Erevan (Arménie)

Dans le cadre du jumelage de l’institution de médiation de la République d’Arménie avec les institutions homologues d’Espagne et de France, patronné par l’Union européenne, Gérard Fellous a animé à Erevan, les 30 avril et 1er. Mai 2011, un atelier consacré aux professionnels des médias sur le thème : « Préserver la liberté d’expression en Arménie », dont voici l’introduction :

LESMECANISMES D’AUTO-REGULATION DES MEDIAS : DES CAS FRANÇAIS ET EUROPEENS

Par Gérard FELLOUS

 

1 : Introduction :

            L’autorégulation joue un rôle pivot pour encourager un journalisme de qualité, respectueux des normes professionnelles les plus rigoureuses. Ce principe clé pour promouvoir et mettre en œuvre la liberté d’expression  garantie par le droit international dans des conditions précises (voir en annexe) a fait la preuve de l’appui considérable qu’il offre aux journalistes en leur fournissant des orientations opérationnelles susceptibles de les guider dans leur travail quotidien. De plus, les différents mécanismes et outils d’autorégulation, que nous allons évoquer dans cet exposé,  sont de nature à aider les professionnels de l’information à se protéger des actions judiciaires ou des pressions politiques susceptibles d’entraver leur travail. Ils permettent également d’établir un lien avec les usagers des médias et d’apporter des réponses appropriées à leurs réactions et demandes.

Quelle est la nature de l’autorégulation des médias ? Elle comporte plusieurs principes :

  • L’autorégulation est totalement indépendante du contenu politique ou éditorial d’un média. Elle n’est pas une censure ou même une autocensure.
  • L’autorégulation est un engagement pris par les professionnels des médias soucieux de qualité et du maintien d’un dialogue avec le public.
  • En établissant des normes et en les respectant, l’autorégulation aide à  établir la crédibilité des médias auprès du public. Elle aide à convaincre le public que les médias libres ne sont pas irresponsables. Elle contribue à augmenter le nombre de lecteurs et d’auditeurs.
  • L’autorégulation des médias symbolise l’effort fait pour garantir une démocratie indépendante des forces politiques. Elle aide à réduire au minimum l’ingérence de l’Etat. Elle favorise en particulier le passage d’une presse contrôlée par l’Etat à une presse indépendante, possédée et contrôlée par la société civile.

            2 ; La mise en œuvre de l’autorégulation des médias et Europe et dans le monde :

Dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Union européenne, l’Allemagne avait organisé en avril 1999, à Sarrebruck,  un séminaire sur « l’autorégulation dans le domaine des médias au niveau européen ». Cette rencontre concluait que ce principe devrait figurer dans la directive « Télévision sans frontières » comme outil approprié pour la réalisation des buts de politique médiatique. Il s’agira, précisait le séminaire, de supprimer, dans toute la mesure du possible, les régulations étatiques existantes afin de soulager l’Etat et d’augmenter la flexibilité en matière d’adaptation des règles et des normes, auto définies, aux changements des conceptions morales et des valeurs au sein de la société.

Il y a quelques mois, le 27 janvier 2011, l’UNESCO organisait à Paris une conférence sur l’autorégulation et l’éthique journalistique en Europe. Elle a engagé un dialogue sur la situation européenne en matière de normes professionnelles et d’autorégulation des médias et, en particulier, sur les défis posés aux démocraties émergentes. Elle a évoqué les nouveaux problèmes soulevés par l’Internet et les nouvelles technologies.

Pour sa part, la Division « Liberté des médias » de l’Organisation pour la Sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a publié un « Guide pratique de l’autorégulation des médias » qui estime qu’il n’existe pas un modèle unique d’autorégulation qui puisse être reproduit partout dans le monde. Un seul principe peut être commun : Seule une presse totalement libre peut être véritablement responsable.

Retenons également que la Commission de l’Union européenne  a développé un programme « Médias pour la démocratie en Afrique » mené par la Fédération internationale des journalistes.

Outre par la loi, la régulation de la liberté d’expression des médias peut être mise en œuvre par deux moyens : – Les codes de déontologie professionnels ; – Et la médiation. (Les institutions de régulation, particulièrement dans l’audiovisuel sont traitées en annexe.)

