Une Sainte-Alliance anti-laïque avance masquée en Europe

Un cartel des religions étend son influence en Europe, depuis 2012 à partir de Vienne, sur un front anti-laïque, en masquant sa véritable nature.

 

Lors d’une rencontre exceptionnelle avec le pape Benoit XVI en 2007, le roi Abdallah d’Arabie saoudite lançait un projet d’institution internationale de dialogue inter-religieux. Cinq ans plus tard, le 26 novembre 2012, vit solennellement le jour au palais d’Hofburg de Vienne, le  « Centre international pour le dialogue interreligieux et interculturel  Abdullah Bin Abdulaziz », le KAICIID, en présence du Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, et sous la triple égide des Etats fondateurs,  l’Arabie saoudite, l’Autriche et l’Espagne.

Dans un communiqué diffusé lors de son ouverture, il était précisé que ce Centre vise à « encourager le dialogue entre les adeptes des différentes religions et cultures du monde entier. » Il est financé sur un budget de 15 millions d’euros pour ses trois premières années d’existence, par le souverain d’Arabie saoudite qui a également acheté, à titre privé, le palais viennois qui abrite les locaux. Il a obtenu en échange un statut d’organisation internationale, avec immunité et exemptions fiscales.

Ce Centre international- qui ne fait pas partie du système des Nations unies- est régie par un « Conseil des parties » composé de neuf représentants de « cinq grandes religions du monde », à savoir, est-il précisé : judaïsme, christianisme, islam, hindouisme et bouddhisme.

L’islam y est représenté par le saoudien Hamad Al-Majed, professeur à l’Université « Imam Muhammad bin Saud » de Riyad , et président d’une « Commission nationale pour les Droits de l’Homme du Royaume saoudien » (sic). Le secrétaire général de l’institution est le saoudien, Faysal bin Abderrahmane bin Mouammar. Au sein de son conseil d’administration l’islam chiite est représenté par  le Sayed Ataollah Mohajerani, ancien ministre iranien de la Culture et de l’Orientation islamique dans le gouvernement Khatami (1996-200), issu de l’Université Tarbiat  Modarres de Téhéran. Parmi les invités d’honneur présents à la cérémonie de création à Vienne, on notait la présence du président de la Ligue islamique mondiale, basée à La Mecque.

Pour une influence politique

Le KAICIID se définie, dans son texte fondateur, comme étant un moyen d’action pour « un carrefour facilitant le dialogue et la compréhension interreligieuse et interculturelle afin de renforcer la coopération, le respect de la diversité, la justice et la paix ». Il précise qu’il entend intervenir et prendre position sur des sujets d’actualité, comme par exemple à propos des caricatures de Mahomet. Son secrétaire général, Fayçal ben Abderrahmane el Mouammar, ancien vice-ministre saoudien de l’Education, ne cache pas que : « Nous ne voulons pas seulement réagir comme une entité politique ». Il cherche, selon ses propres termes à « réunir les chefs religieux et les décideurs politiques dans un large front (…) pour développer des moyens de soutenir la diversité culturelle et religieuse. »

Ainsi le premier objectif des programmes mis en place est « d’améliorer la présence et les idées des différentes religions auprès des décideurs politiques » de pays concernés, particulièrement en Europe, en citant la circoncision ou l’abattage rituel, deux sujets qui ont fait l’objet de débats en Allemagne ou en France. Ces actions sont présentées comme devant permettre  de « prévenir et résoudre les conflits, renforcer la compréhension et la coopération ». En un mot, ces religions tentent, en s’unissant,  d’obtenir  un statut de partenaire plein et entier dans la gestion politique de pays qui ne sont pas des théocraties, en y imposant leurs « lois religieuses », comme par exemple en donnant plein exercice à la Chariaa.

Pour améliorer l’image des religions

Le deuxième objectif  vise à intervenir sur les opinions publiques car, constate le site du KAICIID sous le chapitre  « Image de l’Autre » : «  Les médias façonnent notre compréhension des cultures et de la religion ». Ainsi, il entend intervenir auprès « des associations de journalisme professionnel, des organisations de développement des médias, des propriétaires des médias et des journalistes eux-mêmes, y compris sur l’Internet, pour obtenir une couverture plus précise et plus fréquente des expertises interreligieuses, dans leur contribution à l’obtention de la cohésion sociale. » Il est également prévu d’agir auprès des médias pour « changer l’état d’esprit selon lequel la religion est une cause de conflit », et  « contrebalancer ainsi les points de vue extrémistes. » Dans son objectif de contrôle et d’influence des médias, le KAICIID ne cache pas qu’il « vise à promouvoir une représentation plus exacte de la religion et des communautés religieuses dans les medias et en ligne (…) en répondant aux discours de haine et de fausses déclarations, afin de réveiller la conscience critique de ceux-ci et de modifier la perception des sources d’information.»

Dès ses débuts, le Centre annonce une série de conférences sur « l’image de l’Autre », destinées à « améliorer la perception » des religions. Il est en particulier prévu « d’aider les pays à ré examiner leurs programmes et à réviser leurs politiques dans le but d’améliorer la représentation des gens de foi et les membres de différentes cultures. »

L’intention de modifier l’information au profit des religions, et d’améliorer leur image transparait dans cet objectif premier, au moment où les extrémismes religieux occupent le haut du pavé de par le monde.

Pour intervenir dans l’enseignement et l’éducation

Le troisième objectif exposé sur le site officiel porte sur l’enseignement et l’éducation, et en particulier « l’enseignement interreligieux.»

Pour ce faire, il a été créé un « Policy Network » « réunissant des universitaires et des décideurs politiques pour un renforcement des programmes d’enseignement à tous les niveaux de l’éducation, y compris l’éducation formelle et non formelle et l’apprentissage continu.»

Parmi les programmes lancés dans ce domaine, dès l’installation de ce Centre, est annoncé une « collaboration interreligieuse pour la survie et le bien-être des enfants », visant « à responsabiliser  les chefs religieux et les institutions religieuses dans plusieurs pays prioritaires ». Il est de même prévu de financer des bourses d’études pour de futurs enseignants en religion ou responsables religieux. » La responsabilité de ce chapitre est confiée à l’Organisation de la coopération islamique (OCI- anciennement Organisation de la conférence islamique). Créée en septembre 1969, l’OCI, dont le siège est à Djeddah,  réunie aujourd’hui 57 Etats avec des objectifs non seulement religieux, mais également politiques, économiques, sociaux et culturels, tels que la sauvegarde des Lieux saints ou le « soutien à la lutte du peuple palestinien. »

Des universités au Canada et en Espagne bénéficient ainsi d’interventions « d’experts du patrimoine religieux dans l’éducation », mis à disposition par ce Centre.

Le projet d’une immixtion concertée dans l’éducation des jeunes est clairement affirmé ici, en totale contradiction avec la neutralité de l’éducation nationale, et du respect des non-croyants. Il s’agit d’une remise en cause de la laïcité de l’école, une tentative de mise en échec de Tocqueville (L’Esprit des Lois), et de Jean-Jacques Rousseaux (Le Contrat social), pour qui « c’est l’éducation qui doit donner aux âmes la forme nationale », c’est-à-dire la citoyenneté.

Enfin, le Centre de Vienne qui proclame qu’il «  a pour but la promotion des droits de l’Homme, de la justice, de la paix et de la réconciliation », s’est doté de structures permanentes, telle qu’un Conseil des Parties, et un Conseil d’administration.

Ce Centre vient s’ajouter à plusieurs initiatives semblables existantes dont :

**La Conférence pour le dialogue interreligieux, active en Europe, créée à l’initiative du Qatar ;

**L’Institut royal pour les études interreligieuses  (RIIFS),  promu par le prince jordanien El Hassan bin Talal ;

**L’Alliance des civilisations, créée en 2004 à l’initiative de la Turquie et de l’Espagne, qui a organisé des forums à Madrid en 2007 et 2008, Doha (Qatar) en 2011, et Istanbul en 2012. Elle donnait naissance, en 2005 à une Alliance des civilisations, patronnée par l’ONU.

**Le « Projet Saladin – Connaitre la religion des Autres» destiné en particulier à l’ élaboration d’un livre pour la formation  des jeunes imams, prêtres, pasteurs et rabbins, sur des questions de société (éthique et bioéthique, place de la femme, éducation des enfants , famille.)

Un Conseil judéo-musulman européen.

 

Le « Centre international Roi Abdullah bin Abdulaziz pour le dialogue interreligieux et interculturel » donnait naissance, le 27 aout 2015 à Vienne, à un Conseil judéo-musulman européen  (MJLC- Muslim-Jewish Leadership Council).

Celui-ci se présente officiellement comme étant la « première plate-forme européenne de dialogue entre dirigeants musulmans et autorités religieuses juives, toutes deux minoritaires, pour la protection de la liberté religieuse en Europe.»

Selon le site « Katibîn », le MJLC a été mis en place pour faire face dores et déjà à « une triple menace » qui pèserait sur les musulmans et les juifs d’Europe, à savoir : « L’interdiction française du foulard, la polémique autour de la circoncision en Allemagne en 2012, (ou encore) l’actuel embourbement belge à propos de l’étourdissement des animaux avant l’abattage rituel.»

Pour nombre d’observateurs et de défenseurs de la laïcité, c’est une véritable déclaration d’interventionnisme qui était ainsi lancée contre la souveraineté des Etats, la démocratie et les décisions des  parlements respectifs.

Dès sa création, ce Conseil judéo-musulman  prenait une première position politique liée à l’actualité en déclarant dans un communiqué sur l’afflux des réfugiés en Europe: « Les réfugiés qui arrivent en Europe  ont un besoin urgent de protection et d’appui. Nous félicitons les nombreuses initiatives prises par des individus privés, des communautés religieuses et d’autres groupes qui ont activement apporté une aide sociale à ces réfugiés ». Il ajoutait : « Pour sa part, le MJLC assurera la coordination et apportera des moyens au sein de ses réseaux pour offrir une assistance aux réfugiés en Europe. Nous exhortons les décideurs politiques européens à mobiliser tous leurs efforts pour assurer la sécurité de ces réfugiés.»

Ainsi, pour cette institution européenne judéo-musulmane, aux Etats reviendrait la sécurité, et aux religions la solidarité et la justice sociale. De plus, outre le fait qu’un nombre important de ces demandeurs d’asile sont des chrétiens d’Orient chassés d’Irak et de Syrie, lorsqu’ils ne sont pas interdits en Arabie saoudite,  les représentants de ces deux cultes semblent se réserver l’action d’entre-aide sociale en faveur des sunnites, puisque parmi ces réfugiés il n’y aurait pas de juifs. Le champ social est ainsi réinvesti par les religions, au détriment de l’Etat qui, dans une République laïque comme la France, en a la charge.

Les partenaires islamiques

La partie musulmane y est représentée par Tahir Salié, président du Secours islamique mondial  ainsi que par son ancien président,  Ibrahim El Zayat qui estimait qu’ « il est urgent de mettre fin aux tentatives répétées de réduire les libertés religieuses de certaines minorités ». Il ajoutait : « Lorsque nous réunissons nos efforts, nous pouvons préserver nos droits. Lors que nous restons isolés, nous perdons le droit de pratiquer pleinement notre foi. »

Le Centre islamique pour la République fédérale d’Allemagne est également partie prenante dans ce Conseil judéo-musulman.

Outre la présence de l’OCI, le Conseil  MJLC inclue une ONG, le Secours islamique mondial (Islamic Relief Wordwide)  qui se présente comme « un organisme de bienfaisance de droit britannique qui joue un rôle de catalyseur et de coordinateur pour de nombreux projets d’assistance à travers le monde, auquel collabore les membres de la famille islamique de secours des organismes de bienfaisance. Il s’inspire des principes humanitaires islamiques pour venir en aide aux personnes dans le besoin ». Là encore, il s’agit d’une forme de clientélisme auprès de communautés religieuses européennes, contraires aux principes laïques.

Lors de la création à Vienne du Conseil judéo-musulman, l’un de ses fondateurs, Ibrahim El-Zayat, ancien président de l’Organisation internationale de secours islamique, déclarait qu’ « il est urgent que le MJLC fasse échec aux tentatives répétées de réduire les libertés religieuses. Comme croyants, nous devons soutenir les libertés religieuses des communautés minoritaires. L’histoire nous apprend que lorsque les droits d’une communauté sont restreints, d’autres communautés devront faire face à des restrictions semblables. En nous défendant ensemble, nous pourrons préserver nos droits. Lorsque nous restons isolés, nous perdons le droit de pratiquer pleinement notre foi ». Il est symptomatique de constater la confusion entretenue entre la liberté de croire ou de ne pas croire en une transcendance, qui n’est nulle part remise en cause en Europe, et les pratiques des cultes dans l’espace public qui sont encadrées par la loi, conformément aux principes de la laïcité.

Il apparait également que l’islam qui n’a pas de tradition de religion minoritaire hors de la Oumma, cherche à conserver en Europe le même statut qu’il a dans les pays islamiques (Chariaa), avec le soutien d’autres religions minoritaires comme le judaïsme. Cette alliance est d’autant plus hasardeuse que les Juifs avaient et ont toujours un statut spécifique en pays majoritairement musulman, celui de Dhimmi (Reddition), c’est-à-dire de « minorité soumise et protégée ». Ce régime juridique, issu du « Pacte d’Umar », soumet les « Gens du Livre » à des impôts spécifiques – de capitation (Jizya) et foncier (Kharâ), à un exercice de culte restreint, à une discrimination devant les tribunaux islamiques, à des activités professionnelles réservées et même dans l’histoire, à des costumes distinctifs.

Le MJLC se fixe de plus pour objectif de « soutenir l’éducation religieuse, d’échanger des informations et de coordonner des réponses rapides face à des problèmes qui se posent au niveau local, national ou européen», ce qui reviendrait à des alliances de circonstance entre musulmans et juifs, sur des bases religieuses.

Que sont en réalité Ibrahim Farouk El-Zayat, et le « Secours islamique mondial » ?

