L’universalité et l’indivisibilité en question
A/ L’évolution de la remise en cause de l’universalité ces dix dernières années
Les droits de l’homme ont traversé trois cycles géopolitiques depuis la proclamation de la Déclaration universelle des droits de l’homme, en décembre 1948 dont le dernier a commencé il y a une dizaine d’années :
A la veille du vaste processus de décolonisation qui allait changer la face du monde, les droits de l’homme se sont imposés comme un impératif catégorique pour la quasi-totalité des Etats membres des Nations unies, afin de rebâtir un monde meilleur sur les cendres de la Seconde guerre mondiale et de la Société des nations (SDN) disparue. Le caractère universel de la DUDH, qualifié alors comme étant « le premier manifeste(…) le premier mouvement d’ordre éthique que l’humanité organisée ait jamais adopté »[1], était considéré comme un but à atteindre, « l’idéal d’un avenir commun ». Etaient alors posés quelques principes immuables dont le premier est que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité »[2] , fondement même de la Francophonie.
* La Guerre froide a placé les droits de l’homme au cœur d’un affrontement Est-Ouest dont l’enjeu était la prééminence des droits économiques, sociaux et culturels sur les droits civils et politiques. Les droits de l’homme étaient alors plongés dans une période de gel qui vit néanmoins l’adoption universelle des deux Pactes, et la quasi libération des pays sous le joug de la colonisation.
* Du point de vue normatif, les droits de l’homme entraient, au moment de la chute du Mur de Berlin, dans une période faste d’enthousiasme et d’adhésion universels au cours de laquelle furent adoptés plus de soixante instruments internationaux et régionaux de promotion et de protection.
* Mais depuis dix ans leur universalité est à nouveau contestée et la DUDH, fondement des nombreux instruments qui ont été créés depuis, remise en cause, certains voulant sa réécriture. En ces temps de mondialisation, les droits de l’homme se trouvent à nouveau à la croisée des chemins, certains diront au creux de la vague.
Pour autant, partout dans le monde, sous toutes les latitudes, il ne se trouve une seule personne qui se déclare prête à renoncer volontairement aux garanties et protections contenues dans la DUDH et dans les instruments internationaux et régionaux qui en découlèrent.
A cette menace contre l’universalité des droits de l’homme vient s’ajouter un danger plus insidieux car souvent moins visible, celui de l’atteinte à l’indivisibilité de ceux-ci. Il est bien clair que cette universalité est étroitement liée à l’indivisibilité, comme le précise l’article 2 de la DUDH : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune… ». En effet, le corpus des droits de l’homme est insécable. Les Etats ne peuvent choisir de favoriser certains et d’abandonner d’autres, comme par exemple l’égalité pour les femmes ou la prohibition de la torture et des traitements inhumains ou dégradants. Bien que le mot « indivisibilité » ne figure pas dans la DUDH, son article 30 précise bien, après avoir énuméré tous les droits proclamés, y compris les droits économiques et sociaux, qu’aucune disposition ne peut être prétexte « à la destruction des droits et libertés qui [y] sont énoncés ». Ainsi, aucun des droits de l’homme ne peut en exclure un autre, en une sorte de conflit de droits. Le temps de la confrontation entre « droits-libertés » et « droits-créances » est révolu. De même l’affrontement entre droits individuels et droits collectifs est surmonté : Ainsi par exemple, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 accorde-t-elle des droits aussi bien à la personne qu’à la communauté, à la famille.
En matière d’indivisibilité, le danger vient d’ailleurs, issu d’une résurgence de la Déclaration de Bangkok (29 mars-2 avril 1993) qui voulait que la Démocratie vient après la réalisation du développement économique pour les sociétés d’Asie et plus généralement du Sud. Cette déclaration de Bangkok , qui était remise à la Conférence mondiale de Vienne comme contribution de la région Asie, stipule que les droits de l’homme de « conception occidentale », instruments de l’hégémonie de l’Occident et de son « impérialisme culturel » , « doivent être envisagés dans le contexte du processus dynamique et évolutif de fixation des normes internationales, en ayant à l’esprit l’importance des particularismes nationaux et régionaux, comme des divers contextes historiques, culturels et religieux ».