            3 : Les codes de déontologie des journalistes et des organes de presse

La profession de journaliste a édicté, dans de nombreux pays, des codes de déontologie qui précisent les règles et les précautions que la profession décide d’elle-même de s’imposer, volontairement. Certains de ces textes ont été adoptés par l’ensemble des syndicats de journalistes d’un pays ou de l’ensemble de l’Europe. Mais aussi, des codes de déontologie peuvent être spécifiques à un organe de presse, en fonction de sa nature et de ses spécificités. Seuls les professionnels sont habilités à y souscrire et à respecter son application, les usagers étant les seuls juges.

D’une manière générale ces textes qui concernent généralement des salariés d’une entreprise n’ont pas force législative de contrainte. Les règles portent sur la mission du journaliste, c’est-à-dire le devoir d’informer, le respect du lecteur, l’intérêt public et le droit de savoir. Ils définissent sa crédibilité, c’est-à-dire son indépendance à l’égard des pouvoirs politiques et économiques, le respect de la vie privée, et la protection des sources. Toutes ces règles professionnelles sont fondées sur deux principes : la responsabilité et la vérité, c’est-à-dire la volonté de ne pas tromper le public. La perspective de créer un Conseil de la presse, ayant des pouvoirs de sanction par les pairs, a généralement été abandonnée.

En Europe, une Charte européenne des devoirs et des droits des journalistes, dite de Munich, a été adoptée en novembre 1971 par l’ensemble des syndicats de journalistes européens.

Ce texte  précise en préambule que « le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de tout être humain ». Il ajoute que « la responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics ».

Cette  Charte européenne précise dix devoirs, parmi lesquels le respect de la vérité et de la vie privée ; l’impératif de ne publier que des informations « dont l’origine est connue » ou accompagnées de réserves ; l’obligation de « rectifier toute information qui se révèle inexacte » ; et de « ne pas divulguer la source des informations obtenue confidentiellement ».

Parmi les cinq droits cités par ce texte européen retenons : la possibilité d’avoir un « libre accès à toutes les sources d’information », et de pouvoir enquêter librement, sans se voir opposer le « secret des affaires publiques ou privée », sauf exception clairement justifiée ou légiférée.

Le devoir et le droit du  journaliste est bien entendu d’informer complètement et véritablement le public, ce qui fait dire à certain qu’il s’agit d’un contre-pouvoir ou d’un « quatrième pouvoir ».

Les menaces sur la déontologie des journalistes sont nombreuses, allant depuis les pressions internes de la direction des médias, jusqu’aux impératifs économiques ou aux tentatives de faire des journalistes des auxiliaires de la police ou de la justice, que dénoncent les syndicats de journalistes. La Cour européenne des droits de l’homme a par ailleurs rappelé que « la protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse ».

En 1993, le Conseil de l’Europe a adopté une résolution (1003) « relative à l’éthique du journalisme »  sous la forme de plusieurs principes éthiques qui « devraient être appliqués par la profession à travers l’Europe ».

Par ailleurs, en novembre 1983, l’UNESCO, en collaboration avec des organismes internationaux de journalistes professionnels, a approuvé un « Nouveau code international de l’éthique journalistique ».

En France, la première Charte des devoirs professionnels des journalistes est apparue en 1918, et révisée en 1938. En particulier, le journaliste s’impose de « prendre la responsabilité de tous ses écrits », de « garder le secret professionnel » et de « ne pas confondre son rôle avec celui d’un policier ». Il s’interdit « d’user de moyens déloyaux pour obtenir une information » ou d’être payé par un service public ou par une entreprise privée qui profiterait de sa qualité de journaliste, de ses influences ou de ses relations.

En octobre 2009, un nouveau Code de déontologie des journalistes français était mis à l’étude par une Commission dirigée par un ancien journaliste, Bruno Frappat. Il sera soumis à l’adoption des partenaires sociaux et annexé à la Convention collective des journalistes. Il développe quatre chapitres : -La définition du métier de journaliste ;- Le recueil et le traitement de l’information ; -La protection du droit des personnes ; – et l’indépendance du journaliste. La décision de mettre à l’étude ce nouveau code de déontologie avait été prise, un an plus tôt,  par les Etats généraux de la presse écrite organisés par le président de la République.

