Les Mercredis de la Documentation Française.

« Les droits de l’homme sont-ils toujours universels ? » était la question posée le 14 avril 2010 au cours d’une conférence donnée par Gérard Fellous, dans le cadre des rencontres des « Mercredis de la Documentation Française » quai Voltaire à Paris. Cette présentation de son dernier ouvrage réunissait autour de Gérard Fellous, Boutros Boutros-Ghali, ancien Secrétyaire général des Nations unies, et préfacier de l’ouvrage, ainsi que Catherine Teitgen-Colly, professeur de droit à Paris I, et Henri Leclerc, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme française.

Les droits de l’homme sont-ils toujours universels ?

 

Introduction de Gérard Fellous

 

« Le principe même d’universalité des droits de l’homme est clairement remis en cause dans certains milieux…Aujourd’hui, les Etats ne semblent pas faire preuve de la même volonté que celle qui les animait au lendemain de la Seconde guerre mondiale pour affirmer fortement l’universalité de nos droits et de nos libertés », s’inquiétait il y a quelques mois Mme. Louise Arbour, alors Haut commissaire pour les droits de l’homme des Nations unies.

Il y a 62 ans, à Paris, place du Trocadéro, le juriste français, René Cassin, réussissait à convaincre la communauté internationale de proclamer une Déclaration «  universelle » – et non pas « internationale » des droits de l’homme, comme prévu initialement.

En ce début du XXIe. Siècle, parmi les  dix menaces qui pèsent sur cette universalité  – dont certaines perdurent depuis l’origine – j’attire particulièrement l’attention sur le relativisme culturel et religieux qui conteste radicalement cette universalité .Or il est admis que le droit international que sont les Droits de l’homme ne saurait exister que s’il est partagé universellement.

Le relativisme culturel, concept né de l’anthropologie, a fait l’objet de longs débats depuis 1947, à partir de l’idée que toutes les cultures ont la même valeur. S’il est vrai que la culture de chaque être humain est une composante identitaire importante, enfermer symboliquement l’individu dans sa communauté est réducteur et porteur de stéréotypes racistes et liberticides. Le droit à la différence, et la tolérance, ne peuvent être prétextes à brimer la dignité et la liberté. Les violations des droits des femmes peuvent en être une illustration.

Il semble admis aujourd’hui que les particularismes culturels ne sont recevables qu’à la condition qu’ils ne portent pas atteinte à « l’égale dignité » et aux droits égaux de tous les êtres humains. Autre dérive induite de la défense du relativisme culturel, est l’apparition d’une thèse admettant que la « dignité humaine » n’est pas vécue de la même manière selon que l’on est Chinois, Indien ou Suisse. Il faut également évoquer le danger que les «  particularismes culturels » reconnus se dressent les uns contre les autres, en une sorte de « choc des civilisations ».

Dans la diplomatie multilatérale est apparue, depuis un demi siècle, une contestation radicale des droits de l’homme – selon les thèses dites de Singapour- au prétexte qu’ils seraient l’expression de la seule culture occidentale – judéo-chrétienne  fondée sur la primauté de l’individu, alors que d’autre sociétés , notamment asiatiques ou africaines, accordent une valeur première à l’harmonie du Groupe ; et que c’est à travers la protection des droits collectifs de la communauté , de la tribu, de la famille, que se réaliseraient plus surement les droits de l’individu. Certains s’interrogent : les sociétés traditionnelles, le droit coutumier peuvent-ils, doivent-ils se plier à l’universalité des Droits de l’Homme ? Comment les concilier avec une «  cosmovision » de la vie et de la personne, des peuples indigènes ? D’autres vont plus loin en assimilant la diffusion universelle des droits de l’homme à une simple variante d’un « impérialisme blanc ».

La Chine contemporaine a fait sienne ce relativisme culturel pour étouffer – dans sa population et sur la scène internationale- toute dénonciation de ses violations massives des droits de l’homme. Pour écarter ce qu’elle appelle « toute ingérence dans ses affaires intérieures », la Chine argue de quatre types d’arguments : – son histoire et sa grande culture séculaire – ses croyances philosophiques, et plus particulièrement sa spécificité confucéenne – la politique officielle du parti communiste – et les spécificités de son droit interne. De manière constante, ce «  révisionnisme insidieux » chinois dénonce la DUDH de 1948 comme purement occidentale et néo-colonialiste, alors que théoriquement, le principe du respect des Droit de l’homme est inscrit dans sa Constitution depuis 2004.

