« Il est nécessaire de faire éclater la justice pour empêcher le puissant de faire tort au faible »
Hammourabi Code – XVIII° siècle avant J.C.
« Quant tu sors de chez toi, conduit-toi avec chacun comme tu le ferais avec un hôte de marque. Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ».
Confucius- 551-479
« Fais régner la justice et la vérité aussi longtemps que tu demeures sur terre .Apaise celui qui pleure… Ne tue pas, c’est inutile et préjudiciable pour toi » Enseignement pour Merikare- Egypte ancienne-
X° dynastie- Fin du III° millénaire avant J.C.
ETUDE 1
LES CARACTERISTIQUES
DES INSTITUTIONS NATIONALES DES DROITS DE L’HOMME
Que sont ces « Institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme » dont la reconnaissance et la légitimité ont été à maintes reprises reconnues par la communauté internationale, ainsi que nous l’avons vu précédemment ? Quelles sont leurs caractéristiques ? Quelles sont leurs missions au plan national ?
Avant 1991, leur définition et leur profil étaient relativement imprécis. En témoignent les terminologies différentes employées. La seule certitude claire était qu’elles ne pouvaient être assimilées ni à une forme d’organisme étatique, ni à une Organisation non gouvernementale. Elles se situaient comme un « acteur de troisième type » national, dans le domaine des droits de l’homme. Elles constituaient bien une « famille » ; mais dont les contours étaient alors flous.
Pourtant de nombreuses missions leur étaient fixées, qui tenaient lieu de définition. Dans les années 1960 et 1970, en même temps que se développait l’action normative internationale dans le domaine des droits de l’homme, la fonction de ces Institutions nationales devint de plus en plus axée sur la façon dont elles pouvaient contribuer à l’application effective des ces règles internationales dans leur contexte national.
La genèse des Principes de Paris.
En 1978, un premier « Séminaire sur les Institutions nationales et locales pour la promotion et la protection des droits de l’homme » était organisé à Genève (18 au 29 septembre 1978) sous l’égide du Centre pour les droits de l’homme des Nations unies.[1]. Ce séminaire esquissait les fonctions que devaient s’assigner les Institutions nationales, mais sans répondre précisément à la résolution de la Commission des droits de l’homme[2] qui lui demandait de préciser « les principes directeurs concernant la structure et le fonctionnement des Institutions nationales » .Il est intéressant de citer les six fonctions dégagées au cours de ce séminaire.
Les Institutions nationales ont pour tache de :
- Fournir à leur gouvernement, ainsi qu’à la population du pays, des renseignements sur les questions ayant trait aux droits de l’homme ;
- contribuer à éclairer l’opinion publique pour qu’elle prenne conscience des droits de l’homme et les respecte ;
- examiner toute situation particulière qui peut se présenter sur le plan national et que le gouvernement peut décider de soumettre à l’Institution ; délibérer et formuler des recommandations à ce sujet dans les limites de leur mandat spécifique ;
- jouer un rôle consultatif auprès de leur gouvernement national au sujet de toutes questions concernant les droits de l’homme que celui-ci peut leur soumettre ;
- étudier le suivi des lois , des décisions judiciaires et des dispositions administratives concernant la promotion des droits de l’homme, et présenter des rapports périodiques, à intervalles déterminés, à l’autorité compétente désignée par le gouvernement ;
- accomplir toute fonction que le gouvernement peut leur confier pour l’aider à s’acquitter de ses propres obligations, en vertu des conventions relatives aux droits de l’homme.
Chacune de ces fonctions est déclinée en plusieurs points par le séminaire.
On remarquera qu’alors que les textes antérieurs précisaient le rôle des Institutions nationales dans le système des Nations unies, ces recommandations du séminaire de 1978 précisent leurs compétences nationales ainsi que les relations entre celles-ci et les pouvoirs publics.
La seconde originalité de ce texte est que, pour la première fois, il indique des pistes quant à la structure interne des Institutions nationales. Elles sont au nombre de neuf et préfigurent les travaux ultérieurs qui donneront naissance aux Principes de Paris :
- Les Institutions nationales devraient être conçues de manière à faire participer tous les secteurs de la population au processus de la prise des décisions en matière de droits de l’homme ;
- les Institutions nationales dans le domaine des droits de l’homme devraient être des autorités ou des organes prévus par la constitution et la loi de l’Etat membre intéressé et exerçant leurs fonctions dans le cadre de cette constitution et de cette loi ;
- dans les limites de la constitution et de la loi de l’Etat membre intéressé, les Institutions nationales devraient être des organes autonomes, impartiaux et directement régis par la loi ;
- dans leur composition, les institutions ou commissions nationales devraient être représentatives de l’ensemble du public ;
- les nominations à ces Institutions nationales devraient être faites pour une durée déterminée et les personnes ainsi nommées ne devraient pas pouvoir être démises de leurs fonctions arbitrairement ou sans un juste motif ;
- les Institutions nationales devraient être dotées d’un personnel suffisant pour pouvoir s’acquitter efficacement des fonctions que la loi leur assigne ;
- les Institutions nationales devraient fonctionner sur une base régulière et tout membre du public ou toute autorité publique devrait avoir facilement et rapidement accès à ces institutions ;
- les Institutions nationales devraient disposer, le cas échéant, d’organes consultatifs locaux ou régionaux pour les aider à s’acquitter de leurs fonctions. Chaque fois que cela est possible, ces organes devraient adresser aux Institutions nationales des rapports publics ;
- chaque fois que cela est possible, les Institutions nationales devraient créer leurs propres organes locaux et régionaux, où siègeraient des personnes familiarisées avec les problèmes locaux.
Il faut noter que ces recommandations élaborées par le séminaire de 1978 ont été approuvées par une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU[3] , ainsi que par une résolution de la Commission[4] .
Ainsi, en dépit de normes générales concernant la pratique et les attributions de l’Institution nationale, il n’existait pas encore de définition précise acceptée. A l’origine le cadre des Nations unies était assez flexible pour y faire entrer presque tous les organismes qui, sur le plan national, avaient un rôle direct ou indirect en matière de promotion et de protection des droits de l’homme.
Du reste , le Secrétaire général de l’ONU, sur large mandat donné par l’Assemblée générale[5] , estime dans son rapport de 1982 que la notion « d’Institutions » ne se limite pas aux autorités, organes et procédures créés par la loi. Il y inclue une large gamme d’organisations qui se sont développées de manière autonome : Eglises, médias, associations professionnelles et syndicats, mouvements de libération et autres organismes bénévoles, dans la mesure où elles peuvent être liées à la promotion et à la protection des droits de l’homme. Mais les notions de « promotion » et de « protection » ne sont pas plus définies avec précision dans les débats ou résolutions des Nations unies. Par « Institutions de promotion » , le Secrétaire général entend au sens large, des institutions qui ont pour vocation de définir la portée des droits de l’homme par une action normative, ainsi que toutes les politiques et mesures visant à sensibiliser davantage à ces droits et à en faciliter la jouissance effective. Sont considérées comme visant à « la protection » des droits de l’homme, les Institutions qui ont pour objectif de prendre des mesures pour sanctionner les violations. La séparation entre ces deux fonctions s’est vite avérée artificielle, de sorte que l’on parle désormais de « promotion et de protection », de manière interdépendante.
Progressivement, les travaux des Nations unies ont circonscrit les « Institutions nationales » à un groupe plus limité, en précisant certains types de fonctions, telle que l’éducation et l’information du public, les conseils au gouvernement, les règles d’examen des plaintes individuelles.
Mais c’est le second Séminaire, tenu à Paris (7 au 9 novembre 1991), à l’invitation de la Commission nationale consultative des droits de l’homme –France, qui marquera un progrès décisif en ce qu’il est, à cette occasion, précisé pour la première fois, de manière synthétique, la définition d’une Institution nationale, c’est-à-dire les normes minima applicables à leur statut.
Il faut noter que vingt-cinq commissions nationales, se déclarant comme telles et officiellement constituées, ainsi que, en qualité d’observateurs, des représentants d’organisations régionales, des ONG internationales et des instituts de formation et de diffusion, étaient invitées à Paris, en présence de M. Jan Martenson, directeur général de l’Office des Nations unies à Genève. La première préoccupation des quatorze Institutions présentes (en présence de représentants de 35 pays) était de se présenter et de mieux se connaître mutuellement, en particulier en précisant leurs relations avec l’Etat et avec d’autres partenaires, telles que les ONG. Très vite, elles constatèrent leurs différences et affirmèrent leur volonté de trouver des dénominateurs communs. Ainsi, c’est bien vite le thème des « attributions et compétences » des Institutions nationales qui retint toute leur attention.