Ainsi, tout en reconnaissant que les droits de l’homme sont, par nature universels, ces pays avancent-ils que les normes internationales doivent être souples. En somme, il serait possible de multiplier à l’infini des dérogations qui conviendrait à tel ou tel régime dictatorial ou violateur, afin qu’il puisse choisir ceux des droits de l’homme qui ne le gêneraient pas.
Bien que la hiérarchisation entre d’une part les droits économiques, sociaux et culturels ; et d’autre part les droits civils et politiques se soit estompée plaçant les uns et les autres sur le même plan, la nouvelle tendance dangereuse qui apparaît depuis une dizaine d’année est de faire passer le processus de démocratisation après la réalisation effective de l’ensemble des droits de l’homme.
** Les arguments du relativisme culturel et religieux au détriment de l’universalisme.
Le mouvement du relativisme a pris naissance il y a près d’un demi-siècle et s’est développé depuis une dizaine d’années, lorsque certains gouvernements ou instances religieuses et politiques ont dénié l’universalité des droits de l’homme au prétexte qu’ils seraient l’expression de la seule culture occidentale fondée sur la primauté de l’individu, et que la priorité doit être donnée à la protection des droits collectifs de la communauté, à l’harmonie du groupe. D’autres sont allés plus loin en assimilant la diffusion universelle des droits de l’homme à une variante de « l’impérialisme blanc ».
Autre argument , plus insidieux : tout en reconnaissant que les droits de l’homme sont , par nature, universels, des pays asiatiques avancent que les normes internationales doivent être assez souples, et prendre en compte des particularismes nationaux et régionaux, comme divers contextes historiques, culturels et religieux. En somme, il serait possible de multiplier à l’infini des dérogations qui conviendraient à tel ou tel régime dictatorial ou violateur, afin qu’il puisse choisir ceux des droits de l’homme qui ne les gêneraient pas.
D’autres prétextes au rejet des droits de l’homme ont été récemment évoqués : celui d’une histoire ancienne et glorieuse, comme celle de la Chine- « l’empire du Milieu »- rejetant à ses marges les « barbares » ; celui de croyances philosophiques, comme le confucianisme, le bouddhisme ou le taôisme qui, invoquant la réincarnation, n’accordent aucune valeur à l’individu ; celui de structures sociales hiérarchisées en « castes » , comme en Inde, où un homme n’a pas la même valeur qu’un autre homme selon qu’il appartient aux « kshatriya » ( caste des guerriers et des princes) ou aux « dallits » (intouchables) ; celui même de la structure linguistique, comme au Japon, dont la langue qui n’a pas de terme pour désigner le mot « universel » alors que le concept de mondialisation des échanges économiques ou culturels y est fort bien connu. Il faut remarquer de plus que l’Asie ne s’est toujours pas dotée d’un instrument régional des droits de l’homme, à l’image des autres continents.
Par ailleurs, au nom d’une conception sociale africaine traditionnelle, l’individu est enserré dans un réseau dense de liens avec ses parents, sa famille, sa tribu, son groupe ethnique, mais aussi les morts, la matière et l’esprit. L’individu est alors difficilement concevable comme être singulier. Il existe par le « groupe » et s’accomplit dans le « groupe » qui est présenté à la fois comme la condition matérielle de son existence, le cadre naturel de son épanouissement et la finalité de son accomplissement. Les rapports entre l’individu et son groupe, loin d’être antagonistes, sont dominés par l’idée d’accord et d’harmonie : ces croyances culturelles sont à l’origine de l’animisme traditionnel. Ce relativisme culturel et social africain donnant la priorité à la « communauté », fait que chacun de ses membres a des devoirs envers le clan, au détriment de droits qu’il pourrait revendiquer. L’une des conséquences est que les femmes figurent parmi les principales victimes de ce relativisme culturel, par lequel les tenants du patriarcat et de la discrimination fondée sur le sexe justifient les mutilations génitales féminines, le mariage-rapt, l’achat de l’épouse, la quarantaine imposée à la veuve lors du décès du mari, le remariage forcé dans la fratrie, l’exclusion de l’héritage, la polygamie, le viol ethnique ou de razzia… Il faut ajouter que la femme africaine, qui constitue 80% de la main-d’œuvre rurale, ne possède pas plus que 7% des terres arables.
A ce relativisme culturel et sociétal vient s’ajouter la contestation d’un relativisme religieux issu de milieux intégristes ou radicaux proclamant que les droits de l’homme tels que déclinés dans la DUDH n’ont aucune valeur face à ceux qui seraient contenus dans les textes religieux- par exemple la Chariaa- imposés par la transcendance, et donc de valeur supérieure. Cette volonté de réécrire la DUDH à l’aune du Coran est par exemple portée par l’Iran Chiite. Il utilise l’argument du « double standard » qui aurait pour conséquence que les droits de l’homme sont appliqués différemment à travers le monde, « en fonction des intérêts des pays occidentaux », rendant « la situation particulièrement désespérée dans les pays sous-développés, où beaucoup souffrent encore de la famine, d’analphabétisme et de maladies »[3]. Ainsi, face à l’universalité des droits de l’homme, le monde arabe et islamique a donné naissance, au cours des dernières années, à quatre documents spécifiques, dont la Charte arabe des droits de l’homme de la Ligue arabe (1994), et à neuf documents élaborés dans le cadre de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), dont la Déclaration des droits de l’homme en Islam, dite du Caire ( 1990), ou la Charte de l’OCI modifiée (2008). Elles ont toutes la particularité de proclamer des droits de l’homme « conformément à la Chariaa (Loi) islamique ».
Une forme de relativisme est apparue plus récemment appelant non seulement à réécrire complètement la DUDH, mais aussi à la réorganisation complète du système des Nations unies – comme ce fut le cas à la disparition de la SDN en 1946. Ce relativisme se fonde sur un argument : Le monde de 2010, en ce début du XXIe. siècle, n’est plus celui de 1948 au triple motif que : -il n’y avait que 56 Etats qui ont adopté la DUDH, les colonisés n’ayant pas encore la parole, alors que l’ONU compte aujourd’hui 198 membres ; – des progrès scientifiques et techniques (informatique, internet, génétique, transplantation d’organes…) n’existaient pas alors ; – et enfin que la crise financière et économique récente va appauvrir encore plus certains pays du Sud, où des hommes et des femmes qui ont faim ne sont pas intéressés par un bulletin de vote.
Ces arguments sont fallacieux car la dignité inhérente à tout être humain, l’égalité entre tous les êtres humains, la fraternité, la liberté, la démocratie, ces principes fondateurs des droits de l’homme ne dépendent pas du nombre de membres de la communauté internationale, pas plus qu’ils ne seraient tributaires de leur situation économique, bien au contraire, compte tenu de l’essor des pays dits émergeants. Quant aux progrès scientifiques et techniques, ils ont besoin pour asseoir leur éthique et leur légitimité des principes des droits de l’homme, afin de ne pas donner libre cours aux profits, aux trafics d’organes, aux interprétations déistes ou à l’exploitation des ressources du Sud. Enfin, les nombreux instruments internationaux adoptés depuis la DUDH, en particulier dans les années 1990, ont été signés et ratifiés par l’ensemble de la communauté internationale et pas seulement par les premiers pays signataires de 1948, et tiennent compte des évolutions sociétales mondiales.
Le Secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie s’interroge : quels seraient la portée, l’efficacité et le devenir d’un droit que seuls certains Etats appliqueraient, tendis que d’autres le bafoueraient au nom de spécificités culturelles, religieuses, nationales, « au nom de je sais quel relativisme ? », ajoutant : « Nous irions au devant d’un immense péril pour l’humanité si nous devions invoquer la diversité pour mieux révoquer l’universalité ! L’universalité et la diversité ne sauraient s’affronter, tant elles sont vouées à se nourrir, à s’alimenter, à s’enrichir l’une l’autre ».
La diversité culturelle et linguistique, qui demeure l’un des fondements de la Francophonie, constitue l’enjeu majeur de ce siècle, devenant l’élément structurant de la réalité politique internationale. Si la Francophonie a fait sien le refus de l’uniformisation culturelle, avec son corollaire qu’est l’uniformisation linguistique, elle s’inscrit aussi fermement en faux contre l’amalgame dangereux qui est fait, par certains, entre universalité et occidentalisation, et ne saurait remettre en cause l’universalité des droits de l’homme au nom d’un relativisme aussi spécieux que dangereux. Pour le Secrétaire général de l’OIF, « si nous ne devons pas tolérer que certains bafouent les droits universels au nom de spécificités culturelles ou religieuses, nous ne devons pas plus tolérer que l’universalité de principes soit l’occasion d’imposer, de manière péremptoire, des méthodes et des modes d’expression venus d’ailleurs. La diversité des réalités historiques et socioculturelles doit être mieux prise en compte ; tant en ce qui concerne la formulation de ces principes, qu’en matière de sensibilisation, d’éducation, d’appropriation. Et il en va de même en matière d’économie et de développement »[4]
Pour la Francophonie, le défi n’est plus tant de rêver l’unité des cultures ou de dénoncer l’uniformité du monde que de penser et d’organiser sa diversité à travers le dialogue interculturel, de gérer pacifiquement le pluralisme culturel, tant que le principe de l’égale dignité de toutes les cultures ne sera pas réalisée dans les faits. « Réaliser l’égale dignité des cultures, c’est en finir avec une réalité scandaleuse qui, malgré les déclarations, les promesses, maintient des centaines de millions d’hommes, de femmes, d’enfants dans des conditions de vie, de survie qui sont une atteinte quotidienne à la dignité humaine et le plus grave des manquements à notre devoir d’humanité », souligne le Secrétaire général de l’OIF[5].
Au cours des dernières années, de nombreux travaux sont venus renforcer cet engagement : La Conférence internationale sur le dialogue des civilisations et la diversité culturelle[6] précise que « les cultures et les religions sont plus que jamais appelées à un dialogue permanent (…) à travers des échanges basées sur les valeurs et les principes universels qu’il faut promouvoir en tant qu’héritage humain partagé », reposant sur les droits de l’homme et la démocratie.
Diversité culturelle et linguistique
Le programme de l’OIF pour la période 2010-2013, approuvé par les instances de la francophonie (15-16 décembre 2009, à Paris) se développera autour de cinq axes :
* la lecture publique à travers les Centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC)
* les politiques et les industries culturelles ;
* la circulation des écrivains, artistes et la mise sur le marché de leurs œuvres ;
* l’amélioration de la production audiovisuelle des pays francophones du sud ;
* la modernisation et la professionnalisation des médias francophones.
Face à ces différentes formes de relativismes récents les instances internationales répondent également qu’ il n’est pas nécessaire d’expliquer ce que signifient les droits de l’homme à une mère asiatique ou à un père africain dont le fils ou la fille a été torturé ou assassiné. Ils le savent malheureusement beaucoup mieux que nous[7].
** La montée en puissance du relativisme dans les instances internationales.
Ces différentes formes de relativisme ont tenté d’influencer les travaux des instances internationales, particulièrement dans le cadre onusien.
Par exemple, cette exception culturelle a été malencontreusement introduite dans la Convention contre la torture des Nations unies (1984) qui précise dans son article premier que le terme torture « ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant de sanctions légitimes… » Ainsi une loi interne prescrivant la lapidation, la mutilation des voleurs ou la bastonnade des femmes ne serait pas considérée comme une torture ou un traitement inhumain ou dégradant, mais le produit d’une tradition culturelle ?
Au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001, l’Assemblée générale de l’ONU était saisie (9 novembre) d’une proposition de « parvenir à une définition appropriée du terrorisme qui fait une distinction entre un acte criminel aveugle et la défense légitime contre l’occupation, la violence et la répression »[8]. En somme distinction serait faite entre un « bon » et un terrorisme condamnable.
Autre exemple : dès la mise en place du nouveau Conseil des droits de l’homme (juin 2006), le représentant de l’Iran déclarait que l’une des caractéristiques de l’ère nouvelle qui s’ouvrait était « l’imposition de certaines valeurs culturelles que j’appellerai uni culturalistes (…) La jouissance de la liberté d’expression ne doit pas constituer un prétexte ou une plateforme pour insulter les religions et leur sainteté ». Ce thème de la diffamation des religions, du blasphème, de l’islamophobie assimilée à une nouvelle forme de racisme a été repris à maintes occasions, y compris au cours de la Conférence de suivi de la conférence mondiale contre le racisme (Durban II), thème associé à une limitation de la liberté d’opinion et d’expression. Dans le même temps, un « Comité ad-hoc pour l’élaboration de normes complémentaires en matière de racisme » a été chargé par le Conseil des droits de l’homme d’introduire en droit international le délit de « diffamation des religions », se substituant à celui de discrimination d’une personne à raison de sa religion
En attendant, ce même Conseil des droits de l’homme modifiait le mandat du Rapporteur spécial de l’Onu sur la liberté d’opinion et d’expression en lui demandant de prêter moins d’attention à la promotion et à la protection de cette liberté fondamentale, pour mieux traquer la diffamation des religions et limiter les libertés de la presse en la matière.
B/ Les nouveaux défis
** La nécessaire prise en compte des droits économiques, sociaux et culturels, et leur justiciabilité.
A la disparition du « schisme de la Guerre froide » de nature juridique un compromis s’est dégagé, qui n’est pas encore consolidé, selon lequel les populations peuvent plus facilement accéder aux droits économiques, sociaux et culturels si elles ont bénéficié, concomitamment, de leurs droits civils et politiques. Les uns et les autres doivent avancer sur un même front, non pas seulement formellement, mais dans leur effectivité et dans leur justiciabilité.
On sait, depuis la DUDH, que la misère, la pauvreté sont à la fois la cause et la conséquence des violations des droits de l’homme, et que ceux-ci ont plus de mal à être mis en œuvre effectivement dans les pays du Sud.
Il n’est pas tolérable que des centaines de millions d’hommes, de femmes, d’enfants dans les pays en développement soient toujours abandonnés à des conditions de vie qui sont une atteinte quotidienne à la dignité humaine et le plus grave des manquements au devoir d’humanité et de solidarité. En matière de lutte contre l’extrême pauvreté, l’un des objectifs principaux du millénaire pour le développement (OMD des Nations unies) est loin d’être atteint, particulièrement en Afrique sub-saharienne[9].
Conformément à l’engagement pris par la Déclaration de Saint-Boniface de l’OIF[10], un nouvel instrument a récemment été adopté – le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels[11]- portant sur la justiciabilité du droit à l’alimentation en particulier, donnant ainsi compétence au Comité des droits économiques, sociaux et culturels pour recevoir et examiner des plaintes présentées par des particuliers ou groupes de particuliers concernant les violations d’un des droits énoncés dans le Pacte. Il faut constater que moins de dix pays membres de la Francophonie l’ont à ce jour signé, ce qui est manifestement insuffisant. En effet, dans la pratique ce mécanisme met les droits économiques, sociaux et culturels sur un pied d’égalité avec les droits civils et politiques, reconnaissant leur interdépendance, leur indivisibilité et le fait qu’ils sont étroitement liés. Il faut rappeler à ce sujet les engagements pris par les Etats membres de la Francophonie de ratifier les principaux instruments internationaux et de s’assurer de leur pleine mise en œuvre[12]
A l’heure de la mondialisation économique, l’universalité des droits de l’homme est plus que jamais à l’ordre du jour, y compris dans les pays émergents. Elle montre la voie, si l’on veut éviter une mondialisation hégémonique, pour inventer un droit commun réellement pluraliste.[13] Elément aggravant , la crise financière et économique qui se répand- y compris dans les pays du Sud- fait que les plus pauvres et les plus fragiles se retrouvent dans une situation pire que celle qu’ils connaissaient jusque là. Il est plus que jamais temps d’appeler à une vigilance accrue pour s’assurer que les programmes de développement et les filets de sécurité soient maintenus et renforcés dans les systèmes onusiens et régionaux, afin que les effets économiques et sociaux de la crise ne deviennent pas catastrophiques pour les plus démunis.
** Le défi des droits culturels : construire une approche francophone
Il est aujourd’hui admis que les particularismes culturels ne sont recevables qu’à la condition qu’ils ne portent pas atteinte à « l’égale dignité » et aux droits égaux de tous les êtres humains. L’universalisme suppose chez toute personne une essence humaine qui transcende tous les particularismes, y compris culturel et religieux. Au postulat de l’égalité des cultures répond l’égalité et la liberté des individus. En réalité le danger est que le « droit à la différence » glisse juridiquement vers une « différence des droits ». Ainsi serait-il totalement faux de défendre un relativisme culturel qui admettrait que la dignité humaine- principe universel des droits de l’homme- serait vécue de manière différente selon que l’on est Chinois, Indien maya, Iranien ou Suisse. Il faut entendre par « pratiques culturelles » seulement celles qui ne sont pas contraires aux droits de l’homme, ce qui ne peut empêcher de mettre en évidence de nombreuses relations de fécondités entre droits culturels, universalité et diversité culturelle.[14]
Autre dangereuse dérive à éviter, celle qui ferait que les particularismes culturels reconnus ne se dressent les uns contre les autres en une forme de « choc des civilisations ».
L’une des solutions de conciliation avancée naitrait d’une « conception pluraliste des droits de l’homme ». Ceux-ci seraient conçus à partir de principes directeurs communs, appliqués avec une marge nationale d’appréciation qui reconnaitrait aux Etats une sorte de droit à la différence culturelle, mais à la condition de ne pas descendre au dessous d’un certain seuil de compatibilité, qui peut d’ailleurs varier selon qu’il s’agit d’une question plus consensuelle ou plus conflictuelle. Cette approche qui ferait de la Francophonie un arbitre, ou tout au moins l’une des gardiennes des valeurs fondamentales universelles, permettrait de tracer des « lignes rouges » que les Etats violateurs des droits de l’homme ne pourraient traverser sans une ferme condamnation. Cette conciliation repose sur la conviction « qu’au fond dans toutes cultures du monde, dans toutes les grandes religions et dans toutes les grandes philosophies, il y a la même conception fondamentale de la dignité de la personne humaine, et c’est justement la raison pour laquelle un relativisme culturel est inadmissible. »[15]
Promotion des droits culturels.
Engagements et recommandations de l’OIF des dix dernières années.
La Déclaration de Bamako (chapitre IV, 24) s’engage à prendre les mesures appropriées afin d’accorder le bénéfice aux membres des groupes minoritaires, qu’ils soient ethniques, philosophiques, religieux ou linguistiques, de la liberté de pratiquer ou non une religion, du droit de parler leur langue et d’avoir une vie culturelle propre.
Au cours des dix dernières années, les rapports de l’OIF ont recommandé en particulier de :
-Examiner en concertation, avec les différents acteurs nationaux les répercussions en droit interne des dispositions qui protègent les droits culturels dans les instruments internationaux, et réexaminer les réserves qui ont limité la portée des traités ratifiés ;
-Respecter les espaces culturels transnationaux notamment linguistiques, scientifiques, religieux, artistiques, en encourageant les relations de partenariat entre les acteurs culturels de différents pays ;
-Solliciter les universités pour valoriser la diversité culturelle ;
-Analyser tous les modes de gouvernance culturelle…
** Les droits fondamentaux aux défis des exigences sécuritaires.
La protection des droits et libertés fondamentales dans l’application des lois portant sur de la lutte contre le terrorisme a été examinée par les instances de la Francophonie[16], en particulier lors de la quatrième Conférence des ministres de la justice des pays francophones d’Afrique[17].
- La prolifération des lois sécuritaires au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 dans la lutte contre le terrorisme :
Confrontées aux actes et aux menaces du terrorisme international, les démocraties ont mis en place des mesures sécuritaires dont certaines sont de nature à porter des limites aux droits de l’homme, ce qui a permis par ailleurs aux régimes non démocratiques de justifier des atteintes ou des limitations déjà existantes.
La lutte, en elle-même légitime, contre les auteurs avérés ou présumés d’actes de terrorisme, a néanmoins été l’occasion de graves manquements aux droits de l’homme. La création du camp de détention de Guantanamo Bay, le transfert de prisonniers dans des centres secrets de pays tiers, la codification et la pratique de la torture sur des détenus considérés comme des prises de guerre en Irak, l’absence de procès équitable, la non application de la Convention de Genève, ont été possibles dans des pays où pourtant le contrôle démocratique est par ailleurs strict. Ainsi les démocraties et les pays qui ont suivi ont-ils toléré au cours des dernières années une érosion des droits de l’homme ouvrant des possibilités d’abus, tolérant un niveau de secret inacceptable, sous couvert de sécurité d’Etat. Le terrorisme, et ses menaces constantes a-t-il ainsi réussi à pervertir les droits de l’homme, là où ils étaient le mieux enracinés, dans des populations apeurées prêtes ainsi à sacrifier une partie de leurs libertés individuelles.
Le paradoxe est que, dans ces situations exceptionnelles, le contrôle et le soutien de l’ opinion publique considérée jusque là comme « la clé de voute sur laquelle repose les droits de l’homme »[18] sont émoussés, puisque celle-ci accepte généralement [– au Canada, en Grande Bretagne ou aux Etats-Unis d’Amérique par exemple-] de renoncer volontairement à certains de ses droits fondamentaux, comme la liberté d’aller et de venir, la liberté d’expression et de communication ou la protection de la vie privée. [En France,] Des mesures furent prises ici et là permettant la perquisition des véhicules particuliers, la fouille au corps par des agents d’entreprises privées ou des dérogations à la sécurité de l’information.
- La protection des données personnelles :
S’il est évident que toute démocratie a le droit et le devoir de se défendre contre des menaces terroristes, les pouvoirs publics en charge de la sécurité ne peuvent apporter à l’exercice des libertés et droits fondamentaux que des restrictions dûment justifiées par les nécessités de cette lutte contre le terrorisme et strictement proportionnées à ces nécessités, conformément aux règles d’un Etat de droit.
Aussi toute mesure touchant aux conditions d’exercice des libertés publiques et à la protection des droits doit-elle être clairement encadrée par la loi, dans le temps, dans l’espace et dans l’étendue des dérogations. La conservation des données afférentes aux télécommunications et aux moyens de déchiffrement de messages cryptés doivent faire l’objet de dispositions législatives claires, sous le contrôle de la magistrature et d’autorités indépendantes spécialisées. La sécurité dans la société de l’information doit faire l’objet d’une codification et d’un contrôle votés par la représentation nationale. Les données personnelles portant sur l’appartenance ethnique, la religion, les opinions philosophiques, politiques ou syndicales ne peuvent être ni fichées durablement, ni transmises en dehors de procédures contrôlées par les juridictions. Toute tentation de « profilage » culturel ou religieux dans la lutte contre le terrorisme serait non seulement contraire aux droits de l’homme, mais peuvent être considéré techniquement comme une solution de facilité inopérante.
Concernant les communications en ligne, il s’agit en particulier de concilier la nécessaire sanction de l’hébergement de données illicites et la nécessaire protection de la liberté d’expression, la responsabilité pénale des opérateurs étant engagée si, ayant effectivement connaissance du caractère illicite du contenu des services qu’ils hébergent, ils n’ont pas fait cesser toute possibilité d’accès à ce contenu.
Protection des données personnelles
Recommandations des rapports de l’OIF des dix dernières années.
Au cours des dix dernières années, les rapports de l’OIF ont préconisé les mesures suivantes :
- Inciter les Etats membres non encore dotés d’une législation et d’une autorité indépendante de protection des données personnelles à prendre toute initiative visant à l’élaboration et à l’adoption de textes législatifs et règlementaires en la matière ;
- Organiser des conférences et des séminaires régionaux ou sous-régionaux afin de sensibiliser les responsables, de favoriser la transmission des informations et les échanges d’expériences essentiels à l’élaboration d’une législation ;
- Soutenir les travaux des autorités de protection des données personnelles nouvellement créées, et la coopération entre ces autorités dans le cadre de l’Association francophone des autorités de protection des données personnelles. Elaborer une vision et une stratégie communes visant à rendre effective la protection des personnes à l’égard des traitements de données sur le plan mondial, fondée sur une culture commune de la démocratie et des droits de l’homme.
La Francophonie fait sienne la déclaration finale de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme (Vienne,1993) qui rappelait que s’il convient de ne pas perdre de vue l’importance des particularismes nationaux et régionaux, et la diversité historique culturelle et religieuse, il est du devoir des Etats, quel qu’en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales.
Cette universalité là parait d’autant plus importante que l’extrême diversité des modes d’expression en garantie l’authenticité[19]. Ou en d’autres termes : il y a quelque chose dans chaque homme qui est universel[20].
A la racine des valeurs fondant l’universalité des droits de l’homme, c’est l’idée d’humanité qui constitue la seule idée régulatrice en termes de droit international[21]. Cette prise en compte de l’homme comme « mesure de toutes choses » trouve ses racines dans la conscience universelle, et appartient en héritage à toutes les civilisations et toutes les religions. L’affirmation des droits de l’homme vaut partout et pour tous, ou elle ne vaut rien, car elle implique « la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine », sans distinctions.
25/06/2010
[1] Déclaration de René Cassin, en février 1947, devant la Commission des droits de l’homme de l’ONU.
[2] Article premier de la DUDH
[3] Discours du président iranien Mohamed Khatami devant l’Assemblée générale des Nations unies, le 21 décembre 1998.
[4] Discours de M. Abdou Diouf à Lausanne- Suisse le 4 juin 2010 (Dies academicus)
[5] Conférence à Paris, du 18 février 2010 à l’Ecole polytechnique dans le cadre de la semaine des langues et des cultures du monde.
[6] Tenue du 2 au 4 juin 2009 à Kairouan (Tunisie) à l’initiative de l’OIF et de l’Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la culture (ISESCO)
[7] Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations unies.
[8] Proposition introduite dès 1988 par le président iranien dans le cadre du « Programme d’action pour le dialogue entre les civilisations » et reprise régulièrement.
[9] Rapport d’étape 2010 des Nations unies
[10] Sur la Prévention des conflits et la sécurité humaine, du 14 mai 2006
[11] Adopté par l’Assemblée générale des Nations unies, le 10 décembre 2008
[12] Déclaration de Bamako du 3 novembre 2000 (art.21)
[13] Selon la formule de la juriste Mireille Delmas-Marty
[14] Séminaire « Pour une mise en œuvre des droits culturels. Nature, enjeux et défis », organisé en partenariat avec l’OIF, février 2010, Palais des Nations, Genève
[15] Selon le diplomate Stéphane Hessel.
[16] En particulier par la commission politique de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, réunie à Paris, le 10 avril 2010
[17] Tenue à Ouagadougou (Burkina Faso) du 20 au 22 mars 2007
[18] René Cassin
[19] Selon la philosophe Jeanne Hersch
[20] René Cassin
[21] Hannah Arendt