- 2-5 novembre 1992- Colloque ONU-Genève
organisées
par
la Commission nationale consultative des droits de l’homme et la Commission Internationale de Juristes
sous les auspices des Nations Unies
du 2 au s novembre 1992
Palais des Nations Unies – Genève
Rapport général
Gérard Fellous
Secrétaire général
de la Commission nationale consultative des droits de l’homme
(CNCDH)
La première phase de l’histoire moderne des droits de l’homme était ouverte par la Charte consacrant les droits de l’homme et par la Déclaration universelle de 1948 énonçant les principes fondamentaux. Les droits de l’homme font alors leur entrée dans la vie internationale.
Aujourd’hui la communauté internationale est très fortement imprégnée des droits de l’homme. Tous les membres de cette communauté sont liés par les engagements de principe de la Charte et de la Déclaration universelle.
Mais alors que ces principes semblent devenir les valeurs les mieux partagées, les violations graves des droits de l’homme font des ravages sur tous les continents, y compris dans les pays de tradition démocratique. Bien que le concept de « crime contre l’humanité » soit né au cours des procès de Nuremberg et de Tokyo, il est resté quasiment théorique depuis lors, malgré les premiers travaux de la Commission du droit international.
Une deuxième phase s’ouvre en cette fin de siècle, avec une exigence nouvelle et forte d’établir et de décrire les violations; de rechercher les coupables et de les punir. Il est temps que les Droits de l’homme passent à l‘effectivité: Le « Droit du droit » ayant été défini et admis universellement , reste à le mettre en œuvre.
C’est dans ce contexte historique que se situe la réflexion sur l’impunité que vous avez menée.
La méthode pour approfondir cette réflexion qui a été choisie durant ces Rencontres, est originale et féconde en ce sens qu’elle allie le rappel des instruments internationaux, l’inventaire -sinon exhautif du moins très large -des législations nationales mises en œuvre dans ce domaine, ainsi que des expérimentations de terrain , des témoignages individuels ou indirects, en un aller-retour constant entre les analyses juridiques et les réalités de terrain.
Le parti-pris de synthèse adopté par ce Rapport final rendait difficile de citer tous les auteurs des idées retenues. Nous prions les nombreux intervenants de nous en excuser, chacun reconnaîtra ses propres apports à ce travail collectif. Nous nous efforcerons, par la suite, de publier l’intégralité des exposés et des débats.
Réflexions historique et éthique au regard des fondements des droits de l’homme
I – Les constats qui font consensus
Ces réflexions ont abouti à un certain nombre de constats qui font
consensus.
A - Les dangers de l‘impunité
L’impunité est un phénomène grave et universel.
Elle constitue une entrave à la démocratie, un échec à l’autorité de la loi et un encouragement à de nouvelles violations.
Dans la société, l’impunité a pour conséquence une crise de confiance des populations dans les processus de démocratisation naissants. Elle constitue un cancer du corps social, en ce sens qu’elle est née de la « confrérie du déshonneur ». L’exorciser est vain, ilfaut écouter les victimes. Elle interdit la mémoire collective et provoque l’oubli des martyrs. Les institutions ne remplissent plus leur rôle de
transmission de l’Histoire, non sélective, d’un peuple. Nul peuple ne
peut oublier son passé, fondement de sa recomposition.
La démocratie naissante est en danger face à l’impunité car la Constitution est vidée de sa substance, le pouvoir judiciaire est affaibli, la crédibilité politique de l’exécutif entamée. L’impunité est illégitime, elle constitue un affront à la primauté du droit.
L’impunité totale est une violation du droit international.
L’impunité constitue une atteinte à la dignité de la personne
humaine, principe universellement reconnu.
Tout en prenant note de ce que l’impunité peut aussi s’étendre aux violations graves et systématiques des droits économiques et sociaux, le colloque ne pouvait approfondir cette question qui mérite intérêt et a estimé qu’elle nécessiterait une étude spécifique.
B - De la nécessité de combattre l’impu11ité
En refusant l’impunité, l’objectif est d’une part de décourager la répétition des violations et d’autre part de renforcer la primauté du droit.
Entre l’impunité et la vengeance qui est un aveu de faiblesse et de lâcheté, le pardon qui n’est ni oubli ni indifférence, est un geste risqué et difficile.
