Sommet de la Francophonie, Bucarest

L’indépendance des Médiateurs et Ombudsmans 

Gérard Fellous, expert de la Francophonie

 

 

L’Association des Médiateurs et Ombudsmans de la Francophonie (AOMF)  a apporté sa contribution  au Rapport de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) en demandant à l’expert Gérard Fellous de présenter une étude sur « l’indépendance des Médiateurs et Ombudsmans » que l’on trouvera ci-dessous.  Le Secrétaire général de l’OIF a présenté son rapport sur « L’état des pratiques des droits de l’homme dans l’espace francophone » devant le Sommet des chefs d’Etats et de Gouvernements des pays francophones réunis en septembre 2006 à Bucarest.

 

Consolidation de l’Etat de droit.

 

La Déclaration de Bamako pose comme principe fondamental que « l’Etat de droit implique la soumission de l’ensemble des institutions à la loi, la séparation des pouvoirs, le libre exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que l’égalité devant la loi des citoyens, femmes et hommes ». Cette déclaration prévoit explicitement, parmi les moyens à mettre en œuvre par son programme d’action de « renforcer les institutions de la démocratie et de l’Etat de droit ».

 

Six ans après la Déclaration de Bamako qui met au cœur de ses préoccupations des processus d’observation de l’Etat de droit et des libertés, de la démocratie et de la paix au sein de l’espace francophone, un certain nombre d’instruments sont effectivement en place pour ce faire. En particulier, la Délégation à la paix, à la démocratie et aux droits de l’homme a établi un partenariat avec des réseaux institutionnels francophones  qu’elle a contribué à créer et qui l’alimentent en informations.

Ces réseaux d’information et de concertation couvrent un large spectre de l’activité d’un Etat dans des domaines relatifs à l’établissement  des libertés, de la démocratie et des droits de l’homme, particulièrement dans les pays en transition démocratique.

En matière de justice, il s’agit aussi bien des Hautes juridictions comme les Cours constitutionnelles et les Cours suprêmes, que des Barreaux ;

En matière d’économie et de finances, il s’agit des Cours des comptes et Institutions supérieures de contrôle,  mais également des conseils économiques et sociaux ;

En matière de bonne administration de l’Etat, il s’agit des Médiateurs et Ombudsmans ; tout comme, en matière de promotion et de protection des droits de l’homme, des Commissions nationales des droits de l’homme.

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Liste des réseaux institutionnels de la Francophonie]

 

  • Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français- ACCPUF
  • Association africaine des Hautes juridictions francophones- AAHJF
  • Association des Hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage l’usage du français – AHJUCAF
  • Association des Institutions supérieures de contrôle ayant en commun l’usage du français – AISCCUF
  • Conférence internationale des Barreaux de tradition juridique commune – CIB
  • Union des Conseils économiques et sociaux et institutions similaires de la Francophonie – UCESIF
  • Association des Ombudsmans et Médiateurs de la Francophonie – AOMF
  • Association francophone des Commissions nationales des droits de l’homme – AFCNDH
  • Assemblée des Instituts francophones des droits de l’homme, de la démocratie et de la paix – AIFDHDP.

 

 

Regroupées depuis plusieurs années en réseaux francophones, ces instances font partie du mécanisme de suivi de la Déclaration de Bamako, en ce sens qu’elles sont des lieux d’observation et d’évaluation permanente de la vie démocratique du pays.  Garantes et observatrices de la bonne gouvernance dans la gestion des affaires publiques, elle accompagnent et consolident les processus démocratiques.

A une condition, fondamentale il est vrai, que leur indépendance soit établie, et soit effective, dans le respect de la séparation des pouvoirs. Les recommandations du Symposium de Bamako+5 (novembre 2005) précisent bien que la consolidation de l’Etat de droit est favorisée par le renforcement « des institutions de l’Etat de droit, classiques et nouvelles (…) en vue de les faire bénéficier de toute l’indépendance nécessaire à l’exercice impartial de leur mission ». En effet, les cas d’Etat totalitaires  et de dictatures ont montré que le principal danger venait de la prédominance d’un pouvoir- en ce cas celui de l’exécutif-  sur les autres, assujettis. Avec en corollaire, l’existence, toute théorique, car créés seulement «  sur le papier », mais non effective, d’institutions de contrôle et de contre-pouvoirs «  fantômes », c’est-à-dire totalement dépendantes et inefficaces.

Afin d’évaluer chaque institution concernée, et donc leur rôle dans l’établissement et le fonctionnement de la démocratie, elles seront passées au crible de cinq indicateurs ou critères, dont le cumul indiquera leur degrés d’indépendance effective.

L’indépendance s’évalue dans :

-          l’autonomie juridique, c’est-à-dire la promulgation et la création de l’institution par des textes de norme élevée ;

-          la stabilité de l’institution et des nominations impartiales de ses membres ;

-          son autonomie financière et budgétaire ;

-          son fonctionnement libre de toute pression extérieure, en particulier en ce qui concerne, le cas échéant, sa faculté d’auto saisine, la transparence de ses travaux, et l’effectivité de son action ;

-          les relations avec les autres pouvoirs, apaisées et clairement encadrées.

 Chacun des réseaux mis en place avec l’assistance de l’OIF sera successivement  examiné, en distinguant, pour chacun de ces critères :

-          l’état des lieux et  les évolutions récentes des institutions mises en place dans les Etats francophones ;

-           les difficultés  et dysfonctionnement rencontrés par certaines ;

-           les pratiques positives dans certains pays (bonnes pratiques) ;

-           et enfin des propositions et recommandations d’améliorations faites éventuellement par les réseaux à l’intention des Etats et gouvernements membres, comme à celle de l’OIF.

Pour y parvenir, seront utilisées les contributions des différents réseaux, ainsi que les réponses à des questionnaires spécifiques que chacun d’entre eux a adressés à ses membres, particulièrement afin de produire une analyse concrète relative aux modalités, conditions et garanties pour une indépendance effective.

Niveaux d’indépendance effective

d’institutions de la démocratie et de l’Etat de droit.

Critères d’évaluation et indicateurs

1-    Autonomie juridique

Au sommet de la hiérarchie judiciaire, tous ordres de juridictions confondus, on retrouve selon les pays, les Cours ou Conseils constitutionnels, les Cours suprêmes, les Hautes cours de justice, les Cours de cassation, les Conseils d’Etat, les Cours des comptes.

 

Le critère préalable assurant l’indépendance d’une institution démocratique  réside dans la nature de son texte constitutif proclamant explicitement et clairement cette indépendance, en en donnant des garanties vérifiables. Dans la hiérarchie de normes vient en tête la création prévue par la Constitution. Cette reconnaissance constitutionnelle est de nature à mettre l’institution à l’abri de menaces de disparition à la suite d’une rétorsion de l’exécutif ou du législatif. Il n’en demeure pas moins que cette inscription ainsi prévue doit faire l’objet d’une traduction dans une loi votée par le Parlement, sur proposition ou non de l’exécutif. Cette loi est appelée à poser, d’emblée, que l’institution ainsi créée est «  indépendante ».

Qu’en est-il de la mise en œuvre de ce premier principe d’indépendance dans les institutions  membres de chacun des réseaux francophones, à la lumière des informations et observations que ces derniers ont réunies au cours des derniers mois ?

1-a : Cours et Conseils constitutionnels.

 

1-a-1 : La consolidation de l’Etat de droit , inscrite dans les engagements de Bamako, est un concept désormais universel qui a aujourd’hui une valeur à l’aune de laquelle se mesure la qualité de la gouvernance démocratique. L’Etat est soumis au droit au sens où sa puissance est à la fois encadrée et limitée par le droit. Chaque organe de l’Etat agit en vertu d’une compétence et se trouve soumis au respect de normes juridiques supérieures, selon le principe de la hiérarchie des normes dont le respect est garanti par le contrôle juridictionnel exercé par les tribunaux. Le contrôle constitutionnel est de ce fait consubstantiel à la hiérarchie des normes. En effet, au sommet de l’Etat, le Parlement, la loi doivent les premiers respecter la Constitution. Le juge constitutionnel intervient alors, qui va contrôler le respect de cette primauté de la Constitution.

Les Etats membres de la Francophonie ont mis en œuvre, le plus souvent récemment pour les pays d ’Afrique ou de nouvelle démocratie d’Europe centrale et orientale, ce contrôle de la conformité de la loi à la Constitution en créant des organes spécifique – Cours ou Conseil constitutionnels-, ou par l’attribution de compétences de contrôle de constitutionnalité à des sections ou chambres de  leurs Cours suprêmes (chambres constitutionnelles des Cours suprêmes). A cette compétence s’ajoute très fréquemment le contrôle, quand ce n’est pas l’organisation d’élections libres, fiables et transparentes. De plus, un nombre non négligeable de Constitutions leur donne également compétence pour le règlement de conflits de pouvoir entre organes nationaux et locaux, faisant de telles institutions de véritables régulateurs de l’activité des pouvoirs publics.

Aujourd’hui, dans tous les Etats de droit, la notion d’indépendance est indissociable de la notion de Justice, dont elle constitue la colonne vertébrale. Elle fait partie du noyau dur des Constitutions et souligne le caractère neutre du pouvoir judiciaire. Dès lors, la reconnaissance et la mise en œuvre effective de l’indépendance des organes de la Justice constitutionnelle sont déterminantes. De fait le principe de l’indépendance est proclamé dans les textes (Constitution, lois organiques, statut de la magistrature…). Il y apparaît de manière directe ou indirecte et concerne tantôt la Justice, tantôt les juridictions, plus souvent les juges.

1-a-2 : Cette indépendance inscrite sous diverses formes dans les textes, ne fait pas l’objet d’une définition précise commune : Les affirmations selon lesquelles « les juges ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi », ou encore que les juges constitutionnels « ne sont soumis qu’à la Constitution », ou enfin que « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif » sont tenues, par certains, pour des définitions. Madagascar, par exemple, la définit comme « la liberté d’exercer sa compétence selon les textes ».

La primauté des Cours est par ailleurs confortée par l’affirmation selon laquelle les « décisions de la Cour s’imposent à tous, aux pouvoirs publics, aux autorités administratives et juridictionnelles et ne sont susceptibles d’aucun recours ». Néanmoins, en dépit d’un tel texte, les magistrats de Roumanie ont tendance – à l’occasion- à ne considérer les décisions de la Cour constitutionnelle  que comme des recommandations dont il pourrait être tenu compte pour l’élaboration de textes futurs.

1-a-3 : Plusieurs Cours ont pris des décisions par lesquelles elles ont véritablement joué un rôle de protecteur des juges et de l’indépendance de la Justice donnant ainsi des exemples de pratiques positives. C’est le cas de la Cour constitutionnelle d’Albanie qui, ayant la faculté d’examiner les recours des juges contre les décisions du Conseil supérieur de la magistrature, a estimé que celui-ci avait violé le droit d’un magistrat a être entendu ; ou encore que le CSM a méconnu le droit à un procès équitable ou à la protection constitutionnelle des juges. Au Maroc, le Conseil constitutionnel  a déclaré contraire au principe d’indépendance de la Justice, des dispositions de la loi organique relatives aux commissions d’enquêtes parlementaires, dans la mesure où elles peuvent subsister alors que la Justice est saisie.

Dans les Constitutions des pays africains francophones, les Cours suprêmes, les Cours de cassation, les Conseils d’Etat, les Cours des comptes, les Cours ou Conseils constitutionnels et les Hautes cours de justice sont rangés soit dans le pouvoir judiciaire, soit en dehors de celui-ci de sorte qu’il est difficile de déterminer le chef du pouvoir judiciaire. Cette absence de repère quant à la détermination de la place des Hautes juridictions par rapport aux trois pouvoirs constitue un handicap sérieux à l’exercice de la fonction judiciaire dans un système de séparation du pouvoir. Par ailleurs, la plupart des Constitutions des pays africains francophones consacrent l’indépendance du pouvoir judiciaire, mais , dans le même temps, elles font du président de la République non seulement le garant de cette indépendance, mais aussi l’autorité de nomination.

Cette incertitude s’est illustrée en Côte d’Ivoire où le ministre de la Justice a reproché au gouvernement d’avoir rapporté les actes de proposition de nominations et de mutations de magistrats qu’il a initié, et d’avoir procédé directement à des nominations de magistrats en violation de la procédure prévue à cet effet. Il a reproché par ailleurs au président de la Cour suprême d’avoir, à la demande du chef de l’Etat, fait procéder à l’installation de Magistrats dans leurs fonctions, alors que la loi d’organisation de la Cour suprême ne le permet pas.

 

 

1-a-4 : Il est recommandé que le principe de l’indépendance de la juridiction constitutionnelle, en tant que telle, soit inscrit dans les textes fondamentaux assorti d’une définition explicite. Si la disposition n’est pas inscrite dans les textes, les gouvernements devront s’engager à ce que, dans les meilleurs délais, figurent avec clarté dans leurs Constitutions la disposition selon laquelle « les décisions de la Cour (ou du Conseil) constitutionnelle s’imposent à tous, pouvoirs publics, autorités administratives et juridictionnelles, et toute personne physique ou morale, et ne sont susceptibles d’aucun recours ».

1-b : Les Barreaux

 

Dans toutes les sociétés démocratiques, c’est aux juges et aux avocats que revient la charge de veiller à la sauvegarde de la primauté du droit, en se constituant en rempart contre les abus et l’exercice arbitraire du pouvoir. Ainsi l’Etat de droit poursuit-il l’objectif constant de protéger et de garantir les libertés individuelles, qui, en retour ne sauraient se concevoir sans la garantie de l’indépendance des avocats et des magistrats.

