La laïcité au 4ème. Forum mondial des droits de l’homme
Nantes- 2010.
Le thème de la laïcité dans le monde a été, pour la première fois, l’un des thèmes majeurs du 4ème. Forum mondial des droits de l’homme tenu à Nantes (28 juin- 1er. Juillet 2010). Une table ronde a réuni, autour de Gérard Fellous, vice- président de l’Observatoire international de la laïcité,des experts internationaux.
Les cas de trois pays ont été traités: pour la France, Mme. Catherine Teitgen-Colly, professeur de droit public à l’Université Paris 1- Panthéon-Sorbonne sur le thème « Principe de laïcité et liberté de religion en France: la recherche d’un équilibre? » ; pour la Turquie, M. Ibrahim Kaboglu, professeur de droit constitutionnel à l’Université de droit de Marmara, ancien président du Conseil consultatif des droits de l’homme de Turquie qui a traité du thème « Egalité, citoyenneté et laïcité: le sens de ce triptyque pour un Etat unitaire dans une société pluraliste »; pour le Cameroun, M. Jean-louis Atangana Amougou, professeur agrégé des facultés de droit, Université de Yaoundé II. L’aspect multinational, et plus particulièrement le droit de participer à la vie culturel, et le libre exercice de la religion dans l’espace public a été traité par Mme. Virginia Bonoan Dandan (Philippines) , membre du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies.
Gérard Fellous a introduit cette rencontre par le texte ci-dessous:
LIBERTES RELIGIEUSES, LAICITE ET PLURALISME
Gérard FELLOUS
**Le statut et la place de la religion et de la laïcité dans le monde.
Comment parler de religions, de laïcité, de sécularisation, de pluralisme, sous l’éclairage des droits de l’homme? Par des approches pruri disciplinaires, au travers d’analyses juridiques, sociologiques et philosophiques. Par des approches pluri- disciplinaires, au travers d’analyses juridiques, sociologiques et philosophiques. Il faudrait aborder des concepts quelque peu différents et faire état d’expériences pas seulement européennes, mais aussi africaines, asiatiques, ou latino. Une certitude demeurera : Cette question du poids de la culture et de la religion sera l’une des problématiques majeures pour les droits de l’homme en ce début du XXIe. siècle, qui pourrait créer de multiples tensions.
Deux indications significatives nous sont données par un récent sondage effectué en France sur le thème : « Les droits de l’homme dans le monde d’aujourd’hui » (effectué le 8 juin 2010 par l’Institut iSAMA à la demande du 4 ème Forum mondial des droits de l’homme) : La première menace qui, selon les Français, pèse sur les droits de l’homme actuellement dans le monde réside dans le vaste mouvement des « intégrismes religieux »- pour 30 % des personnes interrogées- venant devant les effets de la mondialisation. Un diagnostique sans complaisance, sinon pessimiste est du reste fait concernant l’état des droits de l’homme : 42% considérant que leur situation se dégrade et 40 % qu’elle n’évolue pas.
De quoi parlons-nous ?
** De religion : pas seulement des trois religions monothéistes – judaïsme, christianisme et islam- mais aussi des philosophies asiatiques (bouddhisme, taôisme…), mais aussi de l’animisme ou des cosmologies des peuples autochtones. Il faut de même prendre en compte les « non-croyants », les athées, les agnostiques…
** Nous parlons également de « laïcité », terme que nous utiliserons dans la version française de nos propos. L’étymologie de « laïc » vient d’un mot du latin ecclésiastique (« laïcus » c’est-à-dire « commun, appartenant au peuple), issu du grec « laikos », par opposition au mot « clerc » (klericos en grec). Le terme a d’abord été utilisé dans le vocabulaire des églises chrétiennes. Le concept de laïcité désigne à partir du Haut Moyen Age la séparation du pouvoir ecclésiastique et du pouvoir séculier. Si on retrouve le concept dans les écrits des philosophes grecs et romains, Marc-Aurèle ou Epicure, ce sont les penseurs du Siècle des Lumières : Diderot, Voltaire , John Locke, et les pères fondateurs des Etats-Unis d’Amérique , tels James Madison, Thomas Jefferson et Thomas Paine qui lui donnèrent sa signification moderne d’autonomie de l’Etat par rapport à la religion, le terme n’apparaissant qu’à partir de la chute du Second Empire, en France , en 1870. En 2010 différentes définitions de la laïcité contemporaine sont données, mais qu’il existe bien des principes fondateurs dont l’objectif étatique et social est de parvenir à prendre en compte la diversité des hommes et la nécessité de les unir pour assurer leur coexistence dans un harmonieux « vivre ensemble ».
