Sénat (Paris)- Colloque

Laïcité et justice

Accueilli par Françoise Laborde, sénatrice de Haute Garonne, un colloque s’est tenu le samedi 21 mai 2011 au Sénat sur le thème de : »Laïcité et justice », organisé par l’Observatoire de la laïcité en Essonne. Parmi les participants prirent la parole, Roger-Gérard Schwartzenberg, ancien ministre et président d’honneur du Parti radical de gauche, et Gérard Fellous.

 

Réaffirmation des

principes juridiques fondamentaux de la laïcité

par  Gérard Fellous

 

La laïcité en France, principe constitutionnel,  est considérée ici sous l’angle de l’ensemble des normes juridiques aussi bien nationales qu’internationales – dont les Droits de l’Homme universels-  définissant les relations entre la citoyenneté républicaine et l’appartenance religieuse, au regard de quatre principes fondamentaux.

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 Liberté de conscience et d’opinion, « même religieuse »

Garantie par : La Déclaration des droits de l’homme et du citoyens (art.10) ;

La loi concernant la séparation des Eglises et de l’Etat-1905 (art.1) ;

La Déclaration universelle des droits de l’homme (art.18 ; art.29) ;

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art.18) ;

La Convention européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe (art.9) ;

Le Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (art.10).

 

Implique :       *   a)  Liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de    son  choix

*   b) Liberté de changer de religion ou de conviction

*   c) Liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux, de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions.

  • d) Liberté d’exercice des cultes. Liberté  de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte,  l’accomplissement des rites,  l’enseignement, et les pratiques

Les trois premières libertés (a-b-c) sont indérogeables,

seule cette dernière (d) peut être soumise à restrictions prévues par la loi dans une société démocratique (limitations admissibles) : Pour la protection de la sécurité publique, de l’ordre public, de la santé publique, de la morale,  des libertés et droits fondamentaux d’autrui, et du bien-être général, ou en cas de conflits de droit.

Encadrées par : le régime général des libertés publiques ainsi que de la police des cultes (titre V de la loi de 1905).

Commentaires :         -La liberté religieuse, lorsqu’elle est reliée, comme cas spécifique, à la liberté de conscience, c’est-à-dire dans sa forme intime et privée, est un droit indérogeable, ne souffrant aucune restriction ;

-La liberté religieuse, lorsqu’elle se rattache à la liberté de manifestation des cultes, en particulier dans sa forme collective, c’est-à-dire dans le cadre de l’expression religieuse dans une société laïque,  peut être soumise à « certaines restrictions », à des limitations admissibles édictées par la loi seulement, au même titre que toutes les collectivités traditionnelles (associations, communication, presse…)

-L’ordre public est de la seule responsabilité de l’Etat, les autorités religieuses ne peuvent ni le perturber, ni participer à sa définition.

 

 

 

 

-2-

Egalité et non-discrimination entre les citoyens

 

-  La Déclaration des droits de l’homme et du citoyens (art.1), la Constitution française (art.1), la Déclaration universelle des droits de l’homme (art.2), ainsi  que  les instruments internationaux et régionaux des droits de l’homme garantissant les libertés fondamentales, affirment que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ; et interdisent toute discrimination, notamment à raison de la religion et de l’opinion.      

Implique :

  • L’égale dignité des personnes ;
  • L’égalité de droit et de traitement entre citoyens, y compris entre croyants de différentes religions ;
  • L’égalité de traitement entre croyants et non-croyants (athées, agnostiques…) ;
  • Le refus du communautarisme, la République étant constitutionnellement « une et indivisible ».

Remarques :   – Le principe de non-discrimination exclu tout traitement           dérogatoire, appelé aussi dans le système anglo-saxon « discrimination positive ». Toute discrimination doit être supprimée, plutôt que compensée ;

                        – Il exclue également le « droit à la différence » en particulier  fondé sur la confession religieuse ;

                        -Le communautarisme qui accorde des droits et des traitements spécifiques collectifs à des groupes définis par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance, ne doit pas être confondu avec le multiculturalisme, qui est la coexistence de l’expression libre de plusieurs cultures dans une  même société.

                        – La loi commune, s’exerçant dans  l’espace commun à tous les hommes, sans aucune distinction, est le fondent d’une éthique universelle.

-3-

Séparation des Eglises et de l’Etat

Garantie par :   La  Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

La loi du 9 décembre 1905 modifiée ;

                        La Constitution française du 4 octobre 1958 (art. 1er.)

 

 

 

Implique :

  • a) La République et la légitimité institutionnelle de l’Etat sont indépendantes d’un ordre de transcendance et d’un droit religieux ;
  • b) La dissociation claire entre un espace politique et civil qui procède de l’universel, et le domaine privé, lieu privilégié de la conscience et des croyances religieuses, tant vis-à-vis de l’individu que des groupes ;
  • c) Le principe républicain de privatisation, c’est-à-dire de sortie du religieux de l’espace public;
  • d) Le double refus de la République d’une part de reconnaitre et d’autre part de salarier ou de subventionner une religion (suppression du service public du culte, du financement public…).

