Nantes- Forum mondial des droits de l’homme

TERRORISME ET DROITS DE L’HOMME

 

 

 

Le Forum mondial des droits de l’homme qui s’est tenu du 16 au 19 mai 2004 à Nantes (France) a consacré sa séance plénière du 17 mai au thème « terrorisme et droits de l’homme », traité pour la première fois dans cette instance. Le modérateur Gérard Fellous a introduit la séance par l’intervention ci-dessous. Le Sous-Directeur général de l’UNESCO pour les sciences sociales et humaines, Pierre Sané a présenté un rapport , suivi des interventions d’experts d’Amnesty International, de Colombie, du Rwanda, de Russie et de Human Rights Watch, d’Ethiopie, en présence de Mme. Hina Jilani, représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU sur la situation des défenseurs des droits de l’homme.

 

 

INTRODUCTION DE GERARD FELLOUS

 

 

Mesdames,Messieurs,

Je déclare ouverte  cette première séance plénière du Forum mondial des  droits de l’homme consacrée au thème « Terrorisme et droits de l’homme ».

Les droits de l’homme payent un lourd tribut au terrorisme. Notre première pensée va à la mémoire de M. Sergio Vieira de Mello, Haut- Commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, et des membres de l’équipe des Nations unies assassinés à Bagdad, le 19 août 2003. Le Forum est dédié à leur mémoire. Le courage de Sergio Vieira de Mello, son engagement et sa pensée vont nous inspirer tout au long de nos travaux, lui qui affirmait « Nous avons tous un rôle à jouer pour faire des droits de l’homme une réalité pour tous ». En octobre 2002, il déclarait : « La meilleure – la seule – stratégie pour isoler et vaincre le terrorisme est de respecter les droits de l’homme, de promouvoir la Justice soc iale, de renforcer la démocratie et d’affirmer la primauté de la règle de droit ». Il est tombé au champ d’honneur des droits de l’homme, victime de ce fléau contemporain qu’est le terrorisme.

Lorsque les pères fondateurs des Nations unies et des instruments internationaux des droits de l’homme ont conçu ceux-ci, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, leur préoccupation première était l’instauration de la Paix, la fin des conflits armés massifs et de la colonisation. Ils ne pensaient pas au terrorisme, tel qu’il est apparu en ce début du XXIème  siècle. Aujourd’hui il s’agit d’un nouveau défi lancé à la communauté internationale et aux droits de l’homme.

Le terrorisme international est un phénomène trop complexe pour être réduit à une explication unique ou à une solution simple. Nous devons prendre toute la mesure de la dialectique tragique entre droits de l’homme et terrorisme. D’un côté, le terrorisme est un crime, la négation de l’ensemble des droits de l’homme, qu’aucune cause, aucune idéologie, et encore moins aucune religion, ne saurait justifier. Nous devons refuser cette culture de la mort, qui brise des vies innocentes et vise à susciter l’escalade de la peur, de la haine et de la violence. Au-delà du défi sécuritaire immédiat que les Etats ont le devoir de relever pour assurer la protection de leurs citoyens, c’est ce défi culturel à long terme lancé aux sociétés ouvertes, aux « sociétés de confiance » qui est le plus grand danger du terrorisme.

La réponse au terrorisme aveugle ne peut être la guerre aveugle, le retour primitif à l’état de nature où « l’homme est un loup pour l’homme ». Face à la contagion de la barbarie, nous avons besoin plus que jamais du rempart du droit. A commencer par celui du droit international humanitaire, ce garde-fou face aux situations d’exception. Faire la guerre au terrorisme, ce n’est pas se placer soi-même hors la loi et multiplier les zones de non-droit. Seule la communauté internationale a la légitimité pour fournir le cadre politique à une paix durable, ici comme ailleurs, dans le plein respect du droit international. De même la mobilisation légitime contre le terrorisme ne doit pas servir de prétexte à museler toute opposition pacifique et toute presse libre ou à mettre au pas les ONG indépendantes.

