Contrôle des élections en Haïti

Dans le cadre des missions d’expertise et de contrôle confiées par l’Organisation internationale de la Francophonie, Gérard Fellous a supervisé plusieurs élections afin d’en évaluer leur développement démocratique, parmi lesquelles des élections au Cameroun et en Haïti.

Mission d’observation du deuxième tour des élections législatives et sénatoriales en Haïti (Avril 2006)

 

Rapport de M. Gérard FELLOUS

 

 

Conformément à la lettre de mission me mandatant, je suis intervenu dans le cadre de la mission d’observation du Deuxième tour des élections législatives et sénatoriales en Haïti, présidée par M. Norbert Ratsirahonana, à double titre :

Observation des élections

 Promotion de l’action de l’OIF, spécifiquement dans le cadre des droits de l’homme et de la démocratie.

 ELECTIONS

Contexte général :

J’ai pris part, au sein des la délégation de l’OIF, aux différents contacts et rencontres qui ont permis d’entendre et de dialoguer avec nos interlocuteurs de : la MINUSTAH, la MIEEA (Mission internationale d’évaluation des élections) ; le Centre électoral ; les représentants des principaux partis politiques ; les acteurs de la société civile (journalistes, ONG, Office de la protection du citoyen.).

Il ressort de ces entretiens et des contacts de terrain que la population haïtienne aspire fortement à une  nouvelle période de calme et de paix, repoussant les violences, en particulier des «  gangs » ; qu’elle a retrouvé une dignité citoyenne lors d’élections libres et honnêtes ; qu’elle attend à présent une amélioration de son niveau de vie très bas, afin d’avoir accès à ses droits économiques et sociaux, après avoir recouvré une partie de ses droits civils et politiques ; qu’elle attend des nouveaux dirigeants un rétablissement de l’Etat de droit, en même temps que sa survie économique.

L’une des caractéristiques actuelle du pays est que la population et ses dirigeants ont des difficultés à l’ancrer dans différentes appartenances à : -l’Amérique latine (forte attraction vers les régimes dits « progressistes », particulièrement Cuba) ; -aux États-unis et au Canada (considérés comme la planche de salut économique) ; -à la zone Caraïbe (identité culturelle) ; – et à la Francophonie (les langues française et créole). Cette dernière doit être confortée face aux avancées pressantes de l’Anglais et du modèle anglo-saxon.

L’action de l’OIF en Haïti doit donner la priorité à l’assistance technique pour le rétablissement des institutions et structures de l’Etat, particulièrement en matière de bonne gouvernance et de justice ; de dialogue politique national, précisément dans le cadre du Parlement ; et l’introduction et le développement d’une culture des droits de l’homme. Les moyens à la disposition de l’OIF sont l’expertise et la formation.

 Mission d’observation électorale :

Les élections du 21 Avril 2006 ont fait l’objet d’une mission spécifique confiée à l’équipe composée de M. Luc Adolphe TIAO, et M. Gérard FELLOUS, dans la province sud-est de Jacmel .Cette région se caractérise par sa ruralité, particulièrement en montagne, et pas sa côte à vocation touristique ; ainsi que par le calme relatif qui y règne, découlant d’un niveau de ressources légèrement supérieur à la moyenne nationale.

L’observation s’est effectuée entre 5 h. 45 (ouverture des bureaux de vote à 6 h00) et 19 h.00 (achèvement de la majorité des dépouillements), avec l’étape de la fermeture des bureaux à 16 h00.

Notre observation a porté sur 88 bureaux de vote que nous avons visité, et dans lesquels nous avons interrogé les présidents et les trois autres membres du bureau électoral, ainsi que les mandataires politiques  et les observateurs nationaux présents. Nous avons de même interrogé les chefs de centres.

Nous avons diversifié notre présence dans 8 centres de vote : 2 dans la ville de Jacmel (haut et bas de la ville), 2 dans les villages de Marigot et de Cayes/Jacmel, 4 dans des bourgs de campagne : Zoranger (Bas Cap Rouge), Ravine Normande, Carrefour Martin, Saint Michel (montagne)

L’observation de dépouillement s’est effectuée dans deux centres (Saint Michel et Zoranger).