La résolution finale de ce premier Atelier international, transmise à la Commission des droits de l’homme, précise, à l’intention des gouvernements, les « principes concernant le statut des Institutions nationales et leur rôle consultatif ». Ces principes tournent autour de trois chapitres : -compétences et attributions ;- composition, garanties d’indépendance et de pluralisme ;- modalités de fonctionnement ; auxquels viennent s’ajouter des « principes complémentaires concernant le statut des Institutions nationales ayant des compétences à caractère quasi juridictionnel ». Ce dernier chapitre est justifié par les attendus qui constatent que « ces Institutions nationales empruntent le plus souvent une forme soit collégiale (commissions nationales des droits de l’homme), soit personnalisée (Ombudsmans ou Médiateurs) ; qu’outre leur compétence consultative dans le domaine des politiques des droits de l’homme, certaines d’entre elles ont des compétences quasi juridictionnelles en ce qui concerne les atteintes aux libertés individuelles ». La recommandation de Paris soulignait « particulièrement l’importance spécifique et l’efficacité des Ombudsmans et Médiateurs dans la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
Il faut souligner que ces principes ont été élaborés par les Institutions nationales elles-mêmes. Ils ont été repris, mot pour mot, par la Commission des droits de l’homme en 1992[6] et annexés intégralement à la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies (29 novembre 1993), sous le titre : « Principes concernant le statut des Institutions nationales », plus communément appelés « Principes de Paris ». Ils donnent, depuis, une définition officielle, admise par la communauté internationale et les Etats parties de l’ONU, qui sera le fondement de leur reconnaissance et, plus tard, de leur accréditation.
Les Principes de Paris.
L’esprit des Principes de Paris est précisé aussi bien dans la résolution de l’Assemblée générale de 1993 qui les annexe, que dans les attendus de la recommandation de l’Atelier de Paris de 1991.
La résolution de l’Assemblée générale « réaffirme qu’il importe de créer, conformément à la législation nationale, des Institutions nationales efficaces pour la promotion et la protection des droits de l’homme, de veiller au pluralisme de leur composition et d’en assurer l’indépendance ». On retiendra l’exigence fondamentale d’indépendance, et les notions « d’efficacité » de l’Institution nationale pour le respect « effectif » des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Sur la composition, l’exigence de « pluralisme » est soulignée.
Sur leur mission, l’Atelier de Paris citait « la protection des libertés fondamentales, la promotion de la démocratie, le renforcement du dialogue entre l’Etat et la société civile, dans l’avènement d’une culture universelle des droits de l’homme ».
Reprenant la déclaration et le programme d’action de la Conférence mondiale de Vienne, la résolution de l’Assemblée générale citait « en particulier leur qualité de conseillers des autorités compétentes, ainsi que leur rôle dans l’action visant à remédier aux violations dont ces droits font l’objet, et celui concernant la diffusion d’informations sur les droits de l’homme et l’éducation en la matière ».
Sur les liens avec les Nations unies, la résolution de l’Assemblée générale
estime que l’Organisation « peut jouer un rôle de catalyseur dans la mise en place des Institutions nationales en servant de centre d’échange d’informations et de données d’expérience ». On remarquera le terme modeste de « catalyseur », respectueux de l’indépendance des Institutions nationales.
Enfin, concernant le respect , par les Etats, du standard international que constituent les Principes de Paris, la recommandation de l’Atelier de Paris note « qu’il appartient à chaque Etat d’opter pour la forme d’Institution nationale répondant le mieux aux besoins qui se manifestent au plan national » , et la résolution de l’Assemblée générale de paraphraser avec la formule : « Il appartient à chaque Etat de choisir le cadre le mieux adapté à ses besoins propres au niveau national » .Ainsi, il est laissé une certaine latitude aux Etats pour donner forme aux Principes de Paris, considérés comme un plus petit commun dénominateur.
A qui s’appliquent les Principes de Paris ? A une institution qualifiée de « nationale ». On remarquera que les institutions « locales », citées précédemment, ne sont plus prises en compte géographiquement. Ainsi, une Institution nationale doit couvrir l’ensemble du territoire d’un pays. Cette précision est importante car elle écarte, dans les pays fédéraux en particulier, les institutions créées par un état, une province, une région, un Lander , un canton , ce qui serait le cas , par exemple aux États-unis d’Amérique, au Canada, en Australie, en Espagne ou en Suisse.
Par ailleurs , du fait de la compétence générale d’une Institution nationale en matière de droits de l’homme et de leur indivisibilité , les Principes de Paris ne concernant pas les institutions dites spécialisées, traitant uniquement un aspect des droits de l’homme. Il s’agit par exemple des institutions se consacrant exclusivement au racisme et aux discriminations, aux enfants, aux femmes, aux handicapés, aux groupes vulnérables et aux peuples indigènes…
Dans la lettre, les Principes de Paris fixent quatre types d’exigences portant sur l’indépendance, les compétences et pouvoirs, la coopération et l’accessibilité. Nous en faisons l’analyse suivante :
Indépendance :
Outre l’affirmation explicite d’indépendance qui peut être inscrite en exergue du texte constitutif, mais qui n’est pas suffisante, elle se vérifie effectivement dans cinq critères cumulatifs : – Autonomie juridique ;- composition pluraliste et stable ;- autonomie financière ; – auto saisine et transparence ;- efficacité technique.
1) — Une Institution nationale est dotée d’un mandat, déterminant sa composition et son champ de compétence, « clairement énoncé dans un texte constitutionnel ou législatif ».
Cette disposition préalable a plusieurs implications : Elle confère une haute légitimité juridique et situe l’Institution nationale dans les normes nationales les plus élevées, montrant son indépendance par rapport aux autres pouvoirs, exécutif et judiciaire en particulier. Mais le choix reste ouvert.
Dans les faits, trois possibilités sont offertes :- la création prévue dans la Constitution, qui renvoie à une loi ;- la création par une loi ou un Acte voté par le Parlement ;- la création par un décret de l’exécutif (Président ou Premier ministre), cette dernière formule n’étant pas prévue explicitement par les Principes de Paris, mais généralement admise et pratiquée dans plusieurs pays. Le degré d’indépendance est indiqué par cette hiérarchie décroissante.
Cette « identité juridique » permet de déterminer la place de l’Institution nationale par rapports aux autres institutions de l’Etat. De plus, de la nature de la norme juridique dépendra la pérennité et l’indépendance par rapport au pouvoir exécutif, encore qu’une nouvelle loi ou même la révision de la Constitution puissent défaire un premier acte, à la faveur de changements politiques. Dans tous les cas, cette « identité juridique » est nécessaire, mais pas suffisante, d’autres garde-fous pouvant jouer, par exemple par la composition pluraliste, lorsque l’acte constitutif est un décret de l’exécutif. On verra que cette indépendance proclamée dépend aussi essentiellement de la volonté et du courage des membres de l’assumer.
En réalité, cette norme constitutive renvoie à la relation que l’Institution nationale entretient avec son « autorité de tutelle », qu’il s’agisse du Parlement ou du pouvoir exécutif, ainsi qu’on le verra plus loin, lorsqu’il s’agira de la coopération avec l’Etat.
A l’origine de la création d’une Institution nationale se trouve toujours une volonté politique affirmée. C’est l’Etat qui décide de prendre un engagement dans le domaine des droits de l’homme, par différentes mesures, en particulier en acceptant de créer une Institution nationale. Les motivations politiques sont diverses. Pour les instances onusiennes, cet engagement montre un attachement aux droits de l’homme, certains diront un « souci de respectabilité » dans la communauté internationale, comme un gage donné par une démocratie. De fait, le respect effectif des droits de l’homme fait intimement partie d’une démocratie, d’un Etat de droit et d’une bonne gouvernance. Il n’en demeure pas moins que ce « geste politique » peut n’être que théorique, si l’Institution nationale n’est pas créé conformément aux Principes de Paris. Au plan national, dans tous les cas, une Institution nationale fait partie des dispositifs de prévention et de diffusion des droits de l’homme, et s’avère être un outil très utile dans une démocratie naissante, mais aussi dans les pays de vieille tradition démocratique et fortement engagés dans les droits de l’homme. Néanmoins, cette volonté politique qui « joue le jeu » doit prendre en compte l’indépendance de l’Institution nationale, d’où en particulier le choix de la norme constitutive la plus élevée possible.
2) —Le deuxième critère concourant à l’indépendance est celui d’une composition pluraliste. Les Principes de Paris énoncent explicitement que « la composition de l’Institution nationale… (doit) être établie selon une procédure présentant toutes les garanties nécessaires pour assurer la représentation pluraliste des forces sociales (de la société civile) concernées par la promotion et la protection des droits de l’homme ».
Et de citer en détail « notamment » les catégories suivantes : des ONG compétentes dans le domaine des droits de l’homme et de la lutte contre les discriminations raciales ;- des syndicats ;- des organisations sociaux professionnelles intéressées ( notamment de juristes, médecins, journalistes et scientifiques) ;- des représentants des courants de pensée philosophique et religieux ;- des universitaires et experts qualifiés ;- des représentants du Parlement ;- et des représentants des administrations.
Les Principes de Paris ne se prononcent pas sur la question du nombre de membres (ou de commissaires), laissée à l’appréciation de chaque Etat.
Cette composition pluraliste a deux objectifs : le premier est de favoriser le dialogue entre l’Etat et la société civile. Ce dialogue montre bien que les droits de l’homme sont l’affaire de tous, et pas exclusivement de l’Etat, chaque citoyen étant impliqué. Le second objectif est que l’indépendance des membres par rapport à l’Etat, qu’il s’agisse des ONG, des syndicats, des religieux, des universitaires, des juristes, médecins ou journalistes, lorsqu’elle est effective, est un gage d’indépendance pour l’Institution nationale elle-même. Faut-il encore que cette composition respecte bien la diversité de la société civile, et que ses membres fassent réellement preuve d’impartialité. De plus, il faut noter que la présence des administrations, c’est-à-dire des représentants de l’exécutif, lorsqu’elle est décidée, est assortie d’une condition qui conforte l’indépendance : Les Principes de Paris précisent que « ces représentants ne participent aux délibérations qu’à titre consultatif », c’est-à-dire qu’ils n’ont pas droit de vote et ne peuvent influencer les décisions. Ces précautions sont nécessaires, mais là encore pas suffisantes, si la composition est faite de telle manière que l’exécutif s’assure le contrôle des travaux, comme on le remarque dans plusieurs pays.
Mais cette condition de pluralisme des membres trouve sa limite lorsque l’Institution nationale se compose d’un seul ou quelques membres, comme ce peut être le cas pour l’Ombudsman ou Médiateur.
Reste à savoir qui nomme et renouvelle les membres ? Et selon quelle procédure ? Sur ces points les Principes de Paris restent volontairement imprécis. Ils indiquent seulement que leur désignation peut être faite « par voie élective ou non » et que « leur nomination est faite par un acte officiel ». Latitude est laissée pour une nomination par la représentation parlementaire ou par l’exécutif (Président ou gouvernement). Dans les faits, rien n’empêche une combinaison entre l’un et l’autre, par la formule « sur proposition… ».C’est par exemple le cas d’un régime présidentiel comme aux États-unis où le Président à la capacité de choisir les membres de la « Commission of Civil Rights » , alors que c’est au Sénat que revient le pouvoir de nomination, ou d’un régime semi-présidentiel, comme au Niger. Cette dernière possibilité existe aussi dans le cas où un « Forum de la société civile » fait une proposition de nomination, comme au Burkina Faso. Le cas de la nomination du président de l’Institution nationale peut faire l’objet d’une variante. Il peut être désigné par le Parlement ou l’exécutif, parmi les membres nommés, ou être élu par les membres eux-mêmes.
Par ailleurs, un danger existe de voir une Institution nationale, dûment créée par un texte, ne pouvoir fonctionner faute de nomination de son président, alors que tous les membres sont désignés, ou de ses membres, alors que son président est nommé. Ces cas sont apparus, pour un temps plus ou moins long, en Afrique ou en Europe occidentale.
Autre induction de cette composition pluraliste sur l’indépendance, celle de la stabilité du mandat des membres. Les Principes de Paris précisent bien dans un article : « Pour la stabilité du mandat des membres de l’Institution , sans laquelle il n’est pas de réelle indépendance, leur nomination est faite par un acte officiel précisant, pour une période déterminée, la durée du mandat. Celui-ci peut être renouvelable, sous réserve que demeure garantie le pluralisme de la composition de l’Institution ». Ce garde-fou vise d’éventuelles sanctions ou « disgrâces » dont pourraient faire l’objet des membres qui auraient affirmé « trop fort » leur indépendance ou se seraient montré trop critiques par rapport à l’exécutif ou au Parlement. Dans certains cas, le texte constitutif peut prévoir également une immunité accordée aux membres, surtout lorsque l’Institution a des pouvoirs quasi juridictionnels.
3) — Le troisième critère d’indépendance concerne la faculté d’auto saisine dans les travaux, et la transparence par rapport à l’opinion publique.
Dans les modalités de fonctionnement , les Principes de Paris édictent que l’Institution nationale « doit examiner librement toutes questions relevant de sa compétence , qu’elles soient soumises par le gouvernement ou décidées par auto saisine sur proposition de ses membres ou de tout requérant ».
Cette disposition permet à l’Institution nationale d’être entièrement libre de l’ordre du jour de ses travaux. Le meilleur cas de figure est que le gouvernement la saisisse systématiquement de tous les projets de textes législatifs ou administratifs, de toutes politiques ayant trait aux droits de l’homme, suffisamment en amont de la décision définitive, pour que l’Institution nationale puisse apporter ses remarques et suggestions. Cette disposition importante donne un pouvoir d’initiative , soit que le gouvernement refuse ou omet de lui soumettre son projet, soit que la question soulevée par l’Institution nationale ne fasse pas encore partie du calendrier gouvernemental , ou que l’exécutif l’évite. Cette disposition a également une conséquence très positive, en ce sens que l’Institution nationale, de par sa composition pluraliste et la présence d’ONG de terrain, est en mesure de déceler un problème de violation, par exemple dans le cas où l’administration ne l’a pas encore pris en compte. Cela fait partie du dialogue entre l’Etat et la société civile.
Le second aspect dans le fonctionnement est celui de la transparence, qui est gage d’indépendance.
Les Principes de Paris stipulent que l’Institution nationale « doit s’adresser directement à l’opinion publique ou par l’intermédiaire de tous organes de presse, particulièrement pour rendre publics ses avis et recommandations ».
De plus, les Principes de Paris précisent, parmi les attributions, qu’une Institution nationale « peut décider de rendre publics » ses avis, recommandations, propositions, particulièrement les rapports « sur la situation nationale des droits de l’homme en général, ainsi que sur des questions plus spécifiques ».
On décèle une imprécision entre le « doit » du premier paragraphe, et le « peut » du paragraphe ci-dessus. En réalité il est laissé à l’Institution nationale elle-même le soin de décider, en toute indépendance, de rendre publics ses travaux, mais aussi de ne pas le faire si un cas exeptionnel devait se présenter. Mais c’est la norme générale qui prévaut.
La portée de cette disposition est grande, particulièrement dans le cas d’une société pleinement démocratique, lorsque l’Institution nationale consultative prend à témoin l’opinion publique et les médias libres, de ce qu’elle est, ou non, suivie par le gouvernement. N’ayant pas de pouvoir coercitif, elle indique aussi au citoyen qu’elle est libre de s’exprimer et lui demande une sorte d’arbitrage. C’est particulièrement le cas lorsqu’un gouvernement prend l’engagement de répondre aux suggestions faites par l’Institution nationale, dans son sens ou non, comme c’est le cas pour le gouvernement français (procédure de suivi des avis). Dans des régimes autoritaires ou lorsque la démocratie est naissante ou hésitante, le dernier recours à l’opinion publique nationale et internationale peut avoir son poids.
Il faut ajouter par ailleurs que les Principes de Paris précisent qu’une Institution nationale doit pouvoir « entendre toute personne, obtenir toutes informations et tous documents nécessaires à l’appréciation de situations relevant de sa compétence »
Cette disposition renforce l’indépendance par rapport au gouvernement et à l’administration. En effet, ces derniers peuvent refuser ou résister à coopérer, et être tentés par une rétention d’informations. L’Institution nationale a la liberté de convoquer devant elle, d’auditionner tout ministre ou fonctionnaire susceptibles de lui fournir des informations ou documents, une certaine forme de secret étant ainsi levée. En accédant à ces demandes les pouvoirs publics démontrent ainsi leur considération et leur volonté de coopérer. De même, l’Institution nationale se voit ainsi ouvertes toutes autres sources d’information nationale.
4) —Le quatrième critère d’indépendance porte sur l’autonomie financière et les moyens de fonctionnement.
Les Principes de Paris prévoient que « l’Institution nationale dispose d’une infrastructure adaptée au bon fonctionnement de ses activités, en particulier de crédits suffisants. Ces crédits devraient avoir notamment pour objet de lui permettre de se doter de personnel et de locaux propres, afin d’être autonome vis-à-vis de l’Etat et de n’être soumis qu’à un contrôle financier respectant son indépendance ».
Il n’est rien dit sur l’origine du financement. S’il devait être d’origine privée, l’Institution nationale serait confondue avec une ONG qui vit en particulier de cotisations de ses membres ou de dons. L’Etat étant à l’origine de la création de l’Institution nationale, c’est donc à lui d’y pourvoir. Le meilleur des cas est celui de crédits votés par le Parlement, lorsque l’Institution nationale est créée par la loi. Si elle l’est par un décret de l’exécutif, c’est celui-ci qui la finance, sous contrôle du Parlement.
Quel que soit la formule adoptée, il est généralement souhaitable que le budget soit distinct du budget des divers départements ministériels, ou clairement identifié comme tel. De plus ce budget doit être « sécurisé », en ce sens qu’il ne soit pas possible de sanctionner financièrement une Institution nationale, en fonction de son activité. L’une des formules est que l’Institution nationale établisse son propre budget annuel , soumis directement à l’approbation et à l’évaluation du Parlement , le contrôle revenant au contrôleur financier de l’Etat. Mais l’expérience montre qu’il ne s’agit pas là d’une garantie absolue, les majorités parlementaires pouvant changer avec les tendances politiques. Il en est de même pour le budget accordé par l’exécutif.