Il faut également signaler des codes de déontologie pour des formes de presse spécifiques. Ainsi, en France, dès 1949, des dispositions particulières étaient prises en matière de publications destinées à la jeunesse. Une Commission de surveillance et de contrôle composée de professionnels de la presse et de spécialistes de la jeunesse de ces publications veille à la bonne application de la loi du 16 juillet 1949.

            4- Les Médiateurs de l’information :

Le caractère indépendant des  organes d’information se prête mal à une intervention de l’Ombudsman, Médiateur de la République ou Commission des droits de l’homme, sauf dans les cas de conflit avec l’administration ou de violation des droits de l’homme. Lorsqu’un professionnel ou un citoyen se plaignent des pressions, physiques, intellectuelles ou morales que le pouvoir politique et l’administration exerceraient sur des journalistes ou sur des organes de presse une plainte ou un recours peut être fait. L’organisme national de médiation agit, dans ces cas, comme dans d’autres, conformément à ses missions et à ses procédures.

Dans les relations entre le public des lecteurs, spectateurs, usagers de l’information, et les journalistes et médias, de nombreux grands organes d’information ont créé en France et en Europe un poste interne de « médiateur ». C’est Pulitzer qui, le premier aux Etats-Unis, a adapté à la presse le modèle de l’Ombudsman suédois, défenseur des citoyens face à l’administration. En France, depuis plusieurs années, les grands groupes de radio et de télévision (France Télévisions, Radio France) ainsi que de grand quotidiens de la presse écrite (Le Monde, La Croix, Midi Libre, Sud-Ouest…) ont créé en interne un poste de « Médiateur ». En Espagne le quotidien El Pais a créé Le défenseur du lecteur. Aux Etats Unis, le New York Times, le Washington Post et le Los Angeles Times ont mis en place un médiateur interne.

Il s’agit pour ce médiateur de porter la parole du public vers la rédaction, et de montrer qu’il est tenu compte de ses remarques. Les journalistes sont en général méfiants devant les critiques qui leur sont faites, quelques fois à juste titre. Cela est devenu d’autant plus nécessaire que le public s’exprime à présent sur les réseaux sociaux via Internet (Facebook, Twitter…). Le Médiateur de la rédaction tient alors une rubrique régulière pour faire état des remarques et des tendances dégagées.

En conclusion, la liberté de l’information et de la presse qui assure la liberté d’expression est considérée, dans le monde moderne de ce XXIe. siècle comme l’un des piliers les plus importants de la Démocratie.

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*Expert des Nations unies et de l’Union européenne, auprès du Médiateur de la République française.

ANNEXES :

La liberté d’expression est protégée par le droit international :

La Déclaration universelle des droits de l’homme précise en son article 19 :

            « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répondre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit »

Si cette déclaration de 1948 ne fixe aucune restriction à cette liberté, un certain nombre d’instruments internationaux postérieurs la limite en interdisant, par exemple, l’incitation à la haine raciale, nationale ou religieuse ; en condamnant l’appel au meurtre… tous délits qui seront inscrits dans la loi nationale.

Le Pacte relatif aux droits civils et politiques, dont les dispositions sont contraignantes pour les pays qui l’ont signé et ratifié, précise en son article 19 que :

            «  1- Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.

            2- Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de défendre les informations et les idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».

Cette protection est également inscrite dans les instruments régionaux européens, telle que la Convention européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, ou la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

            L’alinéa 2 de l’article 10 de la Convention européenne stipule en particulier que : « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratiques, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sureté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui , pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

            Pour sa part, la Charte des droits fondamentaux précise en son article 11 (alinéa 2) que : « La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés ».

Des limitations à la liberté d’expression peuvent être admises dans un Etat de droit.

Ces restrictions peuvent classées en deux groupes :

·         La protection des personnes, des groupes et des valeurs démocratiques : Elle porte sur la liberté et la diffamation, la réputation ; sur la pornographie, surtout enfantine ; et sur la propagande haineuse.

·         La protection de l’Etat : Elle porte sur la sécurité publique, politique et nationale.

Ces protections doivent être assurées et validées par les tribunaux nationaux et, en cas de conflit ou de litige, au plan international.

