Conférence mondiale sur le racisme – Durban I-
La troisième Conférence mondiale des Nations unies contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée s’est tenue en septembre 2001 à Durban / Afrique du Sud. La CNCDH-France y était représentée par son président, M. Jean Khan et par son secrétaire général M. Gérard Fellous qui prit une part active tant auprès du réseau international des I.N., que dans la délégation officielle française.
Impressions : Le contraste entre les différents quartiers de la mégapole Johannesburg est saisissant pour un européen. De l’hôtel Balalaïka dans le quartier huppé des grattes ciel de Standfor à l’immense concentration horizontale de Soweto, c’est un bond entre plusieurs siècles et plusieurs Afrique que nous faisons sans transition. Soweto l’explosive nous parait bien assagie avec ses rues viabilisées, ses constructions en dur à perte de vue, ses restaurants pour touristes et la visite incontournable de la maison de Mandela. Mais nous traversons les quartiers « downtown » de Johannesburg dans un bus à impériale, voyant défiler des rues défoncées et peu sures, à l’ombre des terrils des anciennes mines à ciel ouvert. L’accueil que nous réserve la Commission sud-africaine des droits de l’homme est chaleureux et exemplaire. Son implication dans l’organisation de la Conférence mondiale est forte et efficace.
Les travaux.
Les travaux préparatoires entre Institutions nationales se sont tenus à Durban, le 1 er. septembre, pour aboutir à l’adoption d’une déclaration commune. On retiendra de celle-ci qu’il est demandé qu’ « une attention particulière soit accordée aux situations susceptibles d’engendrer une escalade pouvant aboutir à un génocide, à une purification ethnique avec ou sans conflit armé. Les Institutions nationales ont un rôle à jouer dans les processus d’alerte rapide relatifs aux risques liés à ce genre de situation ». Elles « reconnaissent que l’effectivité du combat contre le racisme… requiert absolument une volonté politique des Etats ».
Dans leurs recommandations à la Conférence mondiale, les Institutions nationales « demandent aux Etats d’inscrire dans leurs compétences et attributions la lutte contre le racisme et de leur fournir des ressources humaines et financières suffisantes ». Elles prennent l’engagement de veiller « à la promulgation , à l’amélioration et au renforcement des législations nationales » en ces matières ; de même qu’elles s’engagent à participer aux plans d’action mis en place par les gouvernements, particulièrement en matière de prévention, de dénonciation et d’enquête ( y compris sur Internet) , de campagnes d’information, et enfin déclarent qu’ elles « mettront en œuvre ou favoriseront, là où cela s’avèrera indiqué, le recours aux mesures alternatives de résolution des conflits dans le cas de discriminations… »
Cette déclaration des Institutions nationales a été transmise comme contribution à la Conférence mondiale. De plus, elle a été lue devant l’assemblée plénière et annexée aux documents officiels des Nations Unies.
On remarquera que durant leurs travaux, les Institutions nationales ont évité, par consensus tacite, d’introduire tout élément de nature politique, concernant en particulier Israël, qui a par ailleurs donné lieu à d’âpres débats polémiques à Durban. Elles ont considéré que les questions relatives à la décolonisation, aux luttes de libération nationale, au Proche-Orient, à l’impact de l’esclavage etc… ne devraient pas les diviser. Elles ont résisté aux pressions de certains Etats et ONG, pour parvenir à une position commune strictement liée aux questions de racisme.
A la veille de l’ouverture de la Conférence mondiale, le 30 août, la centaine de représentants de soixante-dix Institutions présentes recevaient la Haut-commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme, au cours d’un dîner offert par le président de la Commission sud-africaine des droits de l’homme, le Dr. Barney Pityana. Mme. Mary Robinson soulignait, dans son allocution, le rôle important que les Institutions nationales seront appelées à jouer durant la Conférence mondiale et dans son suivi. Elle a rappelé le rôle déterminant joué par les Institutions nationales dans la préparation de la Conférence et les a remercié pour leur déclaration commune. Mme. Robinson les a enfin encouragés à participer activement aux travaux, au niveau le plus élevé.