Outre qu’il fut président de la Communauté islamique d’Allemagne (IGD) entre 2002 et 2010, proche de l’organisme musulman turc- Millî Görüs,  Ibrahim El-Zayat, allemand d’origine égyptienne,  a été le représentant européen de l’Assemblée mondiale de la jeunesse musulmane (WAMY), réseau mondial de jeunes saoudiens financé par l’Arabie saoudite, dont le siège est à Riyad. Il a été également le fondateur et le directeur de la Fédération des organisations islamiques en Europe (FOIE), ainsi que l’administrateur de l’Institut Européen des Sciences Humaines (IESH). Cet Institut créé à Saint-Léger-de-Fougeret, près de Château-Chinon (58-Nièvre-France), avec des antennes à Saint-Denis puis à Paris, est en réalité un centre de formation d’imams. Il fut créé initialement pas le Conseil européen de la fatwa de Londres, puis géré par l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF), dans la mouvance des Frères musulmans[1].

Parmi les 9 membres du bureau exécutif du Conseil de la fatwa de France, on retrouve plusieurs responsables de la branche française des Frères Musulmans, également responsables de l’Institut Européen des Sciences Humaines (IESH), parmi lesquels son directeur à Château-Chinon, Larabi Becheri, son directeur de Saint-Denis,  Ahmed Jaballah, ainsi que ses enseignants Nawal Zine ou Ounis Guergah. Les liens avec les Frères musulmans sont très étroits.

L’emprise des Frères musulmans

L’implantation des Frères musulmans en Europe a suivi les différentes vagues de répression subies dans l’histoire contemporaine, dans Egypte de Nasser, mais aussi en Irak (1971), en Libye (1980-90), en Tunisie (1981,1987), et en Arabie saoudite (années 1995). Cet extrémisme islamique s’est manifesté conjointement par un entrisme politique dans les pays musulmans et par des excroissances armées (Jamaat Islamiyya et Juihad, en Egypte). Ses représentants officiels en Europe sont aujourd’hui Hani Ramadan et Youssouf Al-Qaradâwî. Ce dernier a déclaré que « l’islam va retourner en Europe en conquérant et en vainqueur après en avoir été expulsé à deux reprises. Cette fois-ci, je maintiens que la reconquête ne se fera pas par l’épée, mais en recourant à la parole et à l’idéologie. » Les financements proviennent de l’organisme saoudien,  la Ligue islamique mondiale.

L’islamologue Brigitte Maréchal[2] souligne qu’en Europe, les Frères musulmans ont créé des associations estudiantines, organisé des camps de vacances, créé des organisations de scoutisme, des écoles islamiques, puis ils ont unifié ces groupes au niveau national. Ils ont tenté  des opérations monopolistiques d’encadrement des musulmans européens, afin de parler en leur nom. Dans les années 1960, ils ont mis en circulation des publications et revues. Dans les années 1990 ils ont établi des institutions privées de formation de niveau supérieur, comme « l’Institut européen des sciences humaines ». Ils fonctionnent comme un réseau fortement connecté, et bien moins sous la forme d’associations traditionnelles. Pour Brigitte Maréchal, les objectifs-cadres des Frères musulmans en Europe restent les mêmes que dans les pays musulmans, à savoir : d’une part « la réforme des individus en vue d’établir un ordre moral fondé sur l’islam dans la société » et, d’autre part, « la constitution d’une élite capable d’éduquer et de mobiliser les masses. »

Brigitte Maréchal souligne, par exemple que le « Conseil européen de la fatwa et de la recherche », présidé par l’imam extrémiste Al-Qaradawi, veut « se positionner en tant qu’instance de guidance pour les musulmans européens, fondée sur la tradition, étrangère au débat et au pluralisme, marquée de condescendance. » Pour eux « l’Islam est pensé comme alternative idéologique et mode de vie total seul capable de sauver l’Occident de sa situation de décadence », note Patrick Haenni, chercheur à l’Institut Religioscope.

Depuis leur implantation en Europe, les Frères musulmans tentent d’écarter d’autres groupes islamiques afin d’être reconnus comme interlocuteurs privilégiés des gouvernements européens, et sous-traitants officiels des affaires islamiques. Ils cherchent à se positionner comme étant modérés au regard de leurs concurrents, salafistes ou tablighs, tout en jetant des ponts vers eux, y compris avec les wahhabites, dans certaines circonstances. Toutes les occasions sont saisies pour manifester leur présence sur le terrain.

Le Conseil européen de la Fatwa.

Les Frères musulmans ont mis en place, en Grande Bretagne (mars 1997 à Londres), puis en France, un Conseil européen de la fatwa et de la recherche, défini officiellement comme « une organisation islamique, spécialisée et indépendante »  chargée d’émettre « des fatwas qui répondent aux musulmans d’Europe, règlent leurs problèmes et régissent leurs échanges avec les communautés d’Europe, le tout conformément aux règles et aux objectifs de la Chariaa. » Son objectif est de guider les musulmans dans « un programme de vie parfaite pour l’individu, la famille, la société et l’Etat », selon la formulation employée par le fondateur des Frères musulmans Hassan al-Banna. Ce Conseil est financé par l’organisation Al Maktoun, dirigée par le cheik Hamdan Al Maktoun, ministre des Finances et de l’Industrie des Emirats arabes unis[3]. On retrouve parmi les membres de ce Conseil de la fatwa, des personnages clés de l’UOIF, tels  que Djaballah ou Ounis Qourqah ; de l’Institut européen des sciences humaines, tel que al Arabi al Bichri, ou de l’Union des organisations islamiques européennes (UOIE), comme al Rawi.

Ce « Dar al-Fatwa » prend des positions conformes  à la loi islamique, particulièrement sur des questions familiales, mais  incompatibles avec les valeurs ou le droit européens, comme par exemple lorsqu’il s’agit des violences domestiques et de l’égalité des sexes. Ainsi, une fatwa applicable aux musulmans en Europe, prône qu’une femme doit obtenir la permission de son mari avant de se faire couper les cheveux chez son coiffeur si cette coupe « est susceptible de complètement modifier son apparence »[4]. Une autre fatwa permet au mari d’empêcher son épouse de rendre visite à une autre femme –même si elle est musulmane- « s’il considère que cette relation aura un effet négatif sur son épouse, ses enfants ou sa vie conjugale en général. »

Pour Al-Qaradawi, « l’homme est le seigneur de la maison et le chef de la famille ». Il soutient que lorsque l’épouse montre « des signes de fierté et d’insubordination », son mari peut la punir en la frappant, mais… « avec modération en évitant le visage »[5]. Dans ses prêches à destination des musulmans d’Europe, il répète  que la polygamie est  un droit que tous les hommes musulmans devraient pouvoir exercer « à la condition de respecter certaines règles.»

Autres dispositions qui tombent sous le coup du droit pénal européen, les mariages pratiqués selon le rite islamique (Nikah) qui se substituent parmi nombre de musulmans européens au mariage civil. Dès lors, en cas de conflits matrimoniaux, c’est le Conseil européen de la fatwa qui s’érigera en tribunal religieux, comme c’est déjà le cas en Grande Bretagne.

L’islamologue Lorenzo Vidino souligne que « en dépit de son engagement à se concentrer sur les questions qui concernent la vie quotidienne des musulmans d’Europe, certaines fatwas du Conseil sont extrêmement politiques. Elles trahissent la présence de membres radicaux en son sein. » Ainsi, au cours d’une réunion du Conseil qui se tenait à Stockholm, en juillet 2003, Al-Qaradawi distingua cinq catégories de « terrorisme » parmi lesquelles « le terrorisme permis par la loi islamique », et les « opérations martyrs ». Faisant allusion aux attaques contre Israël Al-Qaradawi déclarait que « ceux qui s’opposent aux opérations martyrs en prétendant qu’il s’agit de suicides commettent une grave erreur. »[6] C’est également l’opinion de Mawlawi, vice-président du Conseil de la fatwa, qui dans une fatwa interdisant aux pays arabes de coopérer avec les Etats-Unis dans leur « guerre contre le terrorisme », avançait que ce que Washington appelle du terrorisme est, la plupart du temps, un « djihad légitime », telles ces « opérations de résistance menées en Palestine, en Irak et en Afghanistan. »  Ces déclarations politiques, sous couvert de l’islam, transmises sur le web, font des ravages dans les esprits de certains jeunes musulmans en Europe.

Al-Qaradawi préside  de manière quasi absolue le Conseil de la fatwa, outre son émission hebdomadaire  « La Chariaa et la vie » diffusée sur la télévision al Jazeera. Selon une note interne du British Home Office (14 juillet 2005), il est considéré comme « la principale et la plus influente autorité de l’islam au Proche-Orient et de plus en plus en Europe, où il bénéficie d’une très grande popularité. » Selon les Services britanniques cités par l’islamologue Lorenzo Vidino[7] Al-Qaradawi a fréquemment défendu le recours aux « islamikazes » pour attaquer la population israélienne ou les forces américaines en Irak. Il a apporté son appui à des organisations terroristes comme le Hamas ou le Jihad islamique palestinien. Il a qualifié le processus de paix au Proche-Orient de « conspiration visant à étouffer la résistance palestinienne », et  proclamé à maintes reprises que « toute la nation musulmane doit mener le djihad pour libérer la Palestine, Jérusalem et la mosquée al-Aqsa. »[8]

Les Frères musulmans, dans leur « conquête » de l’Europe ne cachent pas que c’est dans les régions à grande densité de population musulmane que leurs objectifs sont susceptibles de se réaliser, dans ce que Al-Qaradawi appelle « les ghettos musulmans ». On en est bien loin, même si plusieurs sondages révèlent qu’un nombre grandissant de musulmans d’Europe semblent favoriser l’introduction de la religion dans la conduite des affaires publiques : Ainsi, en Grande –Bretagne, 4 musulmans sur 10 souhaitent l’introduction de la Chariaa dans le pays[9]. En Allemagne un sondage mené par un institut musulman révèle que 21% des  musulmans du pays interrogés considèrent que la Constitution allemande est incompatible avec les prescriptions du Coran[10].

Pour Lorenzo Vidino : « Alors que les salafistes et autres extrémistes religieux demandent l’introduction  de la Chariaa d’une façon très agressive et contreproductive, les Frères musulmans, plus rusés politiquement utilisent une autres stratégie pour atteindre le même but », en particulier en insistant pour « une mise sur pied de centres islamiques en Occident » progressivement, estimant que « le dialogue, les signes d’ouverture et la modération constituent de meilleurs atouts.»

Les partenaires chrétiens et juifs

**Au sein du « Centre international pour le dialogue interreligieux et interculturel » le Vatican a un statut « d’observateur fondateur ». Il est représenté par le père Miguel Ayuso, secrétaire du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, spécialiste du dialogue avec l’islam dans le cadre de l’Institut pontifical pour les études arabes et islamiques (PICAI), qui fut en poste au Caire et au Soudan.

Le judaïsme y est représenté par le rabbin David Rosen, président de la Conférence mondiale des religions pour la paix, directeur international des affaires interreligieuses de l’American Jewish Committee, et conseiller pour les affaires religieuses du Grand rabbinat d’Israël.

**Au Conseil judéo-musulman européen, la partie juive est représentée par   le Grand rabbin de Moscou, Pinhas Goldschmidt, président de la Conférence des rabbins européens, réunissant 600 rabbins du continent ; par le Grand rabbin du Danemark, Jaïr Melchior ; par le rabbin Shlomo Hofneister, représentant la communauté juive de Vienne et par le rabbin français,  Moshe Lewin, directeur exécutif de la Conférence des rabbins européens, conseiller spécial du Grand rabbin de France, et rabbin du Raincy (banlieue parisienne).

La Conférence des rabbins européens (CER), fondée en 1956, siège toujours à Londres. Elle a milité contre la résolution de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe définissant la « circoncision des garçons pour motifs religieux » -également pratiquée par l’islam- comme « une violation de l’intégrité physique des enfants », tout comme l’excision des filles dans certains pays musulmans. Moshé Lewin a par ailleurs organisé à Paris une réunion des rabbins européens portant sur l’abattage rituel, afin  d’adopter un logo unique et reconnu sur tout le continent européen, pour authentifier l’alimentation « casher » dans les circuits de grande distribution. Il se défend d’être un « super-lobbyiste », selon Jean-Marie Guénois.

Le Grand rabbin Goldschmidt, co-fondateur de l’institution  et membre de son Conseil d’administration,  précisait que cet organe avait pour mission de «  fournir les informations de référence  juridique sur nos pratiques religieuses ». Il ajoutait : « Nous pouvons développer des approches novatrices et créatives afin de pratiquer durablement nos valeurs religieuses. Par la sensibilisation et l’argumentation, le Conseil  s’efforcera de gagner la confiance et le soutien des jeunes, et de leur offrir une perspective religieuse qui leur permettra de se développer en Europe et de mener une vie épanouie dans la foi. »

Le rabbin Moshe Lewin déclarait pour sa part à l’AFP : « C’est la première structure mêlant juifs et musulmans au niveau européen. Notre vocation, c’est la coopération, pas seulement le dialogue», ajoutant qu’il s’agissait également de la « lutte contre l’antisémitisme, l’islamophobie et l’extrémisme religieux. »

Le CER, affirmait le 21 octobre 2015, sur son site  que « des milliers de Juifs français ont déménagé à Londres, et d’autres villes britanniques, au cours des deux dernières années. Beaucoup ont été attirés par le succès économique de la Grande Bretagne et par l’image qu’elle donne comme étant un refuge sûr pour la foi (…) Plusieurs rabbins du CER ont déclaré que les attaques et l’opprobre dirigé comme les juifs français au cours de la dernière quinzaine pourraient encourager un plus grand nombre à traverser la Manche cette année. (…) 4 000 à 5 000 sont arrivés au cours des deux dernières années». Les autorités religieuses juives de France n’ont jamais mentionné de telles statistiques.

