Vienne (Autriche)- ONU

Conférence mondiale sur les droits de l’homme.

 

Pour la première fois, à la Conférence mondiale sur les droits de l’homme tenue à Vienne/ Autriche, du 14 au 25 juin 1993, les Institutions nationales – et tout particulièrement la CNCDH représentée par son Secrétaire général Gérard Fellous- acquièrent une visibilité, un statut ad hoc et un rôle qu’elles n’avaient jamais eus jusque là dans le système des Nations Unies. Elles deviennent pleinement partenaires «  du troisième type » entre les Etats et les ONG.

Une présence active aux réunions préparatoires de l’ONU.

En amont, les Institutions nationales sont associées au processus de préparation de la Conférence mondiale : Quatre sessions du Comité préparatoire se tiennent en septembre 1991 et en avril 1993, ainsi que des réunions régionales de préparation en Afrique (Tunis- 2 novembre 1992) ; en Amérique Latine (San José- 18 janvier 1993) et en Asie (Bangkok, 29 mars 1993).

* Durant la réunion préparatoire africaine de Tunis, une importante délégation du Conseil consultatif des droits de l’homme du Maroc prend part aux travaux aux cotés du Conseil tunisien des droits de l’homme. Est inscrite à  l’ordre du jour la question du «  rôle des Institutions nationales compétentes dans la promotion et la protection des droits de l’homme aux niveaux national et régional ». Au point 9 de l’ordre du jour, le Comité de rédaction du projet de rapport propose un texte[1] qui «  souligne  le rôle des Institutions nationales dans la promotion et la diffusion des droits de l’homme tant individuels que collectifs ». Ce texte « enregistre avec satisfaction  la création dans certains pays africains d’Institutions nationales appropriées… », et «  réaffirme l’importance  des Institutions nationales pour concourir au processus démocratique et au renforcement de l’Etat de droit… ».Il «  appelle au renforcement de la coopération entre les Institutions nationales de la région africaine ». Dans son texte final, la réunion régionale africaine «  lance un appel pour le développement d’une coopération régionale et sous-régionale en matière de droits de l’homme par le biais des Institutions nationales… ».

* A la réunion préparatoire pour l’Amérique Latine et les Caraïbes participent les Institutions nationales du Mexique et de Porto Rico. Il faut remarquer que la déclaration de San José ne mentionne pas les Institutions nationales[2] .

* La réunion préparatoire pour l’Asie/Pacifique de Bangkok se  tient en la seule présence des Etats de la région. Sa déclaration finale[3] souligne néanmoins «  l’important rôle joué par les Institutions nationales dans la satisfaisante et constructive promotion des droits de l’homme », et ajoute qu’elle «  estime que la conceptualisation et la création éventuelle de telles institutions relèvent de la décision des Etats ». Dans un autre article, la déclaration de Bangkok «  reconnaît que les Etats ont la responsabilité première dans la promotion et la protection des droits de l’homme dans le cadre d’une infrastructure et de mécanismes appropriés ». Il est par ailleurs précisé dans ce texte que la coopération internationale pour l’éducation et la formation aux droits de l’homme peut être sollicitée «  par la création d’infrastructures de promotion et de protection des droits de l’homme, si demandée par les Etats ».

Il faut noter de sensibles différences régionales  quant aux Institutions nationales.

*Le rapport du Comité préparatoire international à la Conférence mondiale, qui s’est tenu du 19 avril au 7 mai 1993 à Genève, indique la présence des Institutions nationales du Canada, du Mexique, du Cameroun, du Maroc et de France. Sa tache principale était d’élaborer le projet de document final de la Conférence mondiale.

Par ailleurs, des Etats ont soumis des contributions à ce Comité préparatoire : C’est par exemple le cas du Canada qui a fait des propositions pour la tenue d’une réunion informelle des Institutions nationales avant l’ouverture de la Conférence de Vienne, afin de réfléchir à leur statut (septembre 1992). Il en fut de même pour l’Australie.

Une réunion informelle de représentants d’Institutions nationales s’est tenue le 19 février 1993 au Palais des Nations à Genève, à l’initiative du coordonnateur de la Conférence mondiale, M. John Pace. Neuf Institutions nationales étaient présentes. Le coordonnateur a ébauché le rôle et le statut des Institutions nationales  avec «  l’objectif  d’associer pleinement les Institutions nationales à l’organisation des activités de la Conférence mondiale qui les concernent en propre ». Il a suggéré la mise en place qu’un «  Comité d’Institutions nationales ». Celles-ci pourront  tenir des réunions parallèles durant les travaux de la Conférence mondiale, précisant que les participants seront sélectionnés en fonction de leur conformité aux  « Principes de Paris ». Il a suggéré que les Institutions nationales entreprennent des études qui «  serviraient de documents de travail à la Conférence mondiale ».Il est  également précisé que les Institutions nationales pourront intervenir sur tous les points de l’ordre du jour de la  Conférence mondiale et présenter des recommandations à la plénière.

*Enfin, dès l’ouverture des travaux de la Conférence mondiale, un Forum des Institutions nationales s’est tenu à Vienne du 14 au 16 juin 1993. Etaient  présentes trente Institutions nationales. Les travaux de se Forum avaient été préparé par  un « Comité de coordination et des résolutions » composé des Institutions de huit pays[4]. Ce Forum, placé sous l’égide  du Centre pour les droits de l’homme  des Nations Unies était ouvert par M. Ibrahima Fall, Secrétaire général de la Conférence mondiale. Sur proposition des  Commissions française, australienne et canadienne une résolution a été transmise à la présidence de la Conférence mondiale. Ce texte a été présenté oralement devant la conférence plénière  et transmis au Comité plénier des résolutions et au Comité de rédaction de la résolution finale. Il faut relever  que ce Forum ne s’est pas consacré au seul rôle des Institutions nationales, il a également traité des trois thèmes principaux de la Conférence mondiale, en émettant des projets de résolutions sur : – les droits des enfants et particulièrement des victimes du tourisme  sexuel ; – l’égalité des droits de la femme ; et- la protection des handicapés. Il a associé à ses travaux de réflexion des ONG présentes à Vienne, afin d’établir un dialogue et de favoriser une meilleure connaissance mutuelle.

Un statut très favorable à la Conférence mondiale

Contrairement au statut provisoire  de facto concernant la participation limitée des Institutions nationales aux sessions de la Commission  des droits de l’homme, les  règlements intérieurs des conférences mondiales – aussi bien celle de Vienne que celle de Durban- leur sont très favorables.

Au cours de la cérémonie d’ouverture de la Conférence de Vienne, le Secrétaire général M. Ibrahima Fall  a rendu un hommage appuyé au rôle de la société civile, à travers les ONG et les Institutions nationales.

Le règlement de la Conférence de Vienne précise, en son article 64 que «  les représentants désignés par les Institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme pourront participer en qualité d’observateurs aux délibération de la Conférence, des grandes Commissions et, le cas échéant, des autres commissions ou des groupes de travail pour ce qui est des questions relevant de leurs domaines de compétence ». Ce statut est très semblable à celui des ONG. Les invitations aux Institutions nationales  ont été émises par le Centre pour les droits de l’homme de Genève qui précise que leur déplacement à Vienne n’est pas pris en charge , mais que toutes les facilités leur seront offertes pour se réunir entre elles. Il est de même précisé que les Institutions nationales représentées se répartiront les taches pour faire en sorte que leurs préoccupations soient bien prises en compte dans le document final de la Conférence.

 

Impressions : La faculté qui est donnée à la trentaine d’Institutions nationales de participer non seulement à l’assemblée plénière mais également aux travaux des comités, particulièrement celui chargé de rédiger le projet de déclaration finale, nous faisait une obligation de présence. D’un commun accord, nous avions chargé M. Rachid Driss, président du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales de Tunisie de constituer un petit groupe et de participer aux travaux du comité de rédaction. Son expérience d’ancien diplomate nous était précieuse. Il s’en acquitta avec efficacité et tact, nous rendant compte, deux fois par jour, de l’avancée des travaux.

Des résolutions marquantes.

La Déclaration finale de la Conférence mondiale, de même que le Programme d’action de Vienne qui fixent des objectifs ambitieux pour les droits de l’homme consacrent plusieurs paragraphes aux Institutions nationales.