‘-···
C- Le rôle de l’Etat
La responsabilité juridique et morale incombe en priorité à l’Etat,
mais aussi aux entités non-étatiques. Le contrôle des violations des droits de l’homme fait partie de la mission de l’Etat, faute de quoi ilse disqualifie et sa légitimité est ébranlée.
L’Etat doit respecter ses engagements internationaux et les
rcsponsabililés auxquelles il souscrit.
Mais si les systèmes juridiques internes sont incapables de trancher, il est nécessaire de faire appel aux réactions et aux sanctions internationales.
D - Le rôle de la communauté internationale
Depuis de nombreuses années, et sur l’exemple de la Convention contre la torture qui prévoit explicitement la condamnation des violations, différents instruments internationaux tentent d’élaborer des normes applicables à des situations d’impunité. Sur le problème global de l’impunité, les premières réflexions ont été formulées à l’issue de la 42e session de la Sous-Commission des Nations Unies de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorit és qui a demandé un rapport à MM. Joinet et Guisse.
II – Les voies et moyens différents
Faute de normes internationales suffisamment effectives, de multiples pays ont mis en œuvre différents voies et moyens pour aborder le problème de l’impunité. Ces expérimen tations applicables en un lieu et en un moment bien définis ne sont pas toujours transposables ailleurs et dans d’autres circonstances. Néanmoins elles peuvent éclairer sur les traitements possibles.
Pour certains pays, la transition pacifique permet d’éviter le chaos et la violence. Non pas en prônant l’oubli, mais en prenant le chemin de la justice . Il s’agit alors de concilier le châtiment et le besoin historique de réconciliation dans le but d’instaurer la démocratie, étant entendu que lorsque les valeurs des droits de l’homme ne sont pas respectées, la paix civile n’est pas durablement établie.
La réconciliation ou à tout le moins la conciliation nationale peut être considérée comme un moyen d’ouvrir le processus de transition démocratique ou de paix. Cette méthode est rendue difficile par sa mise en contradiction avec, d’une part, la vérité historique et, d’autre part, la nécessité de punir les coupables.
La réconciliation ou à défaut la conciliation nationale ne semble possible que dans le contexte d’un rapport de forces favorable. Pour certains, elle ne peut intervenir que si elle est accompagnée d’un repentir sincère de la part des anciens violateurs. Pour d’autres, elle ne peut se fonder sur 1a raison d’Etal, mais uniquement sur la justice et à la condition qu’elle ne heurte pas la soif de justice du peuple.
Une approche normative des sanctions et des peines, selon le principe de proportionnalité, se heurte au caractère gravissime des violations (génocide par exemple) dont nulle réparation ne
parait suffisante. Certains prônent une approche contextuelle plutôt
qu’universelle, prenant en compte le fait que le droit s’applique à une société donnée. Dès lors, la sanction est adaptée au cas par cas selon trois paramètres :
- Qui a accordé l’impunité?
- Les crimes sont-ils imprescriptibles et sans rémission?
- -Comment se comportent les violateurs ? Sont-ils repentants ?
La nécessaire mémoire
Le rôle des historiens :
Quel que soit le choix politique fait -dont nous avons évoqué plus haut les différentes possibilités – il s’avère nécessaire et impératif d’entretenir la Mémoire.
Face à la mémoire collective qui peut être sélective et déformante, la « mémoire savante », c’est-à-dire celle des historiens, ne transige pas avec la vérité. On ne peut construire l’avenir d’un peuple sur la négation de son histoire.
La transmission de cette mémoire historique incombe aux
enseignants, mais aussi aux médias.
Le syndrome de l’oubli qui atteint les victimes :
Les victimes ou leur famille peuvent souhaiter l’oubli en refusant de parler des terribles situations vécues. Il faut alors un long temps pour les amener à témoigner, mais aussi, les familles des victimes, surtout des disparus, vculent savoir la vérité. Mais cela demeure difficile et périlleux lorsque les anciens violateurs sont encore en fonction. La mémoire est alors bloquée par la terreur.
Les victimes
Le cœur même de toute réflexion sur l’impunité et de toute action menée pour la combattre est constitué par les victimes. C’est en pensant à elles et en leur nom que la conscience universelle se mobilise.
Le premier devoir est celui de l’identification des victimes, avec tous les problèmes qui se posent, notamment celui des registres des détenus et des détentions non enregistrées. Les difficultés pratiques de recherche sont aggravées par l’impunité des tortionnaires. II est à souligner que dans certains cas, le phénomène de détention et de disparition est lié à d’autres pratiques dites structurelles des sociétés concernées.
Les victimes sont souvent marginalisées et de multiples obstructions leur sont opposées. Aujourd’hui, dans quelques pays, les victimes commencent à sortir du silence, à prendre de la voix.
Théoriquement les réparations et indemnisation des victimes sont à présent prévues par des documents internationaux. Cette réparation prend des formes matérielles ou non pécuniaires. Il a été souhaité qu’à l’avenir, les normes internationales qui seront adoptées, incluent ces réparations. Il a été de même suggéré la création d’un Centre international pour la défense des victimes.
Pour l’heure, les organisations non gouvernementales engagées sur le terrain pour porter assistance aux victimes parviennent, pour le moins, à rompre la chaîne du silence, ce silence complice de l’impunité.
Recherche et jugement des violateurs
I : Les principes consensuels fondés sur le primat des droits de l’homme
1- Le premier principe qui recueille l’adhésion de tous est de refuser les doctrines qui tendent à légitimer l’impunité ou à justifier les violations au nom de la raison d’Etat.
Aucune compromission n’est possible car la barbarie est la négation même du droit.
2 – Ceci étant et quelles que soient les situations, nous sommes tous d’accord pour dire que la priorité est d’établir les faits, c’est-à dire d’enquêter. C’est un devoir envers les victimes et leur famille, c’est un devoir envers la mémoire, un garde-fou contre l’oubli.
Différentes expériences de commissions d’enquête ont été présentées. Elles ont toujours en commun que leurs membres sont animés d’un courage lucide. Souvent elles mêlent le monde judiciaire et la société civile. Dans bien des cas elles ont besoin du soutien et de la protection internationaux.
3 – La troisième exigence, unanimement réclamée, est de désigner les coupables, c’est-à-dire les violateurs. Mais au-delà, ce sont les mécanismes des violations et des répressions qui sont disséqués, c’est la machine oppressive en marche qui est décrite. Il en ressort le constat évident que les violations des droits de l’homme ne sont ni une fatalité, ni le produit d’un quelconque dérapage, mais la manifestation d’une volonté politique délibérément conçue et exécutée. Se dégage de même une évidente collision entre tyrannie et corruption, un lien entre violations des droits de l’homme et pillage économique et financier.
4 – Quatrième point consensuel : La demande fondamentale des victimes est leur réhabilitation en urgence, qu’il s’agisse des opposants décriminalisés, des disparus, des exilés. Il y va de la
·dignité personnelle et de la confiance en l’Etat de droit, de la
stabilisation de la démocratie.
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II – Les traitements selon plusieurs voies possibles
C’est lorsqu’on aborde la phase de mise en jugement des violateurs que se présentent les plus grandes difficultés et que les options sont ouvertes.
Le traitement des violateurs peut être national et/ou international.
A - Traitements nationaux
Les différentes expériences exposées durant ces travaux ont montré que ces traitements des violateurs pouvaient être de trois natures:
•politique
•juridique
- • administrative
1- Dans les types de traitement politique, on a cité principalement le thème de la réconciliation nationale pour la recherche de la paix civile.
A été mise en évidence la contradiction entre, d’une part, la mise en œuvre d’un processus de transition ou de paix facilité par la réconciliation internationale ou nationale et, d’autre part, la nécessaire vérité historique sur une période troublée et l’exigence de punition des coupables. Les ambiguïtés de cette réconciliation nationale viennent aggraver l’impunité de fait accordée aux violateurs.
En tout cas, cette réconciliation se doit d’être accompagnée d’une réforme constitutionnelle. Elle ne peut s’accommoder du maintien de structures anciennes dans un nouvel Etat de droit, c’est-à-dire de la persistance d’un esprit de corps particulièrement militaire -porteur d’un esprit de revanche.
2 – Le traitement juridique porte sur la responsabilité des individus
et, à travers eux, sur la responsabilité des institutions.
Nous distinguerons successivement les réflexions portant sur le jugement, sur la prescription, l’imprescriptibilité et l’amnistie.
a - Concernant le jugement, distinguons successivement le droit, le juge, la procédure et les sanctions ;
Pour ce qui est du droit, ont été rappelées les conditions et les garanties d’un procès équitable. Bien entendu, toute faille aux règles du procès équitable ouvre la voie à une éventuelle impunité.
