, le droit à l’image, la vie privée.
En dehors des restrictions prévues par la Loi, toute atteinte à la liberté d’expression, particulièrement dans le journalisme, est qualifiée de « censure » mal supportée par la société démocratique. Restent des zones incertaines qui font débats, comme par exemple le sexe ou la violence, ainsi que la critique des religions.
III: Dans le journalisme:
1: Les codes de déontologie:
La profession de journalistes a édicté, dans de nombreux pays, des codes de déontologie qui précisent , pour une part, les limitations et précautions que la profession décide de s’imposer volontairement à elle-même. Ces codes de déontologie peuvent varier d’un organe de presse à un autre, en fonction de sa nature ou de ses spécificités. Seuls les usagers seront juges de leur application
2: La médiation.
De nombreux grands organes de presse, en France et en Europe ont créé un poste interne de « médiateur », en général un journaliste de la rédaction, chargé de rassembler les lettres de protestation et les commentaires des usagers, et de leur répondre publiquement, y compris en faisant des mea culpa, lorsque les informations ou commentaires données sont pris à défaut.
Reste bien entendu que le Médiateur ou Ombudsman national peut aussi être saisi lorsque sa compétence le lui permet.