Point de vue dans Le Monde 20 novembre 2009

Point de vue dans Le Monde 

La finance islamique menace la laïcité française.

Une offensive provisoirement mise en échec

 

La Chariaa (loi islamique) a tenté de faire son entrée dans la législation française et dans la finance de la place de Paris, mettant à bas le principe de laïcité. Il s’en est fallu de peu que ce ne fut fait le 14 octobre, si le Conseil constitutionnel n’en avait pas écarté le danger, provisoirement il est vrai, en attendant une nouvelle offensive.

Nous demandons instamment au Gouvernement de ne pas poursuivre ses tentatives de porter atteinte à la laïcité en voulant modifier la législation française et la réglementation financière afin de les rendre compatibles avec la Loi islamique. En effet, pour tout républicain, la France se doit de ne favoriser aucune religion, et de ne se plier aux impératifs d’aucune d’entre elles.

Rappelons que tout a commencé en février 2009, dans le cadre feutré d’une réunion de spécialistes de la finance, lorsque la ministre Christine Lagarde annonçait qu’elle donnait des instructions fiscales pour faciliter des investissements venus des Emirats. Mais ces instructions se sont avérées insuffisantes si le code civil français n’était pas changé afin de le mettre en conformité avec la Chariaa, permettant d’émettre des obligations islamiques (Sukuks).

En mai, le sénateur Philippe Marini (UMP) glissait subrepticement un amendement dans une proposition de loi de soutien aux PME, qui fut votée sans que nul n’en relève l’énormité. Elle vise à transformer le régime légal de la fiducie (transfert temporaire de propriété).

L’affaire était relancée dans la moiteur de juillet lorsque la ministre de l’économie confirmait, au cours d’une conférence sur la finance islamique, que la France allait « développer sur le plan règlementaire et fiscal tout ce qui est nécessaire pour rendre les activités (de finance islamique) aussi bienvenues ici à Paris qu’à Londres et sur d’autres places ». Il s’agit de la Suisse, du Luxembourg, de l’Autriche, de l’Irlande et de l’Allemagne, pays qui ignorent la laïcité. Et le président de l’association Paris Europlace, Gérard Mestrallet annonçait pour sa part que « la loi française offre déjà la meilleure flexibilité et la capacité d’adaptation pour accueillir des opérations de finance islamique. Néanmoins, de nouvelles mesures sont actuellement en préparation, avec l’installation d’un nouveau cadre pour les instruments de gestion d’actifs compatible avec la Chariaa par l’Autorité des marchés financiers ». De son coté, l’agence de notation financière Moody’s indiquait dans son rapport que « la finance islamique en France offre un fort potentiel, mais des obstacles demeurent ».

L’affaire éclate au grand jour, le 17 septembre dernier à l’Assemblée nationale au cours de l‘examen du projet de loi sur les PME. En commission, la députée Chantal Brunel (UMP) avait expliqué- à propos de l’article 6 sexies B modifiant le code civil afin de « permettre l’émission sur le place de Paris de produits compatibles avec les principes éthiques musulmans »- que « cette disposition vise à introduire les principes de la Chariaa dans le droit de la fiducie en le rendant compatible ». La rapporteure ajoutait qu’il y a «  des déterminants culturels dont il faut tenir compte » pour « corriger » notre système bancaire. Pour le député (PS) Henri Emmanuelli, ces propos heurtent profondément la devise républicaine et la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat, ajoutant : « Nous pensons au contraire qu’il ne faut introduire, ni les principes de la Chariaa, ni l’éthique du Coran, ni même le droit canon, la Torah ou le Talmud, qu’il soit de Babylone ou de Jérusalem ».

 

Contrôle d’une autorité islamique

Soulignons que le dernier avatar a pour cadre le Conseil constitutionnel saisi par des députés socialistes, qui a censuré l’article 16 portant sur la finance islamique, non pas sur le fond, mais « en raison de la procédure suivie au Parlement ». Dans l’entourage de Christine Lagarde on prévoyait déjà : « Nous représenterons un amendement dans un autre projet de loi sur la finance » : En somme, un nouveau cavalier législatif est déjà prêt.