Concernant le juge, plusieurs problèmes se posent : celui des juges compromis, celui des juges sous influence politique et sous menace.
La procédure doit de même offrir toutes les garanties.
Enfin, quand bien même les faits auraient été considérés comme constitutifs de violation d’un droit, qu’ils auront été sanctionnés correctement par un jugement rendu par un tribunal compétent, il reste que l’exécution de la décision peut être source d’impunité.
L’existence d’une magistrature et de tribunaux militaires d’exception ouvre une confusion avec le système judiciaire civil et aboutit le plus souvent à des procès expéditifs. L’accent a de même été mis sur les menaces d’une justice dite privée.
D’une manière générale, l’absence ou la minoration de la punition pour les violateurs désignés et jugés est de nature à encourager de nouvelles violations.
Il n’en demeure pas moins que, quelle que soit l’issue de ces procès équitables, une enquête publique, des témoignages diffusés par les médias ont une valeur pédagogique certaine. A ce stade, le rôle des organisations non gouvernementales est d’une grande importance.
b - Dans ce même domaine juridique, ont été traités, durant ces travaux, les questions de la prescription, de l’imprescriptibilité, de la rétroactivité, et, bien entendu, des définitions strictes ou élargies des crimes contre l’humanité. Si sur ces sujets la doctrine est bien connue, des incertitudes demeurent sur les conditions de mise en œuvre, incertitudes qu’il importe de réduire.
c - Le troisième et dernier volet du traitement juridique des violateurs, au plan national, porte sur l’amnistie.
L’amnistie, sous diverses appellations, comme « loi du point final », enlève le caractère délictuel à certains faits, éteint les poursuites en cours ou suspend les peines prononcées , dans un objectif à caractère politique de réconciliation nationale, par exemple en mettant fin à un conflit armé.
Cette amnistie ne peut être considérée comme tolérable qu’à certaines conditions restrictives :
- elle doit respecter le droit à réhabilitation et à réparation des
victimes et des familles;
- elle ne doit pas couvrir des violations reconnues par les
instruments internationaux ;
•elle ne doit pas entraver l’action civile des familles.
Quant au pardon, il fait l’objet de profonds débats. Il peut néanmoins se soumettre à une condition préalable certaine, celle de l’accord des victimes. Seules les victimes seraient habilitées à pardonner.
Aux traitements politique et juridique que nous venons d’évoquer, il faut enfin ajouter les mesures de type administratif.
3 – L’épuration, tentation certaine de lever tout obstacle à l’instauration d’une politique nouvelle, n’est pas sans limites ni sans dangers. De nature politique, elle devrait s’accompagner de précautions : d’abord dans la définition des responsabilités, ensuite dans la constitution des commissions d’épuration. L’expérience fait apparaître que, dans tous les cas, elle est soumise à une part d’arbitraire.
On ne peut parler de recherche des coupables, de réhabilitation des victimes, d’épuration, par exemple, sans évoquer le problème des chiers et des archives des régimes violateurs des droits de l’homme. Face aux excès et débordements constatés particulièrement en matière de délation, il n’en demeure pas moin que ces archives et fichiers doivent être conservés, mais avec de précises garanties législatives en matière de consultation dans le
double but de reconstitution historique du passé, de preuve pour les victimes et, le cas échéant, de base contradictoire pour les personnes poursuivies.
Nous avons évoqué jusque-là les différents traitements des violateurs des droits de l’homme au plan national. Un deuxième grand volet de vos réftexions a porté sur les traitements internationaux.
B-Traitements internationaux
Les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, dont celui de génocide, échappent trop souvent en fait à toutes poursuites sur le plan international alors qu’ils constituent les crimes les plus graves qu’on puisse commettre.
Le droit international possède toutes les dispositions et instruments nécessaiies à combattre l’impunité des violations graves qui portent atteinte à la vie et à l’intégrité de l’être humain. Les crimes contre l’humanité sont prévus et précisement codifiés dans les instruments internationaux. Les dispositions concernant la recherche des violateurs existent dans différentes déclarations et conventions qui ont été rappelées.