Observations :

De manière générale, dans les sites visités, les bureaux ont ouvert et fermé à l’heure. Le personnel était présent, avec une participation remarquée de femmes et une prédominance de jeunes. Le matériel était en place. Les procédures ont été respectées. Aucune tentative de fraude n’a été enregistrée.

Deux phénomènes sont à signaler :

  • la très faible participation des électeurs en début de vote (15%), qui s’est améliorée dans l’après midi, pour atteindre en certains endroits 50%. La participation était meilleure en milieu rural.

L’une des explications avancées par nos interlocuteurs est que l’enjeu de ces élections n’est pas clair pour le public qui se demande «  à quoi servent les députés et sénateurs ? », Dans un pays à régime traditionnellement présidentiel (autoritaire), une démocratie parlementaire est inconnue.

  • paradoxalement, si les candidats de cette région n’ont pas mené de véritable campagne électorale, il est apparu que la structuration de leurs partis respectifs est bonne, puisque les mandataires étaient en nombre dans tous les bureaux. Quelques incidents ont du reste été enregistrés à l’ouverture des bureaux lorsqu’il s’est avéré que la présence de 3 mandataires prévue par bureau était insuffisante (pour 6 listes) – il a été rapidement admis la présence de 6 mandataires-, ou que les militants politiques tentaient l’influencer les électeurs (à la porte des bureaux ou en les transportant gratuitement jusqu’aux centres)

 

Présence de l’OIF

Durant notre mission dans la province de Jacmel

nous nous sommes efforcés de rendre visible la présence de l’OIF par :

  • le port de la tenue vestimentaire ;
  • nos contacts avec les autorités locales (Bureau de la MINUSTAH, Antenne électorale, BED, Délégué départemental du PNH, UNPOL…)
  • la signature des procès verbaux de tous les bureaux de vote visités ;
  • des interviews avec les médias locaux (TV, radios, journaux.)
  • Compte tenu du Cadre de coopération intérimaire (CCI) dont la mise en œuvre du volet «  droits de l’homme » n’avait pas été directement abordée par la précédente mission de l’OIF à Port au Prince (février, mars 2005) ;
  • Après les élections présidentielles et législatives, et à la veille de la constitution du gouvernement, il faut rappeler que la résolution du Conseil de sécurité (1658 du 14 février 2006) appelle à «  la réconciliation nationale, l’ouverture et le dialogue politique », et que cette résolution constate que «  l’état de droit et le respect des droits de l’homme sont des composantes essentielles de toute société démocratique » , et invite les autorités haïtiennes «  à opérer une réforme d’ensemble touchant tous les aspects de l’état de droit et à promouvoir et sauvegarder les droits de l’homme et les libertés fondamentales » ;
  • Prenant en compte les différents rapports établis dans le cadre des Nations unies par l’Expert indépendant  sur la situation des droits de l’homme en Haïti, et particulièrement le dernier rapport du 26 janvier 2006 qui sera présenté à la première session du Conseil des droits de l’homme de juin 2006. L’Expert, M. Louis Joinet, y souligne «  la faiblesse des institutions publiques chargées de garantir le respect de ces droits et d’administrer la justice » ;
  • Constatant, avec le responsable de la section Droits de l’homme de la MINUSTAH, Me. Thierry Fagard, que la «  situation des droits de l’homme en Haïti est catastrophique » ;
  • Notant que les ONG nationales et internationales ( Rapport de mission d’enquête de la FIDH) regrettent que le président intérimaire de la République et le gouvernement provisoire «  n’ont pas saisi l’opportunité de la transition pour réunir l’ensemble des ONG afin de leur présenter ses priorités et sa politique dans le domaine des droits de l’homme », et que le Comité des avocats pour le respect des libertés individuelles (ONG-CARLI) constate que «  les défenseurs des droits de l’homme sont abandonnés à eux-mêmes par les autorités politiques », opinion partagée par les autres ONG haïtiennes ;
  • A la lumière des différents contacts pris lors de notre mission, particulièrement avec la MINUSTAH, avec les représentants des principaux partis politiques, ainsi qu’avec les acteurs de la société civile, il apparaît une volonté partagée d’organiser un dialogue national apaisé à l’issue des élections.