L’indépendance de l’avocat est étroitement liée à celle de son Barreau d’obédience. Ainsi un Barreau libre doit lui-même avoir une autonomie totale dotée d’une déontologie, d’un attribut patrimonial et d’une administration interne d’un bâtonnier, d’un Conseil de l’ordre, et qui ont vocation de défendre les intérêts de la profession, de recruter ses membres selon des critères établis par un règlement intérieur, de les administrer et de pourvoir à leur formation.

1-c : Les Institutions supérieures de contrôle.

 

Les institutions supérieures de contrôle de l’espace francophone ont connu, dans la période récente, des évolutions institutionnelles significatives avec un processus continu de création ou de transformation, appuyé sur des réformes législatives. Cette construction est largement dominée par le modèle de contrôle juridictionnel et collégial des comptes, qui parait adapté à des systèmes politiques et administratifs en cours de consolidation.

L’existence d’Institutions supérieures de contrôle est prévue, dans dix huit Etats de l’espace francophone, par la Constitution, inscription qui est gage de pérennité.

Des Cours des comptes sont en création : aux Comores par transformation de la Commission de vérification des comptes ; à Djibouti et au Niger, à partir de la Chambre des comptes et de discipline budgétaire ; au Togo, par modification de l’Inspection générale de l’Etat. Au Cameroun, une relecture de la loi organique créant la chambre régionale des comptes de la Cour suprême est en cours.

Par ailleurs, le processus d’institutionnalisation va quelques fois de pair avec un changement des modèles administratifs. Ainsi, les mouvements de décentralisation  dans des pays comme le Maroc, la Tunisie ou Madagascar ont-ils été accompagnés par la création d’institutions régionales de contrôle, compétentes sur les collectivités territoriales et leurs établissements publics.

Le processus d’autonomisation de ces institutions n’est cependant pas achevé : seuls quelques pays disposent d’une Cour des comptes totalement indépendante. Dans un grand nombre de cas, la Chambre des comptes est intégrée à la Cour suprême, dont elle est une formation, et avec laquelle elle partage généralement son ministère public. Ces évolutions laissent parfois subsister la coexistence de plusieurs structures de contrôle exerçant simultanément la même compétence.

Le modèle juridictionnel et collégial reste dominant dans la construction institutionnelle de l’espace francophone. Protecteur de l’indépendance de l’institution et de ses membres, ce modèle exerce une contrainte salutaire en termes de reddition des comptes, et comporte d’utile dispositifs de sanction des ordonnateurs, notamment avec l’institution de chambres de discipline budgétaire et financière. Toutefois, la compétence de ces institutions n’englobe pas toujours le contrôle de la gestion des ordonnateurs.

Les Institutions supérieures de contrôle ne parviennent pas toujours à exercer pleinement leurs missions légales, pour des raisons aussi bien internes qu’externes dans un contexte encore fragile.

1-d : Les Conseils économiques et sociaux.

 

Les Etats et gouvernements des pays membres de la Francophonie ont exprimé leur volonté de développer le concept de Conseil économique et social en vue d’en faire un instrument privilégié de dialogue social et d’aide à la prise de décision, et partant de promotion du développement participatif. Pour atteindre ces objectifs, un certain nombre de conditions doivent être remplies en tête desquelles leur indépendance, leur capacité d’analyse et leur positionnement institutionnel au niveau des Etats.

Les fondements de leur indépendance sont, où qu’ils se situent, d’abord institutionnels.

Dans certains pays, ils ont un ancrage constitutionnel : C’est le cas au Bénin, en République du Congo, en Côte d’Ivoire ; en France ; au Gabon ; en Guinée ; au Mali ; en  Roumanie ; ou en Tunisie.

Les Constitutions  du Burkina Faso, du Liban, du Luxembourg, de Maurice ne prévoient pas de Conseil économique et social. Celui du Liban a été créé par un accord politique dit de Taef (Pacte de réconciliation nationale), et celui du Luxembourg, par une loi organique.

Enfin d’autres relèvent tout simplement d’un décret. Ces disparités peuvent entamer la réelle légitimité de ces institutions et l’importance qui leur est accordée.

1-e : Les Médiateurs.

 

C’est bien dans la quête de l’Etat de droit que se situe l’origine du Médiateur ou Ombudsman. En effet, la primauté de la règle de droit est consacrée dans les rapports qui régissent aussi bien les citoyens entre eux  qu’entre ceux-ci et les gouvernants. Les institutions  du Médiateur et Ombudsman ont pour vocation première de veiller à l’application de la règle de droit commune à tous, administrations comme administrés, afin que ne s’installe pas l’arbitraire, le «  fait du prince », l’Etat autoritaire ou dictatorial. Aussi, particulièrement dans les pays en transition démocratique ces institutions jouent-elles un rôle important de promotion et de vulgarisation de la règle de droit par les conseils qu’elles donnent aux citoyens, et les recommandations qu’elles adressent aux pouvoirs publics. Elles sont ainsi des « réformateurs des règles applicables lorsque celles-ci sont génératrices d’injustice, d’iniquité et de conflits répétés.

La nécessaire indépendance est au cœur des caractéristiques de cette institution. En effet, le droit d’examiner une décision de l’administration publique, de remettre en question les modalités d’application d’une loi ou d’un règlement est un indicateur essentiel d’une démocratie. Par sa neutralité vis-à-vis de l’exécutif et des administrations, en vertu du principe d’équité qu’il incarne, le Médiateur offre aux citoyens un moyen privilégié d’assurer un examen objectif de leurs griefs.

Le critère préalable assurant l’indépendance de l’institution réside dans la nature de son texte constitutif. Comme dans d’autres institutions, la reconnaissance constitutionnelle met le Médiateur à l’abri d’une éventuelle menace de disparition par une rétorsion de l’exécutif ou même du législatif. Mieux encore, la loi constitutionnelle qui créé le Médiateur se doit de préciser explicitement  qu’il est «  indépendant ». C’est le cas dans un grand nombre de pays, et particulièrement en Côte d’Ivoire, Haïti, Hongrie, Maurice, Pologne, ou Roumanie.

Dans le cas où l’institution n’est pas créée par la Constitution, elle peut l’être par une loi organique qui peut lui donner soit le statut d’une « autorité administrative indépendante », possédant des pouvoirs coercitifs, c’est-à-dire obligeant, sous menaces de sanctions encadrées par la loi, de mettre en œuvre les décisions prises par le Médiateur ; soit le statut classique d’organe de « bons offices », d’intermédiaire vertueux à la recherche de solutions amiables.

Reste enfin les cas où l’institution est créée par un décret de l’exécutif, émanant du président de la République, du chef du gouvernement ou d’un ministre. C’est le cas, par exemple, au Gabon ou au Maroc où le « Diwan al Madhalim » a été créé par un décret royal, qui précise néanmoins « son autonomie nécessaire par rapport aux organes exécutifs, législatifs et judiciaires, lui permettant de statuer en toute impartialité sur les requêtes dont elle est saisie ».

1-f : Les Commissions des droits de l’homme.

 

S’il est vrai que le respect des droits de l’homme sont un domaine partagé entre toutes les institutions de la démocratie, particulièrement celles examinées plus haut, selon l’adage qui veut que «  les droits de l’homme sont partout chez eux », les Institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme ont un rôle spécifique et exclusif en la matière. Elles observent le respect ou les violations dans tous les domaines définis par les instruments internationaux et par la Constitution, passent au crible de ceux-ci les textes législatifs et réglementaires, de même que les politiques gouvernementales, font des propositions d’amélioration et se placent aux côtés des victimes et de la société civile.

Selon les principes internationaux qui définissent ces institutions – dits « Principes de Paris » – il est dit qu’elles sont dotées d’un mandat « clairement énoncé dans un texte constitutionnel ou législatif ». Dans les faits, un grand nombre d’entre elles sont inscrites dans la Constitution : c’est le cas par exemple au Niger, en Pologne ou au Québec (dans la Charte des droits et des libertés de la personne). Elles peuvent être créées par une loi, comme à Maurice, au Sénégal ou au Togo, ou même par un décret du Premier ministre, comme en France. Il n’en demeure pas moins que la norme la plus élevée est recommandée, c’est-à-dire l’inscription dans la Constitution. En effet, cette identité juridique permet de déterminer la place prépondérante de cette institution nationale par rapport aux différents pouvoirs, et faire en sorte que les droits de l’homme soient considérés comme étant « les droit du droit ».

A l’origine de la création d’une telle institution nationale se trouve toujours une volonté politique affirmée. C’est l’exécutif qui décide de prendre des engagements en matière de droits de l’homme aussi bien afin de donner des gages à la démocratie dont ils sont un pilier, que pour répondre aux impératifs internationaux et régionaux. La sincérité du gouvernement et du Parlement se mesure aussi par l’acte juridique choisi, offrant les meilleures garanties pour la Commission des droits de l’homme. 

 

 

2-    Stabilité du mandat et nominations impartiales.

 

La nature des textes constitutifs des institutions concourrant à l’établissement d’un Etat de droit et de la démocratie ayant proclamé et inscrit le principe de leur indépendance, faut-il encore qu’un certain nombre de garanties soient réunies, en tête desquelles la stabilité du mandat de l’institution et l’impartialité dans les modes de nomination de ses membres.

En effet, toute institution s’étant montrée critique ou ayant déplu pourrait être soumise à de fortes menaces de dissolution, ou de raccourcissement de son mandat si celui-ci n’est pas préalablement fixé et garanti. De même le mode de nomination de ses membres ou de son titulaire doit répondre à des règles d’impartialité. Leur mandat doit de même être précisé et  sa durée garantie dans les textes. Si ces conditions ne sont pas réunies, l’institution, quelle que soit son autonomie juridique ne pourrait fonctionner en toute indépendance.

2-a : Les Cours et Conseil constitutionnels.

 

S’il est vrai que constitutionnellement et symboliquement la juridiction constitutionnelle est au sommet de l’ordre judiciaire et occupe une place spécifique dans l’ordre constitutionnel, pour autant le statut de ses membres se révèle souvent assez proche de celui de la magistrature ordinaire, quand il n’est pas le même.

L’indépendance des juges et des juridictions offre deux facettes au regard de l’indépendance de la Justice : Il n’y a pas d’indépendance des juges et des juridictions sans indépendance de la Justice. Il n’y a pas d’indépendance de la Justice sans indépendance des juges et des juridictions. Ceci n’empêche pas de distinguer entre deux possibilités de statut des Cours constitutionnelles ou institutions équivalentes selon leur appartenance à l’ordre judiciaire ou qu’elles aient un statut autonome.

2-a-1 : Pour les juges, la notion d’indépendance ne peut  être dissociée de celle d’inamovibilité. Ce qui est dès lors essentiel est que l’affirmation de cette indépendance est faite par référence à l’autorité qui la garantit. Ainsi, le président de la République sera le plus souvent garant de l’indépendance de la Justice, assisté dans cette tache par un organisme appelé, selon les cas, «  Conseil supérieur de la magistrature » ou « Conseil supérieur de la justice ». Le ministre de la Justice en est fréquemment membre et dans quelques cas, s’y adjoignent les présidents de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes. La composition de cet organe constitue un élément essentiel de sa propre indépendance par rapport à l’exécutif en particulier.

2-a-2 : La traduction concrète de l’indépendance du juge réside dans son inamovibilité. La définition traditionnelle de celle-ci, selon laquelle un magistrat ne peut être déplacé, même en avancement, sans son consentement, est affirmée dans la plupart des Constitutions. Pourtant, dans la pratique et dans nombre de pays, on constate que cette condition d’inamovibilité est mise à mal par la notion de « nécessités du service ». Il est vrai qu’un déplacement même provisoire a, le plus souvent, l’aval du Conseil supérieur de la magistrature. C’est le cas en Albanie, au Bénin, au Burkina Faso, à Madagascar, au Niger, ou encore au Sénégal.

Le Bénin fait toutefois remarquer que la Cour constitutionnelle est appelée à statuer sur le principe de l’inamovibilité par le fait que les décisions du Conseil de la magistrature lui sont d’abord déférées. Dans ce pays  où le nombre de magistrats est réduit, s’il arrive au CSM de porter atteinte à l’inamovibilité telle que la Cour l’a définie, celle-ci ne cède pas et ne manque pas de le rappeler à la légalité.

Même si l’insuffisance globale des effectifs dans nombre de pays montre que ces atteintes sont dictées par des raisons conjoncturelles, plus que par une violation délibérée du principe de l’inamovibilité, elles constituent, dans bien des cas aussi, des dérives effectives, qui sont des formes de sanctions déguisées envers le magistrat qui a déplu.

Le Mali limite cette inamovibilité à trois ans. Le Cameroun qui a supprimé cette disposition, fait remarquer que la situation actuelle ne constitue pas, dans la pratique, une différence par rapport à la situation antérieure.

Les Cours des pays de l’espace francophone s’interrogent actuellement pour savoir ce qu’il reste alors de l’inamovibilité. Toutefois c’est l’application de ce principe qui a permis à la Cour constitutionnelle de Roumanie d’annuler des dispositions du projet de nouveau statut des magistrats, applicable aux juges constitutionnels, en ce que cette nouvelle loi instaurait une limite d’âge pouvant porter atteinte aux magistrats constitutionnels, dont le mandat est de neuf ans et qui sont inamovibles.