En réalité le terme français « laïcité » est intraduisible dans une autre langue, même si on utilise le mot « sécularism » en anglais.
En effet « sécularisation » dont l’étymologie est « rendre au siècle, au monde » est utilisé pour dire que des biens d’Église sont passés dans le domaine public. On l’utilise également pour indiquer que des fonctions ou des biens sont soustraits à l’influence des institutions religieuses. En philosophie, la notion contemporaine de sécularisation est apparue en Allemagne avec des penseurs comme Carl Schmitt, Karl Löpwith ou Hans Blumenberg, pour marquer la perte d’influence de la religion dans la société moderne. Le concept est également apparu dans l’œuvre de Friedrich Nietzsche.
Comment se classent les pays, dans le monde, au regard de la religion et de la laïcité ?
Brièvement nous distinguerons, sans les citer tous :
* Les pays dans lesquels la laïcité a un fondement juridique, c’est-à-dire lorsqu’elle est inscrite dans la constitution. C’est le cas d’une dizaine de pays : La France, mais aussi l’Inde qualifiée dans sa constitution de 1976 de « Secular Democratic Republic » ; le Japon (art.20 de la Constitution de 1947) ; le Mexique ( art 3 de la Constitution de 1917) ; l’Uruguay (art 3 de la Constitution de 1964) ; l’Éthiopie ( art 11 de la Constitution de 1994 qui proclame que l’État et la religion sont séparés) ; la Bolivie ( depuis janvier 2009) ; les États unis d’Amérique (1er. Amendement de la Constitution fédérale) ; la Turquie (Constitution de 1937) ; le Portugal (art 41 de la Constitution de 1976, mais seulement formel).
* Les pays athées tel que Cuba.
* Les pays séculiers c’est-à-dire ceux qui établissent une séparation entre les religions et l’État, mais dont la constitution fait référence à Dieu et qui accordent un statut spécial aux Églises chrétiennes. On y trouve l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Canada, l’Espagne, l’Italie, l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Russie ou la Suisse.
* Il faut citer séparément le Liban qui est une exception de confessionnalité où le pouvoir est réparti entre différentes communautés religieuses.
* Les pays où une religion d’État est déclarée dominante par la Constitution, jouissant ainsi d’un statut privilégié.
Parmi les États bouddhistes on citera le Cambodge, la Thaïlande, la Birmanie et le Sri Lanka. Parmi les États chrétiens distinguons l’Angleterre (anglicane), le Vatican, Malte, Monaco, Liechtenstein et San-Marin (catholique romaine) ; le Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède (luthérienne), la Grèce, et l’Arménie (orthodoxe), l’Écosse (presbytérienne).
Pour le judaïsme : Israël.
Les États musulmans (au nombre de 57 rassemblés dans l’Organisation de la conférence islamique -OCI) vont du Proche et Moyen Orient à l’Afrique du nord, mais aussi à l’Afrique sub saharienne (Mauritanie, Somalie, Soudan) et à l’Asie (Afghanistan, Pakistan, Bangladesh et Malaisie).
* Enfin les pays théocratiques où le pouvoir est exercé par des clercs, sous l’autorité de Dieu : Le Vatican, l’Arabie saoudite, l’Iran et les Maldives.
** Les garanties offertes par les instruments internationaux et régionaux.
Les droits de l’homme universels modernes se veulent délibérément laïcs, c’est-à-dire étrangers au divin et à la transcendance. C’est ainsi que l’inspiration religieuse est volontairement et totalement absente de la Charte des Nations unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et de l’ensemble des instruments internationaux des droits de l’homme. C’est « la dignité et la valeur de la personne humaine » qui sont au centre du dispositif et non pas Dieu.
Si la DUDH fait référence à la religion, c’est uniquement pour en garantir le libre et plein exercice. Ce droit est affirmé dans son article 18, en même temps que la liberté de pensée et de conscience. Il est décliné avec une certaine précision : liberté de changer de religion ou de conviction ; liberté de manifester sa religion ou sa conviction. Ces manifestations de liberté sont également précisées : seule ou en commun, en public ou en privé, sous différentes formes, c’est-à-dire par l’enseignement, les pratiques, le culte ou les rites. Par ailleurs, dans ce texte fondateur est prohibée toute discrimination, et en particulier religieuse, comme élément de l’égalité entre les hommes.