Mais l’impunité vient du fait que la ou les juridictions internationales restent à créer, en dépit du fait que la réflexion juridique, menée de longue date, soit très poussée à ce jour . Les choix qui s’imposent nécessitent une volonté politique courageuse.
Sur la création de juridictions internationales, 4 points d’accord consensuel, au moins, peuvent être dégagés :
1-l’impunité des crimes internationaux majeurs constitue une violation de la conscience des hommes ;
2 – le jugement des criminels doit être entouré des garanties du droit à un procès équitable ;
3- – qu’il appartient aux juridictions nationales de juger ces criminels.
Mais en cas de carence -trop fréquemment constatée il devrait appartenir à une instance internationale d’y pourvoir ;
.
4 – Enfin, tous aspirent à la naissance d’un espace juridique international dont l’un des mérites, et non des moindres serait son caractère dissuasif.
Ces principes étant affirmés, les voies et moyens offrent plusieurs options possibles, sur lesquelles les avis ne sont pas unanimes .
La création d’une juridiction pénale internationale soulève une
série d’interrogations qui restent à trancher:
Quels crimes seront poursuivis?
La définition de ces crimes va d’une interprétation large, c’est-à dire les crimes de caractère international déjà visés par les traités internationaux, à une interprétation plus limitée aux crimes contre la paix, aux crimes de guerre et contre l’humanité précisés dans les conventions existantes ; en passant par une compétence inter médiaire, incluant aux précédents, par exemple, les crimes de terrorisme ou le trafic de stupéfiants.
• Quelle compétence pour une juridiction internationale ?
Trois options sont ouvertes par rapport aux juridictions nationales : compétence exclusive, conjointe ou subsidiaire, à quoi il faut ajouter
<les mécanismes collatéraux, comme le recours en interprétation.
• Quelle compétence territoriale ?
Cette juridiction pourrait être une Cour pénale internationale à vocation universelle ou prendre la forme de plusieurs Cours régionales, en ayant toutefois en vue l’unité profonde de la jurisprudence fondée sur une nécessaire communauté de valeurs.
Dans la perspective d’une juridiction régionale, des enseignements utiles ont été tirés de la pratique de la Cour européenne des droits de l’homme, qui condamne effectivement les Etats relevant de sa compétence, de même que de la Cour inter-américaine des droits de l’homme.
Cette juridiction serait-elle permanente ou temporaire ? Ou pourrait-elle concilier l’un et l’autre, comme il a été suggéré? L’institution d’une Cour permanente, établie par voie de Convention internationale, aurait une forte valeur symbolique, mais des solutions ad-hoc -décidées ou non par le Conseil de sécurité – pourraient répondre de manière rapide et adaptée à des situations d’urgence. Toutefois les dangers d’une justice politique ont été soulevés.
Au-delà de ces choix resteraient à résoudre les problèmes techniques de fonctionnement.
Ila été souligné que les juristes ont déjà envisagé et étudié toutes les modalités possibles.
Aujourd’hui, le choix découle d’une volonté politique inter nationale fondée sur un choix juridique. Il existe, dans l’histoire de l’humanité, des moments où l’urgence s’impose de ne pas laisser plus longtemps l’impunité triompher. Nous sommes sans doute à cet instant. C’est le fort sentiment qui s’est dégagé de vos débats.
S’il fallait qualifier en quelques mots ces rencontres, je dirais qu’à travers la richesse et la haute tenue des exposés doctrinaux, à travers les multiples expériences présentées, à travers les poignants témoignages apportés, à travers les débats foisonnants, s’est imposée l’impérieuse et urgente nécessité de ne plus jamais laisser impunis les violations graves des droits de l’homme, faute de quoi l’idéal généreux des droits de l’homme qui a animé œl1c dernière moitié du siècle perdrait toute crédibilité et serait vidé de sens pour tomber dans les oubliettes de l’histoire.