Pour sa part, la Constitution de la Bulgarie a affirmé que l’inamovibilité doit être maintenue même en cas de changement de régime politique.

Dans le champ des pays francophones d’Afrique, les Cours ou Conseils constitutionnels  sont  généralement constitués, à quelques exceptions près, de membres nommés soit par l’exécutif, soit par le législatif. Ce mode  de nomination a créé, a priori, des sentiments de suspicion de partialité à l’égard de ces hautes instances constitutionnelles. Il fait craindre, à tort ou à raison, une sorte d’allégeance à l’égard des autorités de nomination, organes essentiellement politiques.

Par exemple, c’est cette suspicion qui a pesé sur la Cour constitutionnelle du Togo lors de la gestion de l’élection présidentielle de juin 1998 : elle avait entériné les résultats de la consultation électorale reconduisant le président sortant alors que le président de la Commission nationale électorale et la moitié des membres avaient démissionnés, et avaient été remplacés par des membres désignés par le ministre de l’Intérieur.

2-a-3 : Dans le domaine des pratiques positives, citons le cas de la Cour constitutionnelle du Congo qui a pris plusieurs décisions sur le refus d’affectations de magistrats, contestées par les intéressés eux-mêmes et qui, grâce à l’intervention de la Chambre administrative de la Cour suprême, ont pu être réintégrés après avoir été révoqués.

En Slovénie, la Cour constitutionnelle a affirmé à propos d’une loi sur les juridictions portant sur les incompatibilités qui, au-delà des juges s’étendent au personnel, que l’objectif du législateur au travers d’un tel texte est bien la protection de l’indépendance et de la dignité de la Justice, même si elle constitue une ingérence dans l’exercice des droits constitutionnels, en l’occurrence proportionnelle aux droits qu’il défend.

2-a-4 : Des propositions de règles minimales à instaurer ont été émises pour une véritable indépendance de l’ensemble de la Justice, sans viser uniquement les Cours constitutionnelles même si celles-ci bénéficient , en raison de leur place et de leur rôle dans l’équilibre institutionnel, de mesures adaptées voire spécifiques.

Ainsi, la composition de la juridiction constitutionnelle, devrait obéir à un certain nombre de principes précis. Les autorités de nomination pourraient être les suivantes : le président de la République, le Parlement, les magistrats, les avocats, les universitaires. S’il parait nécessaire que soient nommées ou élues des personnalités reconnues et incontestables venant de différents horizons, il est recommandé que les trois cinquièmes des membres de la juridiction au moins soient des juristes ayant un certain nombre d’années d’expérience professionnelle. Par ailleurs l’élection par le Parlement ou par les assemblées des Corps concernés devrait se faire à une importante majorité, par exemple des deux tiers.

Pour ce qui concerne le Conseil supérieur de la magistrature –CSM -(ou le Conseil supérieur de justice), sa composition est déterminante. Appelé à garantir l’indépendance de la Justice, il est primordial qu’il soit préalablement lui-même à l’abri des pressions. Les nominations discrétionnaires doivent être évitées. Il est recommandé que la composition de ces CSM combine des représentants des acteurs de la profession juridique et judiciaire, dans une proportion majoritaire, et des représentants de la société civile pour leurs compétences et leur impartialité incontestables. Leur désignation sera le fait d’une élection soit par l’assemblée des représentants du corps dont ils sont issus, soit par le Parlement, mais dans tous les cas à une forte majorité. Les décisions du CSM seront prises à une forte majorité, des deux tiers ou des trois cinquièmes. Le président de la République et/ou le ministre de la Justice qui en sont souvent président et/ou membre ne sauraient exercer une quelconque pression  sur les décisions des membres. De plus, la situation matérielle de ces derniers devra les mettre à l’abri de l’éventualité de telles pressions.

Dans le cadre des pays africains francophones, des améliorations ont été récemment apportées à la composition et au fonctionnement des Conseils supérieurs de la magistrature.

A titre d’illustration, s’il est vrai que le CSM du Mali  est présidé par le président de la République, le Garde des Sceaux étant vice président, récemment une modification a été apportée faisant que lorsque cet organe siège en formation disciplinaire, il est alors présidé par le président de la Cour suprême ou par le procureur général près la Cour suprême, selon que la poursuite est dirigée par un magistrat du siège ou un magistrat du parquet.

Au Bénin, une loi de juin 1999 a apporté une innovation en confiant au président de la Cour suprême la première vice présidence du CSM, et non plus au Garde des Sceaux.

Au Togo, c’est le président de la Cour suprême qui préside le CSM, cette disposition étant de nature à soustraire la nomination des magistrats à l’emprise de l’exécutif.

Hautes juridictions africaines.

 

Pour ce qui concerne l’ensemble des Hautes juridictions (Cours suprêmes, Cours de Cassation, Conseils d’Etat, Cours des comptes…) d’Afrique francophone,  les modalités de nomination de leurs membres varient notablement.

Ainsi  par exemple, au Bénin, le président de la Cour suprême est nommé par le président de la République, après avis du bureau de l’Assemblée nationale, pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. Par ailleurs, le président de la Cour constitutionnelle de ce pays est élu par ses pairs. Mais les membres de cette Cour sont nommés en partie par le président de la République, et en partie par l’Assemblée nationale, pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois.

Au Burkina Faso, le président de la Cour suprême est nommé par décret pris en conseil des ministres pour une durée indéterminée.

Au Mali, la Constitution prévoit que le président de la Cour suprême est nommé pour un mandat de cinq ans renouvelable, sans préciser le nombre de fois.

En Guinée Bissau, le président de la Cour suprême est élu par les membres de cette Cour.

Concernant  plus particulièrement les Cours ou Conseil constitutionnels des pays francophones d’Afrique, il se trouve que leur composition est variée : magistrats, juristes, personnalités provenant de diverses catégories professionnelles. Au Bénin par exemple on y trouve des magistrats, des professeurs d’université et un officier supérieur de la Gendarmerie à la retraite.

Les Cours de cassation, les Conseils d’Etat et les Cours des comptes africaines sont pour la plupart animés  respectivement par des professionnels du droit, des magistrats, des administrateurs civils et des administrateurs du trésor ou des cadres financiers. Ceux-ci font, dans la majorité des cas, carrière au sein de leurs juridictions, contrairement à leurs homologues des Cours constitutionnelles qui exercent leurs fonctions en vertu d’un mandat.

Le principe de l’inamovibilité, corollaire de l’indépendance du juge, n’est pas de règle dans toutes les hautes juridictions africaines francophones. Au Burkina Faso, par exemple, il est admis que le juge de la Cour de cassation puisse, au cours de ses fonctions, être affecté pour nécessité du service. Dans ce cas il conserve les avantages attachés à sa fonction de juge à la Cour de cassation. Le  président de cette Cour de cassation est nommé par  le président de la République, de même que les conseillers qui eux le sont sur proposition du CSM.

Au Bénin, le président et les membres de la Haute cour de justice sont inamovibles. Les membres sont nommés par l’exécutif et par l’Assemblée nationale, et le président est élu par les membres.

En Côte d’Ivoire, les membres de la Cour suprême sont inamovibles. Son président est désigné par le président de la République et les juges également par le président de la République mais sur proposition du Garde des Sceaux, après avis du Conseil supérieur de la magistrature. Il en est de même au Niger.

Au Tchad, le président de la Cour suprême est nommé par le président de la République et les conseillers par l’Assemblée nationale, l’avis du CSM étant requis. Tous les membres sont inamovibles.

La nomination des membres de certaines hautes juridictions de droit commun sur proposition des responsables des institutions concernées, à l’exception des membres des parquets, apparaît comme une pratique positive dans la mesure où ce mode soustrait les magistrats appelés à animer ces juridictions à l’influence de l’exécutif. De même le système de proposition de nomination des membres par le Conseil supérieur de la magistrature permet de réduire l’influence de l’exécutif sur le pouvoir judiciaire.

Une pratique positive peut être citée à propos d’une décision prise (Décision DCC 00-050 du 2 octobre 2002) par la Cour constitutionnelle du Bénin à propos d’une nomination à la Cour suprême : Sur avis favorable du CSM, le président de la Cour suprême a proposé la nomination d’un magistrat aux fonctions de conseiller. Mais le gouvernement, saisi pour nomination conformément à la Constitution, a rejeté la proposition. La Cour constitutionnelle, saisie par le magistrat concerné pour violation de la Constitution, a décidé que «  le président de la République, en sa qualité même de garant de l’indépendance de la justice qui implique la liberté du juge dans l’exerce de ses fonctions, ne peut que mettre en œuvre les propositions de nomination  faites en application des dispositions de la Constitution, dès lors que ces propositions ont reçu l’avis favorable du Conseil supérieur de la magistrature … ». Depuis lors, le gouvernement béninois a adopté une terminologie selon laquelle «  le conseil des ministres entérine la décision du Conseil supérieur de la magistrature » s’agissant de nomination de magistrats

En l’état actuel des textes qui régissent le pouvoir judiciaire dans certains pays francophones d’Afrique, l’indépendance des juges paraît quelque peu obérée en raison de la forte emprise qu’exerce l’exécutif sur leur carrière. Aussi serait-il souhaitable que les prérogatives détenues par le Garde des Sceaux, notamment en ce qui concerne les questions relatives aux modalités de nomination des juges de tous ordres et niveaux de juridictions, à la gestion de leur carrière, au fonctionnement des tribunaux, soient transférées. Ces aspects touchant de très près  l’indépendance de la magistrature devraient relever des attributions du chef du pouvoir judiciaire et du Conseil supérieur de la magistrature ou de l’organe en tenant lieu.

Par ailleurs, dans certains pays africains francophones, la loi offre à l’autorité gouvernementale de nomination la possibilité de maintenir discrétionnairement en fonction, par contrat, des magistrats exerçant dans les hautes juridictions, ayant atteint la limite d’âge pour faire valoir leurs droits à la retraite. Par d’autres pratiques similaires, des magistrats ne remplissant par les conditions d’ancienneté requises sont promus «  par intérim » juge dans de hautes juridictions. Ou encore des nominations « par intérim » prononcées lors de la mutation dans les hautes juridictions de certains magistrats qui pourtant remplissent toutes les conditions légales pour y accéder comme titulaires, et cela pour faire échec à leur droit à l’inamovibilité.

Reste la question des risques liés à l’exercice de la Justice par des juges non professionnels. Dans la plupart des systèmes, l’indépendance des juges est garantie par des dispositions statutaires. Mais l’indépendance de la justice peut être menacée lorsque des fonctions judiciaires sont conférées à des personnes qui ne bénéficient pas de ces garanties, par exemple lorsque la justice est rendue par des juges coutumiers ou occasionnels. Pour écarter un tel risque, dans les pays où existent des tribunaux coutumiers, leur fonctionnement est organisé par la loi sur le modèle de la Justice étatique (instauration d’un double degré de juridiction), tout en instaurant généralement une «  subsidiarité » par rapport  aux tribunaux de l’Etat, avec le renvoi possible devant la juridiction étatique et mission de simple conciliation. Lorsque existe une telle tradition de juges non professionnels, l’accent est alors mis sur le lien entre indépendance de la Justice et professionnalisation des juges, regroupés dans un «  corps » .On cite alors en référence la Justice de paix , les tribunaux de commerce ou les conseils de prud’hommes.

2-b : Les Barreaux.

 

Dans toutes les sociétés démocratiques c’est aux juges et aux avocats que revient la charge de veiller à la sauvegarde des libertés individuelles, telles que proclamées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et à la primauté du droit, en se constituant en rempart contre les abus et l’exercice arbitraire du pouvoir. Corrélativement,  la garantie des libertés individuelles ne saurait se concevoir sans celle de l’indépendance des avocats et des magistrats.

Le degré d’indépendance des avocats peut se mesurer à l’aune de quatre principes, du reste édictés dès 1990 dans les normes générales internationales minimales stipulées sous l’égide des Nations unies, à savoir : – le principe de l’immunité pendant l’exercice du droit de la défense ; – le libre accès aux clients ;- le monopole de la défense ; et le régime des incompatibilités.

La sauvegarde des droits de la défense nécessite la protection des avocats contre l’intimidation et la pression dans le cadre de l’exercice de leur profession. En effet, selon l’un des principes de base relatif au Barreau, les autorités publiques veillent à ce que les avocats «  – puissent s’acquitter de leur profession, sans entrave, intimidation, harcèlement, ni ingérence indue ;(…) – ne fassent l’objet, ni ne soient menacés de poursuites ou de sanction pour des mesures prises conformément à leurs obligations et normes professionnelles reconnues dans leur déontologie (…) – Les  avocats bénéficient de l’immunité civile et pénale pour toute déclaration  pertinente faite de bonne foi, dans les plaidoiries écrites ou orales, ou lors de parution es qualité devant un tribunal ou toute autorité judiciaire ou administrative »

Le deuxième principe d’indépendance veut que le défenseur puisse visiter toute personne en détention, s’entretenir avec elle sans retard, en toute discrétion et sans censure aucune ou interception, dans des conditions de confidentialité satisfaisantes. Ce principe n’est pas toujours mis en œuvre , comme ce fut le cas au Sénégal où , lors des visites des avocats dans les prisons, les gardes pénitentiaires avaient pris l’habitude de se mettre à portée d’ouï, ce qui fit l’objet d’une plainte du bâtonnier auprès du chef de l’Etat, qui a du reste pris l’engagement de faire cesser cette atteinte aux libertés conformément à la Constitution sénégalaise qui stipule que (article 9) « toute atteinte aux libertés et toute entrave volontaire à l’exercice d’une liberté sont punies par la loi(…) La défense est un droit absolu dans tous les états et à tous les degrés de la procédure ».

Le troisième principe est celui du monopole de la défense, dans certains cas celui de la plaidoirie seulement, dans d’autres également celui de conseil juridique. Cela ouvre le dernier principe relatif au régime des incompatibilités. Par exemple, au Sénégal, la loi créant l’Ordre des avocats dispose que : «  Libérale et indépendante, la profession d’avocat est incompatible avec toutes les fonctions publiques et avec toute mission confiée par la justice, notamment celle d’expert ou d’arbitre rapporteur ». D’autres incompatibilités sont avancées ici et là, parmi lesquelles, au Burkina Faso, celle qui voudrait que l’avocat ayant la qualité de membre d’un gouvernement doit s’abstenir d’exercer sa profession d’avocat. S’ajoute, dans ce pays , une série d’incompatibilités avec la profession d’avocat , parmi lesquelles, par exemple toutes les activités à caractère commercial, qu’elles soient exercées directement ou par personnes interposées.

2-c : Les institutions supérieures  de contrôle

Le mode de désignation des membres des institutions supérieures de contrôle varie d’un pays à l’autre, la durée de leur mandat fluctue. Rares sont ceux qui sont inamovibles, comme en France où le président de la Cour des comptes est nommé par le président de la République et reste en poste jusqu’à son départ à la retraite, les magistrats membres étant nommés par le gouvernement et sont également inamovibles. A Djibouti, les magistrats de la Cour des comptes et de discipline budgétaire sont nommés par le président de la République et sont inamovibles, ainsi qu’à Madagascar. C’est également le cas du Maroc où les magistrats de la Cour des comptes sont nommés par le Roi et sont inamovibles.

Mais dans la majorité des cas, les magistrats sont élus ou nommés pour une période déterminée : Cinq ans  renouvelable pour le Burkina Faso ou la Moldavie. Six ans renouvelables en Andorre, Belgique, Luxembourg, par exemple. Neuf ans  pour la Cour des comptes de Bulgarie- qui n’est pas une juridiction du reste- et dont les 10 membres sont élus par l’Assemblée nationale. Dix ans, non renouvelables pour le Vérificateur général  du Bureau du vérificateur général du Canada, qui est nommé par le Gouverneur. Enfin, les présidents de nombreuses Cours des comptes sont nommés par le président de la République, comme c’est par exemple le cas, au Cameroun, en Centrafrique, aux Comores, à Djibouti, au Sénégal, en Tunisie ou au Togo. Ils sont nommés par le gouvernement dans d’autres pays tels que  au Burkina Faso,  en France, ou  au Liban,

Cette hétérogénéité des modes de désignation et des durées des mandats des membres des institutions supérieures de contrôle leur donne des degrés d’indépendance variables, faute de normes communes applicables. Bien entendu, les niveaux les plus élevés d’indépendance sont atteints par les institutions dont les membres sont désignés par le Parlement et qui sont inamovibles.  La plus faible indépendance est celle des membres désignés par le gouvernement pour des mandats courts.

2-d : Les Conseils économiques et sociaux

 

La composition des Conseils économiques et sociaux francophones- CES- peut témoigner du pluralisme de leurs membres, et partant de leur indépendance. Leur mode de désignation est également un gage de l’indépendance des membres par rapport à l’exécutif, principalement.

Classiquement, la composition de ces assemblées consultatives est tripartite : Etat,  société civile et secteur privé. Elles ont pour vocation de réunir les principaux acteurs économiques et sociaux du pays, avec le poids déterminant d’une société civile indépendante par définition. Certains CES sortent néanmoins de ce schéma communément partagé, avec la présence de députés ou de représentants de partis politiques.

C’est également de la qualité des membres de ces assemblées que dépend leur indépendance, autrement dit des capacités institutionnelles des CES de procéder à des analyses libres et de faire des critiques et des propositions constructives. Leur indépendance s’acquière donc en même temps que leur crédibilité, c’est-à-dire à l’aune de la pertinence et de la solidité de l’argumentaire des différents avis ou recommandations formulés, ce qui bien évidemment ressort de l’expertise des membres.

Le nombre et la diversité des membres peuvent être considérés comme un gage d’indépendance : Ainsi, par exemple, le Conseil économique et social du Bénin se compose de 30 membres, dont 25 sont désignés par les organisations sociaux professionnelles, 3 par le président de la République, et  2 par le bureau de l’Assemblée nationale. Au Burkina Faso, sur les 90 membres, 64 sont désignés par les organisations socio professionnelles, 16 sont proposés par l’administration publique et 10 par le président de la République. Au Cameroun, sur 150 membres, 105 sont désignés par les organisations socio professionnelles et 45 par l’exécutif. En Côte d’Ivoire, les 120 membres sont nommés par décret du président de la République.  En France, sur les 231 membres, 68 sont nommés par le gouvernement. Au Gabon, sur 99 membres, 25 sont salariés, 25 employeurs, 15 représentent l’Etat, 18 les collectivités locales et 126 les associations professionnelles, sociales et culturelles. Au Liban, sur les 71 membres, 10 sont désignés par le gouvernement et 6 par les libanais émigrés. Au Luxembourg, 28 des 35 membres sont nommés par le gouvernement sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives. Au Mali, tous les 58 membres sont désignés par les organisations professionnelles. A Maurice, les 20 membres sont désignés par le Premier ministre dans les divers secteurs de la société civile. En Roumanie, les 27 membres représentent, à égalité, les employeurs, les travailleurs et le gouvernement. Au Sénégal, sur les 100 membres nommés par le président de la République, 25 représentent les organisations socio professionnelles et 50 les élus locaux.

Le plus communément, la durée du mandat est de cinq ans, renouvelable  (Bénin, Cameroun, Côte d’Ivoire, France, Gabon,  Guinée, Mali, Sénégal) ou non. La plus courte durée de mandat, c’est-à-dire deux ans renouvelables, se rencontre à Maurice, et la plus longue, de six ans renouvelables, en Tunisie.

2-e : Les médiateurs.

 

L’institution du Médiateur ou Ombudsman est généralement représentée par un titulaire ou par un collège de commissaires. Dans tous les cas, il s’agit avant tout d’une institution personnalisée. Son efficacité et son évolution dépendent pour beaucoup de la personnalité et du dynamisme de son titulaire, associés à des qualités personnelles telles que l’impartialité, mais avant tout c’est l’indépendance et l’objectivité absolues qui sont les critères fondamentaux dans le choix du ou des titulaires du poste.

2-e-1 : Le principe de base est que le Médiateur , et le cas échéant ses adjoints, sont nommés par un organe étatique qui n’est pas appelé à tomber sous la juridiction de l’institution.

Dans la majorité des cas, le Médiateur est désigné par le pouvoir législatif. L’institution peut alors se présenter comme étant investie de l’autorité du Parlement. Par ailleurs, l’indépendance de l’institution et de son titulaire par rapport aux partis politiques est fermement requise. La nomination d’un Médiateur par l’exécutif ou par le Parlement ne devrait revêtir aucun caractère politique.

Quatre principaux systèmes de nomination existent de par le monde, assurant un niveau d’indépendance plus ou moins élevé :

-          par un vote parlementaire, idéalement acquis aux deux tiers afin de dépasser le clivage majorité-opposition. C’est par exemple le cas au Québec où la majorité parlementaire ne peut mettre fin au mandat du Médiateur, si l’opposition n’est pas du même avis.

-          par le Parlement, sur proposition d’un collège de personnalités neutres sélectionnant plusieurs candidats ;

-          à l’issue de l’organisation d’un concours. C’est le système utilisé en Belgique, tant au niveau fédéral que régional où un jury de concours composé d’universitaires et de personnalités indépendantes, mais ne comprenant aucun homme politique, sélectionne le lauréat qui sera Médiateur.

-          dans certains pays, le pouvoir exécutif intervient plus ou moins directement, en associant néanmoins le Parlement. C’est par exemple le cas en Hongrie.

-           Deux cas particuliers existent : En France où le Médiateur de la République est nommé par décret en conseil des ministres ; et au Royaume uni où de nombreux acteurs politiques interviennent dans la sélection du « Commissaire parlementaire pour l’administration ».

L’indépendance assurée par les modalités de nomination du titulaire est complétée par le critère de la urée du mandat, c’est-à-dire de la stabilité du poste. Dans de nombreux pays, le titulaire bénéficie d’une nomination suffisamment longue, et non révocable afin d’éviter plusieurs écueils qui menaceraient son indépendance. Néanmoins, il ne s’agit pas d’une durée indéterminée ou à vie, afin de ne pas en faire une «  chasse gardée », ni d’une durée trop courte empêchant le titulaire d’asseoir solidement sa crédibilité et sa réputation. D’une manière générale la durée du mandat du Médiateur varie entre quatre et six ans. Elle est de quatre ans à Maurice, par exemple ; de cinq ans renouvelable une fois au Québec, et en Roumanie, mais non renouvelable  au Burkina Faso ;  de six ans en Côte d’Ivoire, France, Hongrie, Maroc, Sénégal ; de  sept ans non renouvelable au Mali et en Haïti.

L’indépendance assurée par une durée suffisamment longue du mandat serait battue en brèche si elle n’était accompagnée d’une protection octroyée par une immunité portant sur ses actes et ses propos relatifs à l’exercice de son mandat. En effet, l’indépendance du Médiateur serait fragilisée si sa fonction était résiliable au grès de l’exécutif ou des administrations qui se sentiraient remises en cause, ou si on ne lui permettait pas d’être couvert par le secret professionnel dans les dossiers de médiation qu’il traite. Mais, bien entendu, ces protections ne sauraient couvrir des abus et violations de la loi, toujours possibles, tant personnels que de la part des membres de son institution. Si des sanctions civiles ou pénales s’avéraient nécessaires, la meilleure formule est l’instauration par la loi d’une procédure de limogeage.

A ces critères de nomination et de stabilité du mandat du Médiateur ou des membres du collège, s’ajoute le libre choix des collaborateurs dont l’impartialité doit être assurée. Cela implique que la sélection et l’embauche du personnel ne soient imposées par quiconque et que ceux-ci puissent travailler à l’abri de toute pression extérieure, particulièrement des administrations d’origine. Idéalement, le Médiateur devrait disposer de son propre personnel statutaire. C’est le cas de la Belgique où le personnel est recruté par concours.

2-f : Les Commissions des droits de l’homme

 

Le deuxième critère d’indépendance des Commission nationales des droits de l’homme, ou Institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme réside dans leur composition pluraliste. Selon les « Principes de Paris » la composition doit « être établie selon une procédure présentant toutes les garanties nécessaires pour assurer la représentation pluraliste des forces sociales (de la société civile) concernées… » . Les catégories qui les composent sont explicitement citées : ONG, syndicats, organisations socioprofessionnelles ( notamment de juristes, médecins, journalistes, scientifiques), des représentants des religions et des courants de pensée, des universitaires et experts qualifiés, des représentants du Parlement, et des représentants de l’administration, ces derniers n’ayant pas droit de vote. Le nombre de membres, ou de commissaires n’est pas précisé. L’objectif de cette composition pluraliste est de faire en sorte de choisir des membres qui sont, par essence, indépendants du pouvoir politique. Encore faut-il que  ceux-ci fassent preuve d’impartialité et n’aient aucun lien de subordination avec l’Etat.

Il n’est fixé aucune obligation en ce qui concerne l’autorité qui nomme ces membres ou renouvelle leur mandat, pas plus que sur les procédures  Les Principes des Nations unies restent imprécis, ce bornant seulement à indiquer que la désignation des membres peut être faite «  par voie élective ou non ».

Pas plus de précision n’existe concernant la stabilité du mandat. Ces même « Principes de Paris » indiquent que « pour la stabilité du mandat des membres de l’Institution, sans laquelle il n’est pas de réelle indépendance, leur nomination est faite par un acte officiel précisant , pour une période déterminée, la durée du mandat. Celui-ci peut être renouvelable, sous réserve que demeure garanti le pluralisme de la composition de l’Institution ». Dans certains cas, le texte constitutif peut prévoir également une immunité accordée aux membres, surtout lorsque l’Institution a des pouvoirs quasi juridictionnels.

Ce critère d’indépendance est celui qui est le moins bien encadré, et qui dépend donc des pratiques.

Par exemple, la Commission nationale consultative des droits de l’homme de France a vu sa composition varier de 80 à 120 membres en vingt ans, les différents exécutifs qui se sont succédés préférant lui adjoindre tous les trois ans  de nouveaux membres qualifiés proches de leur sensibilité politique, sans éliminer ceux qui avaient été nommés par le pouvoir politique précédent. Il n’en demeure pas moins que le large spectre de la société civile y est bien présent, et que les représentants de l’administration n’ont pas droit de vote.

Au Sénégal, le Comité des droits de l’homme se compose d’un président et de vingt-neuf membres titulaires représentant huit organisations de la société civile, l’Assemblée nationale, les Hautes juridictions, le barreau, le monde universitaire, la médiature, le Haut conseil de l’audio visuel, les organisations syndicales, féminines et cinq représentants de l’administration qui participent aux travaux à titre consultatif seulement. La durée de leur mandat est de quatre ans.

En Pologne, l’institution est composée d’un Défenseur, assisté de son Bureau. La durée de son mandat est de cinq ans.