La Convention européenne des droits de l’homme traite en son article 9 de la liberté de pensée, de conscience et de religion.
Ces garanties à la liberté de religion se trouvent également, en des termes très semblables, dans la Convention américaine relative aux droits de l’homme (dite de San José) –art. 12- Citons enfin la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui précise (art.8) : « la liberté de conscience, la profession et la pratique libre de la religion, sont garanties ».
Ces droits, comme les autres, souffrent de limitations admissibles, en particulier « sous réserve de l’ordre public ».
Bien que religions et cultures soient deux concepts différents, des liens existent entre eux qu’il serait intéressant de dégager.
Soulignons enfin qu’aucun des instruments internationaux ne définie, ou même ne cite la laïcité.
** Séparation des religions et de l’État :
Si l’on retient que la définition de base de la laïcité est la séparation de l’État, c’est-à-dire du pouvoir politique, de la gouvernance publique, de toute religion ou croyance d’essence divine, on doit constater que cette laïcité prend des proportions ou même des formes diverses en fonction de l’Histoire de chaque pays.
- La spécificité de la laïcité française :
Ainsi la laïcité française est-elle le produit de l’Histoire de ce pays, et prend donc un contenu spécifique : Depuis le XVIe. siècle (1516), le Concordat de Bologne entre François 1er. et le pape Léon X limite l’intervention du pape dans l’Église de France qui est soumise à l’État monarchique jusqu’à l’Édit de Nantes (1598) qui fait du roi catholique le protecteur des Églises protestantes, en passant par les lettres patentes d’Henri II qui reconnaissent aux juifs le droit de résidence dans le royaume de France (1550), les religions sont étroitement liées au pouvoir royal.
Si la Révolution française proclame dès 1789 le principe de la liberté des opinions et des croyances, c’est en réalité la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État qui fonde la laïcité française sur le double principe de la liberté des cultes et de la neutralité du pouvoir politique. S’éteint ainsi le long conflit entre l’Église catholique et la République qui a marqué tout le XIXe. siècle.
Le contexte politique et social français ayant évolué au cours du XXe. siècle, la loi de 1905 a connu de nombreux aménagements. Néanmoins ce principe républicain reste ancré sur trois piliers :
La neutralité de l’État est la première condition pour que la France ne reconnaisse de statut juridique à aucun culte. La conséquence est l’égalité de traitement entre tous les citoyens, quelles que soient leurs croyances, mais aussi dans l’administration et les services publics.
Le deuxième pilier de la laïcité française est la liberté de conscience religieuse et philosophique et, en conséquence, la liberté de culte. Il s’agit alors de concilier le principe de la séparation des Églises et de l’État avec celui de la protection de la liberté d’opinion « même religieuse » selon la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La seule restriction laissée à l’appréciation de l’État est celle de la protection de l’ordre public. Le champ privilégié de l’expression religieuse est le domaine privé.
Enfin, le troisième pilier est le pluralisme qui accorde à toutes les religions reconnues les mêmes garanties, ne faisant aucune distinction en fonction de leur importance, de leur ancienneté, de leurs dogmes ou observances, sans aucune hiérarchie avec néanmoins des aménagements concordataires.
- Modification du paysage religieux :
Il n’en demeure pas moins que le paysage religieux a changé en France, comme dans de nombreux pays. On a assisté en particulier à l’émergence de confessions que la loi de 1905 ne prenait pas en compte, comme l’Islam, devenue deuxième religion du pays, ou le Bouddhisme. Par ailleurs, si l’Église catholique constate que ses effectifs se réduisent dans ses églises, les religions monothéistes ont vu apparaître, en leur sein, des courants fondamentalistes ou extrémistes revendiquant une représentativité exclusive. Le paysage a également changé avec l’apparition de spiritualités ou de « sectes » revendiquant un statut de religions.
Mais le fait religieux nouveau notable est la pression grandissante des revendications religieuses dans la sphère publique. Ainsi voit-on apparaître en France, depuis une dizaine d’année une inflation grandissante de refus de la mixité dans les services publics, comme par exemple dans les piscines municipales ou les clubs sportifs amateurs. Dans les hôpitaux et établissement de santé les demandes motivées par des impératifs religieux se font de plus en plus nombreuses, et pas seulement en matière alimentaire, mais aussi dans les soins. La préparation de repas différentiés s’est imposée dans l’armée, dans les écoles et à l’université. Le port du voile islamique dans les écoles a été interdit, non sans de nombreuses polémiques, mais pas à l’université. Le port du voile intégral dans l’espace public fait polémique. Les congés spéciaux pour les fêtes religieuses sont à présent couramment demandés, non seulement dans les entreprises publiques mais aussi dans le secteur privé.