Mais, dans tous les cas, la question est de savoir si ce financement est suffisant pour que l’Institution nationale puisse fonctionner normalement et pleinement. La crainte exprimée par la disposition des Principes de Paris citée plus haut, qui s’est du reste vérifiée à maintes reprises dans le monde, est que l’Etat, sciemment ou parce que ses ressources budgétaires sont limitées, ne mette pas de locaux à la disposition de l’Institution nationale, ne lui permette pas d’avoir un personnel suffisant, en un mot l’empêche de fonctionner effectivement, alors même que celle-ci est créée « sur le papier ». Certains disent que les droits de l’homme ont un coût. De nombreuses expériences ont montré qu’il pouvait ne pas être élevé, à condition qu’y règne un esprit militant au service des droits de l’homme. Du reste, certains pensent que salarier ses membres, sur budget de l’Etat, pourrait porter atteinte à leur indépendance. Cela ne se vérifie pas dans le cas d’une Institution nationale quasi juridictionnelle où tous les commissaires ont salariés sur fonds publics et ne perdent pas pour autant leur esprit d’indépendance. D’une manière générale l’ensemble du personnel permanent et salarié doit être indépendant de l’Etat.
5) — Le dernier critère d’indépendance réside dans l’efficacité de l’Institution nationale.
Les Principes de Paris précisent en particulier qu’une Institution nationale « doit se réunir sur une base régulière et autant que de besoin en présence de tous ses membres régulièrement convoqués ».
La précaution exprimée ici est d’éviter de voir une Institution nationale inactive, « dormante » ou « fantôme », bien que régulièrement constituée. Il ne s’agit pas d’un cas d’école, l’expérience ayant montré que certaines n’ont que très peu d’activités, soit du fait de leurs membres et de leur staff, soit du fait de l’exécutif qui ne lui donne pas les moyens financiers et techniques, dans le but de « l’étouffer ». Cela induit que son activité sera jugée à l’aune de son travail effectif rendu possible par son indépendance. Celle-ci s’entend par rapport aux pouvoirs exécutif et judiciaire, mais aussi par rapport aux partis politiques et aux ONG.
Compétences et attributions.
Les Principes de Paris octroient à l’Institution nationale une compétence très large de promotion et de protection des droits de l’homme, en précisant qu’elle « est dotée d’un mandat aussi étendu que possible ». Cela inclue tous les droits, civils et politiques, économiques, sociaux et culturels, au nom de l’indivisibilité des droits de l’homme. Il faut noter que le droit humanitaire n’est pas explicitement cité. Si l’on considère qu’il fait partie intégrante des droits de l’homme, il devrait entrer dans les compétences des Institutions nationales. Certaines d’entre elles – comme en France- l’on inclue précisément dans leur mandat fixé par leur texte constitutif.
Les Principes de Paris vont plus loin en citant « notamment » les attributions suivantes, que l’on peut classer en trois catégories :- le rôle consultatif auprès du gouvernement ;- l’éducation et la formation ; – la coopération internationale.
1) — La première compétence consiste à « fournir à titre consultatif au gouvernement, au Parlement et à tout autre organe compétent … des avis, recommandations, propositions et rapports concernant toutes questions relatives à la promotion et à la protection des droits de l’homme ».
Ce champ d’attributions est décliné dans trois domaines portant sur la législation, sur les violations et sur la situation générale des droits de l’homme :
-Ainsi, elle examine « toutes dispositions législatives et administratives, ainsi que celles relatives à l’organisation judiciaire destinées à préserver et étendre la protection des droits de l’homme ». Il est de plus précisé : « A cet égard , l’Institution nationale examine la législation et les textes administratifs en vigueur , ainsi que les projets et propositions de lois, et fait les recommandations qu’elle estime appropriées en vue de garantir que ces textes sont respectueux des principes fondamentaux des droits de l’homme ; elle recommande, si nécessaire, l’adoption d’une nouvelle législation ,l’adaptation de la législation en vigueur , et l’adoption ou la modification des mesures administratives ».
On remarquera l’insistance apportée au rôle consultatif au regard des textes gouvernementaux.
-Le deuxième domaine porte sur la protection, puisque les Principes de Paris prévoient que l’Institution nationale se prononce sur « toute situation de violation des droits de l’homme dont elle désirerait se saisir ».
On insiste encore ici sur la faculté d’auto saisine et d’observatoire des violations.
Il est ajouté, dans ce domaine, que l’Institution nationale doit « attirer l’attention du gouvernement sur les situations des droits de l’homme dans tout le pays, lui proposer toutes initiatives tendant à y mettre fin et, le cas échéant, émettre un avis sur les positions et réactions du gouvernement ».
Ces dispositions illustrent bien la double fonction de vigilance et de proposition de l’Institution nationale. Tous les constats sont en principe assortis de propositions concrètes pour y remédier.
De plus, la dernière disposition ouvre une sorte de « droit de suite » aux avis donnés au gouvernement, en encourageant l’Institution nationale à réagir aux « positions et réactions » de celui-ci.
-Le troisième domaine de prérogative interne a trait à « l’élaboration des rapports sur la situation nationale des droits de l’homme en général, ainsi que sur des questions plus spécifiques ».
On constate qu’au-delà des violations, il s’agit d’examiner l’ensemble des droits de l’homme, ou des aspects précis tels que les lieux de détention, le handicap, les femmes, les enfants. Comme nous l’avons vu plus haut, ces rapports sont rendus publics
Dans la pratique, les Institutions nationales prennent de plus l’engagement de publier chaque année un rapport de leurs activités, bien que celui-ci ne soit pas prévu explicitement dans les Principes de Paris, et de le diffuser largement. Cette exigence est un gage de fonctionnement effectif de l’Institution nationale et démontre qu’elle est active. De plus, cette disposition écarte la tentation qui pourrait amener les pouvoirs publics destinataires des avis et rapports de les mettre sous le boisseau.
2) — La deuxième grande catégorie d’attributions porte sur la diffusion, l’éducation et la formation aux droits de l’homme.
Les Principes de Paris demandent à l’Institution nationale de « faire connaître les droits de l’homme, et la lutte contre toutes les formes de discrimination , notamment la discrimination raciale, en sensibilisant l’opinion publique, notamment par l’information et l’enseignement , et en faisant appel à tous les organes de presse ».
Les Principes de Paris ajoutent par ailleurs que l’Institution nationale doit « coopérer à l’élaboration de programmes concernant l’enseignement et la recherche sur les droits de l’homme, et participer à leur mise en œuvre dans les milieux scolaires, universitaires et professionnels ».
Ces dispositions font référence aux différentes résolutions de la Conférence mondiale de Vienne, de l’Assemblée générale de l’ONU et de la Commission des droits de l’homme qui insistent sur le rôle de diffusion, d’éducation et de formation des Institutions nationales, à l’égard du grand public, mais aussi des corps intermédiaires (enseignants, éducateurs, journalistes, magistrats, policiers, personnels pénitentiaires …). L’idée de base est qu’il revient à l’Institution nationale de participer à l’établissement d’une culture des droits de l’homme dans le pays, et de toucher, par des campagnes ou actions diverses, le public le plus large, et cela en particulier par l’intermédiaire des médias .De plus, son rôle de formation est explicité. On remarquera la mention spéciale faite à la lutte contre les discriminations et le racisme, domaine qui vient encore élargir le mandat général, et cela avant la Conférence mondiale sur le racisme de Durban (2001)
3) — La troisième grande catégorie d’attributions a trait à leur action internationale.
Les Principes de Paris fixent quatre taches nationales en lien avec les engagements internationaux pris par l’Etat.
-En premier lieu, l’Institution nationale est chargée de « promouvoir et assurer l’harmonisation de la législation, des règlements et des pratiques nationaux avec les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, auxquels l’Etat est partie, et leur mise en œuvre effective ».
Cette vigilance porte non seulement sur l’introduction en droit interne des dispositions des traités et pactes internationaux, faisant en sorte que les engagements de l’Etat partie ne restent pas lettre morte, mais aussi de veiller à leur mise en application. Il s’agit là d’un aspect important du rôle de l’Institution nationale qui, au-delà de la proclamation solennelle des droits de l’homme selon les standards internationaux, doit veiller à leur effectivité.
-En deuxième lieu, l’Institution nationale doit « encourager la ratification desdits instruments ou l’adhésion à ces textes, et s’assurer de leur mise en œuvre ».
Cette disposition permet d’intervenir, si besoin est avec insistance, auprès du gouvernement, afin qu’il signe et ratifie l’ensemble des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Elle insiste à nouveau sur leur mise en œuvre effective.
-En troisième lieu , l’Institution nationale doit « contribuer aux rapports que les Etats doivent présenter aux organes et comités des Nations unies , ainsi qu’aux institutions régionales, en application de leurs obligations conventionnelles et , le cas échéant, émettre un avis à ce sujet , dans le respect de leur indépendance ».
Cette disposition permet de « contribuer » aux rapports nationaux présentés à l’ONU par le gouvernement. Dans les faits, il revient au gouvernement et à l’Institution nationale de trouver la meilleure manière, soit en sollicitant une contribution de l’Institution nationale qui sera intégrée dans le rapport national, soit en soumettant le projet de rapport à l’Institution nationale pour avis et amendements, soit enfin en joignant en annexe l’avis de l’Institution nationale. Mais, dans les deux cas, cette coopération doit se faire en respectant l’indépendance de l’Institution nationale, c’est-à-dire en ne confondant pas son apport avec le texte du gouvernement. On a vu plus haut que les comités conventionnels mettaient en place progressivement des procédures de concertation avec les Institutions nationales.