L’autorité qui nomme les membres de ces institutions n’est pas la même d’un pays à l’autre. C’est parfois le Parlement, parfois le président de la République ou le Premier ministre, généralement par un acte de nature administrative

Au Québec par exemple, les membres sont nommés par l’Assemblée nationale, à la majorité des deux tiers, sur proposition du Premier ministre. A Maurice, ils le sont par le président de la République, sur proposition du Premier ministre. En France, par un arrêté du Premier ministre.

D’une manière générale l’indépendance d’une telle institution dépend de la volonté de ses membres qui, convaincus de leur mission, animés d’un engagement quasi militant en faveur des droits de l’homme, peuvent garder un regard critique par rapport aux violations commises par l’exécutif, tout en voulant coopérer avec lui pour apporter des améliorations. Cet équilibre n’est pas toujours atteint et doit être recherché à chaque nomination ou renouvellement de mandat.

3-    Autonomie financière et budgétaire.

 

Troisième indicateur de l’indépendance des institutions qui contribuent à l’établissement de l’Etat de droit et de la démocratie, celui de leur autonomie financière et budgétaire. Elles ont en commun qu’elles fonctionnent  sur fonds public. Reste à savoir si ce mode de financement , qui est du reste le seul acceptable dans tous les cas examinés, n’est pas détourné comme un levier de pression, directe ou indirecte, sur l’institution , par l’exécutif , ou même, d’une certaine manière, par la majorité parlementaire. La seule menace de « couper le robinet des finances » de la part d’un pouvoir pesant, peut s’exercer, particulièrement dans les pays en transition démocratique. Par ailleurs, il n’en demeure pas moins que le contrôle budgétaire doit exister dans toute démocratie, dès lors qu’il s’agit de fonds publics.

3-a : Les Hautes juridictions

Les Cours constitutionnelles.

 

Protégé par l’inamovibilité qui normalement interdit tout déplacement arbitraire, le juge doit l’être aussi par une situation matérielle qui le mette à l’abri des pressions et de la corruption. Aussi note-t-on le relèvement récent des rémunérations dans la magistrature en général, aussi bien que la situation particulière faite aux juges constitutionnels.

Pour ce qui concerne les magistrats de la Cour suprême du Canada par exemple, une commission indépendante qui siège tous les quatre ans, établit une grille de salaires qu’elle soumet au gouvernement sous forme d’une recommandation. Si celle-ci n’est pas adoptée, le rejet du gouvernement sera analysé par la Cour suprême.

Au Maroc, les rémunérations des juges de la Cour suprême sont alignées sur les émoluments des députés, y compris tous les avantages annexes. Il en est de même pour la Cour d’arbitrage de Belgique.

En Roumanie, les juges constitutionnels ont un salaire équivalent à celui du vice-président de la Haute cour de cassation, tendis que le président de la Cour constitutionnelle, tout comme le président de la Haute cour de cassation, perçoivent la même indemnité que le Premier ministre, s’y ajoute un système de pension spécifique et avantageux.

Au Bénin, les émoluments des juges constitutionnels sont alignés sur ceux des ministres, lesquels correspondent à l’indice le plus élevé de la fonction publique. Pour ce qui est des indemnités supplémentaires, la Cour constitutionnelle a censuré une disposition qui voulait les soumettre à l’aval du ministre des Fiances, au motif que cette Cour est indépendante du gouvernement. C’est donc elle-même qui fixe ses indemnités.

Reste que, quelles que soient les dispositions prises en matière d’autonomie financière et budgétaire, c’est en dernier lieu le tempérament, la force de caractère, la moralité des juges de ces Hautes juridictions qui sont les meilleurs remparts pour résister aux pressions de l’argent et à la corruption.

Au niveau des juridictions elles-mêmes, leur indépendance est étroitement liée à leur autonomie budgétaire. Non seulement les Cours constitutionnelles doivent avoir un budget suffisant pour être assurées d’un fonctionnement adapté à leur mission, mais la séparation des pouvoirs veut que l’appréciation du montant de ce budget ne soit pas à la discrétion de l’exécutif ou du législatif.

Or, force est de constater que rares sont les Cours qui bénéficient d’une véritable autonomie budgétaire, c’est-à-dire qu’elles aient la faculté d’établir un budget à partir de leurs besoins, budget public, voté par la loi de finances, mais non discuté. C’est néanmoins le cas dans le système français fondé sur la notion de pouvoirs publics constitutionnels ; tel est aussi le cas au Gabon qui peut censurer les lois de finances réduisant ses moyens financiers. Dans ces deux cas, s’y ajoute l’absence d’un véritable contrôle a posteriori, remplacé par une procédure informelle interne de nature déontologique : en France par la présence d’un conseiller financier, membre de la Cour des comptes ; au Gabon par une commission où siège notamment un membre de la Cour des comptes.

Mais ces situations sont rares. Plusieurs juridictions, du Mali ou du Niger par exemple, font remarquer que leur budget est accordé en fonction  des disponibilités de l’Etat. Derrière cette affirmation, vérifiable dans de nombreux pays du sud amenés à établir des priorités budgétaires, pourraient se cacher aussi des pressions que le pouvoir politique pourrait exercer. Ainsi, en Mauritanie, le budget de la Justice  est le plus faible parmi les budgets de tous les autres ministères.

Même si le budget de la Cour constitutionnelle constitue un chapitre autonome au sein du budget de l’Etat, il arrive qu’il soit négocié avec le gouvernement et avec l’Assemblée nationale, avant son adoption, comme c’est le cas en Algérie. Dans plusieurs pays, comme au Niger, on assiste à deux arbitrages successifs qui en réalité se traduisent par deux coupes budgétaires. Au Bénin, la Cour constitutionnelle a annulé deux lois de finances qui réduisaient ses moyens de fonctionnement.

Il n’en demeure pas moins que des situations inacceptables ont été enregistrées dans plusieurs pays : c’est le cas d’une Cour constitutionnelle dont le budget n’a été versé que pour les deux premiers trimestres, et dont le président, pour effectuer un déplacement officiel, doit obtenir un ordre de mission signé du président de la République, après accord du ministre des Fiances.

Mais dans la majorité des cas, aussi bien dans les anciennes démocraties que dans les pays en transition, le budget des Hautes cours est débattu et voté par le Parlement. C’est le cas en Albanie, Belgique, Bénin, Burkina Faso,  République du Congo, Guinée équatoriale, Liban, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Togo.

Dans certains pays, le budget de la Cour constitutionnelle n’est pas discuté devant le Parlement. C’est le cas au Burundi, Egypte, France, Gabon, par exemple.

En Moldavie, le projet de budget , avec l’avis préalable du ministre des Finances, est approuvé par le Parlement ; alors qu’en Roumanie, le budget est approuvé par le plénum de la Cour constitutionnelle, et ensuite présenté au gouvernement afin d’être inclus, de manière distincte, dans le budget de l’Etat.

Proposition d’amélioration : En matière d’autonomie financière, la Cour constitutionnelle devra bénéficier d’un budget suffisant lui permettant d’assumer ses fonctions d’une manière correspondant à sa mission. La Cour s’engagera à présenter chaque année, en toute transparence, un projet de budget correspondant à ses besoins justement calculés, au regard des tâches qu’elle devra assumer au cours de l’année budgétaire, et qui tiendra compte de la situation générale du budget de l’Etat. Ce budget  sera présenté en l’état au vote du Parlement. C’est seulement en cas de contestation qu’il sera soumis à une commission indépendante composée de personnalités compétentes et unanimement reconnues dans le pays. C’était du reste le souhait des chefs des Cours constitutionnelles et institutions équivalentes réunis en juin 2005 à Bucarest à l’occasion de la quatrième conférence de l’ACCPUF.

En Afrique

 

La Constitution et les différentes lois organisant les diverses Hautes juridictions africaines (Haute cours de justice, Cour suprême, Conseil constitutionnel, Cour de cassation, cour d’appel,  et tribunaux, Conseil d’Etat, Cour des comptes…) sont presque toutes muettes sur les crédits à leur allouer. Quelques unes d’entre elles ont une autonomie de gestion, et les crédits dont disposent ces Hautes juridictions couvrent en général, à peine les 55 % de leurs besoins de fonctionnement, situation qui accroît leur dépendance du bon vouloir du pouvoir exécutif, et constitue une source d’amoindrissement de leur indépendance.

Cela est de même valable de la rémunération des magistrats qui doit non seulement répondre à un niveau suffisant les mettant à l’abri de la tentation de solliciter d’autres ressources financières, mais également répondre à des règles transparentes , y compris pour leur retraite.

Les risques de pression financière protéiforme  pèsent sur la Justice, de manière générale, ouvrant la voie à des formes de corruption. La pression sur les individus est distincte de celle qui peut s’exercer sur les institutions. C’est pour cela qu’au Nations unies, des Principes  fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature imposent aux Etats le « devoir de fournir les ressources nécessaires pour que la magistrature puisse s’acquitter normalement de ses fonctions ».

3-b : Les barreaux.

 

L’autonomie financière des barreaux peut paraître évidente en ce sens qu’elle dépendrait des avocats qui y sont inscrits. Ce n’est pourtant pas toujours le cas.

Par exemple, en Guinée,  si l’avocat est réellement indépendant dans l’exercice de sa profession, le barreau dont il relève n’est pas indépendant dans la mesure où il ne dispose pas des moyens d’exercer les attributs de cette indépendance. Ainsi, ce barreau est dépendant du ministère de la Justice du point de vue matériel : il n’a pratiquement pas de vestiaires dans les cours et tribunaux, un local exigu et non aménagé (sans téléphone), prêté par le ministère de la Justice, lui sert de siège dans l’enceinte de la cour d’appel de Conakry. Il n’a pas de véhicule. Il n’y a pas de maison des avocats. Cette situation précaire du barreau de Conakry est le reflet de la paupérisation des avocats eux-mêmes, qui en sont venus à demander des subventions d’Etat et des aides publiques. Cette situation ne permet pas d’affirmer que le barreau de Guinée soit indépendant.

3-c : Les institutions supérieures de contrôle.

 

Le budget de toutes les institutions supérieures de contrôle (Cours des comptes) de l’espace francophone est voté par le Parlement.

Néanmoins, un certain nombre d’entre elles jugent que leur budget est insuffisant pour un bon fonctionnement. C’est le cas au Burkina Faso, Cameroun, Comores, Madagascar et Moldavie.

Des aides financières leurs sont accordées, notamment pour des formations sur place ou dans d’autres pays. Ces aides sont multilatérales, accordées pour des séminaires par l’OIF, la Banque moniale, la Banque africaine de développement ou l’Union européenne ; ou bilatérales , au Canada, en Belgique et en France.

3-d : Les Conseils économiques et sociaux.

 

La question des moyens financiers dont peuvent bénéficier les Conseils économiques et sociaux de l’espace francophone est considérée par ceux-ci comme étant cruciale. Les financements d’origine étatique sont souvent liés aux aléas des dotations budgétaires, ce qui souvent ne leur permet pas d’envisager autre chose qu’une gestion du quotidien.

Cependant, depuis un certain temps, des partenaires financiers autres qu’étatiques acceptent d’appuyer financièrement ces institutions, pour peu  que les demandent soient pertinentes, concrètes et évaluables. Pour certaines institutions, ces appuis financiers, sans pour autant les affranchir totalement de la dépendance budgétaire de l’Etat, seraient de nature à leur conférer une certaine autonomie. Le Conseil économique et social du Burkina Faso par exemple en a fait l’expérience à plusieurs reprises. Faut-il encore que , pour l’affranchir d’une dépendance financière de l’Etat, le Conseil ne tombe pas sous l’influence d’intérêts privés, lui qui est chargé de donner des avis en matières économique et sociale au gouvernement.

Par qui et comment sont financés les Conseil économiques et sociaux ?

Au Bénin, par exemple, le budget est arrêté par le Conseil, sur proposition de son bureau, puis négocié avec le gouvernement qui l’inscrit dans le projet de loi de finances. Au Cameroun, le budget est préparé par l’institution et adopté par le Parlement. En République du Congo, il est déterminé par le gouvernement .En France, c’est le CES lui-même qui élabore son budget, ensuite examiné par le ministère des finances, puis voté par le Parlement. Ce budget est inscrit dans le budget du Premier ministre. Ce CES dispose d’une autonomie de gestion. Au Gabon, le budget est déterminé par le gouvernement. En Guinée, c’est le Parlement qui en décide. Au Luxembourg, le budget est proposé par le bureau du CES et soumis au Premier ministre, alors qu’au Mali, il est décidé par le président de la République, et à Maurice par le gouvernement. En Tunisie, le budget est rattaché à celui du Premier ministre.

En ces matières qui peuvent fortement peser sur l’indépendance des Conseil économiques et sociaux, la disparité est grande et les garanties difficiles à obtenir.

3-e : Les médiateurs.

 

La nature même de la mission du Médiateur ou Ombudsman qui le met au contact de l’administration d’Etat pour dénoncer et corriger ses abus et dysfonctionnement fait peser sur l’institution un risque , sinon une tentation pour l’exécutif d’utiliser la pression financière. Même fort bien constituée par la loi, prévue dans la Constitution, une telle institution pourrait être empêchée de fonctionner faute de moyens suffisants. Il s’agirait alors d’une institution « fantôme », sans aucune effectivité.