L’évolution constatée en France, mais aussi en Belgique, en Suisse ou au Québec est que l’on est passé de la laïcité dans les services publics de l’État, à une forme de laïcité dans l’espace, dans les lieux publics, avec par exemple l’interdiction de la Burqa afghane.
** Un conflit de droit, avec la liberté d’opinion et d’expression.
En contrepoint de l’article 18 de la DUDH portant sur la liberté de pensée, de conscience et de religion pour toute personne, arrive immédiatement après un article 19 proclamant que « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression ». Cette liberté est transfrontière, elle s’exprime par tous les moyens et se diffuse sans restriction. Cette liberté implique directement un droit à la critique, dans tous les domaines. Cette liberté d’expression qui constitue un impératif dans une société démocratique est également protégée par l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Les seules restrictions permises (alinéa 3) doivent être fixées par la loi.
Qu’en est-il alors lorsqu’il s’agit de croyances ou de religions ? Certains y ont décelé un conflit de droit, les religions devant être proclamées à l’abri de toute liberté d’opinion et d’expression. Plus encore, l’article 18 de la DUDH portant sur la liberté de religion, devrait être amputé de l’une de ses parties qui indique que « ce droit implique la liberté de changer de religion… ».
De nombreuses tentatives sont faites aux Nations unies afin de créer un délit de blasphème religieux qui interdirait toute liberté d’opinion et d’expression en matière religieuse. La Fatwa de condamnation à mort de l’écrivain Salma Rushdie pour ses « Versets sataniques », en avait donné le ton. Ainsi par exemple, dès le 9 novembre 2001, quelques semaines après les attentats du 11 septembre aux États-Unis, l’Assemblée générale de l’ONU réussissait in extremis à écarter un texte instituant ce délit dans un Programme mondial pour le dialogue entre les civilisations.
Depuis, deux résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU concernent la diffamation des religons, dont l’une portant sur « le dénigrement des religions » est adoptée en décembre 2008 par la 63 e. session de l’Assemblée générale de l’ONU. Elle cède aux pressions de l’Iran et de l’OCI sur trois points : Elle admet que le dénigrement des religions constitue une violation des droits de l’homme. Elle assimile la critique d’une religion ou d’une conviction à un acte de racisme et de xénophobie. Enfin, s’il est bien évoqué que cette résolution concerne « toutes les religions et l’incitation à la haine religieuse en général », une seule est citée, l’Islam, et l’islamophobie.
Le débat sur la lutte contre le dénigrement des religions, ou diffamation des religions, ou encore le blasphème a également occupé les travaux du Conseil des droits de l’homme au cours de ces dernières années. Ainsi, par exemple, dans le cadre du suivi du Programme d’action de la Conférence mondiale sur le racisme de Durban, a été créé un « Comité ad hoc sur l’élaboration de normes complémentaires internationales pour le renforcement et la révision des instruments internationaux portant sur tous les aspects de la lutte contre le racisme, la discrimination, la xénophobie et l’intolérance ». En 2007, le mandat de ce Comité ad hoc a été élargi en lui confiant la charge de combler les lacunes de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD) ou de créer des protocoles additionnels à cette Convention afin d’élargir la protection à « l’intolérance religieuse et la diffamation des symboles religieux ». L’objectif final, pour certains États est de criminaliser, en droit international, le dénigrement des religions, des personnalités religieuses, des livres, écrits et symboles sacrés, ainsi que la description provocatrice d’objets de vénération religieuse.
De manière générale, il s’agit de remplacer le délit de discrimination d’une personne à raison de sa religion…par un délit de discrimination d’une religion et de ses expressions. L’individu est alors remplacé par le groupe, ce qui constitue une sérieuse atteinte à l’universalité des droits de l’homme.
** La menace du « choc des civilisations ».
La question du relativisme culturel et religieux des droits de l’homme au regard de leur universalité a été largement alimentée non seulement dans la théorie des droits (en particulier par les travaux de Florian Hoffmann et Julie Ringelheim) mais aussi dans des instances intergouvernementales telle l’UNESCO. La tendance générale vise au possible et nécessaire dépassement de la dichotomie entre droits de l’homme et culture.