De sérieux doutes

L’Arabie saoudite, qui a pris l’initiative de la création, du financement et du fonctionnement du Centre international pour le dialogue interreligieux, lui a donné le nom de son roi défunt Abdullah bin Abdulaziz, « Gardien des deux Saintes Mosquées » (Charif de La Mecque et de Médine). Elle adhère donc aux statuts qui précisent que « le KAICIID soutient la Déclaration universelle des droits de l’Homme (ONU), en particulier le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Le Centre combat également toutes les formes de discrimination fondée sur la culture, la religion ou la conviction. »

En matière d’égalité des droits,  l’Arabie saoudite vient de permettre aux femmes de voter et se porter candidates aux élections municipales du 12 décembre 2015, seules élections ouvertes aux citoyens, mais à condition que cette égalité se place…« dans le cadre des lois islamiques » : Ainsi, les électrices devront se rendre aux urnes « loin des regards des hommes », précise Abdallah Al-Askar, président du comité exécutif des élections municipales, 424 bureaux de vote leur étant réservés, sur 1 263. Quant aux éventuelles candidates sur les listes des conseils municipaux, elles ne pourront s’exprimer prendre directement la parole devant leurs électeurs ou leurs collègues, que par le truchement d’hommes parlant en leur nom.

Les engagements pris par l’Arabie Saoudite au sein du KAICIID sont d’autant plus paradoxaux qu’au royaume wahhabite, le culte chrétien  a d’énormes difficultés à se pratiquer, que le culte israélite est jugé indésirable, que l’apostasie est passible de mort, et qu’on ne peut y construire ni églises ni synagogues. Ainsi, Riyad demande des ouvertures religieuses dans les pays européens, qu’elle refuse sur son propre territoire.

La liberté  d’expression y compris religieuse demandée par l’Arabie saoudite dans le cadre des deux centres qu’elle patronne est d’autant plus incongrue que, dans le même temps, Riyad, après avoir condamné  Raif Badawi à 1 000 coups de fouet  pour avoir « insulté l’islam », étant un athée et un défenseur des Droits de l’Homme,   vient de condamner à mort le jeune saoudien Ali Al-Nimr,  pour avoir participé en 2012 à une manifestation dans le cadre des « Printemps arabes » alors qu’il était mineur. Aujourd’hui âgé de 21 ans, il sera décapité et son corps ensuite crucifié. Au cours de ses années d’emprisonnement, il a subi la torture. Il faut rappeler qu’au moins 2 208 personnes ont été exécutées dans le royaume wahhabite entre janvier 1985 et juin 2015, dont 134 pour la seule année 2015 en cours, un record dans les annales pénales saoudiennes.

Il n’y aurait pas d’ambigüité dans la démarche de l’Arabie saoudite, estime Fatiha Dazi-Héni[11], car son attitude « s’inscrit dans la suite logique du 11 septembre et la volonté de rayonnement mise en œuvre depuis lors, étant soucieuse d’apparaitre comme un pays plus « clean ».

Un haut fonctionnaire du ministère français des Affaires étrangères ajoute pour sa part que « le Centre de Vienne est une tentative pour redorer le blason de l’islam, comme religion du débat et de la rencontre.» Il ajoute qu’il est également  « possible de considérer que ce Centre est une vitrine, mais étant donné la place particulière qu’occupe l’Arabie Saoudite dans le monde musulman, cette initiative est significative.»

Il faut rappeler que le roi actuellement en exercice, Salmane bin Abdullaziz Al Saud a été totalement silencieux lors de l’exode des chrétiens de Syrie et d’Irak. A Vienne, devant la presse dubitative, le ministre des Affaires étrangères saoudien, le prince Fayçal Al-Saoud avait lancé : «  Je peux vous assurer que ce Centre sera un point de départ vers le changement ». Mais de quel changement s’agit-il ? Des positions des autres cultes, catholicisme, église anglicane, orthodoxie, judaïsme, bouddhisme ou hindouisme ? De l’attitude des gouvernements et des opinions publiques européennes au regard de l’islam ? D’une meilleure compréhension entre les branches sunnite et chiite de l’islam ? Ou des relations entre les cultes et le wahhabisme en Arabie Saoudite. Il ne l’a pas précisé.

Les réserves des protagonistes.

Les ambiguïtés de ces initiatives inter religieuses sont soulignées par les principaux protagonistes eux-mêmes, à savoir le Vatican, le Judaïsme, et même par le pays hôte européen, l’Autriche.

Le Vatican : Le cardinal Jean-Louis Tauran, chargé auprès du pape  du dialogue interreligieux déclarait déjà, dès l’inauguration du KAICIID à Vienne : « Nous sommes observés. Tout le monde attend de ce Centre honnêteté, vision et crédibilité. Ce Centre représente une occasion de dialoguer sur tant de sujets (…) y compris ceux concernant les Droits fondamentaux de l’Homme, en particulier de la liberté religieuse dans tous ses aspects, pour chacun, pour chaque communauté, partout. » Le cardinal Tauran ajoutait que « le Saint-Siège serait « particulièrement attentif au sort des communautés chrétiennes dans des pays où cette liberté ne leur est pas garantie. » Il appelait au respect de la liberté religieuse « dans toutes les sociétés, partout… » Fallait-il bien comprendre : A Vienne comme à Riyad ?

Pour sa part, le porte-parole du Vatican, le père Federico Lombardi, directeur du Bureau de presse, soulignait que « le Saint-Siège ne manquera pas naturellement d’exprimer ses préoccupations quant au respect authentique des droits fondamentaux des chrétiens qui vivent dans des pays à majorité musulmane.»

Il faisait écho à une supplique de l’archevêque de Mossoul, Mgr Amel qui, dès novembre 2014, lançait : « J’ai perdu mon diocèse. Le siège de mon archevêché et de mon apostolat a été occupé par des islamistes radicaux qui veulent que nous nous convertissions ou que nous mourrions (…) Vous pensez que tous les hommes sont égaux, mais ce n’est pas vrai : l’islam ne dit pas que tous les hommes sont égaux. Vos valeurs ne sont pas leurs valeurs.»

En somme, à Vienne, le Vatican fait un pari sur un éventuel changement de la doctrine islamiste et plus particulièrement wahhabite.

Il faut rappeler qu’alors que, depuis le concile Vatican II (1962-1965), l’Eglise catholique fait avec constance référence à la liberté religieuse, à la suite de la rencontre entre le roi Abdullah et le pape Benoit XVI (2007), la déclaration finale de la rencontre interreligieuse de Madrid de juillet 2008,  tout en affirmant « l’unicité du genre humain, le refus du choc des civilisations, le rôle fondamental de la famille … » ne faisait aucune référence à la liberté religieuse, à la demande de l’Arabie Saoudite.

Le Judaïsme : Certains rabbins européens ont laissé entendre qu’ils s’étaient engagés « avec la bénédiction du ministère des Affaires étrangères d’Israël. » Le rabbin David Rosen, représentant l’American Jewish Committee annonçait pour sa part qu’il démissionnerait du directoire du Centre de Vienne, ajoutant : « et je ne serai pas le seul », en cas de « régression » religieuse ou de persécution en Arabie Saoudite.

En Autriche : Le chancelier Werner Faymann  a suggéré de quitter le Centre KAICIID, estimant qu’il « ne remplit aucunement son mandat de dialogue, et demeure silencieux sur des questions de base en matière de Droits de l’Homme. Nous ne tolérerons pas cela. Il est clair pour moi que nous devrions le quitter. »[12]

Dans l’entourage du ministre des Affaires étrangères, le vice-chancelier conservateur Michael Spindelegger, catholique engagé pour le sauvetage des chrétiens d’Orient,  déclare vouloir encore « donner une chance » au Centre. Pour sa part, la directrice adjointe du Centre, Claudia Bandion-Ortner, ancienne ministre de la Justice d’Autriche,  a annoncé à l’agence APA News qu’elle démissionnerait prochainement de son poste. Le ministère des Affaires étrangères avait officiellement protesté auprès de l’ambassadeur saoudien à Vienne, immédiatement après de la première séance de fouet dont a été victime le jeune saoudien Raif Badawi.

En Allemagne : Une analyse du gouvernement allemand consacrée aux tactiques des groupes islamiques opérant sur son territoire estime que le dialogue prôné par le Frères musulmans  est loin d’être sincère[13]. Il est ainsi estimé que « ces dernières années le Milli Görüs (turc) désirait que ses membres s’intègrent à la société allemande et qu’ils adhèrent à la société allemande et à la Constitution. Ce genre de déclaration découle d’un calcul tactique plutôt que d’un véritable changement de philosophie. » Ce rapport estime que la contribution  des organisations associées aux Frères musulmans d’Europe à l’éducation et à la radicalisation des extrémistes violents est indéniable. La renonciation par les Frères musulmans à la violence en Europe semble plus opportuniste que sincère, puisque leurs membres européens n’hésitent pas à recourir aux propos les plus incendiaires quand il s’agit d’endosser des opérations terroristes au Proche-Orient, relève Lorenzo Vidino.

En  conclusion

Prolongeant la confrontation proche-orientale entre sunnites et chiites auprès des populations musulmanes d’Europe, la théocratie wahhabite s’efforce de s’implanter dans le paysage religieux européen, en s’appuyant en particulier sur les cultes chrétien et juif, au détriment des principes fondateurs de la laïcité, dans une démarche voilée.

Pour nombre d’islamologue, il s’agit d’une initiative de mise en œuvre de la stratégie de l’Ikhtilaf, c’est-à-dire de « la dissimulation dans un conflit » qui permet, selon la tradition, d’avancer masqué, afin de tromper l’ennemi pour parvenir à ses buts. Cette dissimulation prend plusieurs autres noms comme Tawriya, Kirman ou Muruna.

D’autres évoquent la doctrine de la Taqîya car, pour l’exégète Abu Hamid Ghazali (1058-1111) : « Il est permis de mentir si le but à atteindre est louable »[14] , ou selon l’inspirateur du Salafisme, Ibn Kathir (cadi et historien ;1301-1373)  qui prône aux musulmans : « Sachez sourire à ces personnes (les non-musulmans) alors que votre cœur les maudit », ou pour le spécialiste de l’islam, Raymond Ibrahim qui affirme : « La Taqîya est en réalité une tromperie du musulman à l’égard du non-musulman.»

La question est aujourd’hui de savoir si les autres religions ont accepté sciemment de « jouer le jeu » du contournement de la laïcité, ou si elles ont été bernées.

Gérard FELLOUS

15 octobre 2015


[1] Voir « A la recherche d’un islam de France », de Gérard Fellous – L’Harmattan. 2015

[2] Voir Brigitte Maréchal,  Université catholique de Louvain : “Les Frères musulmans en Europe. Racines et discours » Paris, PUF, 2009

[3] Cité par le site du Centre culturel islamique de Dublin- Irlande.

[4] Voir « Fatwas – First Collection » traduction de Anas Osama Altikriti. Edition « European Council for Fatwa and Research »

[5] Voir dans le traité de droit islamique « Le licite et l’illicite dans l’islam » Paris ; Editions  al Qalam-1992.

[6] Selon MEMRI, déclaration au cours d’une conférence donnée en Suède, 24 juillet 2003

[7] Spécialiste de la Sécurité intérieure, dans “The New Muslim Brother-hoad  in the West” Université Columbia 2010.

[8] Cité par l’Institut MEMRI, 18 décembre 2005

[9] Sondage présenté par Channel 4, le 19 février 2006.

[10] Sondage du “Zentralinstituts Islam-Archiv-Deutschlandin – 7 janvier 2006

[11] Maitre de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris, auteure de « Monarchies et sociétés d’Arabie » 2006- Presses Sciences Po.

[12] Dans une déclaration au journal Der Standard du 17/1/2015

[13] Rapport annuel de l’Office de protection de la Constitution

[14] Ahmad ibn Naqib al-Misri « The Reliance of the Traveller: A Classic Manual of Islamic Sacred Law » 1997-Bltsville, MD. Amana.

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Des interprétations multiples et erronées

 

La France, et bien au-delà, semble avoir redécouvert la laïcité au lendemain des massacres djihadistes de Charlie Hebdo et de l’Hyper-casher, dans les premiers jours de janvier 2015. S’eut été salutaire si ce retour dans l’actualité brulante n’était accompagné d’une série de déformations ou d’interprétations souvent mal intentionnées.

 

Gloser sur la laïcité française est devenu pour certains contempteurs une arme facile pour la détourner, l’affaiblir ou la faire disparaitre, en l’affublant de maints qualificatifs ou en voulant la redéfinir.

 

**N’en déplaise au pape Jean Paul II qui, dans la lignée de Pie XII et de Paul VI, qualifiait le « laïcisme » français issu de la loi de 1905 de « juste laïcité » qui  « s’il est bien compris, appartient aussi à la doctrine sociale de l’Eglise » (17 juin 1965, pour le centenaire de la loi de 1905). Benoit XVI va dans le même sens en estimant, devant le président de la République française, « qu’une nouvelle réflexion sur le vrai sens et sur l’importance de la laïcité est devenue nécessaire » (septembre 2008). Il plaide pour une « dimension publique de la religion » (Journée mondiale de la paix, janvier 2011) : Il s’agissait bien d’une tentative de retour de la religion catholique dans la sphère politique, dont la République laïque s’était débarrassée au lendemain de la loi de 1905.

**N’en déplaise à l’ancien président  Nicolas Sarkozy qui s’est fait le chantre d’une « laïcité positive »,  car disait-il à la basilique Saint-Jean-de Latran, au Vatican : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou la pasteur » : Il s’en est suivi un débat délétère sur « l’identité nationale » qui a ouvert la porte au racisme du Front National. En passant dans l’opposition, le chef de l’UMP suggère même d’utiliser la laïcité « pour affronter la crise ».

La porte était alors opuverte à une avalanche de qualificatifs que les uns et les autres accolèrent à la laïcité : « de combat » ; « respectueuse », « limitées » ou même « sainte ».

**N’en déplaise à ceux qui accusent grossièrement la laïcité d’être « une religion d’Etat », aux mains des « laïcards » ; ou à d’autres pervers qui s’interrogent : « Et si la laïcité était un christianisme ? » ; ou à d’autres encore qui affirment nonobstant que « la laïcité doit l’emporter sur le rite religieux ».

**N’en déplaise à cet historien relativiste qui défend une « laïcité plurielle » dans un ouvrage intitulé : « Les Sept laïcités françaises », après avoir affirmé que « le modèle français de la laïcité n’existe pas ».

**N’en déplaise à ceux qui, pour mieux la tuer, la déclarent obsolète, et donc à redéfinir, probablement à la mesure de chaque culte.

**N’en déplaise à ceux qui veulent « accommoder » la laïcité française à toutes les sauces, imitant les « accommodements raisonnables » du Québec qui ont fait long feu dans la Belle province.

**N’en déplaise à ceux qui voudraient que la laïcité résolve grand nombre de problèmes sociétaux, tel celui de la place d’un « islam de France » : Comme ce « polémiste à succès » qui voudrait l’utiliser pour « combattre l’ordre coranique dans les cités », ou ce romancier à gros tirage qui proclame qu’ « aujourd’hui l’athéisme est mort, la laïcité est morte, la République est morte ». Ou encore de demander à la laïcité d’apporter des solutions à l’intégration et à l’assimilation de populations étrangères, ou à l’identité française, etc…

 

A tous ces ennemis de la laïcité, Rama Yade répondait après le massacre de Charlie Hebdo : « Il faut appliquer la laïcité, point ! », car elle n’est pas négociable, elle n’est un remède à aucun fait de société, mais un pilier constitutionnel de la République française.

 

Avant de débattre sur les implications sociologiques ou sur la portée philosophique, ou sur les incidences politiques de la laïcité ne perdons pas de vue ses fondamentaux républicains qui tiennent solidement depuis plus d’un siècle et qui relèvent de l’ordre juridique.

 

En effet, la définition de la laïcité française, principe constitutionnel, prend en compte l’ensemble des normes juridiques aussi bien nationales qu’internationales – dont les Droits de l’Homme universels- définissant les relations entre la citoyenneté républicaine et l’appartenance religieuse, au regard de quatre principes fondamentaux :

 

 

Liberté de conscience et d’opinion, « même religieuse »

 

Cette liberté est garantie parles instruments juridiques suivants:

–La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (art.10) ;

–La loi concernant la séparation des Eglises et de l’Etat-1905 (art.1)

–La Déclaration universelle des droits de l’homme (art.18 ; art.29) ;

–Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art.18)

–La Convention européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe (art.9)

–La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (art.10)

 

Ce principe implique :       

*  La liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix

*      La liberté de changer de religion ou de conviction

*      La liberté des parents et, le cas échéant des tuteurs légaux, de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions.

Ces trois premières libertés  sont indérogeables,

  • La liberté d’exercice des cultes. Liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte, l’accomplissement des rites, l’enseignement, et les pratiques

Seule cette dernière  peut être soumise à restrictions prévues par la loi dans une société  démocratique (dans le cadre du concept juridique de limitations admissibles) : Pour la protection de la sécurité publique, de l’ordre public, de la santé publique, de la morale, des libertés et droits fondamentaux d’autrui, et du bien-être général, ou en cas de conflits dedroit.

Ces libertés sont encadrées par le régime général des libertés publiques ainsi que par la police des cultes (titre V de la loi de 1905).

Commentaires :

-La liberté religieuse, lorsqu’elle est reliée, comme cas spécifique, à la liberté de conscience, c’est-à-dire dans sa forme intime et privée, est un droit indérogeable, ne souffrant aucune restriction ;

-La liberté religieuse, lorsqu’elle se rattache à la liberté de manifestation des cultes, en particulier dans sa forme collective, c’est-à-dire dans le cadre de l’expression religieuse dans une société laïque, peut être soumise à « certaines restrictions », à des limitations admissibles édictées par la loi seulement, au même titre que toutes les collectivités traditionnelles (associations, communication, presse…)

-L’ordre public est de la seule responsabilité de l’Etat, les autorités religieuses ne peuvent ni le perturber, ni participer à sa définition.

 

Egalité et non-discrimination entre les citoyens

 

-      La Déclaration des droits de l’homme et du citoyens (art.1), la Constitution française (art.1), la Déclaration universelle des droits de l’homme (art.2), ainsi que les instruments internationaux et régionaux des droits de l’homme garantissant les libertés fondamentales, affirment que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ; et interdisent toute discrimination, notamment à raison de la religion et de l’opinion.

Ce principe implique:

·         L’égale dignité des personnes;

  • L’égalité de droit et de traitement entre citoyens, y compris entre croyants de différentes religions ;
  • L’égalité  de  traitement  entre  croyants  et  non-croyants  (athées, agnostiques…) ;
  • Le     refus      du     communautarisme,     la      République     étant constitutionnellement « une et indivisible ».

Précisions : - Le principe de non-discrimination exclu tout traitement dérogatoire,   appelé aussi dans le système anglo-saxon « discrimination positive ». En France, toute discrimination doit être supprimée, plutôt que compensée ;

-   Ce principe  exclue également le « droit à la différence » en particulier fondé sur la confession religieuse ;

-Le communautarisme qui accorde des droits et des traitements spécifiques collectifs à des groupes définis par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance, ne doit pas être confondu avec le multiculturalisme, qui est la coexistence de l’expression libre de plusieurs cultures dans une même société.

-  La loi commune, s’exerçant dans l’espace commun à tous les hommes, sans aucune distinction, est le fondent d’une éthique universelle

 

Séparation des Eglises et de l’Etat

Ce principe est garantie par:

-La  Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

-La loi du 9 décembre 1905 modifiée ;

-La Constitution française du 4 octobre 1958 (art. 1er.)

 

Ce principe implique :

 

·         La République et la légitimité institutionnelle de l’Etat sont indépendantes d’un ordre de transcendance et d’un droit religieux;

  • La dissociation claire entre un espace politique et civil qui procède de l’universel, et le domaine privé, lieu privilégié de la

conscience et des croyances religieuses, tant vis-à-vis de l’individu que des groupes ;

  • Le principe républicain de privatisation, c’est-à-dire de sortie du religieux de l’espace public;
  •  Le double refus de la République d’une part de reconnaitre et d’autre part de salarier ou de subventionner une religion

(suppression du service public du culte, du financement public…).

 

 

Commentaires :

-La séparation juridique  entre  les institutions publiques et les religions exclue que l’Etat puisse être soumis- d’aucune manière- à un quelconque magistère religieux ;

-C’est la République qui est laïque dans toutes ses acceptions, et en particulier l’Etat, les services publics nationaux et décentralisés (agents et usagers), les collectivités locales ;

-La laïcité en tant que principe de séparation juridique n’est pas à confondre avec « la sécularisation » qui vise à organiser des rapports, plus ou moins étroits entre le politique et une ou plusieurs religions (par exemple en Allemagne ou en Suisse).

 

Neutralité juridique de l’Etat

En corollaire des précédents principes de liberté de conscience d’une part, et d’autre part de séparation, et particulièrement du fait que la République ne « reconnait » aucune religion, l’Etat est tenu à un principe de neutralité par rapport à toutes les convictions, y compris religieuses.

Ce principe implique :

·         Un principe d’autonomie qui induit que :

 

** L’Etat ne peut intervenir dans l’organisation, ou le développement d’aucune religion ;

** Réciproquement, il n’est pas permis aux religions de s’impliquer, à titre collectif, dans l’espace du politique et dans l’expression de la souveraineté de la Nation.

 

  • Un principe de pluralisme et de cohabitation qui a pour conséquences que :

 

** La République ne distingue pas entre les religions, selon leur importance, leur ancienneté, leur dogme ou leurs observances. Les lois s’appliquent également à toutes.

** L’Etat s’abstient d’intervenir dans les relations entre les religions, sauf dans le cas de maintien de la paix civile ;

** Aucune religion ne peut prétendre à un statut privilégié en droit, sauf dérogations prévues par la Loi de 1905.

Commentaires:

-     L’Etat accepte que les religions s’organisent de façon autonome, et leur délègue toute l’organisation de leur structure et de leur culte.

-      Les religions sont également soumises au droit commun.

-          Le droit religieux (canonique, rabbinique, chariaa…) doit se soumettre au droit civil, et ne bénéficie d’aucune priorité ou exception. Les expressions de ce droit religieux ne peuvent se manifester que dans le cadre précis du droit à l’intimité de la vie privée.

-       L’Etat ne s’immisce pas dans la vie privée des citoyens, particulièrement en matière de conscience et de conviction religieuse ;

-   Toutes les institutions publiquesconstituent un espace neutre dans lequel ne s’affiche ou ne se manifeste aucune idéologie ou aucune croyance ;

-   Dans l’ensemble desservicespublics, locaux publics et monuments, les usagers bénéficient d’un accès et d’un traitement égal, quelles que soient leurs croyances religieuses ; les agents publics sont soumis à la même neutralité dans l’exercice de leurs fonctions.

-      Le   pluralisme   des   religions   s’exerce   dans   l’espace   public,   à l’exclusion des institutions et du domaine étatique.

-    L’espa ce pu blicest juridiquement neutre, c’est-à-dire impartial, au service de l’intérêt général, protégé et indépendant de toute intervention prosélyte. Il est soumis au respect de l’ordre public, des libertés fondamentales et de l’intégrité des personnes. L’expression religieuse et l’exercice du culte sont régis dans l’espace public par la police des cultes (titre V de la loi de 1905)

S’entend par « espace public », les espaces dont la collectivité publique est propriétaire, qui sont attachés au domaine public artificiel immobilier de cette collectivité et qui sont affectés à l’usage direct du public. Il s’agit en l’occurrence des voies publiques ainsi que les lieux ouverts au public ou affectés à un service public, à l’exclusion des lieux de culte ouverts au public.

Remarques générales

1  : Les principes de la laïcité, ainsi rappelés, sont indivisibles. Sauf à dénaturer la laïcité, il est impossible de favoriser l’un d’entre eux au détriment des autres, ou de n’en retenir qu’une partie

2  : Des normes juridiques d’application de la laïcité, dans les cas –et dans les cas seulement– où il s’agit de restrictions ou limitations admissibles, peuvent faire l’objet de lois complémentaires, ne remettant nullement en cause les principes fondamentaux de la laïcité, mais en les approfondissant en droit coutumier pour des situations non traitées ou nouvelles.

3  : Dans un Etat de droit, il est exclu de procéder par mesures empiriques souvent conjoncturelles, négociations politiques, ou adaptations amiables, par secteur public ou par sujet, ce que l’on appelle par ailleurs « des accommodements raisonnables » qui n’ont pas de statut juridique.

4  : Le secteur privé, particulièrement le monde du travail qui s’intègre à la République laïque peut prendre contractuellement toute disposition règlementaire intérieure afin de se mettre en conformité avec les principes de la laïcité.

5  : La laïcité, dont les principes démocratiques et républicains sont universels, se caractérise également par une chronologie historique spécifique à chaque pays, par des options politiques de construction de la paix civile, par des évolutions sociologiques particulières et par des réflexions philosophiques sur sa valeur morale.

Gérard FELLOUS  (15/02/2015)

 

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Le Québec

I : A la recherche d’une laïcité

Un projet de loi 60 instituant une Charte de la laïcité au Québec a été soumis à un large débat public depuis le 14 janvier 2014, monopolisant l’actualité durant deux mois, c’est à dire jusqu’à la mi-mars.

Cette « Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’Etat, ainsi que d’égalité entre les femmes et  les hommes et encadrant les demandes d’accommodement » avait été déposée le 7 novembre 2013 par le gouvernement de la première ministre Pauline Marois appartenant au Parti québécois (PQ). Ce projet est défendu par le ministre responsable des Institutions démocratiques, Bernard Drainville en commission parlementaire des institutions, devant laquelle des citoyens et des organismes viennent librement donner leurs avis et débattre. Cette consultation sur la laïcité,  aura fait l’objet de plus de 200 mémoires, présentés par chacun de leurs auteurs, au cours d’une heure d’audience.  Selon la députée Nathalie Roy : « C’est vraiment tous azimuts. Il y a les pour, les contre, les modérés, les groupes de pression, les groupes d’intérêt, les communautés religieuses…La diversité est énorme ». Une fois les audiences terminées, les députés procèderont à l’étude détaillée, article par article, du projet de loi, avant de le soumettre au vote.

En ouvrant le débat public, Pauline Marois précisait : « Le choix du Parti Québécois n’a pas été celui d’une laïcité ouverte, mais plutôt d’une laïcité stricte (…) mais je me permets quand même de déposer une proposition qui va permettre d’entendre, une dernière fois, les Québécois sur cette question ». Elle ne cache pas qu’il s’agit d’affirmer l’identité québécoise face à Ottawa, alors que le parti libéral de Jean Charest a prôné le statu quo depuis la commission Bouchard-Taylor. Cette proposition gouvernementale reprend  les conclusions de la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables.

Multiples objectifs du projet de loi

Bien qu’il soit de facto un Etat laïc, le Québec n’a pas achevé juridiquement son processus de laïcisation. A ce jour, aucun texte de loi, n’en fait explicitement mention.

Le projet de loi 60 fixe à cette Charte sept objectifs :

  • Préciser dans la « Charte des droits et  libertés de la personne » qui existe déjà,  plusieurs points : L’égalité entre les femmes et les hommes ; la primauté du français, la séparation des religions et de l’Etat.
  • Les organismes publics doivent faire preuve de neutralité en matière religieuse et refléter le caractère laïc de l’Etat.
  •  Les signes extérieurs d’appartenance religieuse, en particulier cachant le visage (niqab, burqa, tchador), sont prohibés pour le personnel d’un organisme public.
  • Il en est de même pour les personnes exerçant des fonctions judiciaires, ou juridictionnelles relevant de l’ordre administratif.
  • Un cadre d’analyse destiné aux organismes publics facilitera le traitement d’une demande d’accommodement pour des motifs religieux.
  • Des règles particulières s’appliqueront dans le domaine des services de garde éducatifs à l’enfance.
  • L’Assemblée nationale pourra régir le port d’un signe religieux par ses membres, et son bureau pourra approuver la présence d’un symbole religieux dans ses locaux.

Cet aspect hétéroclite est en réalité la résultante d’une évolution politique plus ancienne.

Contexte historique

Dès l’origine du Canada, deux Eglises coexistent, l’Eglise anglicane et l’Eglise catholique romaine : A la conquête britannique, en 1759, le pays est majoritairement catholique, mais la puissance coloniale évitera d’imposer à la Nouvelle France un statut de religion d’Etat à l’Eglise anglicane, préférant la recherche d’une coexistence pragmatique chargée de gérer la liberté religieuse.

Ce cheminement est jalonné par plusieurs dates :

** 1763, avec l’octroi de la liberté de religion aux catholiques.

**1774 : Suppression de l’obligation qui était faite aux catholiques (serment du Test) obligeant ceux-ci à abjurer leur fidélité au Pape, s’ils voulaient accéder aux fonctions publiques. Le principe de l’Eglise établie, en vigueur en Angleterre avec l’Eglise anglicane, n’a jamais pu être imposé au Canada.

**1867 : La loi constitutionnelle de la fédération canadienne ne précise pas les rapports Eglises-Etat.  Cette loi, tout en ignorant complètement la liberté religieuse, ne précise aucunement le financement public du religieux et de ses bâtiments.

**1982 : Pour la première fois, une nouvelle constitution canadienne fait référence dans son préambule à Dieu dans la formule : « Le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissant la suprématie de Dieu et la règle du droit »

… et politique

Dans un pays constitué par l’immigration, la commission Bouchard-Taylor recommandait de définir le modèle interculturel québécois, en prenant en compte, à la fois, ses valeurs démocratiques et laïques, mais aussi son histoire et sa population. Elle soulignait la nécessité de préciser les contours d’une identité québécoise, en insistant sur la nécessité de dissocier diversité religieuse et immigration. Elle insistait  sur l’intégration socio-professionnelle réelle des nouveaux arrivants afin d’éviter tout repli identitaire. Le modèle européen, et particulièrement français, a inspiré les travaux de cette commission.

A la suite de la recommandation du rapport Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables, demandant la production d’un livre blanc sur la question, le Conseil du statut de la femme sur la laïcité  émettait un avis intitulé : « Affirmer la laïcité, un pas de plus vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. » Cet avis préconisait la constitution d’une commission parlementaire sur la laïcité destinée à définir plus clairement les balises de la laïcité de l’Etat. Au même moment, le gouvernement Marois  tentait d’encadrer le port du voile intégral dans les services publics, en introduisant à l’Assemblée nationale un projet de loi 94 qui imposait que les services publics fournis par les fonctionnaires des institutions étatiques le soient à visage découvert, de même que pour les usagers.

Un sondage effectué alors (Angus Reid) révélait que 95% des Québécois, et 80% des Canadiens étaient favorables à ces dispositions. Ce même sondage révélait également que la population était massivement hostile aux « accommodements » pratiqués jusque-là,  contestés depuis 2007. On assiste alors à un retour en force des religions, y compris minoritaires, qui se lancent à la reconquête de l’espace public pour promouvoir une laïcité dite « ouverte ».

Les « accommodements raisonnables ».

Les québécois pensaient au début des années 2 000 que leur province pouvait s’inspirer de grandes démocraties comme les Etats-Unis, le Royaume Uni, le Canada, l’Inde, la Belgique ou les Pays-Bas  qui avaient adopté des formules « d’accommodements» entre un Etat laïque et les religions, alors que nombre d’observateurs contestent que ces Etats soient réellement laïques.

Le Québec ajoutait alors à ce système d’adaptations, d’avantages accordés aux religions, de dérogations à la laïcité, le qualificatif de « raisonnable ». La définition en était difficile : Elle supposait , empiriquement, que ces concessions aux religions ne devaient pas aller trop loin , de ne pas générer des « contraintes excessives », de ne pas entrer en contradiction avec les intérêts des institutions publiques et des entreprises privées, ne pas induire des coûts excessifs , ne pas imposer des contraintes sociales à la majorité, ou enfreindre la sécurité et les libertés publiques. La difficulté était de fixer des normes pour y parvenir de manière uniforme, des « lignes rouges », sans pour autant légiférer.

Alors le philosophe politique canadien, Charles Taylor, a tenté de théoriser les principes de « l’accommodement raisonnable » dans une démocratie laïque en avançant qu’il s’agit d’une « loi tolérante ». Celle-ci fonderait une société sur « le respect de la pluralité et de l’égalité des perspectives religieuses et morales, tout comme des conceptions du monde et du Bien ». Elle impliquerait « la protection de la liberté de conscience et de religion », en posant que « la considération des différences des minorités ne signifie pas imposer des préférences à la majorité ».

Le 8 février 2007, le Premier ministre libéral Jean Charest annonçait la formation de la « Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles », communément appelée : Commission Bouchard-Taylor. A cette occasion, le Premier ministre précisait les valeurs qui définissent le Québec :

« Le Québec est une nation. Notamment par son histoire, sa langue, sa culture et ses institutions. La nation du Québec a des valeurs, des valeurs solides, dont entre autres : – L’égalité entre femmes et hommes : -La primauté du français ;-La séparation entre l’Etat et la religion. Ces valeurs sont fondamentales. Elles sont à prendre avec le Québec. Elles ne peuvent faire l’objet d’aucun accommodement. Elles ne peuvent être subordonnées à aucun autre principe. »

Pour autant ces valeurs n’ont fait l’objet d’aucune consécration constitutionnelle ou législative

Mais apparaissait un projet de loi 94 « établissant les balises encadrant les demandes d’accommodement dans l’administration gouvernementale et dans certains établissements », déposé à l’Assemblée nationale par ce même Premier ministre Jean Charest.

Sa ministre de la justice  affirmait alors que cette loi « tranche » en faveur d’une laïcité ouverte, ce qui induisait que tout ce que le projet de loi n’interdisait pas explicitement est autorisé de facto.  Ainsi par exemple, si le projet ne mentionne nullement le port de tous les signes religieux, il faut en déduire  que le port du niqab est autorisé.

Le projet de loi 94 établit comme « balises » générales, le principe de l’égalité des femmes et des hommes, ainsi que celui de la liberté religieuse, mais il ne mentionne pas une interdiction du port de la burqa et du niqab dans les rapports entre citoyens et employés des services publics.

Plusieurs autres ambiguïtés lui seront fatal : Par exemple, tout en subordonnant « tout accommodement au respect de la Charte des droits et libertés de la personne, notamment du droit à l’égalité entre les femmes et les hommes », ce projet de loi ne peut affirmer que l’Etat doit être neutre envers les religions, et dans le même temps accepter que ses employés affichent ostensiblement leurs croyances religieuses dans l’exercice de leurs fonctions. A cela s’ajoute le fait que le gouvernement ne peut prétendre respecter la neutralité de l’Etat et continuer à subventionner les écoles confessionnelles privées.

Cette approche faisait le pari de l’existence de religions dites « modérées ». Mais pour Wassyla Tamzali, avocate féministe algérienne, ancienne directrice du programme sur la condition des femmes à l’UNESCO : « L’islam modéré, ça n’existe pas ». Elle estime qu’au Québec, tout comme en France et en Europe, les islamistes « se sont installés à la faveur de la démocratie, de la laïcité et du multiculturalisme, alors qu’ils ne sont ni démocrates, ni laïques, ni multiculturels. »  Au Québec, insiste-t-elle, « la liberté de religion n’existe pas. Ce qui existe, c’est le privilège d’exercer sa religion dans les pays démocratiques », un privilège qui « doit se vivre dans la sphère privée. »

Quelques problématiques liées à la laïcité.

Au cours des dernières années, le Québec s’est enlisé dans de multiples revendications contraires à la laïcité, qui n’ont pas trouvé de solutions satisfaisantes dans des « accommodements raisonnables », et qui ont parasité la vie publique. On peut citer quelques situations symptomatiques de la difficulté de préciser pratiquement la place du religieux dans l’espace civique et les institutions publiques :

  • Concernant les signes religieux ostentatoires, les décisions et revirements se sont multipliés.

Par exemple, le ministère de l’immigration est intervenu en novembre 2013, pour expulser d’un cours de francisation destiné aux immigrés, une femme d’origine égyptienne qui refusait de dévoiler son visage en classe (niqab). Le ministère du confirmer son refus par écrit. La personne s’en est servie pour déposer une plainte pour discrimination auprès de la Commission des droits de l’homme. L’élève a obtenu de suivre les cours de dos, par rapport à son professeur, en fond de classe.  La porte-parole de Présence musulmane, Leila Bdair, donne sa définition de la laïcité : « La laïcité, ça ne veut pas dire d’effacer tout signe religieux de l’espace public. La laïcité, c’est d’empêcher que les valeurs d’un groupe religieux prime sur celles d’un autre, c’est éviter de privilégier un groupe en particulier ».

Autre exemple, dans la Gendarmerie royale du Canada, de même que sur le port de Montréal, le port du Kirpan, du turban ou du voile islamique est autorisé. Seulement la difficulté réside dans le fait que ces couvre-chefs ne peuvent tenir lieu de casques de protection, sauf à pouvoir les doubler d’une gaine en acier. Si la Cour d’appel du Québec avait donné tort aux parents d’un jeune sikh qui voulait porter son couteau rituel sur lui, à l’école, la Cour suprême du Canada avait ensuite cassé cette décision, sur les mêmes motifs.

  • Les objets religieux sont admis dans la vie publique, non sans hésitations :

Par exemple, les fêtes de Noël ouvrent des polémiques. Une directive, par la suite annulée, interdisait toute décoration de Noël (sapins guirlandes…) dans les 118 bureaux de Service Canada. Par ailleurs la ville de Mont-Royal décidait de supprimer la crèche édifiée traditionnellement devant la mairie.

Mais c’est le fameux crucifix du Salon bleu qui a provoqué récemment la plus large polémique. En effet, à l’Assemblée nationale du Québec, un crucifix trône au-dessus de la présidence. De même, une statue du Sacré-Cœur trône dans l’enceinte du Parlement. Après d’interminables débats sur la nécessité ou non de le déposer, le ministre Drainville, au nom du gouvernement, a annoncé qu’il sera maintenu au nom du patrimoine, tout au moins jusqu’à l’adoption de la Charte de la laïcité.

Par ailleurs, le Tribunal de la Commission des droits de la personne a ordonné au maire de Saguenay de cesser de réciter une prière catholique au début de chacune des réunions du conseil municipal, de retirer les objets religieux de la salle du conseil, ce que ce maire a refusé. Alors qu’à la mairie de Montréal le rituel de la prière en début de séance a cessé dès 1986, plus de 300 municipalités  perpétuent cette pratique encore aujourd’hui.

  • Le statut personnel pose également problèmes au Québec :

Alors que la province canadienne de l’Ontario envisage de légaliser des tribunaux islamiques, le Code civil du Québec interdit les arbitrages religieux. Le Conseil musulman de Montréal envisage néanmoins de structurer davantage sa médiation, dans le cadre des dispositifs juridiques existant.  En effet, rien n’empêche des croyants de s’adresser à des médiateurs religieux de leur choix, qui ne sont du reste pas accrédités, sans saisir la justice. Le Conseil musulman veut prendre pour modèle les tribunaux rabbiniques qui existent au Québec depuis 1922. Le tribunal rabbinique (Beth Din) entend environ 300 causes par an, dont la moitié porte sur des questions familiales. Dans 99% des cas, les requérants acceptent de se soumettre à la décision rabbinique. Pour qu’une médiation puisse avoir valeur légale, elle doit cependant être homologuée par un juge, qui a la faculté de l’annuler si elle est contraire à l’ordre public.

  • L’éducation publique est un champ de confrontations :

Le système scolaire québécois n’est plus confessionnel depuis l’amendement constitutionnel de 1998 par lequel catholiques et protestants ne peuvent plus faire de l’école un lieu d’appartenance religieuse. Mais la Cour supérieure du Québec réintroduit « la suprématie de Dieu » dans le domaine de l’éducation. Dans ce contexte, le ministère de l’Education, du Loisir et du Sport (MELS) a instauré un programme obligatoire d’Ethique et de culture religieuse (ECR) qui se développe sur dix années d’enseignement du primaire et du secondaire. Selon le rapport Bouchard-Taylor dont il s’inspire, ce programme doit enseigner la « culture religieuse » afin de développer « les aptitudes nécessaires au vivre-ensemble, dans le contexte d’une société diversifiée ».

Ce programme n’a cessé d’être une pomme de discorde : Des parents catholiques dont les enfants sont inscrits à l’école publique de Drummondville et de Granby ont demandé à la Cour supérieure que leurs enfants soient exemptés de ces cours. Ils ont été déboutés en première instance.

En application des « accommodements » que les chefs d’établissements scolaires sont tenus de rechercher, la direction d’une école maternelle du quartier Saint-Michel permet à une jeune musulmane  de placer sur ses oreilles un casque anti-bruit l’empêchant d’écouter de la musique diffusée occasionnellement en classe, ou lorsque ces petits camarades chantent parce que  ses parents estiment que cela est interdit par sa religion.

Après avoir permis l’enseignement religieux dans les garderies de jeunes enfants subventionnées par le Québec, le ministre de la Famille du gouvernement Charest faisait volte-face en mars 2010, en l’interdisant

  • L’éducation privée

Pour sa part une école privée catholique la Loyola High School, refuse de dispenser ce cours, le jugeant « relativiste et laïque ». La Cour supérieure a annulé le refus d’exemption prononcé par le ministère, estimant que ce cours ECR divise plutôt qu’il ne favorise le « vivre-ensemble ». Elle permet à ce collège privé de donner le cours d’éthique et de culture religieuse en y introduisant une dimension catholique, ce que refuse le premier ministre d’alors, Jean Charest.

En 2010 le ministère de l’Education finançait près de 300 écoles primaires et secondaires privées, pour la plupart confessionnelles, qui accueillaient quelque 125 000 jeunes. La majeure partie (60%) de leur financement était assurée par l’Etat qui leur versait au total environ un demi-milliard de dollars annuellement.