Participation active
Durant les travaux de la Conférence mondiale Mme. Robinson, dans sa fonction de Secrétaire général, a invité les Institutions nationales à participer, le 3 septembre, à une réunion conjointe avec les membres des organes de traités et les agences de l’ONU sur le thème : « Eléments d’une alliance globale contre le racisme… : Le rôle et les responsabilités des organes relevant des traités des droits de l’homme, des Institutions des droits de l’homme et autres institutions concernées ». L’objectif du Haut-commissariat était de constituer « une alliance contre le racisme », suscitant une participation active des Institutions nationales et créant une synergie avec les organes des traités, en particulier le CERD (Comité pour l’élimination de la discrimination raciale) et le CEDAW (Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes).
Par ailleurs, les Institutions nationales ont été invitées à participer aux « évènements parallèles », particulièrement en ce qui concerne « les liens entre le Sida/HIV et la discrimination » (5 septembre).
Il faut noter que durant toute la Conférence de Durban, les Institutions nationales ont bénéficié d’un bulletin de liaison édité par le Commission sud-africaine des droits de l’homme. Un secrétariat permanent était mis à leur disposition, organisant des réunions de coordination tous les deux jours.
Impressions : Le Centre des conférences internationales de Durban est un vaste complexe de halls dans lesquels se mêlent des milliers de participants venus des quatre coins de la planète, pour bon nombre d’entre eux en costume national. La douce et calme station balnéaire de Durban est transfigurée. Les délégations des Institutions nationales sont logées en plusieurs hôtels du bord de mer. La Commission sud-africaine des droits de l’homme est installée dans l’un d’entre eux, au Royal Hôtel, proche du centre des expositions.
Nous constatons que la Conférence se transforme bien vite en un gigantesque forum politique où toutes les « causes », tous les thèmes sont exposés et défendus par une myriade d’ONG de toutes natures. Les Institutions nationales ont du mal à trouver leur place dans les manifestations parallèles ou dans les salles d’exposition. Elles se concentrent sur les travaux menés avec les Etats, évitant les « happenings » permanents organisés en marge des travaux par des « collectifs » ou des regroupements de lobbying. Les échos des assemblées générales d’ONG, des spectacles musicaux, des meetings politiques et même du marché aux objets folkloriques parviennent néanmoins jusqu’à nous. Les Institutions nationales se rencontrent, plusieurs fois par jour, dans un jardin attenant à la salle plénière, autour d’un café, pour échanger leurs informations et coordonner leurs positions.
Un statut et des résolutions favorables.
Le règlement de la Conférence de Durban a prévu, en son point 65 que « les représentants désignés par les Institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme peuvent participer, à titre d’observateurs, aux délibérations de la Conférence, de tous comité ou groupe de travail sur les questions de leur compétence ».
Il ajoute que « dans le cas où un pays n’a pas d’Institution nationale, les représentants désignés par les Ombudsman ou par des organismes indépendants spécialisés dans la promotion et la protection de l’égalité raciale, peuvent participer, à titre d’observateurs, aux (mêmes) délibérations ». Le règlement joint une première liste de quarante-cinq Institutions nationales ou assimilées.
En pratique, les Institutions nationales sont informées que, compte tenu de la capacité de cinq mille participants dans le centre de conventions internationales de Durban, celles-ci devront réduire leur présence à deux participants pour chacune d’entre elles en séance plénière. Il est demandé de s’inscrire sur une liste d’intervenants pour une prise de parole de cinq minutes par Institution nationale et de déposer trois cent exemplaires de chaque intervention qui seront diffusés .Par ailleurs, la participation au Comité principal des résolutions (50 à 60 places) est accessible à une délégation représentative des Institutions nationales. Enfin, leur participation au Centre d’expositions et aux évènements parallèles n’est pas limitée. C’est le Bureau des Institutions nationales du Haut-commissariat aux droits de l’homme qui se charge de la coordination entre la présidence, le bureau de la Conférence et les Institutions nationales.