APPUI AUX DROITS DE L’HOMME

Propositions d’actions pour l’OIF

Dans ce contexte, nous estimons que l’OIF pourrait proposer, à court et moyen termes, quatre types d’actions visant à contribuer au renforcement de la démocratie et des droits de l’homme en Haïti :

1—L’une des premières initiatives du nouveau gouvernement devrait être la mise en place d’une «  Table ronde nationale sur les droits de l’homme » réunissant tous les partis politiques représentés au Parlement.

Les expériences menées dans plusieurs pays du Sud francophones ont montré que, dans une période de transition démocratique suivant une période d’instabilité politique et de violence, un dialogue national autour des droits de l’homme, en une sorte d’états généraux, peut être consensuel et unificateur, et donner une bonne image internationale. Cette «  Table ronde » serait la première étape d’un dialogue national tel qu’il est déjà prévu, sur des sujets plus larges et éventuellement conflictuels. Elle pourrait aboutir à des propositions qui seraient relayées par les députés et sénateurs sous formes de lois.

L’OIF peut apporter son expertise pour la fixation de l’ordre du jour, la substance des débats, la mise à disposition de conférenciers internationaux, ainsi que sur son organisation à la lumière des expériences faites dans d’autres pays.

2—Au moment où se constituera le nouveau gouvernement, et compte tenu du fait que le cadre de coopération intérimaire n’a pas prévu de structure gouvernementale explicitement chargée de la coordination de la politique en matière de droits de l’homme, l’OIF peut aider à la conception et à la mise en place d’un ministère des droits de l’homme.

L’OIF solliciterait son réseau des Structures gouvernementales chargées des droits de l’homme afin d’apporter des expertises et des témoignages, en organisant par exemple un séminaire d’information avec la participation de plusieurs ministres des droits de l’homme (Burkina Faso, Maroc…)

Ce ministère des droits de l’homme haïtien, chargé de la coordination de la politique gouvernementale en la matière, pourrait intervenir dans au moins cinq domaines :

  • élaborer un plan national de promotion et de protection des droits de l’homme ;
  • mener des campagnes de sensibilisation, d’information et d’éducation à la citoyenneté et aux droits de l’homme, dans les langues du pays ;
  • coordonner la formation des intervenants concernés (enseignants, police, magistrats, ONG…)
  • veiller à la protection des groupes vulnérables (enfants, femmes, détenus…)
  • dialogue et soutenir la société civile (ONG) ;
  • veiller à la mise en conformité de la législation nationale avec les engagements internationaux et régionaux pris par l’Etat en matière de droits de l’homme, et coopérer avec les organismes onusiens pertinents…

 

3—En matière de formation, l’OIF pourrait mener deux types d’actions en faveur des principaux acteurs haïtiens (hauts fonctionnaires, enseignants, magistrats, juristes, ONG…) :

__Accueillir des stagiaires en France (stage de cinq semaines de l’ENA, organisé par l’AFCNDH), ou dans d’autres pays membres ;

__Organiser des séminaires thématiques à Port au Prince, animés par des intervenants de l’OIF.

4—Afin de favoriser le dialogue apaisé et constructif entre l’Etat et la Société civile, de veiller de manière indépendante et crédible au respect des droits de l’homme en Haïti, et de répondre aux critères internationaux en la matière, l’OIF peut apporter son expertise pour la création et la mise en place d’une «  Commission haïtienne des droits de l’homme » faisant pleinement partie du réseau mondial des « Institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme ».

Les autorités haïtiennes ont le choix entre :

  • la transformation de l’Office de protection du citoyen en une Commission nationale des droits de l’homme, conforme aux « Principes de Paris » et aux engagements de Bamako, cumulant les deux fonctions de commission consultative et de médiateur recevant les plaintes individuelles ;
  • la création, parallèlement à l’OPC recentré sur ses strictes missions de médiation, d’un Commission nationale consultative des droits de l’homme, selon les « Principes de Paris »

 

Gérard FELLOUS