Quelques cas illustrent les sources de financement : Au Sénégal, comme au Gabon, le budget du Médiateur est assuré par la présidence de la République, sans autre source de financement .Au Maroc , le budget est inscrit sur la liste de la Cour royale. Au Mali, à Maurice, ou en Roumanie, c’est sur le budget de l’Etat que fonctionne le Médiateur. Il en est de même à Haïti où le Médiateur reçoit  la moitié seulement du budget sollicité, celui-ci étant complété pour partie par des bailleurs de fonds internationaux.

Les ressources financières suffisantes au bon fonctionnement de l’institution, inscrites au budget de l’Etat, sont octroyées par le Parlement, mais aussi par l’exécutif. Mais il se peut aussi que le budget du Médiateur ne dépende ni de l’un, ni de l’autre. C’est le cas du Collège des médiateurs fédéraux de Belgique dont le budget est prévu par la Charte fondamentale du pays, et le montant fixé par ce que l’on appelle dans ce pays une «  dotation autonome ».

Quel que soit le degré d’autonomie financière, il est parfaitement légitime que, dans une démocratie, le contrôle du budget se fasse a posteriori par un contrôleur d’Etat, et que sa certification soit rendue publique dans un souci de transparence. Par exemple, au Burkina Faso, cette autonomie financière est affirmée dans la loi organique selon laquelle «  le Médiateur n’est pas soumis au contrôle financier du ministère des Finances, mais présente ses comptes au contrôle a posteriori de la chambre des comptes de la Cour suprême ».

Il est suggéré que l’ensemble des Médiateurs de la Francophonie bénéficient de la même disposition à savoir, qu’il établi lui-même un projet de budget annuel, en fonction des objectifs qu’il se fixe ; budget soumis à l’adoption du Parlement sur une ligne spécifique clairement énoncée .Le contrôle des comptes se fait a posteriori par un contrôleur d’Etat  puisqu’il s’agit de fonds publics.

3-f : Les Commissions des droits de l’homme.

 

Dans les principes régissant une Institution nationale de promotion et de protection des droits de l’homme (Principes de Paris) il est précisé que celle-ci « dispose d’une infrastructure adaptée au bon fonctionnement de ses activités, en particulier de crédits suffisants. Ces crédits devraient avoir notamment pour objet de lui permettre de se doter de personnel et de locaux propres, afin d’être autonome vis-à-vis de l’Etat et de n’être soumise qu’à un contrôle financier respectant son indépendance ». Il n’est rien dit sur l’origine du financement, mais l’Etat étant à l’origine de la création d’une telle institution proclamée indépendante, c’est donc a lui d’y pourvoir. En cas de sanction déguisée qui consisterait à amoindrir ce budget si cette institution des droits de l’homme s’est montrée critique, celle-ci a la faculté d’alerter l’opinion publique et, éventuellement, de provoquer un débat au Parlement.

Dans la majorité des pays du sud, l’exécutif fait valoir que les ressources de l’Etat étant limitées, des priorités imposent que de telles institutions ne bénéficient que d’un faible budget, et même, dans certains cas, ne puissent s’installer dans des locaux autonomes avec un personnel suffisant. L’argument n’est pas acceptable, les droits de l’homme étant, en particulier selon la Déclaration de Bamako, le fondement de la démocratie.

L’autonomie financière est acquise dans la quasi-totalité des Commissions des droits de l’homme francophones, bien que souvent le budget octroyé s’avère insuffisant. Au Sénégal, par exemple, le budget de fonctionnement du Comité des droits de l’homme est inscrit dans le budget de la présidence de la République, et lui permet de s’acquitter de ses  principales charges. Au Maroc, le budget du Conseil est accordé par la Maison royale. En France, il est inscrit dans les services du Premier ministre. Au Niger il est inscrit dans le budget de l’Etat prévu par la loi de finances.

Le mode de financement des Commissions des droits de l’homme est leur point faible. Néanmoins toute tentative du pouvoir politique ou du Parlement de faire pression par le budget  peut être considéré comme une atteinte indirecte aux droits de l’homme.

            4 : Fonctionnement libre.

 

Le quatrième critère concourant à l’indépendance des institutions est celui de leur libre fonctionnement qui peut se traduire de diverses manières : faculté de choisir librement les questions ou dossiers traités, c’est le pouvoir d’auto saisine ; effectivité des travaux qui démontre que l’institution n’est pas «  dormante » ; transparence qui permet de rendre compte publiquement des activités.

4-a : Les Hautes juridictions 

 

            Les Cours constitutionnelles :

 

L’indépendance du juge est favorisée par plusieurs facteurs, au premier rang desquels la collégialité qui, de l’avis unanime, permet à celui-ci – fut-il le plus honnête et le mieux traité- de prendre ses décisions en toute sérénité.

A cet égard, le Gabon souligne l’importance de la collégialité en tant que facteur d’indépendance puisque les décisions des juges constitutionnels sont prises à la majorité des deux tiers et que le président n’a pas voix prépondérante.

Concernant le fonctionnement des Cours elles-mêmes, l’existence effective de la saisine reflète parfaitement leur situation dans leur rôle de gardien de la Constitution et des libertés. S’il n’y a pas d’auto saisine, si l’existence d’une exception d’inconstitutionnalité n’est pas admise, que resterait-il concrètement d’une saisine ouverte seulement à quelques autorités publiques, voire à un certain nombre de parlementaires, quant au sein même du Parlement n’existe pas d’opposition. Alors les Cours et Conseils ne seront pas saisis et les atteintes aux libertés ne seront pas sanctionnées.

Un cas s’est présenté au Bénin où la Cour constitutionnelle n’a pu s’auto saisir de la situation du système carcéral qui a fait l’objet de vives critiques au motif que la Constitution lui permet seulement de se prononcer sur la constitutionnalité des lois ou de tout texte réglementaire portant atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine, mais non pas sur des pratiques entraînant de graves dysfonctionnement en matière de droits de l’homme.

Au chapitre des propositions concernant l’indépendance des juges constitutionnels, il est recommandé que les décisions de la Cour soient toujours prises de manière collégiale, la majorité étant celle des deux tiers afin d’éviter des pressions particulièrement lorsqu’ils ont à statuer sur l’indépendance de la Justice ou lorsque la décision concerne le contrôle de décision du Conseil supérieur de la magistrature.

Au titre des obligations, les incompatibilités apparaissent évidemment nécessaires et protectrices. Elles concernent les mandats électifs et, le plus souvent, toute activité professionnelle, publique ou privée. En revanche il apparaît souhaitable qu’y fassent exception les activités scientifiques ou de formation au niveau de l’enseignement supérieur, telle que la Roumanie l’a récemment reconnu. L’appartenance à un parti politique, si elle n’est pas prohibée, ne saurait s’accompagner d’un militantisme actif.

Pour remplir leur mission, les juges constitutionnels doivent être totalement à l’abri du besoin en percevant une indemnité égale à celle des plus hauts dignitaires de l’Etat. De même ils devraient bénéficier d’un mandat long, de neuf ans par exemple, mais non renouvelable.

L’inamovibilité est une garantie majeure et absolue, qui devrait être respectée même en cas de changement de Constitution. Ce principe devrait de même être appliqué à toute la magistrature. Si la notion de «  nécessités du service » peut justifier, à titre exceptionnel un déplacement , il doit être limité dans le temps et faire l’objet d’un stricte contrôle de la part d’une autorité indépendante, voire de la Cour constitutionnelle. Les autorités qui contrôleront cette décision devront s’assurer qu’elle est dictée par l’intérêt général, et ne peut constituer un détournement de pouvoir , lié par exemple à des raisons politiques, autrement dit, des pressions de l’exécutif.

Par ailleurs, un devoir de discrétion doit s’imposer aux membres des Cours constitutionnelles, celui-ci sera d’autant plus impératif lorsque leurs procédures ne prévoient pas l’expression d’opinions dissidentes.

Les relations et la solidarité entre magistrats, au sein du corps judiciaire, doit pouvoir s’exprimer par la reconnaissance d’associations, voire de syndicats de magistrats.

Pour ce qui concerne l’institution elle-même, les décisions de la Cour constitutionnelle  devraient être prises à une forte majorité, des deux tiers par exemple.

La saisine de la Cour devra, si nécessaire, être élargie afin de lui permettre de jouer son véritable rôle. A cet égard, il serait opportun d’ouvrir pour le moins l’exception d’inconstitutionnalité, et sous certaines conditions l’accès des citoyens, lorsqu’il n’y a pas d’opposition parlementaire structurée qui pourrait permettre une saisine effective par les parlementaires.

Pour ce qui concerne les Hautes juridictions administratives- Conseils d’Etat- des pays africains francophones on constate que certaines ne fonctionnent quasiment pas, faute de contentieux. Ainsi, au Niger, le Chambre administrative de la Cour suprême n’avait rendu que deux arrêts entre 1960 et 1973, et la Cour d’Etat n’avait rendu que trois arrêts en dix ans. La situation au Togo ne s’est guère améliorée depuis 1990, sachant que depuis l’indépendance de ce pays, un seul arrêt a été rendu. Les difficultés de fonctionnement de ces juridictions administratives montrent que l’indépendance des Hautes juridictions africaines reste encore fragile.

L’effectivité de l’indépendance de la Justice, en général dépend, entre autres facteurs de son efficacité et de sa qualité. L’indépendance de la Justice est en effet source de confiance des justiciables dans son office et dans les juges, ce qui revêt l’aspect d’une nécessité non seulement sociale, c’est-à-dire une contribution à la paix civile, mais également économique, dans la mesure où elle est également une composante de la sécurité des transactions, comme contribution à la prospérité. De manière générale, l’indépendance de la Justice est source de sécurité juridique, notamment de sécurité du procès.

4-b : Les institutions supérieures de contrôle.

 

Deux grands cas de figure se présentent pour les Cours des comptes et autres Institutions supérieures de contrôle : Certaines ont une capacité juridique d’auto saisine plus ou moins générale, parfois tempérée par l’intervention du Parlement ou du gouvernement qui peuvent les saisir ; d’autres ne peuvent être saisies que par le pouvoir exécutif et/ou le Parlement.

La nature et les statuts des personnels des institutions supérieures de contrôle varient largement d’un pays à l’autre, de même que leurs effectifs.

Huit des dix neuf institutions qui ont répondu au questionnaire sont des juridictions avec magistrats des comptes. Il est difficile de discerner l’effectif réel des personnels en charge du contrôle, qui peuvent avoir des statuts différents, de magistrats et/ou administratifs. Par exemple, en Belgique, la Cour des comptes emploie 603 personnes dont 10 magistrats, 317 de niveau 1, assistés par 135 contrôleurs, et 151 fonctionnaires qui ont des taches logistiques. A Madagascar, la Chambre des comptes fonctionne avec 15 magistrats, 12 fonctionnaires et 8 employés. En Moldavie, la Cour des comptes est animée par 109 contrôleurs dont 95 juristes et 39 administratifs.  Au Niger, la Cour des comptes et de discipline budgétaire fonctionne avec 6 conseillers et 12 vérificateurs. Au Togo, l’Inspection générale d’Etat compte 15 inspecteurs, 5 vérificateurs et 6 administratifs.

Quant à la transparence de leurs travaux, pratiquement tous les textes constitutifs des Institutions supérieures de contrôle prévoient la production de rapports publics, qu’il s’agisse du rapport annuel, du rapport d’activité, du rapport d’exécution budgétaire ou de rapports thématiques. Toutes communiquent avec la presse, sauf celles des Comores, du Liban et de Madagascar. Les institutions de contrôle de Belgique, Bulgarie, Canada, France, Djibouti, Luxembourg, Maroc, Moldavie mettent leurs rapports en ligne sur leur site internet.

4-c : Les Conseil économiques et sociaux.

 

Pour les Conseils économiques et sociaux la question est de savoir s’ils sont organisés pour produire effectivement des avis, à qui ceux-ci sont-ils remis, et quelles suites leur sont données ?

Quelques exemples : Au Bénin, les avis élaborés par trois  commissions, sont remis au Gouvernement et au Parlement, et font l’objet d’une publication légale. Il en est de même en Côte d’Ivoire. Le gouvernement béninois doit rendre compte du sort réservé aux avis. Il en est de même au Mali et en Tunisie. Au Burkina Faso,  quatre commissions produisent des avis remis au gouvernement, mais celui-ci ne rend pas compte du sort qui leur est réservé. Au Cameroun, cinq sections produisent des avis qui ne font pas l’objet d’une publication officielle. En France, les avis remis au gouvernement sont publiés au Journal officiel. Chaque année, le Premier ministre fait connaître les suites qui leur ont été données. Il en est de même au Gabon où les travaux préparés par huit sections  sont remis au président de la République, au gouvernement et au Parlement qui peuvent du reste le saisir, en plus de la faculté d’auto saisine. Ce gouvernement rend compte du sort réservé aux avis. En Guinée les avis sont remis au gouvernement et au Parlement et sont publiés, tendis qu’au Liban ils sont remis au seul gouvernement. On note que le CES de ce dernier pays compte huit commissions spécialisées. Particularité au Luxembourg, les avis, suscités par le gouvernement ou décidés par auto saisine  ne sont pas publiés. C’est aussi le cas à Maurice. Les avis du CES du Sénégal sont remis au président de la République, au gouvernement et à l’Assemblée nationale, ils sont publiés au Journal officiel.

Deux points sensibles sont à noter concernant l’effectivité des Conseils économiques et sociaux : Le premier a trait à la transparence des travaux qui doivent être publiés  et connus de tous, puisqu’ils sont le reflet des attentes et propositions de la société civile. Le second est relatif aux suites données par le gouvernement. Les avis, quelque soit leur qualité, pourraient rester au fond des tiroirs de l’exécutif et être vains si le gouvernement ne prenait pas l’engagement d’y répondre. Bien entendu la politique gouvernementale peut ne pas coïncider avec les suggestions du CES, mais pour le moins le gouvernement doit-il s’expliquer sur ses choix et signaler clairement les points retenus. Cet exercice fait partie du dialogue apaisé entre l’exécutif et la société civile.