Ainsi, dans sa Déclaration, «  la Conférence mondiale sur les droits de l’homme réaffirme le rôle important et constructif que jouent les Institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme, en particulier en leur  qualité de conseillers des autorités compétentes, ainsi que leur rôle dans l’action visant à remédier aux violations dont ces droits font l’objet et celui concernant la diffusion d’informations sur les droits de l’homme et l’éducation en la matière.

La Conférence mondiale sur les droits de l’homme encourage la création et le renforcement d’Institutions nationales, compte tenu des Principes concernant le statut des Institutions nationales et reconnaissant qu’il appartient à chaque Etat de choisir le cadre le mieux adapté à leurs besoins particuliers au niveau national ». (chap. 1-para 36).

Dans cette même Déclaration, la Conférence mondiale demande «  de faire davantage d’efforts pour aider les pays qui le demandent à créer les conditions permettant à chacun de jouir des droits universels et des libertés fondamentales de l’homme. Les gouvernements, les organismes des Nations Unies ainsi que d’autres organisations multilatérales sont instamment priés d’accroître considérablement les ressources qui sont allouées aux programmes concernant…. la création ou le renforcement d’Institutions nationales… » (Para 34)

Le Programme d’action, également adopté par la Conférence mondiale, porte à plusieurs reprises sur les Institutions nationales :

En matière de lutte contre toutes les formes de racisme, de xénophobie et d’intolérance, «  la Conférence mondiale demande instamment à tous les gouvernements d’agir sans attendre et d’élaborer des politiques vigoureuses… en créant des Institutions nationales pour lutter contre ces phénomènes ». (para.20)

En matière d’établissement des rapports nationaux présentés en vertu des instruments conventionnels et l’application de plans d’action cohérents et complets visant à promouvoir et protéger les droits de l’homme, la Conférence mondiale demande que «  ces programmes comportent un élément de renforcement des Institutions nationales qui défendent les droits de l’homme et la démocratie ». (para.68)

En matière d’éducation et de formation, il est souhaité que «  les gouvernements, avec le concours d’organisations intergouvernementales, d’Institutions nationales et d’ONG suscitent une prise de conscience accrue des droits de l’homme et de la nécessité de la tolérance mutuelle ». (para.82).

Dans ce Programme d’action, «  la Conférence mondiale prie instamment les gouvernements…de renforcer les structures, les Institutions nationales et les organes de la société qui jouent un rôle dans la promotion et la sauvegarde des droits de l’homme ». (Para. 83).

Enfin, dans le cadre des méthodes de mise en œuvre et de surveillance,  « La Conférence mondiale recommande le renforcement des activités et des programmes des Nations Unies destinés à répondre aux demandes d’assistance des Etats qui souhaitent créer ou renforcer leurs propres Institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme.

La Conférence mondiale est aussi favorable au renforcement de la coopération entre Institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme, en particulier au moyen d’échanges d’information et d’expérience, ainsi que de la coopération avec les organisations régionales et l’Organisation des Nations Unies.

La Conférence mondiale recommande vivement à cet égard que les représentants des Institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme convoquent des réunions périodiques sous les auspices du Centre pour les droits de l’homme afin d’examiner leurs mécanismes et de partager leurs expériences ». (Paras. 84, 85 et 86)

Une résolution issue des I.N.

Pour la première fois, la Conférence mondiale de Vienne a joint à ses documents officiels, sous une cote des Nations Unies, une résolution que les Institutions nationales avaient adoptée le 16 juin lors de leur Forum préparatoire. On retiendra de cette résolution, transmise sous forme de lettre au Président de la Conférence mondiale[5] que les Institutions nationales rappellent qu’elles ont pour mission «  de veiller à la mise en application des normes universelles des droits de l’homme…tant des droits civils et politiques que des droits économiques, sociaux et culturel », afin « d’assurer la mise en conformité de la législation nationale avec les engagements internationaux… ».Elles  rappellent leur rôle en matière de sensibilisation, d’éducation et de formation aux droits de l’homme. Concernant l’examen des plaintes individuelles, il est précisé qu’ « elles ouvrent, le cas échéant, des voies de recours appropriées en cas de violation… »

Ce texte souligne que leur création doit se référer aux Principes de 1991 concernant leur statut (dits « Principes de Paris »), et demande «  à l’Assemblée générale des Nations Unies d’adopter les Principes concernant le statut des Institutions nationales transmis par le Conseil économique et social ». Il est de même demandé à la Conférence mondiale que soient «  convoqués périodiquement des réunions des représentants des Institutions nationales… »  Ce texte commun aux trente Institutions nationales présentes à Vienne demande par ailleurs «  la création, au sein du système des Nations Unies, d’un Conseil d’administration composé notamment de représentants d’Institutions nationales, chargé de gérer un Fonds de contribution volontaire destiné à encourager la création d’Institutions nationales et le renforcement de la coopération entre ces Institutions… ».