Il n’y a pas que Bercy qui est prêt à écorner la laïcité.  Deux universités françaises, au moins, ont créé un Master dédié à la finance islamique : Dauphine avec une trentaine d’étudiants, et l’Ecole de management de Strasbourg. Par ailleurs, une banque française, le Crédit agricole a  annoncé, fin septembre, le lancement de sa première SICAV conforme à la Chariaa, de droit Luxembourgeois et enrégistrée en France.

La micro-finance islamique a déjà investi Paris en y tenant, le 6 octobre, son premier Sommet, organisé par Nur Advisors, l’un des acteurs mondiaux dans le domaine de la finance islamique. Son directeur Kavilash Chawla ne cache pas sa cible et son ambition en déclarant : « En France, les jeunes musulmans sont de plus en plus éduqués. Beaucoup sont incapables d’obtenir un prêt dans une banque traditionnelle. D’autres ne le veulent pas mais ils peuvent être intéressés pour créer une entreprise ou s’impliquer dans des activités ». Encore faut-il pour cela que l’environnement politique et règlementaire soit favorable à ce système, ajoute-t-il.

Plusieurs établissements bancaires islamiques  ont entrepris des démarches auprès de la Banque de France afin d’être accréditées en France. Si le gouverneur de celle-ci , Christian Noyer, précise bien que les régulateurs seront particulièrement attentifs à leur gouvernance, leur gestion de la liquidité, l’accès de ces banques aux banques centrales européennes, il ne dit rien de l’obligation qu’ont ces banques islamiques de soumettre également et parallèlement toutes leurs opérations, à une autorité religieuse islamique, installée en France ou à l’étranger, tant pour le contrôle de leurs opérations en conformité avec la Chariaa, que pour les éventuels contentieux avec leurs clients .

Rappelons que la finance islamique est fondée sur le fait que le prêt à intérêt est interdit selon le verset 275 de la deuxième sourate : « Allah a rendu licite le commerce, et illicite l’intérêt ». Tout investissement doit être attaché à un actif réel. Sont exclus les investissements dans les secteurs de l’armement, de l’alcool, des jeux de hasard, de la pornographie et de l’industrie porcine par exemple. Afin de respecter ces préceptes, les banques islamiques et les sections islamiques de banques conventionnelles ont du inventer de multiples astuces juridico-financières pour complaire à leur autorité religieuse de tutelle.

Enfin, selon les meilleurs spécialistes, la finance islamique ne pèse actuellement que 700 milliards de dollars dans le monde, ce qui « reste une goutte d’eau dans la finance mondiale » reconnaît un spécialiste, sachant que 60 % de ces fonds se situent dans le Golfe persique et 20 % en Asie du sud. Pour la France l’enjeu ne vaut pas le risque pris envers le fondement laïque de sa République car, si l’on en croit le gouverneur de la Banque de France, les risques portés par ce système financier sont nombreux : par exemple, sur les liquidités, les risques opérationnels et légaux,  amplifiés par «  le manque de standardisation des produits financiers, et le manque d’harmonisation des normes islamiques, avec par exemple des différences dans l’interprétation de la Charia des normes comptables ».  On voit donc que l’argument de l’intérêt économique et financier de la France ne tient pas plus.

Nous appelons tous les républicains attachés à la laïcité à faire preuve de la plus grande vigilance.

Point de vue publié dans Le Monde du 20 novembre 2009 sous les signatures de l’Observatoire international de la laïcité contre les dérives communautaires :

Jean-Michel Quillardet ; Fabien Taïeb ; Patrick Kessel ; Alain Vivien ; Catherine Kintzler ; Didier Doucet ; Gérard Fellous …..

 

 

L’emprise religieuse sur la finance 

 

Notre « Point de vue » intitulé

« La finance islamique menace la laïcité française »,

paru le 20-11-2009 dans Le Monde.fr ayant suscité un fort intérêt et de nombreuses réactions,

nous sommes encouragés à développer notre position et nos craintes.

 

 

La Constitution française – qui nous oblige tous, citoyens, Etat, société civile, secteur privé…- proclame que la République est « indivisible, laïque, démocratique et sociale ». La loi de séparation des Eglises et de l’Etat (décembre 1905) impose une neutralité envers toutes les religions, et prohibe de favoriser, en quelque manière, l’une d’entre elles. La République respecte et protège la liberté de religion et de croyance, à condition qu’elle s’exerce dans la sphère privée ou individuelle. Cette caractéristique fondamentale de l’identité française est aujourd’hui battue en brèche par le projet gouvernemental d’ouverture à la France de la « finance islamique ».