Il faut remarquer que ce règlement fait une claire distinction entre les Institutions nationales de compétence générale en matière de droits de l’homme, et les organismes spécialisés en matière de racisme, leur donnant le même statut. Néanmoins, la Conférence de Durban est silencieuse sur la distinction entre les Institutions nationales dites accréditées, c’est-à-dire conformes aux « Principes de Paris », et celles, en particulier étatiques ou en cours de constitution, qui jouissent du même statut. Il n’en demeure pas moins que dans la pratique, les Institutions nationales ont, elles- mêmes, organisé la priorité d’expression à celles jugées conformes à la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU de 1993.
La Déclaration finale de Durban contient un paragraphe (112) consacré aux Institutions nationales. Il déclare :
« Nous reconnaissons l’importance des Institutions nationales indépendantes, conformes aux Principes relatif aux statut des Institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme, annexés à la résolution de l’Assemblée générale 48/134 du 20 décembre 1993, et d’autres institutions spécialisées créées par la loi pour la promotion et la protection des droits de l’homme, y compris les institutions de l’Ombudsman, dans la lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, aussi bien que pour la promotion des valeurs démocratiques et de l’Etat de droit.
Nous encourageons les Etats, dans le cadre le mieux approprié, de créer de telles institutions et demandons aux autorités et à la société en général de ces pays où elles exercent leurs actions de promotion, de protection et de prévention, de coopérer de la meilleure manière possible avec ces institutions, dans le respect de leur indépendance ».
Ce texte, présent dès la première version du projet, n’a fait l’objet d’aucune contestation.
De plus, le Programme d’action adopté à Durban invite les Etats à prendre toute une série de mesures et notamment à élaborer avec les Institutions nationales et avec la société civile un plan d’action national et à le transmettre aux Nations unies.
Sous le titre de chapitre « Création et renforcement des Institutions nationales indépendantes, spécialisées et de médiation », le Programme d’action précise (paragraphes 90 et 91) :
« …demande( urges) aux Etats membres de créer, de consolider, revoir et renforcer l’effectivité des Institutions nationales des droits de l’homme indépendantes, de la manière la plus appropriée, particulièrement sur les points relevant du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, en conformité avec les Principes relatifs aux statuts des Institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme, annexés à la résolution de l’Assemblée générale 49/134 du 20 décembre 1993, et de les doter de ressources financières adéquates, d’une compétence et d’une faculté d’investigation , de recherche, d’éducation et de campagnes publiques pour combattre ces phénomènes ».
« De même, demande (urges) aux Etats :
- de favoriser la coopération entre ces Institutions et d’autres organes nationaux ;
- de veiller à ce que des individus ou groupes d’individus qui sont victimes du racisme…puissent participer pleinement à ces Institutions ;
- de soutenir ces Institutions et organes similaires, en particulier pour la publication et la diffusion des législations nationales existantes et de la jurisprudence, et pour la coopération avec les Institutions d’autres pays, afin de mieux connaître les manifestations, les caractéristiques et les mécanismes de ces pratiques ainsi que les stratégies mises en œuvre pour les prévenir, les combattre et les éradiquer » [1]
Ainsi la Conférence de Durban souligne l’importance des Institutions nationales et appelle les Etats à les soutenir et à coopérer avec elles. Elle demande que leurs compétences soient élargies au racisme. Elle leur fixe une « feuille de route » pour les années à venir.
Le suivi de Durban
Appelées à assurer le suivi de la Conférence mondiale, les Institutions nationales ont consacré plusieurs de leurs réunions à ce thème. On citera par exemple la Table ronde régionale sur le racisme qui s’est tenue en Nouvelle Zélande (Auckland : 2 à 5 février 2004). A cette occasion, quinze Institutions nationales de la région Asie/Pacifique ont échangé leurs « bonnes pratiques », précisé leurs actions dans la lutte contre ces phénomènes et jeté les bases d’une coopération avec les pouvoirs publics, les milieux économiques et les médias.
(Extrait de l’ouvrage « Les Institutions nationales des droits de l’homme » de Gérard Fellous, édité à La Documentation Française).