En France, de nombreuses tentatives ont été faites pour réguler la liberté d’expression sur l’Internet. Par exemple, le Conseil d’Etat a estimé qu’il n’était pas nécessaire de prendre des dispositions spécifiques, les lois et règles applicables  aux médias en général restent valables pour celui-ci.

Des dispositions spécifiques ont été prises en matière de « négationnisme » portant sur la contestation de crime contre l’humanité, de génocide (loi Gayssot de 1990). Des législations restrictives ont de même été prises sur plusieurs autres sujets : protection des enfants ; défense du droit à la propriété ; propos discriminatoires ; propagande ou publicité incitant à se donner la mort ; atteinte au secret professionnel ; diffamation et injure ; droit à l’image ou à la vie privée       . Restent des zones incertaines qui font débats, comme par exemple le sexe ou la violence, ainsi que la critique des religions.

Il faut signaler également une initiative récente prise par un ministère chargé de la famille et de la solidarité qui a signé avec une soixantaine d’organes de presse  (radio, télévisions, presse écrite) un « acte d’engagement pour une démarche d’autorégulation »  visant à améliorer l’image des femmes dans les médias.

Les Institutions de régulation :

Dans le domaine de la régulation de l’audio-visuel, la France s’est  dotée d’une loi et d’une instance de régulation, le Conseil supérieur de l’Audiovisuel.

La loi du 30 septembre 1986  relative à la liberté de communication, ouvre l’audiovisuel librement au secteur privé. Cette liberté est encadrée dès son article premier, d’une part par le respect de la dignité de la personne humaine (qui est le principe fondamental des droits de l’homme) , par le respect de la liberté et de la propriété d’autrui, par le caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion, qui sont des principes généraux, et d’autre part par des exigences spécifiques, comme par exemple la protection de l’enfance et de l’adolescence, la sauvegarde de l’ordre public, ou par les besoins de la défense nationale.

Cette loi crée un « Conseil supérieur de l’audiovisuel » qui est une autorité indépendante dont la mission est de « garantir l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle ». Ses objectifs sont multiples : on retiendra par exemple en premier lieu celui de  garantir l’égalité de traitement entre tous ceux qui s’y expriment. Cette disposition est particulièrement importante lors des campagnes électorales régionales ou nationales. Ainsi le CSA veille à ce que tous les partis politiques, tous les courants de pensées puissent bénéficier du même traitement, en particulier des mêmes temps d’antenne. Il garantit également l’indépendance et l’impartialité du secteur public de la communication audiovisuelle, en empêchant en particulier qu’il soit monopolisé par le pouvoir politique en exercice. Il veille à favoriser la libre concurrence et l’établissement de relations non discriminatoires  entre éditeurs et distributeurs de services, en particulier pour éviter la corruption et le favoritisme partisan. Il veille également à la qualité et à la diversité des programmes audiovisuels. On peut retenir également que sa mission est de veiller à ce que les programmes présentés reflètent la diversité de la société.

Composé de neuf conseillers, généralement issus de la profession, ils sont nommés pour un mandat de six ans : 3 par le président de la République, 3 par le président de l’Assemblée nationale et 3 par le président du Sénat. Ils sont renouvelés au tiers tous les deux ans, et leur mandat n’est pas renouvelable.

Cette autorité indépendante est appelé par le public, le « gendarme de l’audiovisuel ». En effet le CSA possède non seulement des pouvoirs d’autorisation et d’injonction, mais aussi des pouvoirs de sanction. Ainsi, par exemple, à l’égard des producteurs et des distributeurs d’émissions, y compris sur des réseaux satellitaires, qui ne respectent pas leurs obligations fixées par la loi, il peut suspendre les émissions, réduire la durée d’autorisation de la diffusion ou même retirer l’autorisation, ou imposer des sanctions financières. Il peut demander l’insertion d’un communiqué de mise en garde dans les programmes, particulièrement par des insertions interdisant la vision au-dessous d’un âge déterminé : -10 ans, jusqu’à -18 ans. Son action est néanmoins quelques fois critiquée, étant accusée par certains, soit de réduire la diversité audiovisuelle, soit d’être à la solde du pouvoir gouvernemental, soit de favoriser les intérêts privés. Il n’en demeure pas moins que toutes ses décisions sont publiques et expliquées, et qu’elles sont ainsi évaluées par l’opinion publique.