-En quatrième lieu , l’Institution nationale doit « coopérer avec l’Organisation des Nations unies et tout organisme des Nations unies, les institutions régionales et les Institutions nationales d’autres pays , compétentes dans les domaines de la promotion et de la protection des droits de l’homme ».
Cette disposition marque bien le lien qui existe entre le système des Nations unies et les Institutions nationales et donne à ces dernières une dimension internationale, telle que décrite dans la première partie. De plus, elle ouvre la porte à la mise en place des réseaux de coopération entre Institutions nationales, que nous examinerons plus loin. En un mot, une Institution nationale ne peut rester isolée et doit bénéficier de la solidarité de ses homologues.
Compétence à caractère quasi juridictionnel.
Les Principes de Paris prévoient des « Principes complémentaires concernant le statut des Institutions nationales ayant des compétences à caractère quasi juridictionnel ».
On relèvera qu’il s’agit de « principes complémentaires » qui viennent s’ajouter aux Principes généraux. Cette précision est d’importance car les Institutions nationales quasi juridictionnelles ne constituent pas une catégorie séparée, uniquement soumise à ces Principes complémentaires. Du reste, les Principes de Paris prennent la précaution de préciser que « dans ce cas, et sans préjudice des Principes ci-dessus concernant les autres compétences des Institutions… ». L’institution quasi juridictionnelle relève donc de l’ensemble des Principes de Paris avec des pouvoirs supplémentaires lorsqu’elle est « habilitée à recevoir et examiner des plaintes et requêtes concernant des situations individuelles ». En définissant cette fonction complémentaire, les Principes de Paris précise leur mode de saisine : Elle « peut être saisie par des particuliers, leurs représentants , des tierces parties, des Organisations non gouvernementales, des associations et syndicats et toutes autres organisations représentatives ».
Dans leur fonctionnement, ces Institutions nationales quasi juridictionnelles « peuvent s’inspirer des principes suivants » qui sont explicités :
« – Rechercher un règlement amiable par la conciliation ou, dans les limites fixées par la loi, par des décisions contraignantes ou, le cas échéant, en ayant recours en tant que de besoin à la confidentialité ;
- informer l’auteur de la requête de ses droits, notamment des voies de recours qui lui sont ouvertes, et lui en faciliter l’accès ;
- se saisir des plaintes ou requêtes ou les transmettre à toute autre autorité compétente dans les limites fixées par la loi ;
- faire des recommandations aux autorités compétentes, notamment en proposant des adaptations ou réformes des lois, règlements et pratiques administratives, spécialement lorsqu’ils sont à l’origine des difficultés rencontrées par les auteurs de requêtes pour faire valoir leurs droits ».
Dans les faits, on doit faire entrer parmi ces Institutions nationales quasi juridictionnelles un certain nombre d’Ombudsmans ou Médiateurs ayant de larges compétences en matière de droits de l’homme, et des modes de fonctionnement conformes à l’ensemble des Principes de Paris. Symétriquement on constate qu’un certain nombre d’Institutions nationales, initialement à fonction consultative, ont élargi leur champ de compétence au traitement des plaintes individuelles, tendance qui s’étend aujourd’hui.
Par ailleurs, dans un pays qui a créé aussi bien une Institution nationale conforme aux Principe de Paris, qu’un Ombudsman ou Médiateur administratif, c’est le premier organisme qui fait partie de la famille des Institutions nationales, selon le principe qu’il ne peut y en avoir deux dans un même pays. Dans ce cas, l’Ombudsman ou Médiateur administratif peut être membre de l’Institution nationale et coopérer utilement avec elle.
La coopération nationale.
A cette coopération internationale s’ajoutent des coopérations nationales avec d’autres organes et avec les ONG.
Dans le cadre du fonctionnement, les Principes de Paris précisent qu’une Institution nationale doit « entretenir une concertation avec les autres organes, juridictionnels ou non, chargés de la promotion et de la protection des droits de l’homme (notamment Ombudsmans, médiateurs et d’autres organes similaires) ».
Cette disposition encourage la synergie entre tous les acteurs nationaux concernés.
Dans les faits, cette coopération peut être institutionnelle, lorsque l’Ombudsman, le Médiateur, les ministères des droits de l’homme lorsqu’ils existent, les services de droits de l’homme de l’administration, font partie des membres, ou sont présents occasionnellement, au grès des sujets traités.
Par ailleurs, une attention spéciale est portée aux ONG. Les Principes de Paris demandent à l’Institution nationale de « développer des rapports avec les Organisations non gouvernementales qui se consacrent à la promotion et à la protection des droits de l’home, au développement économique et social, à la lutte contre le racisme, à la protection des groupes particulièrement vulnérables (notamment les enfants, les travailleurs migrants, les réfugiés, les handicapés physiques et mentaux) ou à des domaines spécialisés ». Ces relations avec les ONG sont encouragées « compte tenu du rôle fondamental que jouent les Organisations non gouvernementales pour amplifier l’action des Institutions nationales ».
On remarquera que les Principes de Paris déclinent à nouveau une vaste gamme d’ONG nationales généralistes ou spécialisées. Elles peuvent être toutes, ou pour partie, membres de l’Institution nationale, comme il est prévu plus haut.
Accessibilité.
Dans toutes les formules, et bien que non explicitée dans les Principes de Paris, la question de l’accessibilité d’une Institution nationale est d’importance.
En effet, que dire d’une Institution nationale « forteresse », coupée de tout contact avec les citoyens, la presse…, uniquement repliée sur elle-même et non accessible pour les ONG ou le grand public lorsqu’il s’agit de garantir la promotion et la protection des droits de l’homme ? Elle serait sourde et aveugle.
Cela est d’autant plus vrai lorsqu’elle est chargée de recevoir les plaintes individuelles et qu’elle doit communiquer dans toutes les langues pratiquées dans le pays.
Les Principes de Paris contiennent une disposition qui va dans ce sens lorsque, dans les modalités de fonctionnement, ils demandent à une Institution nationale de « se doter de sections locales ou régionales pour l’aider à s’acquitter de ses fonctions »
Conclusion.
Tout en fixant un cadre de critères minima de définition, les Principes de Paris laissent, dans bien des dispositions, des options ouvertes, des variantes possibles. Ces possibilités sont offertes non pas pour abaisser ou pervertir ces critères, mais pour laisser la possibilité de les adapter au type de législation nationale. Ainsi peuvent être distinguées le cadre du droit germano latin de celui du Common Law anglo-saxon qui, l’un et l’autre n’offrent pas les mêmes possibilités. Par exemple, le pouvoir quasi juridictionnel peut mieux entrer dans le cadre du Common Law , que dans celui du droit latin qui prévoit une prééminence , sinon une exclusivité, du pouvoir judiciaire.
Un certain nombre de réponses, non explicitées dans les Principes de Paris, sont données à la lumière de diverses expériences et de références aux résolutions onusiennes ou par le Haut commissariat aux droits de l’homme[7].
Les Principes de Paris constituent la référence de base pour l’accréditation des Institutions nationales, dont on exposera les procédures plus loin.
S’il est vrai qu’à plusieurs reprises, notamment à l’occasion de leur dixième anniversaire, certains ont eu la tentation de les réécrire, leur pertinence demeure entière. Cette tentation, guidée ou non par un souci de « mieux faire » comportait aussi un danger de remise en question profonde, particulièrement de la part d’Etats peu respectueux ou violateurs des droits de l’homme qui pourraient souhaiter, lors d’un débat à l’Assemblée générale de l’ONU, abaisser leur niveau pour mettre en particulier un frein à leur indépendance ou mieux les contrôler. Il n’en demeure pas moins que les standards minima des Principes de Paris laissent le champ libre à de substantielles améliorations dans la pratique
Le succès des Principes de Paris est attesté par la considérable multiplication du nombre d’Institutions nationales, partout dans le monde, qui a été amorcée dans les années 1990 et qui se poursuit à grand rythme, puisque près de deux tiers des Etats membres de l’ONU s’en sont aujourd’hui doté.
Les différents types d’appellation.
L’appellation générique de la famille des « Institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme », selon la terminologie onusienne et les Principes de Paris, prend au plan national, des dénominations différentes que l’on peut classer en deux grandes catégories : Les organismes consultatifs d’une part, et les Ombudsmans et Médiateurs d’autre part.
Il faut remarquer qu’aucune d’entre elle ne s’appelle « Institution nationale… »
Dans la première catégorie d’appellation on trouve les Commissions, Comités, Conseils, Instituts, Centres…, assortie ou nom de la qualification « consultatif » , suivie de la compétence en matière de « droits de l’homme », à laquelle s’ajoute quelques fois « et des libertés fondamentales ». Généralement ils sont qualifiés de « national » .Ils sont, par définition, collégiaux.
Nous avons vu que sont exclus de cette catégorie les organes régionaux ou locaux, les institutions à compétence exclusivement internationale ou à caractère administratif, et les organes spécialisés ( groupes vulnérables ou minoritaires, minorités ethniques , linguistiques ou religieuses, populations indigènes, migrants,femmes, enfants, détenus…) quelque soit leur dénomination : Commission, Comité etc.…
Ces appellations visent à les distinguer clairement d’organes judiciaires, administratifs, législatifs ou d’ONG.
La deuxième catégorie d’appellation est celle des Ombudsmans, Médiateurs,Defensores del pueblo, Provédoria de justiça, Défensores de los habitantes, Procuradores par la défensa de los derechos humanos, People’s Advocate, Public Defender, Défenseur des droits civiques…
Selon les Principes de Paris, ils ont des compétences judiciaires dans le domaine des relations avec les administrés, en sus de leurs autres fonctions de type consultatif. Ils sont fortement personnalisés, en ce sens que leur composition se réduit à un ou plusieurs commissaires ou médiateur. La tradition de l’Ombudsman, qui trouve sa source dans les pays nordiques, est la plus ancienne.
Il faut signaler par ailleurs que les Ombudsmans et assimilés ont leur propre « famille », en dehors du système des Nations unies, réunie dans un « Institut international de l’Ombudsman » siégeant à Edmonton (Canada), dont une partie reste en dehors des Institutions nationales du fait que, soit ils ne se réfèrent pas aux droits de l’homme, soit ils ne se consacrent qu’à une seule catégorie de violation (sexe, race, discrimination, handicap,…)
ETUDE 2
LES COOPERATIONS
AVEC LES AUTRES PARTENAIRES NATIONAUX
De par sa fonction de dialogue entre l’Etat et la société civile, prévue par les Principes de Paris, l’Institution nationale entretient des relations étroites de partenariat avec l’Etat et les pouvoirs publics, avec le Parlement, avec le pouvoir judiciaire, avec le public et les médias, ainsi qu’avec les Organisations non gouvernementales.
Ainsi que le soulignait devant le premier Atelier de Paris (1991) M. Adama Dieng, secrétaire général de la Commission internationale des juristes (ONG), « à la base de ces relations, il y a la référence à l’Etat de droit qui nécessite une vigilance de tous les instants, car l’Etat de droit n’existe jamais ni complètement, ni parfaitement. Edifice fragile qui se construit pierre par pierre dans la loi et la persévérance, l’Etat de droit est tributaire de l’action des institutions exécutives, judiciaires, administratives de l’Etat, mais aussi de l’intervention critique et constructive des acteurs de la société civile ».
Ainsi les Institutions nationales se doivent de consulter tous leurs partenaires compétents, à tous les stades de leurs travaux. Elles seront plus efficaces si elles ont une bonne compréhension des souhaits et des besoins de la population. Elles doivent également pouvoir bénéficier de l’expertise proposée par les organisations de la société civile, ainsi que par les universités et instituts de recherche. En retour, cette coopération contribuera à faire en sorte que les organisations de la société civile soutiennent le travail de l’Institution nationale par un renforcement mutuel.
Si l’Institution nationale peut prendre l’aspect d’un « contre-pouvoir », elle ne peut faire obstacle à la majorité parlementaire du moment car elle n’a aucune légitimité élective, pas plus qu’elle ne peut se substituer aux organes de contrôle tels que le Conseil d’Etat ou la Cour des comptes, mais elle peut leur donner des avis consultatifs et prendre date, rappeler à temps et à contretemps les normes, rester fidèle au passé et parier sur l’avenir. Elle tire sa légitimité et le fondement de sa doctrine des principes constitutionnels, des engagements internationaux pris par son pays et des textes fondamentaux des Nations unies en matière de droits de l’homme.
Dialogue avec l’Etat et les pouvoirs publics.
Au-delà des liens prévus par les Principes de Paris entre l’Etat et les Institutions nationales, portant en particulier sur le texte constitutif et les procédures de nomination, la coopération entre ces deux partenaires est essentielle.
Comme le faisait remarquer l’expert aux Nations unies, M. Louis Joinet , lors de la deuxième Rencontre internationale des Institutions nationales de Tunis ( 1993) : « Les Etats qui ont créé de telles institutions admettent ainsi, dans un souci de mise en œuvre de la démocratie, que la promotion et la protection des droits de l’homme dont ils sont les garants, doivent profitablement associer l’ensemble des garants des libertés publiques et de l’Etat de droit, des acteurs sociaux, la population et l’opinion publique ». Et M. Joinet de préciser : « Ces institutions ne réduisent en rien l’action et la responsabilité de l’Etat, tout comme elles ne réduisent en rien le rôle des ONG et de la société civile…Il s’agit d’une responsabilité partagée ».
C’est d’ailleurs cette conviction qui est inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, dont l’un des rédacteurs, René Cassin, disait que ce texte « défini les limites que la toute puissante machine de l’Etat doit se garder de franchir dans ses relations avec ceux qui lui sont soumis ». Les principes de la DUDH sont un objectif commun à atteindre, la réalité des expériences des différentes Institutions nationales dans le monde commande des constats plus nuancés.
Pour le professeur de droit, M. Dominique Turpin, qui intervenait en 1991 à Paris devant le premier Atelier des Institutions nationales : « Il peut sembler hasardeux de compter sur l’Etat, singulièrement sur le pouvoir exécutif, pour promouvoir et protéger les droits de l’homme. Dans une large mesure, en effet, le principe d’autorité qui caractérise les Etats, limite plus qu’il ne favorise le principe de liberté consubstantiel aux droits de l’homme ». Il ajoutait : « Toutefois, autorité de l’Etat et droits de l’homme ne sont heureusement pas antinomiques dès lors que l’on veut bien s’accorder, par delà les différences de philosophies qui peuvent sous-tendre la question des droits de l’homme dans nos pays respectifs, sur cette affirmation liminaire minimale que c’est l’Etat qui est, ou devrait être, au service de l’homme et non l’inverse ». Reste que, comme le disait un homme politique français, Georges Clemenceau, parfois pour l’Etat, le meilleur moyen d’étouffer un problème est « de créer une commission pour l’étudier ».
Mais dans la pratique générale, les pouvoirs publics considèrent qu’il est de leur devoir de favoriser et de soutenir les activités d’une Institution nationale. Même si, dans certains régimes autoritaires, « il s’agit d’un hommage du vice à la vertu », selon l’expression d’un ancien président de la Croix-Rouge française, M. Jean-Marie Soutou, qui reprenait le mot d’Oscar Wilde : « L’hypocrisie est l’hommage du vice à la vertu ».
Ce dialogue peut être à double circulation : il permet à l’Etat d’informer et de consulter l’Institution nationale et la société civile sur tous les actes qu’il engage en faveur des droits de l’homme, et d’autre part à l’Institution nationale, et en particulier aux ONG au contact de la réalité de terrain et des victimes de violations, de faire remonter leurs informations, leurs appréciations et leurs suggestions vers les pouvoirs publics. Ce « dialogue apaisé » est d’une grande utilité pour les uns et les autres, car ils peuvent s’écouter mutuellement, sinon s’entendre, dans ce forum permanent qu’est une Institution nationale indépendante. Ce dialogue ne réduit en rien celui que les pouvoirs publics et les ONG souhaitent entretenir directement entre eux, la valeur ajoutée de l’Institution nationale se situant dans sa capacité de propositions réalistes.
Ainsi, le professeur de droit internationale M. Emmanuel Decaux qualifiait une Institution nationale « d’utile Cassandre », en contrepoint de Chateaubriand qui disait (7 août 1890) : « Inutile Cassandre, j’ai assez fatigué le trône et la pairie de mes avertissements dédaignés ; il ne me reste qu’à m’asseoir sur les débris d’un naufrage que j’ai tant de fois prédit… ». M. Decaux faisait par ailleurs remarquer[8] : « Face au refus du dialogue officiel de certains, les pouvoirs publics peuvent être quant à eux tentés par le refus de la critique. Invoquant une « légitimité démocratique » puisée dans les élections, chaque nouvelle majorité est tentée de faire fi des garde-fou de l’Etat de droit : « Vous avez juridiquement tort puisque vous êtes politiquement minoritaires ». Par ses rappels aux grands principes, (l’Institution nationale) dérange. Inutile pour les uns, taxée de compromission permanente avec l’exécutif, elle est pour les autres, un empêcheur de tourner en rond, une perte de temps… »
La nature de ce dialogue avec l’Etat peut être différente lorsqu’il s’agit de nouvelles démocraties ou de pays en transition, ou lorsqu’il se développe dans des démocraties anciennes et stables.
