Le faux départ de l’Observatoire de la laïcité

En lançant une campagne de presse, fin juin 2013 ; en publiant un « point d’étape » ; et en dressant un tableau idyllique de l’état de la laïcité en France, Jean-Louis Bianco a fait prendre un faux départ à l’Observatoire national de la laïcité qu’il préside. Il marque ainsi les faiblesses et les lacunes de cette institution, dont les défenseurs et les militants de la laïcité attendent beaucoup, mais qui leur pose un certain nombre de questions, ainsi que s’interrogent les associations membres du Collectif laïque.

En premier lieu, comme le souligne l’un des 23 membres de l’Observatoire, Patrick Kessel : « Les commentaires du Président de l’Observatoire de la laïcité (…) sur la situation de la laïcité dans le pays, n’engagent que leur auteur. Le pré-rapport d’étape n’a fait l’objet d’aucun vote des membres de l’Observatoire. Ceux-ci ne devraient intervenir qu’à l’automne ».

En présentant son « Point d’étape », J.L. Bianco  parle d’ « un premier état de nos travaux », composé de « contributions utiles », afin que l’Observatoire puisse « se forger sa propre opinion », mais ne précise pas qu’il n’a fait- à la date du 25 juin 2013- l’objet d’aucune réflexion, d’aucun avis ou d’aucune délibération de ses membres.  Ce document, qui est une compilation de contributions de plusieurs ministères, d’études commandées à quelques membres choisis, de recherches du rapporteur général, collaborateur de M. Bianco et de documentations diverses, devrait permettre à l’Observatoire,ainsi que concède J.L. Bianco lui-même, de « préciser et approfondir notre diagnostic sur l’état des lieux (…) à fin de formuler des avis sur les questions qui font aujourd’hui l’objet de débats ».

En attendant, le président de l’Observatoire affirme dans la presse que : « Les atteintes à la laïcité dont on entend beaucoup parler ont peut-être été surestimées. Que ce soit à l’école, dans les entreprises ou à l’hôpital, les incidents semblent peu nombreux … », tout en ajoutant qu’il faut vérifier cet optimisme en « mettant en place un réseau d’acteurs de terrain pour améliorer la remontée d’information et que ce tableau colle bien à la réalité ». Une contradiction qui ne semble pas gêner M. Bianco.

Deux questions se posent alors : Pourquoi s’être précipité pour affirmer que tout va bien et qu’il n’existe aucun problème pour la laïcité. Et  pourquoi n’avoir donné aucune précision sur ce « réseau d’acteurs », sans désigner la multitude d’associations laïques qui quadrillent le territoire, ces ONG de la société civile qui sont les vigies de la laïcité, et dont bon nombre d’entre elles sont regroupées dans un Collectif laïque ?

« Surtout pas de vagues ! »

Le diagnostic de J.L. Bianco ne parait pas être l’avis de l’un des membres de ce Collectif – le Comité Laïcité République - qui constate, comme les autres, qu’à la lumière de la mobilisation réactionnaire contre le mariage pour tous, s’est manifestée « une culture de contre-réforme, un parfum de néo-pétainisme, un peu raciste, un peu antisémite (…)  Certains semblent n’avoir pas pris la mesure des dangers que porte le retour du religieux en politique » , estimant que « certains pourraient être tentés de conseiller la politique du « surtout pas de vagues ».

C’est justement l’attitude qu’adopte le président de l’Observatoire qui préconise « l’apaisement », car « notre tâche est de rendre « aimable » la laïcité.  Aveuglement ou méthode Coué, l’Observatoire se fixe donc comme tache- non pas de constater les atteintes à celle-ci, les agressions, la montée du communautarisme, les glissements opérés par les religions- mais de tourner le dos à la loi car, ainsi que le proclame J.L. Bianco : «  Il faut user de l’arme législative à bon escient ». Le président de l’Observatoire va plus loin encore : Au lieu de se faire le garant de la mise en œuvre de la loi décidée par la République, il lance : « Redonnons une définition claire de la laïcité ». Si J.L. Bianco ne voit pas « clair », où allons-nous ? Les membres du Collectif laïque  constatent que le diagnostic de la montée des dangers n’est pas partagé, « les différences d’appréciation sont énormes (…) Le moment est venu de lever les confusions ».

Si la politique du président de l’Observatoire est bien celle du « Tout va très bien Madame la Marquise…Circulez y-a rien à voir », il semble bien qu’elle réponde à une tendance ancienne, au sein du Parti Socialiste, qui veut que la laïcité peut être compatible avec le communautarisme, en appelant à reconnaitre « les différences », car « la société est diverse » (Martine Aubry-Rencontres de la laïcité- Assemblée nationale). Il faudrait alors adapter les réponses, au cas par cas, « par le dialogue », afin d’éviter «  la stigmatisation de l’islam », et « l’islamophobie ». C’est la politique des « accommodements raisonnables », qui a justement fait faillite au Québec.

Le président de l’Observatoire s’aligne d’emblée sur ce courant du PS, au regard de la laïcité : Mais est-il sur que c’est bien là la ligne fixée par le candidat François Hollande qui proclamait (débat de début mai 2012 avec Nicolas Sarkozy) qu’il n’y aurait « aucune dérogation en matière de laïcité » voulant : « Une laïcité qui libère et qui protège ». Le chef de l’Etat rappelait que « les religions doivent rester à leur place », refusant que la laïcité soit politiquement « instrumentalisée », ce que semble justement faire aujourd’hui le président de l’Observatoire qu’il a nommé.

Une illustration en est donnée sur le point précis de la nécessité de légiférer dans le secteur privé de l’enfance (affaire de la crèche Baby Loup) : Le président de l’Observatoire, de même que son rapporteur général prennent positions : « La loi n’est pas la solution à tous les problèmes » dit M. Bianco, alors que les membres n’ont pas statué, parmi lesquels Mme. Françoise Laborde, sénatrice RPG de Haute-Garonne, auteur d’une proposition de loi.

On se demande alors si l’objectif de cet Observatoire est bien de promouvoir et de veiller à la mise en œuvre de la laïcité, ou « d’apaiser la société » comme le disent son président et son rapporteur général ?

Gérard FELLOUS

Vice-président de

L’Observatoire international de la laïcité