Parmi les pratiques positives, citons le cas du Conseil économique et social du Burkina Faso qui a réussi à mettre en place, d’une part un fonds de lutte contre la pauvreté qui est une structure de financement de micro crédits au profit des exclus du système financier classique, et d’autre part un observatoire économique et social ayant pour mission de produire annuellement un rapport sur l’état de la nation en ces matières.

4-d : Les Médiateurs.

 

La question de la saisie du Médiateur ou Ombudsman par les requérants, et de l’auto saisine est un critère majeur d’indépendance de cette institution en ce sens qu’elle conditionne le contact direct ou filtré avec la population et limite ou non la marge d’intervention et d’influence extérieure à l’institution.

La plupart des pays africains francophones – Burkina Faso, Gabon, Mali, Sénégal…- se sont inspirés du même modèle qui prévoit que toute personne physique ou morale qui estime, à l’occasion d’une affaire la concernant, qu’une administration ou un organisme investi d’une mission de service public n’a pas fonctionner conformément à sa mission peut, par une réclamation, demander que l’affaire soit portée à la connaissance du Médiateur pour obtenir éventuellement réparation.

Le mode le plus simple est celui de la saisine directe par le requérant. Par exemple, à Madagascar, la saisine est directe, sans l’intervention d’un tiers. En Pologne, la loi instituant le Défenseur des droits civiques autorise la saisine sans formalisme par un citoyen, une organisation de citoyens ou une collectivité locale. En Tunisie, le Médiateur administratif peut être saisi directement par toute personne physique ou morale, et la requête n’est pas soumise à des conditions de délais. La grande majorité des Médiateurs des pays francophones bénéficient d’une telle saisie directe, certains pouvant être également saisis par une personne morale.

Le deuxième mode de saisie est celui qui contraint le requérant à passer préalablement par un parlementaire ou un élu local. C’est par exemple le cas en Mauritanie.

La combinaison des deux possibilités existe aussi. C’est le cas en France où le Médiateur de la République doit être saisi par l’intermédiaire d’un député ou un sénateur, mais qui peut également être saisi via l’un de ses représentants dans les départements  par exemple. Au Burkina Faso s’ajoutent l’auto saisine d’office chaque fois que le Médiateur a des motifs de croire qu’une personne ou un groupe de personnes est concerné par un abus d’un organisme public, de même que la saisie par le chef de l’Etat ou le Premier ministre.

A ces modes de saisie par les plaignants, il faut ajouter  la faculté qu’ont la majorité des Médiateurs de s’auto saisir tant de cas individuels que de questions sensibles intéressant un groupe de citoyens. C’est le cas de l’Avocat du peuple de Roumanie ou des Médiateurs du Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Haïti, Maurice, Québec, Roumanie ou Sénégal. . A contrario, le Médiateur de Madagascar ne peut s’auto saisir d’une question qui ne lui est pas soumise, même s’il en a connaissance.

La transparence des missions et des actions de l’institution a un double effet : Elle lève toute suspicion sur l’indépendance et écarte toute accusation de collusion cachée. Elle est exemplaire en ce sens que le Médiateur attend de l’administration la même attitude en retour.

Enfin le fonctionnement effectif de l’institution peut s’évaluer de trois manières au moins : Son accessibilité et sa proximité des usagers ; la publication régulière de son rapport d’activité ; et la communication de ses travaux aux médias et à la population.

4-e : Les Commissions des droits de l’homme.

 

Dans les principes directeurs qui régissent une Institution nationale des droits de l’homme il est indiqué, au chapitre des modalités de fonctionnement, que celle-ci « doit examiner librement toutes questions relevant de sa compétence, qu’elles soient soumises par le gouvernement ou décidées par auto saisine sur proposition de ses membres ou de tout requérant ». Cette disposition permet à l’Institution d’être entièrement libre de l’ordre du jour de ses travaux. En effet si le gouvernement ne la saisie pas systématiquement de tous les projets de loi ou de toute politique ayant trait aux droits de l’homme,  la Commission des droits de l’homme peut les examiner d’office et se prononcer. La plupart de ces institutions bénéficient de la faculté d’auto saisine .Le Conseil du Maroc a récemment obtenu du Roi qu’il modifie dans ce sens son Dahir constitutif.

Dans certains pays, comme à Maurice, au Niger, en Pologne ou au Togo,  tout citoyen peut saisir la Commission nationale des droits de l’homme d’une violation

Le second impératif dans le fonctionnement est celui de la transparence qui est un gage d’indépendance. Les «  Principes de Paris » édictés par les Nations unies stipulent à ce sujet que cette institution «  doit s’adresser directement à l’opinion publique ou par l’intermédiaire de tous organes de presse, particulièrement pour rendre publics ses avis et recommandations », de même que ses rapports « sur la situation nationale des droits de l’homme en général, ainsi que sur des questions plus spécifiques ».

Ces institutions de veille en matière de droits de l’homme étant de nature consultative, c’est-à-dire n’ayant aucun pouvoir coercitif direct sur l’exécutif, ont pour seule « arme » le soutien de l’opinion publique convaincue de leur sérieux, de leur compétence, en un mot de leur «  sagesse ».

Les indicateurs d’efficacité de ces institutions permettent aussi d’évaluer leur indépendance : Le premier consiste à savoir si leurs avis et recommandations sont suivis d’effet, c’est-à-dire sont pris en compte par le gouvernement et le Parlement. Sauf dans les cas où le Premier ministre prend l’engagement de réagir aux avis et aux études, c’est-à-dire d’indiquer les points retenus et mis en oeuvre, comme c’est le cas pour la procédure de suivi des recommandations de la Commission nationale consultative des droits de l’homme de France, il est difficile de faire des évaluations. La Commission sénégalaise des droits de l’homme regrette pour sa part que ses avis  restent lettres mortes. Mais les Commissions de Maurice, du Niger, de Pologne, du Togo se déclarent satisfaites des réponses apportées par le gouvernement à leurs avis.

Le second indicateur consiste à vérifier si les principaux thèmes traités par l’institution correspondent bien à l’état des violations dans le pays. C’est généralement le cas. Ainsi, la Commission togolaise s’est saisie de la question des violations commises après l’élection présidentielle de 2003 ; et la Commission nigérienne a publié des études sur les pratiques esclavagistes dans le pays, la détention arbitraire et la torture.

5       : Relations apaisées avec les pouvoirs :

     Exécutif, judiciaire, société civile.

L’indépendance des institutions de l’Etat de droit ne veut pas dire leur isolement, et la séparation des pouvoirs n’implique pas qu’ils ne puissent avoir des domaines de coopération, des passerelles éventuellement, mais dans des cadres bien définis évitant les confusions et les immixtions. Il ne s’agit pas de bastions coupés les uns des autres. Leur indépendance s’accompagne donc de relations apaisées entre ces institutions, respectueuses les unes des autres.

5-a : Hautes juridictions

 

            Les Cours constitutionnelles.

 

Si les divers éléments constitutifs de l’indépendance évoqués plus haut donnent une vision d’ensemble, ils ne permettent pas une photographie concrète des situations particulières. La majorité des Cours déclarent subir des pressions. Ces situations conflictuelles sont néanmoins exprimées avec prudence. Certaines font état de cloisons peu étanches entre les pouvoirs, d’autres, en élargissant le débat, soulignent la difficulté à instaurer en Afrique une véritable indépendance de la Justice – c’est en particulier le cas à Djibouti- et de la magistrature.

Par ailleurs, les Cours  ont une protection faible contre les abus commis par les autres pouvoirs, et par l’exécutif en particulier. En effet, l’organe chargé de protéger cette indépendance, c’est-à-dire le Conseil supérieur de la magistrature ou de la Justice est le plus souvent présidé par le président de la République ou le ministre de la Justice, et sa composition même est loin de témoigner de sa propre indépendance. Les Cours se posent les même questions : Quel est le moyen de réagir lorsque le président de la République exerce des pressions, que le contrôle de la Cour n’existe pas sur lui ?

Autre exemple de dépendance : Dans la plupart des Hautes cours de Justice africaines, la  procédure de saisine exige que, tant pour la  poursuite que pour  la mise en accusation,  les décisions soient votées par les députés, dans des proportions qui varient suivant les pays. Au Bénin, dans une affaire mettant en cause un ancien ministre, le Procureur de la République a estimé que la poursuite relevait plutôt de la compétence de la Haute cour de justice, mais la mise en mouvement de l’action publique relevant de l’Assemblée nationale, celle-ci n’a pu depuis lors être saisie. Ce mode de saisine rend quasi impossible le fonctionnement et l’indépendance vis-à- vis du pouvoir législatif. Trop souvent, la poursuite du président de la République et des membres du gouvernement reste donc subordonnée au bon vouloir du pouvoir législatif.

Parmi les exemples de pression sur les magistrats, est cité le cas d’un président de Cour suprême qui, à la suite d’un arrêt qui lui déplait, convoque le magistrat qui en est l’auteur, lui confisque ses clés de bureau et de voiture avant de le congédier. L’incident est renouvelé avec un autre magistrat qui présente alors sa démission que ce président de Cour refuse. Dans ces cas, comme dans d’autres, cet isolement des magistrats pourrait être rompu par l’existence d’un syndicat, voire d’une association de juristes.

Au carrefour de l’équilibre constitutionnel et politique, les Cours ont du mal à conserver leur indépendance et leur crédibilité tant aux yeux des gouvernants que des gouvernés

C’est la situation que rencontre la Cour constitutionnelle de Roumanie  dans le conflit qui l’oppose à l’exécutif dont elle estime qu’il utilise des procédures contraires à la Constitution dans la lutte implacable que le gouvernement livre contre la corruption largement répandue, qui est un handicap pour l’entrée de ce pays dans l’Union européenne. Ainsi cette Cour a du mal à s’inscrire dans un contexte purement juridique et éviter les tourmentes du débat politique.

Au Bénin, dans une affaire opposant le chef du « parti de la Renaissance », parti d’opposition, au ministère de l’Intérieur, la chambre administrative de la Cour suprême a annulé la décision du ministre refusant d’enregistrer les résultats du congrès de ce parti. De son côté, la Cour constitutionnelle de ce pays  a sanctionné le gouvernement qui, dans l’affaire dite « Hamani » a procédé manu militari, sous motif « d’acte de gouvernement » à l’enlèvement et au transfert au Nigeria, par des procédés extrajudiciaires, de criminels détenus sous main de justice.

Au titre des pratiques positives,le cas de la Cour constitutionnelle du Mali qui a publié une plaquette, assortie de propositions de nombreuses modifications de textes régissant les élections tant présidentielles que législatives.

C’est l’isolement des magistrats face aux pouvoirs qui, en l’absence de syndicats ou d’association de juristes, inquiète ces institutions. Elles demandent par ailleurs que soit élaboré un catalogue des exigences minimales ou des lignes directrices propres à construire leur indépendance.

Dans le domaine de la gestion du contentieux électoral, des progrès considérables ont été réalisés. Si en Europe ou dans d’autres pays de démocratie avancée, ces opérations ne présentent pas de risques graves, dans les pays africains par contre, où l’Etat de droit est en chantier et où la démocratie reste encore fragile, la gestion du contentieux électoral constitue une opération très délicate. Les pressions politiques de toutes sortes, les hésitations, les compromis douteux qui ont souvent entaché la proclamation des résultats des élections sont des sources de contestations, de troubles graves, et même de coups d’Etat en Afrique. Mais ces dernières années la gestion du contentieux électoral entreprise avec succès par certaines Hautes juridictions a conduit, dans bien des cas, à l’acceptation du verdict des urnes par les différents acteurs politiques, ce qui constitue une affirmation de l’indépendance du pouvoir judiciaire et une avancée significative et prometteuse de la démocratie.

Pour ce qui concerne les Hautes juridictions de cassation, et plus généralement de l’indépendance de la Justice, les premières menaces qui pèsent sur leur indépendance sont celles de l’immixtion du pouvoir exécutif dans les affaires judiciaires et son abstention à faire exécuter les décisions de justice. On relève que , tant en matière pénale qu’en matière civile, l’exécution ne relève souvent pas d’une compétence d’attribution spécifique d’un juge, qu’il s’agisse de l’application des peines ou de l’exécution en matière civile.

La pression politique, forme la plus commune, voire la plus grossière d’obstacle à la Justice peut prendre des formes diverses. Existent aussi les risques d’ingérence du pouvoir législatif qui résulte de la qualité de la loi, soit directe lorsque la loi est attentatoire à l’indépendance de la Justice, source pour le justiciable d’insécurité juridique et de rupture de l’égalité des armes, soit indirecte par une possibilité d’ingérence dans les procès par le droit transitoire.

5-b : Les Médiateurs.

 

Eminement instance de dialogue et de conciliation, l’institution du Médiateur se doit, dans le respect de son indépendance, d’établir une coopération ouverte tant avec l’exécutif et ses administrations, qu’avec le pouvoir judiciaire, ainsi qu’avec la société civile.

Quel que soit le degré de développement de la démocratie, le Médiateur se doit d’établir un pont entre l’administration et l’usager dans le souci de résoudre les conflits de manière apaisée, mais sans aucune complaisance ou subordination.