Au-delà des considérations techniques et éthiques qui peuvent être invoquées en matière de finance ; au-delà d’un éventuel intérêt économique qui peut être avancé pour la France en temps de crise , toutes analyses qui sont du reste contestées à l’intérieur même de la communauté des experts, nous retiendrons principalement trois aspects qui indiquent clairement que l’introduction de la « finance islamique » en France exige d’une part, une mise en conformité de notre droit germano-latin avec la Loi islamique ( Charia ) ; ensuite une soumission de toutes les opérations de cette finance spécifique à l’autorité d’une instance religieuse jusque là très mal connue en France, appelée « Comité de conformité avec la Charia » ( ou Sharia Board), en plus du contrôle classique des autorités bancaires nationale et européenne, et au dessus de celui-ci ; et enfin un fort encouragement au communautarisme par le biais de l’activité économique et bancaire au moment où la France est plus que jamais attachée à son ambition d’intégration de tous ses citoyens et où elle prône des valeurs universelles.

Rendre compatible le Code civil

Au cours d’une conférence sur la finance islamique tenue à Paris, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer ne cachait pas que « …les banques islamiques sont pour le système financier porteuse de risques qui diffèrent à bien des égards de ceux provoqués par les banques conventionnelles, en ce qui concerne, par exemple, les liquidité, les risques opérationnels et légaux », ajoutant : « les banques islamiques sont confrontées à des difficultés spécifiques en matière de gestion des liquidités, l’interdiction des intérêts ayant conduit à un développement insuffisant de leurs fonds propres ». De plus, était-il souligné au cours de cette réunion, l’interdiction de financer certains secteurs d’activité accroit la concentration des investissements, pouvant contribuer à la formation de bulles, comme pour l’immobilier dans le Golfe.

Rappelons que dès 2007, l’Autorité des marchés financiers (AMF) avait autorisé la création de fonds d’investissement en accord avec la loi islamique.

Pour sa part, la ministre de l’Economie, Christine Lagarde ne cachait pas qu’il était préalablement nécessaire de prendre des dispositions afin de modifier la législation française, la réglementation et les pratiques bancaires afin de les rendre compatibles avec la Charia. La première mesure, qui fut du reste prise en catimini en février 2009, fut d’édicter des « instructions fiscales » afin d’éviter aux instruments financiers « charia-compatibles » une trop lourde taxation- par la suite contestées lors d’un débat à l’Assemblée nationale-, mais qui s’avérèrent insuffisantes. Afin de modifier la loi sans trop attirer l’attention, on eut recours à un « cavalier législatif » introduit au Sénat dans une loi sur le financement des PME.

Cet amendement, passé inaperçu dans un premier temps, vise à transformer le régime légal de la fiducie (transfert temporaire de propriété). Pour y parvenir, il ne s’agit, pas moins, que d’apporter des « modifications profondes au Code civil (article 2011) », selon la formule du député Jérôme Cahuzac à l’Assemblée nationale, (débat du 30/09/09) afin de le rendre compatible avec la Charia. L’intention, clairement affichée par la rapporteur du texte, Chantal Brunel est  de modifier le régime de la fiducie afin de « permettre aux détenteurs de Sukuks…de pouvoir se prévaloir d’un droit de propriété des actifs supports afin d’être en conformité avec les principes éthiques de la loi musulmane ou Charia ». Au cours du débat , la rapporteur avance que « l’un des fondements de la finance islamique, à savoir l’interdiction du prêt avec intérêt, a été longtemps un principe de notre civilisation chrétienne », ce à quoi le ministre de l’industrie , Christian Estrosi ajoute que «  cette clarification de la fiducie est tout à fait conforme aux principes traditionnels du droit civil français », et que c’est «  être totalement contre-productif » d’invoquer la loi sur la laïcité , rappelant que «  les investissements dont nous parlons représentent un potentiel de 500 à 700 milliards de dollars au niveau mondial ».

Ainsi, au cours de ce débat on vit apparaître curieusement, face à la laïcité, d’une part les traditions judéo-chrétiennes de la France, et d’autre part une nouvelle forme de «  realpolitik » appliquée à la finance.