* Le rôle d’une Institution nationale dans une jeune démocratie ou en période de transition démocratique est accru. Dans ces circonstances où un nouvel ordre constitutionnel est mis en place, il y a de grandes chances pour que l’Institution nationale apparaisse comme une garantie pour la nation de prendre en compte les droits de l’homme, mieux encore que ne le ferait le gouvernement, d’autant plus si celle-ci est inscrite dans la Constitution. Lorsque l’Institution nationale fait partie des organes de transition politique, elle peut commencer par prendre la forme d’un « table ronde nationale », ou d’un forum réunissant tous les acteurs politiques, anciens et nouveaux et les différentes forces politiques impliquées, comme ce fut le cas en Afrique du sud ou en République démocratique du Congo. Ce dialogue recherchant un consensus sur le thème des droits de l’homme préfigure des accords politiques plus larges et peut trouver son aboutissement dans la rédaction d’une nouvelle Constitution. Ce fut le cas pour des Institutions nationales établies dans le cadre d’accord de paix ou d’accords de période transitoire , sous l’égide ou non des Nations unies, comme en Irlande du nord, au Guatemala, à El Salvador, en Bosnie-herzégovine, au Sierra Léone , au Kosovo ou à LEast Timor. Le danger, dans ce cas, est que l’Institution nationale soit prise dans le tourbillon d’affrontements politiques, ou qu’elle ne soit pas pérennisée au sortir de la période de transition.
Un autre cas se présente lorsqu’en période de transition ou lorsque l’Etat en prend la décision, une Institution nationale se voit attribuer la fonction d’une « Commission vérité » ou « Commission Vérité et Réconciliation », chargée d’investigations pour faire la lumière sur les violations massives des droits de l’homme par l’ancien régime, qu’il s’agisse de disparitions forcées, de torture, d’exécutions extra judiciaires etc.…en particulier durant la période antérieure à sa création. Ce fut le cas en Afrique du sud, au Malawi ou au Maroc. La période d’investigation peut varier, comme en Inde ou au Ghana.
Dans ces cas, la difficulté pour une Institution nationale est de ne pas se borner à une recherche des victimes et à leur indemnisation ou à leur famille, mais aussi de débusquer les auteurs des violations et de les désigner, selon les critères des Nations unies portant sur la lutte contre l’impunité. A ce propos, M. Antoine Blanca, secrétaire général adjoint aux droits de l’homme faisait remarquer, lors de rencontres internationales tenues à Genève (2 au 5 novembre 1992) avec les Institutions nationales et les ONG : « La pratique de l’impunité représente non seulement une sérieuse entrave à tout développement démocratique et au maintien de l’autorité de la loi, mais elle constitue sans doute le facteur qui contribue le plus à perpétuer des violations très graves ».
Dans leurs relations avec l’Etat , il faut également citer les cas d’ Institutions nationales qui ont été créées sous la pression, notamment internationale, exercée sur un exécutif critiqué pour son attitude défavorable aux droits de l’homme, comme par exemple en Indonésie, au Mexique, au Maroc ou au Togo. En Inde, la Commission nationale des droits de l’homme, lors de sa création, se voyait initialement fixer par le gouvernement l’objectif de « riposter à la propagande fausse et à motivation politique de l’étranger et des organisations indiennes des droits civils ». Dans d’autres cas, les critiques internationales, particulièrement de grandes ONG, étaient considérées comme des « immixtions dans les affaires intérieures » d’un pays, auxquelles devait répondre, en les réfutant, une Institution composée de membres nationaux, précisément créés dans ce but. La tache de celle-ci s’avère alors délicate dans ses relations avec l’Etat. Mais l’expérience a montré que , dans la majeure partie des cas, la dynamique de l’indépendance permet à l’Institution nationale de s’affranchir d’une éventuelle complaisance ou connivence, et devenir à son tour critique, comme ce fut le cas en Inde.
Pour certains observateurs il vaut mieux qu’une Institution nationale voit le jour, même dans un contexte politique restrictif et avec des pouvoirs limités, que pas du tout. L’argument est qu’elle peut évoluer avec courage, et peut stimuler la formation d’ONG dans le pays. Il n’en demeure pas moins que ce pari pourrait s’avérer dangereux ou inefficace dans des pays tels que l’Iran, la Chine, la Libye ou Burma (Myanmar). (Voir au chapitre 9)
* Dans les pays de démocratie avancée et stable, la question peut se poser de la pertinence pour l’Etat de créer une Institution nationale et de coopérer avec elle. On entend dire dans certains de ces pays qu’une Institution nationale n’est utile que dans des régions en développement. Pour justifier cela, il est avancé que les pays développés, de vieille tradition démocratique sont moins le théâtre de violations massives des droits de l’homme et possèdent un système judiciaire plus à même de traiter ces violations. Il existe néanmoins dans ces pays des problèmes de racisme, de discrimination, de xénophobie, des entraves aux droits économiques , sociaux et culturels, des dangers pour les droits civils et politiques par exemple, dont une Institution nationale peut se saisir.
De fait, à quelques exceptions près, les Institutions nationales qui ont été créées dans les années 1980 et 1990, l’ont été dans des pays du sud.
La tradition des Ombudsmans a particulièrement intéressé les pays d’Europe centrale et orientale, à la chute du communisme, avec le souci de les voir se consacrer aux abus de l’administration et moins à l’ensemble des droits de l’homme.
Il faut noter que des pays développés, tels que les États-unis, l’Italie, la Grande-Bretagne, la Belgique, la Suisse ou la Japon, n’ont pas encore créé d’Institutions nationales. A contrario ce n’est pas le cas pour le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande, l’Allemagne, le Danemark, l’Irlande, la Grèce ou la France, dont les pouvoirs publics entretiennent des coopérations suivies avec leur Institution nationale.
Par ailleurs des relations trop étroites avec l’Etat peuvent comporter des dangers, particulièrement dans le cas où celui-ci charge une Institution nationale de gérer des fonds publics, par exemple de coopération internationale en matière de droits de l’homme. Il est vrai que la compétence de l’Institution nationale peut constituer une expertise efficace pour l’affectation de budgets de l’Etat, et donner ainsi un grand impact de coopération internationale, mais la répartition des compétences doit être clairement établie dans un souci d’indépendance et de non confusion des rôles.
Par ailleurs, lorsque l’Institution nationale est créée par une initiative parlementaire, comme en Allemagne, sans que le gouvernement soit initialement impliqué, le risque de découplage avec lui est grand. Il revient à l’Institution nationale d’établir un dialogue constructif avec l’exécutif, particulièrement dans des pays fédéraux. Dans ce cas, l’Institution nationale doit développer des coopérations, établir des bureaux, dans les différents états ou provinces.
On pourrait croire que les Institutions nationales de ces pays développés évoluent toutes dans un environnement politique favorable. Ce n’est pas toujours vrai, si l’on constate, comme ce fut le cas en Australie et au Canada, que des modifications politiques significatives peuvent changer la nature de la coopération avec le gouvernement[9].
Il faut noter que les Principes de Paris, en prônant une coopération « avec le gouvernement…le Parlement et tout autre organe compétent », ne fait pas de distinction entre les pays de différents niveaux de développement démocratique ou économique.
Reste la question des relations entre l’Institution nationale et les partis politiques du pays. Dans la quasi-totalité des cas, les partis politiques ne sont pas représentés dans la composition de l’Institution nationale, ce qui n’est du reste pas prévu par les Principes de Paris. Il existe des exceptions, en particulier celle du Conseil consultatif marocain qui inclue une représentation de tous les partis politiques présents au Parlement. Dans certains cas, seul le parti politique au pouvoir est, directement ou non, membre, ce qui ne manque pas de poser problème aux partis d’opposition, lorsqu’ils existent.
Le principe généralement admis est qu’une Institution nationale doit se garder d’être le théâtre d’affrontements partisans, selon le principe que les droits de l’homme n’ont pas de couleur politique et que peuvent se réunir autour d’eux, de manière consensuelle, toutes les tendances. Cela n’exclue évidemment pas des approches différentes, mais qui s’expriment en d’autres lieux, au Parlement et dans la vie politique du pays.
Coopération avec le Parlement.
Les Principes de Paris prévoient, dans la composition, des représentants du Parlement. Cette disposition institutionnalise les relations avec le Parlement, et s’avère utile lorsque l’Institution nationale examine, pour avis, un projet de loi. Outre le fait que les représentants du Parlement présents font le pont entre l’Institution nationale et les Chambres pour un échange d’informations, la coopération peut être, plus opérationnelle. Ainsi par exemple, en France, les commissions spécialisées de l’Assemblée nationale et du Sénat auditionnent souvent la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur des avis qu’elle a donné relatifs à des projets de loi en discussion.
Par ailleurs, une Institution nationale peut être tenue, par son texte constitutif, de soumettre son rapport annuel et ses travaux au Parlement qui ouvre un débat et adopte son budget. C’est la représentation nationale qui est à même de refléter les préoccupations des citoyens en matière de droits de l’homme, que l’Institution nationale doit prendre en considération.
Liens avec le pouvoir judiciaire.
Dans les cas où une Institution nationale est habilitée à traiter des plaintes individuelles, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une compétence quasi juridictionnelle, la coopération avec les tribunaux peut prendre des formes variées, encadrées. Plus rarement une Institution nationale peut être amenée à se substituer, d’une certaine manière, au système judiciaire lorsque celui-ci est désorganisé ou défaillant, en procédant à des enquêtes et investigations, normalement du ressort de la police ou du juge d’instruction. Mais, dans toutes les situations, une Institution nationale ne peut usurper la fonction judiciaire des tribunaux.