Néanmoins les exécutifs se sont souvent efforcés d’imposer des relations de subordination. Ce fut le cas de l’Office de protection du citoyen d’Haïti dont le conseil d’administration prévoit la présence de trois membres émanant des pouvoirs publics (gouvernement, sénat et chambre des députés). Au Vanuatu, le Parlement a adopté une loi rendant l’Ombudsman inopérant à la suite de la dénonciation par celui-ci de la corruption touchant certains parlementaires et ministres.

Le dialogue entre le Médiateur et le pouvoir judiciaire peut prendre des aspects constructifs. En effet la Justice, particulièrement dans les pays en voie de démocratie,  peut souffrir d’un manque de moyens et de magistrats, d’une mauvaise implantation, d’engorgement et d’éloignement du justiciable. L’institution du Médiateur peut régler un grand nombre de conflits par la voie amiable, non pas en se substituant à la Justice, mais en intervenant en amont. Dans ce cas une coopération peut s’établir, mais dans la clarté de l’indépendance et du rôle respectif de chacun.

Le troisième type de dialogue s’établie avec la société civile dont les organisations (associations, syndicats, groupes professionnels…) révèlent la vitalité d’une démocratie. Il s’agit de relais entre l’Etat et les citoyens, tout comme c’est le cas pour les médiateurs. Parmi les pratiques positives, on peut citer le cas du Médiateur du Tchad qui, s’appuyant sur les organismes de la société civile, a pu faire des propositions résolvant les questions de nationalité et de discrimination.

Au-delà de la résolution des plaintes individuelles, les Médiateurs et Ombudsmans sont une force de propositions et de recommandations au gouvernement et au Parlement. En effet l’accumulation de difficultés et de dysfonctionnements qu’ils constatent au travers des plaintes reçues les amène à déceler des problèmes généraux pour lesquels ils suggèrent des réformes sur les dispositions législatives et réglementaires en application. Par exemple, le Médiateur du Mali a proposé plusieurs réformes portant sur les domaines de la sécurité sociale ou des libertés individuelles

5-c : Les Commissions des droits de l’homme.

 

Dans la pratique générale, les pouvoirs publics considèrent qu’il est de leur devoir, sinon de leur intérêt, de favoriser et de soutenir les activités d’une Institution nationale de promotion et de protection des droits de l’homme, d’autant plus que celle-ci est toujours créée par une volonté politique. Mais cette relation est quelque fois ambiguë : en effet un exécutif peut ne supporter la présence d’une telle institution nationale que pour « donner le change » en se déclarant conforme aux exigences de la communauté internationale ; pour repousser toute «  ingérence » dans les affaires intérieures et disqualifier les critiques éventuelles des grandes organisations internationales des droits de l’homme ; ou pour faire taire l’opposition interne. Ces risques existent dans de nombreux pays en transition démocratique Pour y pallier, il revient alors aux membres de l’institution elle-même de s’affranchir de cette subordination, en s’érigeant en assemblée de sages, se situant au dessus des partis et des gouvernements, et parlant au nom des droits de l’homme, universels et indivisibles.

De manière positive, le dialogue entre l’exécutif et l’Institution nationale des droits de l’homme est de nature à faire circuler d’utiles informations, dans un sens et dans l’autre, afin de mieux cerner une situation de violation et de rechercher des remèdes. Les ONG qui s’intègrent dans la Commission des droits de l’homme gardent néanmoins tout leur pouvoir de contestation et d’action.

Le rôle d’une telle institution nationale est accru dans une jeune démocratie. En phase de transition, elle apparaît comme la quasi seule responsable des droits de l’homme. Lorsque l’Institution nationale fait partie des organes de transition politique, elle peut commencer par prendre la forme d’une «  table ronde nationale », d’un forum réunissant, autour des droits de l’homme, tous les acteurs politiques, anciens et nouveaux et les composantes de la société, ou même commencer par être une «  commission vérité et réconciliation ». Ce fut le cas pour des Institutions nationales établies dans le cadre d’accord de paix ou d’accords de période transitoire, sous l’égide d’organismes internationaux.

Par ailleurs, des relations trop étroites avec l’Etat peuvent comporter des dangers, qu’ils soient d’ordre financier, ou que leurs membres utilisent leur position comme pallier pour leur avenir et leurs ambitions politiques.

Les Commissions des droits de l’homme n’évoluent pas toujours dans un contexte politique stable. Un changement de gouvernement ou de Parlement peut les fragiliser ou même les faire disparaître.

De manière générale, ces Institutions nationales se gardent d’avoir ouvertement des relations avec les partis politiques, à l’exception du Conseil consultatif des droits de l’homme du Maroc qui compte en son sein les représentants des partis politiques présents au Parlement.

Le dialogue avec le Parlement est moins problématique, l’Institution nationale accueillant ses représentants, et le Parlement la consultant pour avis lors des débats portant sur des projets de loi mis à l’étude. Néanmoins le moment délicat est celui du vote du budget de la Commission lorsque celui-ci dépend du Parlement.

Les liens avec le pouvoir judiciaire sont sensibles dans les cas où l’Institution nationale a des compétences quasi juridictionnelles (dans les pays de Common Law), ou qu’elle est habilitée à recevoir des plaintes individuelles, comme le Médiateur.

Enfin, l’Institution nationale des droits de l’homme est largement ouverte au public et entretient des relations privilégiées avec la presse, et surtout avec les Organisations non gouvernementales.

Conclusion.

 

L’évaluation de la plus ou moins grande indépendance de quelques institutions significatives, telles que les Cours constitutionnelles et autres Hautes juridictions, les Barreaux, les Cours des comptes et autres institutions supérieures de contrôle, les Conseil économiques et sociaux, les Médiateurs, les Commissions des droits de l’homme, est un premier indicateur dans l’observation de la consolidation de l’Etat de droit et de la démocratie voulue par l’OIF.

Le tableau est contrasté : A côté de mauvaises performances, d’abus, de luttes d’influence et de tentatives d’immixtion, ou simplement d’hésitations dues à de mauvaises habitudes, ou d’ insuffisances révélées par cet état des lieux, de nombreux exemples de progrès et de pratiques positives peuvent être cités.

Ces analyses permettent de dégager quelques pistes pour l’amélioration de l’indépendance de ces grandes institutions dont le bon fonctionnement contribue à l’établissement de l’Etat de droit et de la démocratie. Des règles minimales peuvent sous tendre un programme d’actions à venir, applicable de manière transversale, étant entendu que chaque grande institution et chaque pays en trouve la transcription qui lui convient.

La finalité principale est d’asseoir leur indépendance par rapport à l’exécutif, principalement. Mais préalablement, il importe de compléter ou d’achever leur création, là où elles n’existent pas encore. Par ailleurs, afin de surmonter les difficultés rencontrées ici et là, plusieurs propositions sont faites, tant en ce qui concerne l’harmonisation des principes de base qui concourent à leur indépendance, qu’en ce qui concerne la disparition des pratiques néfastes héritées du passé. Enfin, une série d’améliorations concourent à obtenir l’effectivité de leur indépendance, principalement pour ce qui concerne leur financement et leur budget, leur fonctionnement ou leurs relations avec la société civile.

Le constat est que la majorité des juridictions constitutionnelles et autres Hautes juridictions subissent des pressions de la part des plus hauts responsables de l’exécutif, ce qui rend nécessaire un cloisonnement plus étanche entre les pouvoirs. L’indépendance de la Justice est à conquérir, passant par une instance (Conseil supérieur de la magistrature) réellement soustraite à l’influence du Président de la République ou du gouvernement. L’indépendance des magistrats doit de même se gagner particulièrement  pour ce qui concerne les procédures de nomination.

Faut-il encore que ces institutions existent bien partout dans les pays de l’espace francophone. Les instituions de contrôle, telles que les Cours de comptes , ont un rôle déterminant à jouer, particulièrement dans la lutte contre la corruption et les détournements des fonds publics, si tant est qu’elles existent et fonctionnent en toute indépendance, ce qui n’est pas généralement le cas. Pour ce qui est du respect des droits de l’homme, de nombreux pays ne sont pas encore dotés de Commissions nationales conformes aux principes communs qui les régissent.

Les institutions déjà en place souffrent de difficultés et de dysfonctionnement auxquels il convient d’apporter remèdes sans tarder. Ainsi, on constate de grandes disparités entre les institutions examinées. Il sera par exemple urgent que tous les pays du champ adoptent une même définition rigoureuse de l’indépendance des juges, mettant fin à des interprétations laxistes. De même sera-t-il nécessaire d’adopter une même hiérarchie au sein du pouvoir judiciaire, afin de déterminer clairement la place respective des Hautes juridictions. D’une manière générale, on note de grandes disparités entre les mêmes institutions de plusieurs pays, nécessitant une harmonisation des critères d’indépendance : tel est le cas des Conseils économiques et sociaux ou des Médiateurs qui devraient répondre à des principes communs minimum d’indépendance. Une harmonisation est de même souhaitable entre institutions supérieures de contrôle à propos de la nomination et de l’inamovibilité de leurs membres. Ce même effort d’harmonisation est attendu des Commissions des droits de l’homme pour ce qui est de leur composition pluraliste et de leur découplage sincère du pouvoir exécutif.

Le second aspect des difficultés rencontrées  concerne des pratiques néfastes qui perdurent, héritage pour certaines d’un passé peu démocratique : L’inamovibilité des magistrats est souvent battue en brèche par des pratiques telle que le maintien en fonction au-delà de l’age limite, la nomination «  par intérim » ou l’exercice de la Justice par des juges non professionnels, toutes dispositions à proscrire ou pour le moins à strictement encadrer par la loi. Pour ce qui concerne le Conseil supérieur de la magistrature, sa composition doit exclure le ministre de la Justice.  Pour ce qui concerne les Médiateurs et les Commissions des droits de l’homme leur rôle de  vigiles et de conseils auprès de l’exécutif doit exclure qu’ils soient constitués par un décret gouvernemental, mais par la Constitution et la loi, ce qui n’est as toujours le cas.

Reste que ces mesures affirmant l’indépendance de ces institutions doivent être effectives. C’est justement là que les failles sont les plus flagrantes, et les  dispositions à prendre les plus urgentes.

 C’est par le biais de la tutelle budgétaire que les influences sont les plus pernicieuses et dangereuses. Rares sont les Hautes juridictions ou les Médiateurs et Commissions des droits de l’homme qui bénéficient d’une véritable autonomie financière et de la totale maîtrise d’un budget suffisant. Leurs textes constitutifs ne comportent généralement aucune disposition budgétaire précise, à quoi il faut ajouter que l’Etat argue d’un manque chronique de ressources financières, imposant des priorités qui ne correspondent pas toujours aux exigences de la démocratie. Dans ce domaine il serait, dans tous les cas, souhaitable que l’institution concernée puise établir chaque année un projet de budget autonome correspondant à ses justes besoins et tenant compte des équilibres financiers de l’Etat. Ce budget, clairement identifié sur une ligne affectée, serait soumis à l’approbation du Parlement. Toute contestation serait arbitrée par une autorité impartiale unanimement reconnue. Le contrôle de l’utilisation des fonds publics s’effectuerait a posteriori. Pour ce qui concerne les magistrats et membres de ces institutions, leurs qualités personnelles et la moralisation de la vie publique  contribueront à résister à la pression de l’argent et à la corruption.

Le deuxième aspect porte sur l’effectivité de leur fonctionnement, constatant que nombre de ces institutions, bien que parfaitement constituées, ont une existence virtuelle. Leur faculté d’auto saisine, qui devrait être généralisée, pourrait les mettre à l’abri  d’une dépendance paralysante particulièrement de l’exécutif. Pour ce qui concerne les magistrats, leur inamovibilité et les décisions prises de manière collégiale seraient des garanties indispensables. Afin de permettre à toutes ces institutions de jouer pleinement leur rôle auprès des citoyens, la question de leur accessibilité est d’importance, toutes facilités devant être offertes afin qu’elles soient ouvertes sur le public , pour le moins afin de lui rendre des comptes et justifier de leurs activités . Enfin, les jugements, décisions, recommandations émis par ces institutions doivent trouver aboutissement, c’est-à-dire être mis en œuvre selon des procédures, plus ou moins contraignantes selon la nature de l’institution  qu’il s’agisse d’exécution ou de suivi, par l’exécutif qui en a la charge. C’est en principe le Parlement d’une part, et une presse libre d’autre part qui, dans une démocratie, doivent évaluer l’action gouvernementale en la matière. Faute de quoi l’existence de ces institutions serait une parodie, et le pouvoir exécutif aurait le dernier mot. Les textes constitutifs de toutes ces institutions devraient donc explicitement prévoir les engagements pris par l’Etat pour la mise en œuvre effective de leurs décisions.

Enfin ces institutions, qu’elles disent le droit, qu’elles veillent à sa bonne application,qu’elles contrôlent l’action de l’exécutif et de son administration ou qu’elles soient garantes du respect des droits de l’homme, le font au nom et au profit des hommes et des femmes qui constituent la Nation. Aussi leur devoir est d’être transparents, dans un cadre fixé par la loi. Cela implique une ouverture sur le public et une communication avec une société civile dynamique, de même qu’une presse libre et informée en mesure d’en rendre compte et une vie politique équilibrée et apaisée.

C’est à ce prix que pourrait être consolidé l’Etat de droit et que la démocratie trouvera le terreau qui la fera fleurir.

                                                                       Gérard FELLOUS

                                                                       27 Juillet 2006