- 8 mars 2013-Crif
Stéphane Hessel, cet homme au grand cœur, au sourire charmeur et à la locution feutrée, avec lequel j’ai travaillé, semaine après semaine, mois après mois, pendant quinze ans entre 1992 et 2007 lorsque j’animais, à Matignon, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, était l’un des plus brillants défenseurs des Droits de l’homme, en France et dans le monde. Il m’avait honoré de son amitié, et je lui vouais une certaine admiration… jusqu’à cette année 2008 où je vis cet homme intègre basculer dans la vieillesse et devenir vulnérable.
Gérard Fellous
Stéphane Hessel fut-il victime, en sa fin de vie, d’un « abus de faiblesse » ? En ce XXIe siècle naissant qui verra la longévité humaine s’accroitre sensiblement pour des dizaines de milliers de Français ; où l’on vit l’histoire pathétique d’une vieille dame, première fortune du pays, tombée sous la dépendance d’escrocs, victime d’abus de faiblesse puis mise sous tutelle ; pensons à tous les Stéphane Hessel que la vieillesse livrera, pieds et poings liés, à des proches ou à des manipulateurs tentés de les statufier, selon des techniques staliniennes, à la gloire de leur propre cause. Dans les cinq dernières années de sa vie, Stéphane Hessel fut ainsi transformé en icône, et cela à coup de mensonges, de travestissements, d’approximations hagiographiques qu’il laissa propager. J’en témoigne.
Relevons quelque-uns de ces mensonges tardifs :
–Non, il n’a jamais « participé à la rédaction de la Charte universelle des droits de l’homme » : Première erreur, il existe une Charte des Nations unies de 1945, et une Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948 qu’il ne faut pas confondre. Seconde erreur, au moment de la rédaction de la DUDH, Stéphane Hessel n’était pas le représentant de la France à la Commission des Droits de l’homme, qui avait la charge de ce texte. C’était le juriste René Cassin, qui repose aujourd’hui au Panthéon, qui représentait notre pays, sous l’autorité de M. Foulques-Duparc, ministre plénipotentiaire, directeur des conférences internationales au Quai d’Orsay.
Stéphane Hessel, qui n’a pu achever ses études à Normale Sup. du fait de la guerre, rejoint les fonctionnaires internationaux au secrétariat général de l’ONU, aux cotés de Henri Laugier. Il précise, dans son ouvrage « Danse avec le Siècle » (Seuil, 1997, P. 114), à propos de ce secrétariat : « Leur travail consistait à préparer les réunions entre représentants des États membres- avec un mélange de modestie. Ce n’est pas nous qui prenions les décisions, mais eux ». Dans l’administration onusienne, c’est le directeur de la Division des droits de l’homme au Secrétariat des Nations Unies, John Peters Humphrey qui réunit la documentation utilisée par la Commission des plénipotentiaires, dans laquelle René Cassin réussit en particulier à imposer la dénomination « universelle » pour qualifier la Déclaration des droits de l’homme.
Effectivement, c’est René Cassin, avec Eleanor Roosevelt et six autres rédacteurs, qui rédigèrent les différentes moutures de la DUDH, débattues au sein de la « Commission nucléaire « (29 avril 1946- 20 mai 1946), puis de la Commission des droits de l’homme jusqu’au 10 décembre 1948, avant d’être adoptée au Palais de Chaillot (Paris) par les 54 pays membres de l’assemblée générale de l’ONU (voir les archives du Quai d’Orsay dans « La contribution française à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme » Éric Pateyron, 1998, La Documentation française).
Stéphane Hessel en convient lui-même, à plusieurs reprises : en décembre 2008, dans un entretien au Centre d’actualité de l’ONU, il déclare : « Au cours des trois années 1946, 1947, 1948, j’assistais aux séances et j’écoutais ce qu’on disait, mais je n’ai pas rédigé la Déclaration. J’ai été témoin de cette période exceptionnelle » ajoute-t-il. Dans une interview audio accordée au site du ministère français des Affaires étrangères, il rend hommage à René Cassin qu’il dit « avoir rencontré à New York ». Il déclare dans une interview à Politis (3 janvier 2011) qu’il voulait revenir sur « une idée fausse » qui est « de m’accorder le rôle de corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme (…) J’ai assisté à sa rédaction de très près et de bout en bout. Mais de là à prétendre que j’en aurais été le corédacteur ! ».
–Autres travestissements de bien des éléments de sa biographie par ses « nouveaux amis de vieillesse » : Il dénonce lui-même comme une idée fausse, le fait « que j’aurais fait partie du Comité national de la Résistance » (Politis, 3 janvier 2011). Par ailleurs, ce n’est qu’en 1977 qu’il obtint un poste d’ambassadeur auprès de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, à Genève. Il est alors nommé par le président Valéry Giscard d’Estaing. Il n’a jamais eu par ailleurs de poste diplomatique dans une capitale, mais la dignité d’ambassadeur de France lui a été décernée par le président François Mitterrand.
–La publication au printemps 2010 d’un « livre », qui est en vérité un pamphlet de 13 pages, « Indignez-vous ! » n’est pas de sa main. Il est en réalité l’œuvre de Sylvie Crossman, son éditrice (Indigène), et par ailleurs spécialiste des aborigènes d’Australie, qui a utilisé trois entretiens oraux accordés dans le cadre de la campagne en faveur des sans-papiers. Stéphane Hessel s’est borné à dire : « Je veux bien » qu’ils soient publiés. Outre le fait que Stéphane Hessel répugne à prononcer les mots de « révolution » , de « soulèvement » ou de « violences » qui seraient contraires aux valeurs des droits de l’homme, il n’est qu’une seule situation dans le monde qui puisse aujourd’hui soulever l’indignation, celle des Palestiniens. Et encore, pas la Palestine de l’OLP et de la Cisjordanie qui n’a jamais fait l’objet du soutien des « nouveaux amis » de Stéphane Hessel, mais celle du Hamas. On relèvera que Stéphane Hessel n’avait jamais demandé à rencontrer Yasser Arafat ou Mahmoud Abbas, avant qu’il n’ait une rencontre médiatisée avec Haniyeh, le chef du Hamas. La manipulation est grossière.
Quant à la « biographie » qui accompagne l’opuscule, elle est clairement signée SC. Ses éditeurs ne cachent pas qu’ils voulaient ainsi créer une icône afin que, selon eux, « 7 milliards d’humains (…) se presseraient derrière sa porte » (le Monde, 6 mars 2013). En somme une pure opération de marketing politique.
Palestine, un engagement critiqué
À partir de 2009, à 92 ans, entrainé par quelques proches et par certains groupuscules altermondialistes et d’extrême gauche, Stéphane Hessel est propulsé à la tête d’une curieuse campagne en faveur des Palestiniens, dont on retiendra quelques aspects:
Il inaugure tout d’abord (8 octobre 2009 à Lausanne) la Conférence du Tribunal Russell pour la Palestine. Ce « tribunal d’opinion » créé pour « mobiliser les opinions publiques » avait besoin d’une figure de proue. Sa compagne Christine fait entrer Stéphane Hessel dans son comité d’organisation. On le voit intervenir dans les médias au côté de Tarik Ramadan pour dénoncer « les atrocités » à Gaza, affirmer qu’Israël s’y livre à des « crimes contre l’humanité » et prétendre que le « Hamas veut retourner aux frontières de 1967 ».
Parallèlement, il participe à une campagne de boycott des produits israéliens (BDS), que du reste la législation française interdit et qui lui vaut une poursuite judiciaire et l’annulation d’une conférence à l’École normale supérieure. Il se réfère au rapport Richard Goldstone sur Gaza, de septembre 2009 « qu’il faut absolument lire », sans ajouter qu’il a été fermement démenti par les Nations Unies. Il se laisse aller à déclarer au journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung (janvier 2011) : « L’occupation allemande était, si on la compare par exemple avec l’occupation actuelle de la Palestine par les Israéliens, une occupation relativement inoffensive, abstraction faite d’éléments d’exception comme les incarcérations, les internements et les exécutions, ainsi que le vol d’œuvres d’art ». On relèvera que Stéphane Hessel ne fait alors aucune allusion à la Shoa et à la déportation de 70 000 juifs de France.
Stéphane Hessel s’est rendu depuis 2008 à plusieurs reprises à Gaza et à Ramallah sous couvert d’ONG humanitaires, en passant par Israël. En octobre 2010, il se rend en compagnie du philosophe Régis Debray au centre culturel français à Gaza. Au cours de ce séjour, il rencontre, en présence des médias du Hamas, Ismail Haniyeh, le chef du Hamas auquel il apporte son soutien. Il avait auparavant défini le terrorisme pratiqué par le Hamas comme étant… « une forme d’exaspération » (Indignez-vous ! P. 9).
Une fausse légende Hessel, qui l’a dépassé, était ainsi bâtie depuis cinq ans.
Mais, dans son hommage du 7 mars aux Invalides, la République a corrigé les erreurs biographiques, en retenant le Résistant et l’homme de la Gauche mendésiste, auquel le poète Guillaume Apollinaire, qu’il affectionnait tant, ajoute dans le poème lu sur son sarcophage : « Pitié pour nos erreurs… »