Alors la question est de savoir quel pouvoir une Institution nationale possède pour mettre un terme à une violation des droits de l’homme, et quelles sont ses capacités pour déclancher une procédure judiciaire ?
La fonction d’un Ombudsman ou Médiateur est celle de l’ Amicus curae. Après avoir enquêté et constitué un dossier à charge et à décharge sur la plainte qui lui est soumise, celui-ci procède à une médiation entre les parties, à la recherche d’une solution amiable pour le rétablissement des droits. En cas d’échec, le Médiateur peut, lorsqu’il en a le pouvoir, prendre une décision contraignante ou renvoyer le plaignant devant les tribunaux. Mais c’est en dernier ressort le juge judiciaire ou administratif qui tranche dans le système de droit latin.
Il faut par ailleurs distinguer la plainte à l’encontre d’un autre particulier, de la plainte envers l’Etat et l’administration. Bien entendu, dans tous les cas, les plus graves violations des droits de l’homme (disparitions forcées, exécutions arbitraires, tortures…) ne peuvent faire l’objet de conciliations et doivent être déférées devant les tribunaux compétents, au nom de la lutte contre l’impunité. Il en est de même pour les actes de racisme, avec la possibilité pour l’Institution nationale, de se porter partie civile au côté des victimes.
Une nouvelle tendance se dégage, dans les pays de Common Law, de création, parallèlement aux Institutions nationales, de tribunaux spécialisés en droits de l’homme. On en trouve, sous des dénominations diverses (Human Rights Tibunal, Human Rights Courts) en Indonésie, en Inde, en Nouvelle-Zélande ou au Canada. Ces juridictions sont totalement distinctes des Institutions nationales, bien que parfois elles soient créées par le même Act. Souvent elles ne vident pas l’Institution nationale de son pouvoir de médiation en amont et de transmission à la juridiction spéciale du dossier de plainte, gardant un rôle complémentaire.
Ouverture au public et aux médias.
Comme prévu par les Principes de Paris, une Institution nationale est largement ouverte au public et entretien des relations privilégiées avec la presse écrite et audio-visuelle. En effet, au service des citoyens, une Institution nationale doit être transparente et accessible. Ses travaux sont connus de tous, et tout un chacun peut évaluer son effectivité, qu’il s’agisse de son action contre les violations, de prévention des abus ou de promotion et d’éducation. Elle met ainsi en œuvre une stratégie de communication qui permet de mieux la connaître et d’asseoir sa crédibilité, comme ce fut le cas en Indonésie ou au Ghana. Il n’empêche que les médias peuvent être critiques, mais c’est le prix de l’indépendance à payer.
Par ailleurs, les médias peuvent être les vecteurs de campagnes de sensibilisation et d’éducation aux droits de l’homme. Alors, ces campagnes peuvent générer un afflux considérable de plaintes individuelles, pas toujours en lien avec les droits de l’homme, comme on l’a vu en Afrique du sud ou au Sénégal. Mais aussi, certains médias peuvent être accusés de racisme ou de discrimination, ce qui contraint l’Institution nationale à prendre position contre eux.
La situation est parfois délicate par rapport à l’opinion publique lorsqu’une Institution nationale conclue, par exemple, que la situation carcérale est très détériorée et qu’il faut améliorer la détention au nom du respect des droits de l’homme, alors que le public, excédé par la multiplication des crimes et délits, interprète les recommandations faites comme étant des faiblesses envers les criminels. Une situation semblable peut se présenter lorsqu’une Institution nationale veille au respect des droits de l’homme dans la lutte contre le terrorisme, l’opinion publique étant prioritairement inquiète des menaces, demande un renforcement de la sécurité , même au prix d’un affaiblissement des libertés publiques. Dans ces deux cas, l’Institutions nationale a un devoir de pédagogie publique pour l’avènement d’une culture des droits de l’homme.
Relations privilégiées avec les ONG
Les Principes de Paris prévoient explicitement et longuement des liens entre les Institutions nationales et les Organisations non gouvernementales nationales. Un certain nombre de ces dernières font partie de sa composition, ainsi que nous l’avons vu plus haut. Elles sont un élément déterminant dans le dialogue entre l’Etat et la société civile favorisé par l’Institution nationale. Dans de nombreux cas, comme en France, on joint aux ONG les syndicats (ouvriers et patronaux).
Ces relations privilégiées s’établissent dans la stricte indépendance des uns et des autres. Présentes parmi les membres, les ONG ne constituent pas une sorte de fédération, car elles gardent toute leur autonomie propre d’action, et poursuivent par ailleurs leur dialogue direct avec les administrations et avec l’opinion publique.
La coopération avec les ONG peut prendre plusieurs formes : Souvent elles sont à l’origine des efforts faits pour la création et le développement des Institutions nationales, soit parce qu’elles ont fortement incitées leur création auprès des pouvoirs publics, soit qu’elles ont été associées à la rédaction du texte constitutif. Ces rôles ont tendance à s’accroître dans de nombreux pays.
Dans la pratique, une Institution nationale ne peut se passer de l’expertise des ONG de terrain, celles-ci étant en contact avec les victimes des violations et font remonter les informations générales, ou spécifiques à des groupes vulnérables (enfants, femmes, détenus, handicapés, minorités ethniques…) partout dans le pays. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’elles reçoivent des plaintes individuelles. Les ONG servent alors d’intermédiaires entre les réalités de terrain et l’Institution nationale. Généralement les ONG, par leurs compétences et leurs caractéristiques, sont des partenaires efficaces dans l’action visant à instaurer un climat favorable au respect des droits de l’homme. Elles possèdent des informations détaillées et fiables sur la situation des droits de l’homme dans leur pays.
Par ailleurs les ONG peuvent être des relais pour les travaux de l’Institution nationale, en participant à la réalisation de certains projets ou programmes, spécialement en matière de formation et d’éducation. Elles peuvent participer à une enquête ou une étude sur un sujet mis à l’ordre du jour de l’Institution nationale. Elles ont enfin le grand mérite de pouvoir faire connaître l’Institution nationale auprès de la population, comme ce fut le cas au Mexique.
Bien entendu cette coopération s’entend avec les ONG réellement indépendantes du pouvoir. Les instances des Nations unies connaissent bien l’apparition d’organismes appelés « Quango » pour « ONG gouvernementales » qui sont des émanations du pouvoir politique, de « faux nez » créés par le gouvernement, comme ce fut le cas en Chine, en Iran ou en Libye.
De plus, dans certains pays, des relations conflictuelles peuvent opposer des ONG à une Institution nationale. Plusieurs cas se sont présentés : Lors de la nomination des membres, le Président du pays, le gouvernement ou le Parlement peuvent désigner un nombre restreint ou une sélection d’ONG. Celles qui sont écartées nourrissent généralement une hostilité à l’égard de l’Institution nationale, considérant que seules les ONG proches du pouvoir ont été retenues. C’est aussi le cas des ONG qui fonctionnent sur le terrain, mais sans avoir obtenu l’agrément des autorités publiques compétentes, selon la législation interne.
Dans certains pays , les pouvoirs publics prennent la précaution , avant de désigner un nombre restreint d’ONG membres , de consulter l’ensemble des ONG du pays, réunies en forum, comme au Burkina Faso, leur demandant de désigner elles-mêmes leurs représentants. Mais cette procédure démocratique peut être aussi l’objet de contestations de la part de celles qui ne sont pas retenues ou sont marginalisées, comme au Niger. Quelques fois les pouvoirs publics écartent les ONG qu’ils considèrent être de l’opposition ou fortement politisées.
Il faut citer le cas de pays où les ONG sont bridées ou persécutées, comme en Tunisie, et où leur coopération avec l’Institution nationale est pratiquement difficile. Bien entendu, dans d’autres pays, certaines ONG ne souhaitent pas être intégrées ou coopérer avec l’Institution nationale, préférant une libre attitude critique extérieure.
D’une manière générale une Institution nationale a le devoir de participer à la protection des défenseurs des droits de l’homme dans son pays, et de ce fait, d’apporter son soutien à tous ceux qui sont persécutés ou empêchés d’agir.
Il est certain que les ONG sont des partenaires nécessaires aux Institutions nationales, sans lesquelles elles ne peuvent fonctionner efficacement. (Voir au chapitre 9).
[1] Voir le document ST/HR/SER.A/2 et Add 1
[2] Résolution 23 (XXXIV)
[3] Résolution 33/46 du 14 décembre 1978
[4] Résolution 24 (XXXV) du 14 mars 1979
[5] Résolution 36/134 du 14 décembre 1981
[6] Res.1992/54 du 3 mars 1992. Voir en annexe 2
[7] Voir le « Manuel sur la création et le renforcement d’Institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme »-Série sur la formation professionnelle N° 4
[8] Mélanges en l’honneur de Jacques Mourgeon- « Pouvoir et liberté »- Bruylant-1998
[9] Voir l’étude « Performance and Legitimacy : National human rights Institutions » – Richard Carver, publiée par le Conseil national des droits de l’homme.