Le relativisme religieux menace tout autant l’universalité des droits de l’homme au XXIe. siècle.

De nombreux gouvernements, dans le monde musulman, invoquent les textes sacrés de l’Islam pour réfuter cette universalité – ou tout au moins pour en redéfinir les principes à l’aune de la Charia. Le phénomène est récent. En effet, le 10 décembre 1948, sur les 56 Etats ayant adopté la DUDH, 8 se sont abstenus, parmi lesquels un seul Etat musulman, l’Arabie saoudite.  Les autres : l’Afghanistan, l’Egypte, l’Iran, l’Irak, le Pakistan et la Syrie avaient voté pour. Mais à partir de 1966, pour les deux Pactes internationaux et les différents traités – particulièrement ceux portant sur les femmes ou les enfants- les pays islamiques ont introduit des « réserves » nombreuses au nom de la Chariaa.

Le monde musulman a d’ailleurs édicté plusieurs déclarations concurrentes de la DUDH dont «  la Déclaration sur les droits de l’homme en Islam » adoptées en 1990 au Caire par l’Organisation de la Conférence Islamique.

C’est l’Iran qui est la tête de file de cette contestation de l’universalité de la DUDH, lui substituant une universalité de la Chariaa.

Ce relativisme culturel et religieux fait un très inquiétant entrisme dans les instances des Nations unies. Je n’en donnerai ici que quelques illustrations :

** L’Assemblée générale de l’ONU adoptait en novembre 2001 un « Programme d’action pour le dialogue entre les civilisations » proposé par le président iranien Khatami qui déclarait : « Nous devons parvenir à une définition appropriée du terrorisme qui fait une distinction entre un acte criminel aveugle et la défense légitime contre l’occupation, la violence et la répression ». Il y aurait, en somme, un bon et un mauvais terrorisme.

** Autre exemple : dès la mise en place du nouveau Conseil des droits de l’homme, en juin 2006, le ministre iranien des Affaires étrangères déclare que s’ouvre une ère nouvelle pour les droits de l’homme, ajoutant : « La jouissance de la liberté d’expression ne doit pas constituer un prétexte ou une plateforme pour insulter les religions et leur sainteté ».

** Toujours à Genève, en préparation de la Conférence de suivi de la conférence contre le racisme – dite Durban 2-,  est mis à l’étude un nouveau délit de « diffamation des religions », qui heureusement ne trouvera pas d’aboutissement dans la déclaration finale. Mais pour l’OCI ce n’est que partie remise puisqu’un Comité ad-hoc pour l’élaboration de normes complémentaires en matière de racisme est au travail afin de créer de nouvelles normes internationales visant à condamner «  la diffamation des religions », et non plus le racisme touchant une personne à raison de sa religion…

**Au cours de sa septième session, et sur proposition de l’OCI, le Conseil des droits de l’homme a modifié le mandat du Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression, en le chargeant de traquer la diffamation des religions et de limiter les libertés de la presse.

** Enfin, plus proche de nous : dans quelques semaines, en juin, le Conseil des droits de l’homme renouvellera une partie de ses 47 membres. L’Iran a annoncé qu’il sera candidat. Ce pays ne cache pas qu’il est temps de réécrire la Déclaration universelle. En avril 2009, du haut de la tribune de la conférence sur le racisme « Durban 2 »,  le président Mahmoud Ahmadinejad annonçait l’avènement d’une ère nouvelle aux Nations unies en lançant : « Le monde est entré dans des changements fondamentaux », « ce monde inéquitable et injuste qui arrive au bout de sa route », pour laisser la place à la victoire « d’un système mondial tel que promis par Dieu et ses Messagers ». Le président iranien propose comme solution d’avenir, la « nécessaire référence aux valeurs divine et humaine », pour un « nouveau monde décent » fondé sur l’amour, la fraternité et la soumission à Dieu, qui donnera naissance à « l’homme parfait ». L’OCI – groupe régional de 57 Etats musulmans, qui est le seul rassemblement confessionnel aux Nations unies –  pourra alors s’atteler à la réécriture de la DUDH, au nom de ce relativisme religieux. 

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