Le projet de modification législative, annulé par le Conseil constitutionnel pour vice de forme, reviendra bientôt devant le Parlement, faute d’une ferme réaction des défenseurs de la laïcité

L’autorité de contrôle islamique

Deuxième menace, et qui n’est pas des moindres car elle est très mal connue en France, l’apparition d’une autorité religieuse de régulation de l’ensemble de la finance islamique- appelée, Comité de conformité avec la Charia ou Sharia Board- qui viendra s’ajouter, avec prééminence, au contrôle classique des autorités bancaires françaises dont le Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement (CECEI). Celui-ci appliquera aux banques pratiquant la finance islamique les mêmes critères que pour les établissements classiques, précise Christian Noyer qui ajoute que sont mises à l’étude «  certaines problématiques clefs » parmi lesquelles la gouvernance des établissements avec le rôle du Comité de la Charia, questions qui restent à régler.

Que savons-nous pour l’heure de ce « Comité de conformité avec la Charia » ?

Selon un expert cité par « finance-muslim.com », il est composé d’un groupe « d’experts en sciences islamiques » ou « Sharia scholars » qui veillent « au cheminement serein dans ce monde vers l’agrément de Leur Créateur », en appliquant « un riche ensemble composé de croyances, de spiritualité et de règles de droit » contenus dans le Coran et la Sounna », et maitrisant la jurisprudence islamique des affaires. Ce Comité sera chargé « d’analyser consciencieusement le caractère Charia-compatible des produits financiers et des contrats qui seront soumis à son expertise », et sera « totalement indépendant dans ses prises de décision des instances dirigeantes de l’établissement pour lequel il exerce ». Il émettra des « Fatwa de Charia » (accord définitif) lorsque les modifications demandées auront été apportées par l’établissement bancaire ou financier, et soumettra celui-ci à un audit régulier, y compris sur la gestion de l’établissement, prenant des sanctions si celui-ci « se montre coupable de graves dérives (selon les critères islamiques) envers son personnel, les consommateurs, la société ou l’environnement ».

Dores et déjà un « Comité Audit, Conformité et Recherche en Finance Islamique » s’est constitué en France,  créé conjointement par une Association d’innovation et de développement économique et immobilier, en partenariat avec un cabinet britannique : Islamic Finance Advisory and Auditing Services. Ce Comité francophone est composé de six spécialistes en Charia exerçant tous à la Réunion. D’autres Comités semblables seront certainement créés prochainement afin de s’insérer dans la finance islamique naissante en France, si celle-ci voit le jour. Reste à savoir qu’elle tendance de l’Islam sera représentée, quelle interprétation de la Charia ou même de la finance sera retenue par les uns ou les autres.

La voie vers le communautarisme

Débouché pour les banques traditionnelles françaises autant que pour les banques du Moyen Orient ou d’Asie qui la pratique, la finance islamique ne cache pas son intérêt prioritaire pour les musulmans de France qui constituent, à leurs yeux, « un marché ». Par exemple, dans le domaine de la micro-finance islamique qui tente également de s’implanter dans notre pays, le directeur de Nur Advisors, l’un des acteurs internationaux dans le domaine de la finance islamique qui tenait un Forum début octobre dernier à Paris, Kavilash Chawla déclarait : « En France, les jeunes musulmans sont de plus en plus éduqués. Beaucoup sont incapables d’obtenir un prêt dans une banque traditionnelle. D’autres ne le veulent pas mais ils peuvent être intéressés pour créer une entreprise ou s’impliquer dans ces activités ». Au cours du débat parlementaire on a pu entendre un ministre, soucieux de ne pas effaroucher des députés quant à l’ampleur de l’impact national de la finance islamique, déclarer que celle-ci sera «  réservée aux investisseurs de confession islamique ».

Ainsi la France laïque accepterait-elle, outre de modifier une partie de sa législation pour la rendre compatible avec une religion, de mettre certaines de ses institutions financières sous un contrôle religieux et de consentir que certaines activités soient réservées à telle ou telle « communauté » religieuse, qu’elle soit juive, catholique, protestante, musulmane ou bouddhiste ? La laïcité française est réellement en danger dans ce domaine, comme dans d’autres.