Commentaires :         -La séparation juridique entre les institutions publiques et les religions excluent que l’Etat puisse être soumis- d’aucune manière- à un quelconque magistère religieux ;

                                   -C’est la République qui est laïque dans toutes ses acceptions, et en particulier l’Etat, les services publics nationaux et décentralisés (agents et usagers), les collectivités locales ;

                                   -La laïcité en tant que principe de séparation juridique n’est pas à confondre avec « la sécularisation » qui vise à organiser des rapports, plus ou moins étroits entre le politique et une ou plusieurs religions (par exemple en Allemagne ou en Suisse).

 

-4-

Neutralité juridique de l’Etat                               

En corollaire des précédents principes de liberté de conscience d’une part, et d’autre part de séparation, et particulièrement du fait que la République ne reconnait aucune religion, l’Etat est tenu à un principe de neutralité par rapport à toutes les convictions, y compris religieuses.

Implique :

  • Le principe d’autonomie :

 

a)    L’Etat ne peut intervenir dans l’organisation, ou le développement  d’aucune religion ;

b)    Réciproquement, il n’est pas permis aux religions de s’impliquer, à titre collectif, dans l’espace du politique et dans l’expression de la souveraineté de la Nation.

 

  • Le principe de pluralisme et de cohabitation   :

 

a)    La République ne distingue pas entre les religions, selon leur importance, leur ancienneté, leur dogme ou leurs observances. Les lois s’appliquent également à toutes.

b)    L’Etat s’abstient d’intervenir dans les relations entre les religions, sauf dans le cas de maintien de la paix civile ;

c)     Aucune religion ne peut prétendre à un statut privilégié en droit, sauf dérogations prévues par la Loi de 1905.

Commentaires :

                                   -  L’Etat accepte que les religions s’organisent de façon autonome, et leur délègue toute l’organisation de leur structure et de leur culte.  

                                   -   Les religions sont également soumises au droit commun.

                                   -  Le droit religieux (canonique, rabbinique, chariaa…) doit se soumettre au droit civil, et ne bénéficie d’aucune priorité ou exception. Les expressions de ce droit  religieux ne peuvent se manifester que dans le cadre précis du droit à l’intimité de la vie privée.

                                   – L’Etat ne s’immisce pas dans la vie privée des citoyens, particulièrement en matière de conscience et de conviction religieuse ;

                                   – Toutes les institutions publiques constituent un espace neutre dans lequel ne s’affiche ou ne se manifeste aucune idéologie ou aucune croyance ;

                                   – Dans l’ensemble des services publics, locaux publics et monuments, les usagers bénéficient d’un accès et d’un traitement égal, quelles que soient leurs opinions religieuses ; les agents publics sont soumis à la même neutralité dans l’exercice de leurs fonctions. 

- Le pluralisme des religions s’exerce dans l’espace public, à l’exclusion des institutions et du domaine étatiques.

                                   – L’espace public est juridiquement neutre, c’est-à-dire impartial, au service de l’intérêt général, protégé et indépendant de toute intervention prosélyte. Il est soumis au respect de l’ordre public, des libertés fondamentales et de l’intégrité des personnes. L’expression religieuse et l’exercice du culte sont régis dans l’espace public par la police des cultes (titre V de la loi de 1905)

S’entend par « espace public » les espaces dont la collectivité publique est propriétaire, qui sont attachés au domaine public artificiel immobilier de cette collectivité et qui sont affectés à l’usage direct du public.  Il s’agit en l’occurrence des voies publiques ainsi que les lieux ouverts au public ou affectés à un service public, à l’exclusion des lieux de culte ouverts au public.

Remarques générales

1 : Les principes de la laïcité, ainsi rappelés, sont indivisibles. Sauf à dénaturer la laïcité, il est impossible de favoriser l’un d’entre eux au détriment des autres, ou de n’en retenir qu’une partie

2 : Des normes juridiques d’application de la laïcité, dans les cas –et dans les cas seulement– où il s’agit de restrictions ou limitations admissibles, peuvent faire l’objet de lois complémentaires, ne remettant nullement en cause les principes fondamentaux de la laïcité, mais en les approfondissant en droit coutumiers pour des situations nouvelles.

3 : Dans un Etat de droit, il est exclu de procéder par mesures empiriques souvent conjoncturelles, négociations politiques, ou adaptations amiables, par secteur public ou par sujet, ce que l’on appelle par ailleurs «  des accommodements raisonnables » qui n’ont pas de statut juridique.

4 : Le secteur privé, particulièrement le monde du travail qui s’intègre à la République laïque peut prendre toute disposition règlementaire intérieure afin de se mettre en conformité avec les principes de la laïcité,

5 : Par ailleurs la laïcité, dont les principes démocratiques et républicains sont universels, se caractérise également par une chronologie historique spécifique à chaque pays, par des options politiques de construction de la paix civile, par des évolutions sociologiques particulières  et par des réflexions philosophiques sur sa valeur morale.