Il faut rappeler qu’un règlement d’application de la Loi sur l’enseignement privé permet à un établissement de remplacer un cours inscrit dans les programmes de tous les enfants, par un « cours équivalent ». C’est ce « compromis raisonnable » qui avait été appliqué par l’école Loyola.

En février 2010, le ministre de l’Education en exercice, Michelle Courchesne avait proposé des changements dans le calendrier scolaire afin de permettre aux écoles juives orthodoxes, qui donnaient illégalement des cours de religion sur les heures d’enseignement règlementaire durant la semaine, de dispenser cette formation le week-end. Or le régime pédagogique englobe tous les établissements du Québec sur la base de 180 jours d’enseignement.

A cette jurisprudence incertaine s’ajoute des projets de lois contradictoires, tel le projet de loi 16 visant la gestion de la diversité culturelle au sein de l’administration publique Le Mouvement laique québécois souhaite l’abolition de ce cours, estimant qu’il donne aujourd’hui plus de place à la religion dans le cursus scolaire qu’il en donnait dans l’ancien système.  Il déplore que ce cours obligatoire ne laisse plus la possibilité aux parents de choisir pour leurs enfants ou de donner la priorité aux Droits de l‘homme, ou à la philosophie.

  • Liberté de religion : Une jurisprudence évolutive.

Depuis la Charte des droits et libertés du Québec et la Charte canadienne de 1982, la Cour suprême du Canada qui, initialement donnait une interprétation large et libérale du principe de liberté de religion et de conscience, a sensiblement évolué dans ses arrêts récents, dont nous évoquerons quelques exemples :

*Favorisant « la croyance subjective sincère » en matière de liberté religieuse les juges ont permis l’installation de constructions rituelles provisoires (Souccahs) sur des balcons des appartements d’une résidence du Mont-Royal, alors que la convention de copropriété le proscrivait clairement. (Affaire Amselem -2004).

*Mais la Cour d’appel du Québec a rendu par ailleurs des décisions opposées à celles de la Cour suprême du Canada, dans d’autres affaires (Commission scolaire de Chambly- 1994 et Congrégation des Témoins de Jéhovah -2004).

*La Cour suprême a évolué dès 2007 en favorisant la valeur d’égalité entre hommes et femmes sur la liberté de religion, dans l’affaire Bruker c. Marcovitz. Dans ce cas de divorce judaïque, l’époux a été obligé d’accorder le get (autorisation de séparation) à son ex- épouse, après l’avoir refusé, et cela au nom de sa liberté religieuse. Dans ses attendus, le jugement précise : « Le droit à la protection des différences ne signifie pas que ces différences restent toujours prépondérantes. Celles-ci ne sont pas toujours compatibles avec les valeurs canadiennes fondamentales et par conséquent, les obstacles à leur expression ne sont pas tous arbitraires. »

*En illustration de cette évolution jurisprudentielle, on citera également  l’arrêt Alberta c. Hutterian Brethren Colony (juillet 2009) qui valide la législation de l’Alberta qui impose depuis 2003 la photographie sur les permis de conduire. Les membres de cette colonie refusent de se faire photographier pour des raisons religieuses. Pour justifier sa décision, la Cour avance que « pouvoir conduire une automobile sur les voies publiques ne constitue pas un droit, mais un privilège », ajoutant que la notion d’accommodement raisonnable ne s’applique pas à l’action législative de l’Etat, mais uniquement aux rapports privés entre individus ou à des situations marquées par des circonstances précises.

Nombreux sont les québécois qui considèrent que ces « marchandages » de la laïcité ont à présent fait long-feu, particulièrement après l’échec du projet de loi 94, début 2010. A quoi aurait alors servi un tel débat avec les commissaires Bouchard et Taylor alimenté par 900 mémoires, un rapport de 300 pages et un engagement de 3,7 millions de dollars par le gouvernement Charest ?

L’échec d’une laïcité empirique

Suffirait-il, pour déclarer que le Québec est une province laïque, d’accepter, par exemples, que des sikh policiers et gendarmes portent le turban traditionnel ? Que des jeunes filles portent un foulard islamique à l’école ? Que l’école de  technologie supérieure de Montréal ait aménagé un lieu de prière ? Que les fenêtres des salles de sport du YMCA du Parc, à Montréal, soient « givrées », à la demande de la communauté juive hassidique du quartier, afin que l’on ne puisse pas apercevoir les filles ? Ou que le sapin de Noël installé devant l’hôtel de ville de Montréal soit rebaptisé « arbre de vie ?

Pendant vingt ans , le Canada a expérimenté cette philosophie, pour finir par donner naissance à des replis communautaires : La liberté de port du hidjab par les enseignants a soulevé la question du prosélytisme et du « devoir de réserve » des professeurs ; l’octroi de locaux religieux dans les écoles, les administrations, les entreprises a ouvert la voie à des ségrégations envers les filles ; la multiplications des demandes de congés à l’occasion de fêtes religieuses a désorganisé des entreprises ; le quartier d’Outremont, à Montréal, a été paralysé en 2001 par une barrière délimitant une zone religieuse (Erouv) demandée par des juifs orthodoxes ; l’état civile fut remis en cause lorsqu’en 2005, le gouvernement promettait aux imams de pouvoir régler les litiges des familles musulmanes en cas de divorce ou de décès, droit d’arbitrage déjà reconnu aux chrétiens et aux juifs, qui a finalement été supprimé étant contraire à l’état de droit démocratique.

La « laïcité ouverte » prônée par la Commission Bouchard-Taylor  est en réalité davantage une conception de la liberté religieuse plutôt qu’une définition de la laïcité. Elle met d’accent sur le droit individuel au détriment de l’organisation de la société. Il en résulte une prééminence des choix individuels sur l’intérêt commun ou  sur les orientations démocratiquement décidées, notamment en matière d’égalité hommes-femmes. Le concept mis en évidence par Habermas selon lequel la primauté des raisons séculières doit être la source de la normativité sociale, politique et juridique est mis en échec.

(A suivre)

II : Débats incertains autour d’un projet de Charte de la laïcité

Les débats nourris qui mobilisent aujourd’hui le Québec, à l’occasion du projet de Charte de la laïcité, portent sur plusieurs thématiques :

Intégration et laïcité.

Les problématiques qui marquent la laïcité au Québec s’inscrivent dans un débat, toujours nourri, au regard de principes tels que ceux du multiculturalisme, de l’interculturalisme, du communautarisme, ou de l’égalité entre femmes et hommes. Cette laïcité, qu’elle soit qualifiée d’ouverte ou de stricte, n’est pas définie, en dépit du fait que la Constitution du Canada de 1982, à laquelle la province du Québec est soumise, fixe comme doctrine politique le multiculturalisme.

Pour le sociologue Gérard Bouchard, le débat sur l’identité nationale  « sème la confusion » entre multiculturalisme et interculturalisme qui empêche un modèle d’intégration « conforme aux exigences de la démocratie et du droit, capable d’articuler efficacement la double obligation d’assurer l’avenir de la francophonie québécoise et de respecter la diversité ». Ce modèle est présenté comme une troisième voie entre la laïcité française et le multiculturalisme canadien.

Communautarisme et multiculturalisme

Pour certains observateurs, le concept de multiculturalisme serait binaire, plutôt que multiple, en ce qu’il concernerait deux groupes, le majoritaire ou « dominant » face au groupe minoritaire, reproduisant la dichotomie oppresseur/opprimé. Pour l’ancien bâtonnier du Barreau de Montréal, Me. Julie Latour, plutôt que l’adhésion au multiculturalisme ou à l’interculturalisme, la solidarité sociale est une valeur collective qui revêt une grande importance au Québec  dans de multiples législations et mesures sociales, telles que le droit du travail et de l’emploi, le Code civil la protection de la jeunesse ou la protection de l’orientation sexuelle.

Le multiculturalisme canadien se trouve aujourd’hui confronté aux défis lancés par des groupes intégristes religieux qui veulent imposer des messages politiques régressifs. La crise aiguë que traverse le multiculturalisme pourrait avoir des incidences néfastes sur l’unité nationale canadienne, estime Caroline Fourest (La dernière Utopie. Menaces sur l’universalisme –Grasset 2010). Elle souligne que le modèle d’accommodement québécois préconise des solutions et des antidotes très différents de ceux proposés par le modèle d’accommodement canadien.  Les décisions de justice ne sont pas compatibles.

Pour Djemila Benhabib, journaliste et militante de la laïcité le danger vient de l’islam politique qui a un nouveau visage et un marketing rénové, avec la complicité active ou passive d’une gauche multiculturelle qui « n’est jamais vraiment sortie de l’anti-impérialisme américain et du discours anticolonial, restant toujours prisonnière du relativisme culturel » (Les soldats d’Allah à l’assaut de l’Occident-Ed. H&O). Elle estime que la liberté de religion poussée à l’extrême sert indirectement les fondamentalismes.  Elle affirme que les lobbies politico-religieux au Québec, extrêmement puissants, bénéficient des subsides en provenance du Qatar, de l’Arabie saoudite ou de l’Iran.

Pour le sociologue Guy Rocher, même le Canada anglophone se demande aujourd’hui si le multiculturalisme ne favorise pas la  ghettoïsation et ne permet plus d’intégrer les immigrants

Les droits des femmes

Au Québec la question de l’égalité entre hommes et femmes est placée au cœur du débat sur la laïcité.

Après qu’en 2007 le Québec ait amendé sa Charte des droits de la personne pour y ajouter le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes, le combat  des féministes se porte à présent sur le projet de Charte de la laïcité. Pour la présidente du Conseil du statut des femmes, « les trois religions monothéistes continuent d’être discriminatoires à l’égard des femmes », il faut les évacuer de l’Etat, car « quand l’Etat n’est plus associé à la religion, il y a une plus grande garantie d’égalité des sexes ».

Mais la réaction n’est pas unanime : Craignant de stigmatiser  les communautés musulmanes, la Fédération des femmes du Québec a adopté au printemps 2009 un double principe de non-obligation et de non-interdiction du voile islamique

Constitutionnaliser la laïcité ?

Faut-il inscrire la laïcité dans la constitution du Canada ? La question est posée de manière récurrente depuis des décennies. Les avis sont partagés : Pour certains constitutionnalistes, cela serait inutile puisque cette laïcité serait déjà prévue implicitement. Pour l’opposition parlementaire (sénateur Richard Miller), il s’agirait d’une proposition de loi  invoquant un Etat neutre et impartial, et non pas laïque, donnant légitimité à un courant philosophique laïque. Plusieurs députés de la majorité FDF ont déposé en 2012 une proposition de loi constitutionnelle portant sur la séparation des Eglises et de l’Etat mais aussi sur l’égalité hommes-femmes et sur les libertés fondamentales. Le député Olivier Maingrain ne cache pas qu’il vise un parti politique précisément, le « Parti Islam », dont « les candidats ne pourraient pas se présenter s’ils ne souscrivent pas à ces engagements fondamentaux ».

Le gouvernement de Pauline Marois n’a néanmoins pas pris d’initiative en la matière se contentant, dès sa constitution, de créer une direction en matière d’identité et de laïcité au sein du Secrétariat aux institutions démocratiques et à la participation citoyenne, confié à Bernard Drainville.

Les positions des cultes…

** Catholique : C’est par la voix du nouveau cardinal nommé par le Pape, Mgr Gérard Cyprien, archevêque de Québec que l’Eglise catholique romaine a exprimé ses profondes réserves contre le projet de Charte de la laïcité. Le cardinal a estimé que le gouvernement du Parti québécois avait « dépassé la mesure » expliquant : « Je comprends que le gouvernement peut souhaiter que certains employés de l’Etat ne portent pas de signes religieux ostentatoires. Un juge, un policier et quelques autres, mais pour la plus grande partie de la population, je pense que l’on doit être en mesure d’exprimer sa foi sans l’imposer à qui que ce soit ». Il ajoutait : « La liberté de pouvoir exprimer notre foi en privé comme en public est un droit que nous donne la Charte des droits et libertés ». Il dénonce dans le projet gouvernemental une volonté de susciter la méfiance entre communautés en affirmant : « Je trouve qu’au lieu de rassembler le peuple québécois, (le projet) a semé beaucoup de division ». Mgr Lacroix se prononce enfin pour le maintien des « accommodements nécessaires ».

Pour sa part, le pasteur protestant de Montréal, Réal Gaudreault, organisait une « Marche chrétienne »  qui a réuni un millier de personnes, derrière  une grande croix portant l’inscription : « On marche avec Jésus ». Il lançait à son public : « Comme citoyens, comme payeurs de taxes, on fait partie de la vie sociale. Il y a une tendance, depuis plusieurs années, sur la laïcité, de vouloir tasser les symboles chrétiens, comme si notre opinion n’est pas valable ». Selon ce pasteur, les lois adoptées dans la province font de plus en plus en sorte que les chrétiens doivent vivre leur religion dans « leurs salons », alors que les athées, eux, ont le champ libre.

** Juif : Estimant que le projet de Charte proposé par le gouvernement Marois est « une mauvaise solution à un problème inexistant », les représentants de la communauté juive du Québec (Fédération CJA et Centre consultatif des relations juives et israéliennes)  a déposé un mémoire contre le projet de loi 60.

Arguant que le projet de loi présente de graves entorses aux libertés de religion et d’expression protégées par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et par la Charte canadienne des droits et libertés, la communauté juive se déclare prête  à aller devant les tribunaux si  la loi était adoptée. Toutefois, elle refuse de se joindre aux autres cultes afin de ne pas donner l’impression que le débat sur la Charte des valeurs québécoises oppose des minorités religieuses à la majorité, alors qu’elle estime que ce projet de Charte divise la société québécoise bien au-delà des distinctions tracées par la langue, la culture ou la religion.

Le Congrès juif québécois craint que sa position  ne « l’ostracise » dans la société. Son président affirme à propos du Parti québécois : « Dans des propos récents, il semble y avoir un ton d’intolérance mais je n’irai pas jusqu’à y voir de l’antisémitisme. Cependant, la communauté juive est très inconfortable aujourd’hui. Après 250 ans de contribution à la société québécoise, on ne s’attendait pas à ça. ».

Pour sa part, l’Hôpital général juif, déclare dans sa contribution écrite au débat qu’il « s’oppose fermement » au projet de loi 60, « parce que l’interdiction du port des symboles religieux imposée au personnel du secteur de la santé est un geste profondément discriminatoire et insultants pour ces travailleurs ». Il faut ajouter que lors des auditions devant la commission de l’Assemblée nationale, une association a demandé l’interdiction de la circoncision rituelle.

** Musulman : Les  réactions des musulmans du Québec, d’origines et d’obédiences très diverses, tournent autour du port du voile. Dès 2008, une femme voilée, Samira Laouni, entrait en lice en politique, sur une liste NPD. Elle anime aujourd’hui un groupe  « Communication pour l’ouverture et le rapprochement interculturel –COR » qui, tout en dénonçant des accommodements « farfelus », comme celui de l’étudiant musulman de l’Université York qui refusait de faire un travail d’équipe avec des femmes, refuse « absolument, fermement et catégoriquement » qu’on force des employés de l’Etat à faire un choix « odieux » d’enlever leur signe religieux ostentatoire ou quitter leur emploi.

Les « accommodements raisonnables » ont permis à la Cour d’appel de l’Ontario d’autoriser une femme à témoigner le visage voilé par un niqab. Par ailleurs, l’administration pénitentiaire du Québec autorise désormais les agentes correctionnelles à porter un hijab dans les prisons. « Le ministère fournira le hijab aux agentes qui en feront demande écrite, en raison de la pratique de leur religion », a précisé en 2011 le ministre de la justice.

Le deuxième sujet de débat s’est développé depuis l’automne 2003, à la création en Ontario de l’Institut islamique de justice civile (IIJC), tribunal d’arbitrage dont les jugements appliqueront la Charia. Le Conseil musulman de Montréal souhaite s’en inspirer pour le Québec, en matière de privatisation du droit de la famille.

Les revendications des musulmans se sont multipliées par ailleurs : Ainsi, le Congrès islamique du Canada a « exigé » de nouveaux accommodements dans les établissements de santé canadiens et québécois : Seul du personnel féminin (médecins, infirmières, aides-soignantes, techniciennes…) peut être en contact avec des patientes musulmanes, sauf lorsque le pronostic de vie est engagé. Il demande qu’en cas d’urgence médicale, la patiente musulmane doit d’abord tenter d’obtenir l’aide d’un médecin musulman, de sexe féminin, et à défaut un médecin musulman de sexe masculin.

Le Centre islamique de l’Outaouais a intimé à la ville de Gatineau de prendre position sur la Charte de la laïcité,  soutenant que le projet du Parti québécois menace la cohésion sociale, alimente la xénophobie et pourrait provoquer un exode vers Ottawa.

** Autres croyances : Les « Témoins de Jéhovah », reconnus comme adeptes d’une religion au Canada, mais classés parmi les sectes en France, ont lancé une campagne visant à montrer des « preuves scientifiques de l’existence de Dieu ». Son porte-parole affirme : « On prouve que Jéhovah est un personnage réel et qu’on peut prouver son existence ».  Ces « créationnistes » déplorent que « nos jeunes dans les écoles soient exposés à la théorie de l’évolution de Darwin ».

Les minorités visibles : Dans un pays constitué par l’immigration, les « minorités visibles » sont officiellement reconnues et démographiquement évaluées. Selon l’office Statistique Canada, dans le Grand Montréal métropolitain elles constituaient 16% de la population en 2006, et doubleront (31%) en 2031. Les musulmans étaient 4,2% en 2006, ils passeront à 11,2% en 2031.

En 2006, les Noirs  formaient le groupe le plus important parmi les minorités visibles, avec 7,8%, suivis par les Arabes (2,8%) qui passeront à 7,5% en 2031.

Le débat des intellectuels….

Au cours des cinq dernières années, l’avenir de la laïcité au Québec a mobilisé de manière quasi continue les intellectuels du pays en de multiples colloques, manifestes ou tribunes publiques dont on peut citer quelques exemples :

*Dès 2009, la Revue Diversité urbaine de l’Université de Montréal proposait une analyse des différentes modalités de reconnaissance de la diversité religieuse, « à partir d’une perspective comparative qui tienne compte de la différenciation historique et sociale de la régulation étatique ». Sous la direction de Micheline Milot et de David Koussens, cette étude démontrerait que, comparé à la France et à l’Angleterre, le modèle québécois apparait nettement comme « le plus flexible, le plus innovateur, celui qui, en tout état de cause, a su développer une vraie prise de distance par rapport à l’épineuse gestion du pluralisme religieux » L’enquête portait sur deux domaines : la place dévolue à la religion dans l’espace scolaire, et la question de l’arbitrage religieux dans le droit familial.

*Une année plus tard, le Manifeste pour un Québec pluraliste, lancé par le professeur à la faculté de philosophie de l’Université Laval, Jocelyn Maclure  (3 février 2010) tente de situer le débat entre les deux tendances majoritaires en proclamant : «  On assiste à une alliance qui semblait plutôt improbable entre des groupes qui veulent refouler le religieux hors de la sphère publique et des nationalistes conservateurs qui voient le Québec d’aujourd’hui comme ayant trop concédé à la diversité culturelle ». Les signataires invitent les élus et les citoyens à clarifier la notion de « laïcité ouverte ». Ils considèrent  qu’il ne faut pas interdire purement et simplement toute manifestation d’appartenance religieuse dans la sphère publique, car cela  aurait un effet discriminatoire. Par contre, ils font valoir qu’il est légitime de limiter les signes religieux dans les services publics. Pour eux le Québec forme une nation qui doit viser au rapprochement des différentes composantes de la population, plutôt qu’un modèle de société dans lequel différentes communautés vivraient cote à cote sans se mélanger. Jocelyn Maclure se démarque du projet de Charte de la laïcité, et souhaite soutenir le « Programme éthique et culture religieuse » attaqué aussi bien par les nationalistes conservateurs que par les tenants d’une laïcité stricte.

*En réplique, dans une déclaration intitulée « Pour un Québec laique et pluraliste » (Journal Le Devoir, mars 2010), une centaine d’intellectuels, réunis derrière l’anthropologue Daniel Baril et le sociologue Guy Rocher, défendent la nécessité que « l’Etat et ses institutions s’obligent à une totale neutralité à l’égard des convictions religieuses » des citoyens. Ils estiment qu’il est nécessaire d’éliminer tous les signes religieux afin que les citoyens « aient l’impression que la neutralité veut dire quelque chose, ce que le rapport Bouchard-Taylor ne pose pas clairement. » Il estime qu’actuellement on utilise la somme des accommodements raisonnables pour déterminer ce qu’il reste pour la liberté et la neutralité de l’Etat, alors qu’il faudrait faire le contraire, et ensuite déterminer les exemptions et les accommodements qu’il faudrait mettre en œuvre.

*Au cours d’un colloque international (Université de Montréal ; 11 mai 2010) sur les relations entre laïcité, religions et Etat moderne étaient évoquées plusieurs thématiques telles que les relations entre laïcité et multiculturalisme, les relations avec les sociétés arabes et musulmanes contemporaines, ou la médecine et les soins confrontés aux différences de croyances et de traditions.

*Pour sa part, un collectif d’universitaires de la faculté de droit de l’Université de Montréal a publié une tribune sous le titre : « Laïcité juridique et socialeil est grand temps ! » (Journal Le Devoir ; 27 septembre 2010) dans lequel il réclamait une charte de la laïcité et la fin des accommodements pour motifs religieux. Il revendiquait l’établissement de « rapports sociaux laïques dans l’espace public ».

            …Contre : ** La Commission des droits de la personne soutien que le projet de Charte de la laïcité est « un net recul pour les droits et libertés de la personne ». Elle affirme que ce projet de Loi 60 accroitrait les risques de conflits dans la population québécoise, en plus de « compliquer le traitement des demandes d’accommodement raisonnable ».

** Pour Louise Arbour, qui fut Haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies,  qui a siégé à la Cour suprême du Canada (1999-2004), et fut procureure au Tribunal pénal international, le projet de loi mené par Bernard Drainville entraine « des conséquences odieuses », qui « portent atteinte à la liberté de religion ». Faisant référence aux femmes musulmanes qui portent le hijab, elle estime qu’ « il est particulièrement odieux d’en faire payer le prix à des femmes déjà marginalisées et pour qui  l’accès à l’emploi est un facteur clé à la fois d’autonomie et d’intégration ». Sa charge contre la Charte de la laïcité est violente lorsqu’elle affirme que celle-ci « nous incite à céder au chant des sirènes. Ce chant évoque l’image nostalgique d’une société homogène catho-laique, où nos symboles religieux nous paraissent inoffensifs (…) alors que ceux des autres feraient au contraire peser une menace permanente sur nous ». Elle affirme également que la protection des libertés fondamentales est particulièrement importante lorsque vient le temps d’imposer des limites aux minorités. (7 février 2014)

** Le ton monte encore avec le recteur de l’Université de Montréal, Guy Breton,  qui va jusqu’à faire un parallèle entre le projet de Charte de la laïcité du gouvernement Marois, avec le régime dictatorial de Franco, en Espagne.  Il a prétendu que ce projet de loi 60 présentait pour son université « un risque d’entrave à la liberté académique, qui est le socle de l’institution universitaire dans tous les pays démocratiques ».

** Autre réaction négative, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) explique dans un mémoire présenté à la commission parlementaire que la Charte de la laïcité ne devrait pas s’appliquer aux médecins, ni aux autres professionnels de santé. Elle avance comme argument que les médecins de famille ne sont pas des employés d’Etat, et  qu’empêcher les signes religieux dans les établissements de santé est un « faux problème ».

** L’Association étudiante pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE) appelle à manifester le 31 mars contre le projet de loi accusé « d’instrumentaliser le féminisme à des fins électorales ».

** D’autres minimisent les phénomènes religieux dans l’espace public en affirmant : « Nous avons un territoire à développer, cinq fois plus grand que la France et une population six fois moindre. Nous avons besoin des immigrants pour nous aider à le faire ». Estimant que cette « idée de Charte sème la haine dans nos communautés », ils veulent croire que « nombre de musulmans, arrivés chez nous, n’ont pas mis beaucoup de temps avant de délaisser leur voile volontairement. Il en reste quelques-unes qui restent attachées à leurs coutumes, mais soyons confiant qu’elles finiront par épouser les nôtres. Certaines féministes pures et dures les qualifient de dangereuses pour l’égalité des hommes et des femmes ».

*** Certaines voix, sans s’opposer à la Charte de la laïcité, suggèrent plutôt de modifier, dans le même sens, la Charte des droits et libertés fondamentales dont se sont dotés, il y a plus de 30 ans, le Québec (1975) et le Canada (1982). Ces deux chartes dites également des Droits de l’homme, octroient des libertés fondamentales aux citoyens, parmi lesquelles celles d’opinion, d’association et de religion. Mais en réalité celles-ci ont été par la suite encadrées. Il en est par exemple de la Loi sur la fonction publique du Québec qui limite, sans les nier, quelques-unes de ces libertés, lorsqu’il s’agit des fonctionnaires de l’Etat. Elles interdisent déjà aux fonctionnaires d’afficher leurs opinions politiques ou idéologiques, tout en permettant de montrer leurs convictions religieuses. La réserve des fonctionnaires pourrait être élargie à celles-ci.

**Un groupe de juristes rappelle que la Charte québécoise des droits est hiérarchiquement soumise à la Charte canadienne des droits. Afin de renforcer la portée de la première, ils proposent de lui ajouter deux nouveaux articles : D’une part que le principe de laïcité et de neutralité de l’Etat soit défini dans la Charte québécoise ; d’autre part qu’il soit précisé que tous les droits et libertés énoncés soient interprétés conformément au principe de la laïcité.

La député Fatima Houda-Pépin va dans le même sens, appuyée par la Fédération autonome de l’enseignement, qui regroupe huit syndicats. Par ailleurs la député indépendante a déposé à l’Assemblée nationale, début février 2014, un projet de loi axé sur la lutte contre les intégrismes. Elle affirme que le Parti québécois et la Coalition Avenir Québec se sont montrés ouverts à son projet de loi sur la neutralité religieuse de l’Etat.

            … Pour

** En février 2014, un groupe de « Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l’Etat » déclarait son opposition aux positions du Barreau du Québec et de la Commission des droits de la personne, portant l’accusation : « Dans le débat sur la Charte de la laïcité, ils se sont approprié le droit de parole des avocats ». Persuadés de l’importance sur les plans « politique et juridique » d’enchâsser le principe de laïcité et de neutralité religieuse de l’Etat dans la Charte des droits et libertés de la personne, ce collectif de juriste appelle le gouvernement péquiste à forger un « consensus social » autour de la Charte de la laïcité.

** Contrairement à Mme. Arbour, son ex-collègue à la Cour suprême, Claire L’Heureux-Dubé, prend position en faveur de la Charte en estimant que : « Rien dans le projet de loi 60 n’entrave la croyance religieuse et la pratique de la religion ». Elle ajoute : « La religion est d’abord et avant tout un engagement intérieur, une croyance(…) Les signes religieux font partie de l’affichage de ses croyances religieuses et non pas d’une pratique de la religion ». Elle souligne par ailleurs que le port de signes religieux n’est pas un droit fondamental, et que par ailleurs aucun droit n’est absolu.

** Pour le juriste Daniel Turp, professeur de droit public à l’UdeM, qui il y a un an, après l’arrêt de la Cour suprême du Canada autorisant le port du niqab devant les tribunaux au Canada, demandait l’instauration d’un « modèle spécifiquement québécois, la laïcité devrait être un modèle qui emprunte à la fois à la tradition républicaine française, tout en assurant le respect des libertés individuelles de religion et de conscience, tant dans l’espace public que dans la vie privée ».