On ne peut néanmoins ignorer la menace du « choc des civilisations » théorisée par l’universitaire américain Samuel P. Huntington selon lequel les grandes causes de division de l’humanité, et les principales sources de conflit de demain seront culturelles, et domineront la politique internationale. Il définit la civilisation comme « la forme la plus élevée de regroupement par la culture et le facteur d’identité culturelle le plus large qui caractérise le genre humain ». La civilisation se définit alors par « des éléments objectifs communs, comme la langue, l’histoire, la religion, les coutumes et les institutions qui la composent et par le processus subjectif d’identification de ceux qui la partage ». Il distingue sept civilisations majeures : occidentale, confucéenne, japonaise, islamique, hindouiste, slave-orthodoxe et latino-américaine, la civilisation africaine ne serait pas encore cristallisée et jouerait un rôle très modéré. Pour Huntington ce que l’avenir nous réserve « ce n’est pas une civilisation universelle, mais un monde formé de civilisations différentes dont chacune devra apprendre à coexister avec les autres ». Le constat qu’il en tire, pour l’heure, est que si l’Occident a façonné une bonne partie du monde particulièrement dans le domaine économique et scientifique, en une sorte de « communauté mondiale » ou mondialisation, certains concepts ne sont toujours pas intégrés par les autres « civilisations », tels que : les droits de l’homme, la séparation de la religion et de l’État, l’égalité, la liberté, la démocratie, l’individualisme par exemple. Cette prophétie inquiétante n’est peut-être pas étrangère aux récents efforts faits dans les instances internationales, mais aussi dans les relations bilatérales et même à l’intérieur des États afin de promouvoir un « dialogue des civilisations ».
**Le relativisme culturel et religieux menace pour l’universalité des droits de l’homme.
Le relativisme culturel, concept né de l’anthropologie, a fait l’objet de nombreux débats au cours des dernières années. S’il est vrai que la culture de chaque être humain est une composante identitaire importante, le droit à la différence ne peut être vecteur de différence des droits et ne peut être prétexte à brimer la dignité et la liberté humaines. Les violations de droits de femmes peuvent en être une illustration.
Il est aujourd’hui admis que les particularismes culturels ne sont recevables qu’à la condition qu’ils ne portent pas atteinte à l’égale dignité et aux droits égaux de tous les être humains. L’universalité suppose chez toute personne une essence humaine qui va au-delà de tous les particularismes, y compris culturel ou religieux. Peut-on affirmer que la « dignité humaine » n’est pas vécue de la même manière selon que l’on est Chinois, Indien maya ou Suisse ? Défendant l’universalité des droits de l’homme face à ceux qui voudraient n’y voir qu’une simple variante d’un impérialisme blanc , l’ancien Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan répondait : « Il n’est pas nécessaire d’expliquer ce que signifient les droits de l’homme universels à une mère asiatique ou à un père africain dont le fils ou la fille a été torturé ou assassiné. Ils le savent malheureusement beaucoup mieux que nous ».
Concernant plus spécifiquement le relativisme religieux, la menace est encore plus dangereuse pour l’universalité des droits de l’homme. De nombreux gouvernements invoquent les textes sacrés pour refuser cette universalité. Ainsi, par exemple le monde musulman, particulièrement dans le cadre de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) propose-t-il une redéfinition et une ré interprétation des droits fondamentaux à l’aune de la Chariaa, la Loi islamique. Il a d’ailleurs édicté plusieurs déclarations concurrentes de la DUDH : l’une rédigée par le Conseil islamique pour l’Europe, adoptée en septembre 1981 sous le titre : « Déclaration islamique universelle des droits de l’homme » ; et l’autre, adoptée en aout 1990 au Caire par l’OCI sous le titre « Déclaration sur les droits de l’homme en Islam » proclamant en particulier ( article 22) que « tout homme a le droit d’exprimer librement son opinion pourvu qu’elle ne soit pas en contradiction avec les principes de la Chariaa (…) il est prohibé d’utiliser ou d’exploiter (l’information) pour porter atteinte au sacré et à la dignité des prophètes… ».
A la racine des valeurs fondant l’universalité des droits de l’homme, Hannah Arendt disait que c’est « l’idée d’humanité qui constitue la seule idée régulatrice en terme de droit international ».
Cette prise en compte de l’homme comme « mesure de toutes choses » trouve ses racines dans la conscience universelle, et appartient en héritage indivis à toutes les civilisations et toutes les religions, souligne le professeur Emmanuel Decaux. L’affirmation des droits de l’homme vaut partout et pour tous, au-delà des cultures et des religions, ou elle ne vaut rien. Elle implique en effet « la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine », sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion.