Par Gérard FELLOUS
Que le régime du clan El Assad, avec le soutien d’autres minorités, soit sanguinaire, violateur forcené des droits de l’homme, ayant fait à ce jour plus de 15 000 victimes ;
Que ce conflit interne soit de nature clanique et religieuse, du type de celui qui a ravagé le Liban pendant des décennies ;
Qu’en géopolitique, il soit instrumentalisé par l’Arabie Saoudite, chef de file d’un « camp sunnite », face aux ambitions régionales chiites, y compris avec le Hezbollah, sous la houlette d’un Iran à la recherche d’un leadership régional, après la chute de l’Irak de Saddam Hussein ;
Que ce champ-clos d’affrontement entre deux tendances conquérantes de l’Islam ait été récupéré par la Russie de Poutine, et dans une moindre mesure par la Chine, mais pour d’autres raisons, afin de revenir sur la scène internationale, et tout particulièrement en Méditerranée avec la base militaire du port de Tartous, en Syrie, face à la Turquie et à l’OTAN, et afin d’écouler les produits de son industrie d’armements ;
Que la propagande de Damas tente de faire croire à son opinion publique interne qu’Israël est à l’origine de tous les malheurs du pays, afin de provoquer un réflexe d’unité nationale ;
Tout cela est exact et ce contexte est à rappeler lorsque l’on veut comprendre et évaluer à sa juste mesure le plan mis en œuvre par l’ancien secrétaire général Kofi Annan, émissaire de l’ONU et de la Ligue arabe, et les résultats du « groupe d’action » au sein duquel œuvre la France. Mais il serait prématuré et inexact de conclure aujourd’hui qu’ils aient abouti à un échec, compte tenu de trois remarques :
—Il s’agit d’une initiative multilatérale, et non pas de négociations bilatérales, comme certains le laissent croire, initiative ayant ses vertus et ses limites :
En effet, le blocage de la Russie et de la Chine, au Conseil de sécurité, met la communauté internationale dans une configuration délicate, mais pas inconnue. En 2009, par exemple, ces deux pays avaient opposé leur veto, permettant au Sri Lanka de provoquer des dizaines de milliers de morts, de blessés et de déplacés parmi la minorité Tamoul.
—Sauf à envisager une entrée en guerre de puissances extérieures, comme ce fut le cas en Irak, en Afghanistan ou en Libye, le choix actuel de la communauté internationale est d’en charger une opposition interne, mais avec le risque, non négligeable, de l’arrivée au pouvoir d’un régime islamique fondamentaliste, à l’instar de la Libye, de l’Egypte ou de la Tunisie.
—En l’absence d’un consensus au Conseil de sécurité qui pourrait être acquis grâce à la persévérance de l’actuelle démarche, les Nations unies ne sont pas démunies.
Outre la « médiation » demandée à Kofi Annan, la communauté internationale n’a pas aujourd’hui les mains totalement liées par le respect de « la souveraineté des Etats » proclamée par la Charte de l’ONU (article 2) qui stipule qu’ « aucune disposition n’autorise les Nations unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale des Etats ». Les temps ont bien changé depuis 1948, ce que veulent ignorer la Russie et la Chine. La communauté internationale n’a pas encore utilisé le chapitre VII de cette Charte qui prévoit que rien ne peut faire obstacle au devoir d’action et d’intervention qui incombe au Conseil de sécurité, si une violation grave, répétée ou systématique à l’intérieur d’un pays est de nature à menacer la paix internationale.
Reste également à la disposition de l’Assemblée générale de l’ONU le nouveau concept de la « responsabilité de protéger » des civils en période de conflit armé (résolution du 28 avril 2006) mis en application au Soudan, mais qui a du mal à devenir opérationnel.
Enfin, on ne peut écarter les opérations de maintien de la paix, que la région connait bien. Il est vrai que leur encadrement : consentement des parties en conflit ; impartialité face aux forces en présence ; et limitation de l’usage de la force à la seule légitime défense, peuvent lasser douter de leur efficacité.
Faute de mener à bien une action multilatérale pacifiant la Syrie et la région, la perspective la plus pessimiste serait celle d’une longue « guerre civile », sanguinaire et épuisante qui aboutirait à un Etat central affaibli, et à une « cantonisation » des différentes composantes du pays (sunnite, alaouite, chrétienne…), résultat d’importants transferts de populations, sur le modèle de l’actuel Liban voisin.