** Devant la commission parlementaire qui procède aux nombreuses auditions, Karim Akouche, écrivain québécois d’origine kabyle, affirme que « le Québec sera laique ou ne sera pas ». Il se déclare « indigné pas ces marchands d’angélisme béat qui, hypnotisés par le relativisme culturel, sont prêts à faire des dérogations en faveur des fanatiques religieux de tout poil ». Pour lui : « Les tenants de l’idéologie multiculturaliste ont échoué. Car ils ne proposaient pas un vivre-ensemble, mais un laisser-vivre sans cohésion. Ils ont apporté de fausses solutions à de vrais problèmes. Les accommodements de MM. Taylor et Bouchard sont en réalité déraisonnables ». Il conclue que : « La seule solution envisageable dans une société hétéroclite, c’est la laïcité. Seulement la laïcité. La laïcité tout court. Il faut évacuer de la sphère publique tous les particularismes religieux.  »

Des enjeux politiques

Aux fondements du débat politique sur la laïcité se trouve la question de l’autonomie et la souveraineté de la province du Québec envers un Canada fédéral. Depuis 1982, la question nationale du Québec est posée avec ses différentes manifestations d’affirmation nationale. La Charte de la laïcité est de ces aspects, parmi les débats portant sur les « valeurs québécoises », le « patrimoine », les « conditions du vivre ensemble » et la nation. Il faut relever que la question nationale a également été évoquée dans les débats sur la laïcité en France ou en Grande-Bretagne, Etats souverains s’il en est, mais également confrontés à la mondialisation ou à la régionalisation, tous sont inquiets de perdre leur identité nationale. Le clivage apparait alors entre souverainistes et fédéralistes. C’est en particulier le cas du Québec à la recherche d’une « constitution patriotique » spécifique répondant à son aspiration à la souveraineté, tout en restant respectueux des minorités, de l’immigration qui le constitue et des droits fondamentaux des personnes.

Les partis politiques en présence se meuvent dans ce contexte, alors que le projet de Charte de la laïcité divise la société québécoise :

Le Parti québécois de Pauline Marois, actuellement au pouvoir, en lançant le débat autour du projet de loi 60,  a incontestablement pris le contrôle de l’ordre du jour politique, et marqué des points forçant les partis d’opposition à se positionner eux aussi sur cet enjeu controversé, dans une actualité très active depuis l’automne 2014.

Ainsi, le Parti Libéral du Québec conduit par Philippe Couillard  s’en trouve-t-il déstabilisé et divisé intérieurement. Par exemple  son aile jeunesse, la Commission-Jeunesse du Parti libéral du Québec a, depuis aout 2011, voulu donner suite à une partie du rapport Bouchard-Taylor, en préconisant d’adopter une loi sur l’interculturalisme, pour une « laïcité ouverte »,  et la création d’un Office d’harmonisation interculturelle. Le leadership du PLQ a du faire des concessions pour assouplir les dissensions internes et rassembler ses troupes, en admettant que l’idée d’interdire les signes religieux puisse être détaillée. Il s’affirme aujourd’hui comme une émanation  québécoise des libéraux fédéraux canadiens adeptes du bilinguisme et du multiculturalisme. Aussi l’ancien premier ministre du Québec, Jean Charest peut-il affirmer que rien ne démontre que le Québec a actuellement besoin d’une Charte de la laïcité. Il note néanmoins que de facto et indirectement de jure, le Québec est un Etat laïc, mais qui n’a pas tout à fait achevé à ce jour son processus de laïcisation.

Le deuxième parti d’opposition, la Coalition Avenir Québec (CAQ) de François Legault accepterait de limiter l’interdiction de signes religieux aux seuls fonctionnaires ayant un pouvoir coercitif (juges, policiers), et à ceux ayant un rapport d’autorité envers les enfants, c’est-à-dire les enseignants du secteur public.

Les équilibres partisans joueront à la mi-mars 2014, lorsque le gouvernement Marois soumettra à la Chambre son prochain budget qui, déficitaire, entrainera un vote de confiance soumis à une éventuelle censure des partis d’opposition. En cas de renversement du gouvernement péquiste, des élections générales seront convoquées au printemps 2014, avant même que les parlementaires aient eu le temps d’achever l’examen du projet de loi 60, qui compte 52 articles.

Si le gouvernement Marois réussit à se maintenir, il devra composer avec une partie de son opposition, c’est-à-dire avec la Coalition Avenir Québec (CAQ), et donc amender son projet de Charte, pour obtenir son adoption. S’il n’y réussi pas, il s’acheminera vers un rejet de la Charte, comme ce fut le cas avec la réforme avortée de la loi 101.

Force est de constater que l’avenir de la laïcité au Québec demeure ouvert.

Gérard FELLOUS

Février 2014.

 

 

 

  

Réaffirmation des  principes juridiques fondamentaux de la laïcité

Laïcité et justice

Accueilli par Françoise Laborde, sénatrice de Haute Garonne, un colloque s’est tenu le samedi 21 mai 2011 au Sénat sur le thème de : »Laïcité et justice », organisé par l’Observatoire de la laïcité en Essonne. Parmi les participants prirent la parole, Roger-Gérard Schwartzenberg, ancien ministre et président d’honneur du Parti radical de gauche, et Gérard Fellous.

Réaffirmation des principes juridiques fondamentaux de la laïcité

par  Gérard Fellous

La laïcité en France, principe constitutionnel,  est considérée ici sous l’angle de l’ensemble des normes juridiques aussi bien nationales qu’internationales – dont les Droits de l’Homme universels-  définissant les relations entre la citoyenneté républicaine et l’appartenance religieuse, au regard de quatre principes fondamentaux.

-1- Liberté de conscience et d’opinion, « même religieuse »

 

Garantie par : La Déclaration des droits de l’homme et du citoyens (art.10) ;

La loi concernant la séparation des Eglises et de l’Etat-1905 (art.1) ;

La Déclaration universelle des droits de l’homme (art.18 ; art.29) ;

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art.18) ;

La Convention européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe (art.9) ;

Le Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (art.10).

Implique :       *   a)  Liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de    son  choix

*   b) Liberté de changer de religion ou de conviction

*   c) Liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux, de faire assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions.

  • d) Liberté d’exercice des cultes. Liberté  de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte,  l’accomplissement des rites,  l’enseignement, et les pratiques

Les trois premières libertés (a-b-c) sont indérogeables,

seule cette dernière (d) peut être soumise à restrictions prévues par la loi dans une société démocratique (limitations admissibles) : Pour la protection de la sécurité publique, de l’ordre public, de la santé publique, de la morale,  des libertés et droits fondamentaux d’autrui, et du bien-être général, ou en cas de conflits de droit.

Encadrées par : le régime général des libertés publiques ainsi que de la police des cultes (titre V de la loi de 1905).

Commentaires :         -La liberté religieuse, lorsqu’elle est reliée, comme cas spécifique, à la liberté de conscience, c’est-à-dire dans sa forme intime et privée, est un droit indérogeable, ne souffrant aucune restriction ;

-La liberté religieuse, lorsqu’elle se rattache à la liberté de manifestation des cultes, en particulier dans sa forme collective, c’est-à-dire dans le cadre de l’expression religieuse dans une société laïque,  peut être soumise à « certaines restrictions », à des limitations admissibles édictées par la loi seulement, au même titre que toutes les collectivités traditionnelles (associations, communication, presse…)

-L’ordre public est de la seule responsabilité de l’Etat, les autorités religieuses ne peuvent ni le perturber, ni participer à sa définition.

-2-Egalité et non-discrimination entre les citoyens

-  La Déclaration des droits de l’homme et du citoyens (art.1), la Constitution française (art.1), la Déclaration universelle des droits de l’homme (art.2), ainsi  que  les instruments internationaux et régionaux des droits de l’homme garantissant les libertés fondamentales, affirment que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ; et interdisent toute discrimination, notamment à raison de la religion et de l’opinion.

Implique :

  • L’égale dignité des personnes ;
  • L’égalité de droit et de traitement entre citoyens, y compris entre croyants de différentes religions ;
  • L’égalité de traitement entre croyants et non-croyants (athées, agnostiques…) ;
  • Le refus du communautarisme, la République étant constitutionnellement « une et indivisible ».

Remarques :   – Le principe de non-discrimination exclu tout traitement           dérogatoire, appelé aussi dans le système anglo-saxon « discrimination positive ». Toute discrimination doit être supprimée, plutôt que compensée ;

- Il exclue également le « droit à la différence » en particulier  fondé sur la confession religieuse ;

-Le communautarisme qui accorde des droits et des traitements spécifiques collectifs à des groupes définis par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance, ne doit pas être confondu avec le multiculturalisme, qui est la coexistence de l’expression libre de plusieurs cultures dans une  même société.

- La loi commune, s’exerçant dans  l’espace commun à tous les hommes, sans aucune distinction, est le fondent d’une éthique universelle.

-3-Séparation des Eglises et de l’Etat

Garantie par :   La  Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;

La loi du 9 décembre 1905 modifiée ;

La Constitution française du 4 octobre 1958 (art. 1er.)

Implique :

  • a) La République et la légitimité institutionnelle de l’Etat sont indépendantes d’un ordre de transcendance et d’un droit religieux ;
  • b) La dissociation claire entre un espace politique et civil qui procède de l’universel, et le domaine privé, lieu privilégié de la conscience et des croyances religieuses, tant vis-à-vis de l’individu que des groupes ;
  • c) Le principe républicain de privatisation, c’est-à-dire de sortie du religieux de l’espace public;
  • d) Le double refus de la République d’une part de reconnaitre et d’autre part de salarier ou de subventionner une religion (suppression du service public du culte, du financement public…).

Commentaires :         -La séparation juridique entre les institutions publiques et les religions excluent que l’Etat puisse être soumis- d’aucune manière- à un quelconque magistère religieux ;

-C’est la République qui est laïque dans toutes ses acceptions, et en particulier l’Etat, les services publics nationaux et décentralisés (agents et usagers), les collectivités locales ;

-La laïcité en tant que principe de séparation juridique n’est pas à confondre avec « la sécularisation » qui vise à organiser des rapports, plus ou moins étroits entre le politique et une ou plusieurs religions (par exemple en Allemagne ou en Suisse).

-4-Neutralité juridique de l’Etat

En corollaire des précédents principes de liberté de conscience d’une part, et d’autre part de séparation, et particulièrement du fait que la République ne reconnait aucune religion, l’Etat est tenu à un principe de neutralité par rapport à toutes les convictions, y compris religieuses.

Implique :

  • Le principe d’autonomie :

a)    L’Etat ne peut intervenir dans l’organisation, ou le développement  d’aucune religion ;

b)    Réciproquement, il n’est pas permis aux religions de s’impliquer, à titre collectif, dans l’espace du politique et dans l’expression de la souveraineté de la Nation.

  • Le principe de pluralisme et de cohabitation   :

a)    La République ne distingue pas entre les religions, selon leur importance, leur ancienneté, leur dogme ou leurs observances. Les lois s’appliquent également à toutes.

b)    L’Etat s’abstient d’intervenir dans les relations entre les religions, sauf dans le cas de maintien de la paix civile ;

c)     Aucune religion ne peut prétendre à un statut privilégié en droit, sauf dérogations prévues par la Loi de 1905.

Commentaires :

-  L’Etat accepte que les religions s’organisent de façon autonome, et leur délègue toute l’organisation de leur structure et de leur culte.

-   Les religions sont également soumises au droit commun.

-  Le droit religieux (canonique, rabbinique, chariaa…) doit se soumettre au droit civil, et ne bénéficie d’aucune priorité ou exception. Les expressions de ce droit  religieux ne peuvent se manifester que dans le cadre précis du droit à l’intimité de la vie privée.

- L’Etat ne s’immisce pas dans la vie privée des citoyens, particulièrement en matière de conscience et de conviction religieuse ;

- Toutes les institutions publiques constituent un espace neutre dans lequel ne s’affiche ou ne se manifeste aucune idéologie ou aucune croyance ;

- Dans l’ensemble des services publics, locaux publics et monuments, les usagers bénéficient d’un accès et d’un traitement égal, quelles que soient leurs opinions religieuses ; les agents publics sont soumis à la même neutralité dans l’exercice de leurs fonctions.

- Le pluralisme des religions s’exerce dans l’espace public, à l’exclusion des institutions et du domaine étatiques.

- L’espace public est juridiquement neutre, c’est-à-dire impartial, au service de l’intérêt général, protégé et indépendant de toute intervention prosélyte. Il est soumis au respect de l’ordre public, des libertés fondamentales et de l’intégrité des personnes. L’expression religieuse et l’exercice du culte sont régis dans l’espace public par la police des cultes (titre V de la loi de 1905)

S’entend par « espace public » les espaces dont la collectivité publique est propriétaire, qui sont attachés au domaine public artificiel immobilier de cette collectivité et qui sont affectés à l’usage direct du public.  Il s’agit en l’occurrence des voies publiques ainsi que les lieux ouverts au public ou affectés à un service public, à l’exclusion des lieux de culte ouverts au public.

Remarques générales

1 : Les principes de la laïcité, ainsi rappelés, sont indivisibles. Sauf à dénaturer la laïcité, il est impossible de favoriser l’un d’entre eux au détriment des autres, ou de n’en retenir qu’une partie

2 : Des normes juridiques d’application de la laïcité, dans les cas –et dans les cas seulement– où il s’agit de restrictions ou limitations admissibles, peuvent faire l’objet de lois complémentaires, ne remettant nullement en cause les principes fondamentaux de la laïcité, mais en les approfondissant en droit coutumiers pour des situations nouvelles.

3 : Dans un Etat de droit, il est exclu de procéder par mesures empiriques souvent conjoncturelles, négociations politiques, ou adaptations amiables, par secteur public ou par sujet, ce que l’on appelle par ailleurs «  des accommodements raisonnables » qui n’ont pas de statut juridique.

4 : Le secteur privé, particulièrement le monde du travail qui s’intègre à la République laïque peut prendre toute disposition règlementaire intérieure afin de se mettre en conformité avec les principes de la laïcité,

5 : Par ailleurs la laïcité, dont les principes démocratiques et républicains sont universels, se caractérise également par une chronologie historique spécifique à chaque pays, par des options politiques de construction de la paix civile, par des évolutions sociologiques particulières  et par des réflexions philosophiques sur sa valeur morale.