Cette position commune, préparée par un comité composé de huit Institutions nationales[6]  a été adoptée par consensus au Forum  des Institutions nationales.

Il faut remarquer qu’en dépit des pressions des certains Etats (Chine, Centrafrique…) ce texte contient une claire référence aux «  Principes de Paris », qui a été reprise dans le document final de la Conférence mondiale. Mais une proposition des Institutions nationales n’a pas été reprise, celle concernant la création d’un Fonds volontaire géré par un conseil d’administration composé conjointement par le Centre pour les droits de l’homme et par les Institutions nationales, les «  donateurs potentiels » ayant souhaité en discuter davantage les modalités avec le Centre pour les droits de l’homme.

La présence et la participation  des Institutions nationales à la Conférence de Vienne ont été considérées comme «  un succès » par les observateurs. Elles ont eu pour le moins l’avantage d’une grande visibilité auprès des Etats membres. Ces Institutions nationales ont démontré pour la première fois de manière planétaire qu’elles constituaient un ensemble cohérant sachant travailler ensemble avec une force de propositions. Elles ont posé un jalon déterminant dans leur définition des «  Principes de Paris » assurant leur indépendance et leur pluralisme, même si cette exposition pouvait être de nature à crisper certains Etats particulièrement violateurs des droits de l’homme qui voudraient plutôt favoriser la création d’institutions gouvernementales. Les Institutions nationales ont démontré à Vienne qu’elles pouvaient présenter des résolutions communes sur des questions diverses relevant des droits de l’homme, comme celles concernant les droits des femmes, des enfants ou des personnes handicapées. Enfin, elles ont affirmé leur volonté de se réunir entre elles, à intervalles réguliers, sous l’égide des Nations Unies. Leur point faible, à ce moment, est qu’elles n’étaient pas en mesure de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie, c’est-à-dire entre celles conformes aux «  Principes de Paris » et celles étroitement dépendante ou émanant d’une administration étatique.

Impressions : L’immense salle plénière aménagée dans le Centre des conférences de Vienne, sur l’avenue Hubertusdamm impressionne les premières délégations d’Institutions nationales qui s’y retrouvent quelques heures avant l’ouverture officielle. Porteurs de badges de couleur distincte, nous découvrons une salle divisée en trois zones : La première, face au podium, réservée aux représentants de cent dix Etats présents, la troisième, en mezzanine et d’une capacité égale, accueillant les ONG, et entre elles, de plein pied avec les Etats, trois lignes de tables réservées aux Institutions nationales. Notre première réaction fut de nous demander si nous serions assez nombreux pour les occuper. Nous constatons également, avec une surprise agréable, que nos badges nous donnent accès à toutes les parties de la Conférence, c’est-à-dire à toutes les réunions annexes. Il nous faut immédiatement nous organiser pour être présents au plus grand nombre de travaux.

C’est dans une certaine euphorie que les représentants des Institutions nationales se sont quittés à Vienne. Après douze jours de travaux intenses dans le «  bunker » de la Conférence, les rues piétonnes et les  tartes de chez Sacher, par cette journée d’été radieuse où les promeneurs endimanchés prennent le chemin de l’Opéra, nous ont donné un goût de réussite et de détente.

(Extrait de l’ouvrage « Les Institutions nationales des droits de l’homme » par Gérard Fellous -La Documentation Française).

 fellous-droit

[1]  A/CONF.157/AFRM/10/Add.3

[2]  A/CONF.157/PC/58

[3]  A/CONF.157/ASRM/7

[4]  Australie, Cameroun, Canada, France, Mexique, Nouvelle Zelande, Philippines et Tunisie.

[5]  A/CONF.157/NI/6

[6]  De France, Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Tunisie, Cameroun, Philippines et Mexique.