Appel
Réunis au Palais des Nations (Genève) sous les auspices des Nations Unies, les experts participants aux Rencontres Inter nationales sur L’Impunité convoquées conjointement par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH, France) et la Commission Internationale de Juristes (CIJ), ont lancé l’appel suivant:
- Extrêmement préoccupés par les crimes internationaux particulièrement graves qui se commettent actuellement en toute impunité dans diverses régions du monde, qu’il s’agisse de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité ou des violations flagrantes des droits de l’homme ;
- Constatant que depuis la Seconde Guerre mondiale les juridictions nationales sont trop souvent inaptes ü poursuivre et :. sanctionner de tels crimes malgré leur exceptionnelle gravit ;
- Considérant que cette carence, qui tend à faire de l’impunité un phénomène universel, constitue un outrage pour les victimes, une grave entrave à l’autorité de la loi ainsi qu’au développement de la démocratie et incite à de nouvelles violations ;
- Rappelant qu’en toutes circonstances s’impose le devoir de vérité ; que l’avenir d’un peuple ne peut être construit sur l’ignorance, ou la négation de son histoire, de même que la connaissance par un peuple de l’histoire de sa souffrance appartient à son patrimoin e culturel et comme telle doit être préservée;
- Constatant que si les normes du droit international permettant de réprimer de tels crimes peuvent toujours être perfectionnées – ou complétées, notamment en ce qui concerne les violations majeures des droits économiques et sociaux fondamentaux – elles sont désormais suffisamment établies pour ouvrir d’ores et déjà les poursuites contre les crimes atroces qui se commettent actuellement ;
- Que par conséquent, le- règne de l’impunité résulte moins de l’absence de règles permettant de condamner que de l’insuffisance de mécanismes destinés à en assurer la mise en œuvre et le respect ;
- Soulignant que l’impunité absolue est un déni de justice et une violation du droit international ;
- Que l’impunité ne peut remettre en cause les principes de ce droit, en justifiant la barbarie au nom de la raison d’Etat ou de l’esprit de corps des forces constituées ;
- Que la primauté des droits de l’homme est la base nécessaire de toute conciliation nationale ;
- Que les solutions nationales ne sauraient entraver le plein respect des engagements internationaux concernant le devoir étatique de poursuivre et de juger les responsables des violations les plus graves;
- Que la primauté des droits de l’homme est la base nécessaire de toute conciliation nationale ;
- Que l’impunité ne peut remettre en cause les principes de ce droit, en justifiant la barbarie au nom de la raison d’Etat ou de l’esprit de corps des forces constituées ;
- Soulignant que l’impunité absolue est un déni de justice et une violation du droit international ;
- Que par conséquent, le- règne de l’impunité résulte moins de l’absence de règles permettant de condamner que de l’insuffisance de mécanismes destinés à en assurer la mise en œuvre et le respect ;
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- Estimant que les limitations qui pourraient, dans des
circonstances exceptionnelles, être consenties au droit de punir, afin de favoriser le retour à la paix ou la transition vers la démocratie, doivent être subordonnées en tout cas au respect des conditions suivantes :
les décisions ne sauraient être prises par les auteurs des violations
eux-mêmes ou leurs complices;
elles ne sauraient porter atteinte au droit des victimes et de leurs ayants droit, qui comportent le droit de savoir, celui d’être équitablement indemnisé et, s’il y a lieu, celui d’être pleinement
réhabilité;
- Affirmant qu’à défaut d’un exercice par l’Etat de sa compétence, il
appartient à la communauté internationale d’y pourvoir ;
- Que la coopération répressive internationale doit s’exercer pleinement, en application des traités en vigueur que tous les Etats devraient ratifier et appliquer, notamment les Conventions de Genève et leur Protocole 1.
- Qu’une action internationale plus efficace nécessite une prise de conscience générale et en premier lieu des décideurs politiques et un choix clair en faveur d’instruments internationaux adaptés, comme par exemple une instance répressive internationale.
- Les experts participants aux Rencontres Internationales sur
!’Impunité lancent un appel aux Organisations Non-Gouver nementales (ONG), aux Etats et aux Organisations Intergouver nementales :
1- pour que l’initiative prise par le Conseil de Sécurité de créer une Commission impartiale d’experts chargés d’enquêter sur les violations des Conventions de Genève et sur toutes autres violations du droit humanitaire international commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie (Résolution 780), soit menée à son tenne, sans délai, afin que son expérience soit mise à profit pour l’instauration à bref délai d’un Tribunal pénal international plus que jamais indispensable.
2 – pour que soit proposé, dans le cadre de la Conférence Mondiale sur les Droits de l’Homme, qui se réunira à Vienne en juin 1993, selon les modalités les plus appropriées, la mise en place d’une instance pénale internationale afin de briser enfin le cycle de l’impunité.
Genève, le 5 Novembre 1992