Il ne faut pas que la recherche des causes du terrorisme revienne à l’expliquer, à le comprendre, voire à le justifier. Mais le terrorisme a des racines, il se développe dans le terreau des sociétés en crise. Plus la communauté internationale se mobilisera pour résoudre les crises régionales et locales, plus elle réduira les foyers de tension et d’instabilité. Cet effort passe aussi, sans doute, par la démocratisation et la modernisation de régimes politiques qui s’enferment trop souvent dans le cycle de la répression et du fanatisme.

Le terrorisme tend un piège à la démocratie, en ce qu’il la pousse à renoncer en tout ou en partie aux principes sur lesquels elle repose, pour pouvoir lutter efficacement contre lui.

Au niveau national, comme intergouvernemental, l’attention est portée sur la coopération juridique et l’extradition, ainsi que sur les échanges de renseignements, à la condition que ces instruments n’entament pas les principes fondamentaux des libertés publiques.

Par ailleurs, s’il y a lieu de poursuivre, pour actes de terrorisme ou autres crimes, certaines des personnes détenues, prisonniers de guerre ou non, les garanties fondamentales du procès équitable et de l’assistance d’un conseil, doivent leur être assurées, conformément aux principes du droit international humanitaire et des droits de l’homme. Ces garanties judiciaires doivent être respectées en toutes circonstances, même en cas de notification d’une situation d’exception, au sens de l’article 4 du Pacte relatif aux droits civils et politiques.

La Communauté internationale est, d’ores et déjà, dotée d’un dispositif juridique, qu’il faudrait peut-être compléter et renforcer.

La première question qui s’est posée est celle de la définition du terrorisme, qui a provoqué de longs débats. Parmi les nombreuses tentatives citons celle de l’Assemblée générale des Nations unies qui a adopté la Convention pour la répression du financement du terrorisme le 9 décembre 1999.  Elle précise en son article 2 paragraphe l b qu’il s’agit  de  «  Tout  acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre son gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ». M. Pierre Sané reviendra sur ces tentatives de fixer une définition du crime de terrorisme.

Il convient de distinguer selon que les actes de terrorisme sont commis en temps de paix ou en temps de conflit armé, puisque le droit applicable n’est pas le même. Sans entrer dans le détail, j’indiquerai que, pour la situation en temps de paix, 12 instruments universels contre le terrorisme sont aujourd’hui en vigueur, auxquels s’ajoutent plusieurs textes régionaux.

En période de conflit armé, c’est le droit international humanitaire, c’est-à-dire les 4 Conventions de Genève de 1949 et les 2 Protocoles additionnels de 1977 qui réglementent, pour l’interdire, le recours au terrorisme, ainsi que les opérations militaires engagées dans le cadre de ce que l’on appelle « la Guerre contre le terrorisme ».

Restent plusieurs questions en suspens, parmi lesquelles celle de la justice pénale internationale. Je me borner ai à évoquer le champ de compétence de la Cour pénale internationale. En effet, le statut de la CPI prévoit que peuvent être jugés les auteurs, complices, commanditaires et financiers d’actes de terrorisme commis en période de guerre, où ces crimes constituent des infractions graves au Droit international humanitaire. Mais, paradoxalement, la répression des actes de terrorisme commis en temps de paix est laissée à la relative discrétion des Etats. Les experts en auront à débattre, particulièrement sur le fait que certains actes de terrorisme, dès lors qu’ils remplissent les critères d’un crime contre l’humanité, peuvent entrer dans le champ de compétence de la Cour.

Par ailleurs, il est une question qui doit retenir particulièrement notre attention, c’est celle des victimes des actes terroristes. Au nom des droits de l’homme qui les placent au centre de leurs préoccupations, il est nécessaire, non seulement « d’exprimer (notre) solidarité avec les victimes du terrorisme » tel qu’il est précisé dans une décis ion de 2002 de la Commission des droits de l’homme, mais aussi qu’il est nécessaire d’envisager la « création d’un fonds de contributions volontaires pour les victimes du terrorisme, ainsi que sur les moyens de réadapter les victimes du terrorisme et de les réinsérer dans la société », comme il est proposé au Secrétaire général des Nations unies, dans la même résolution. Il semble donc indispensable d’harmoniser les droits des victimes, tant au regard de la réparation des préjudices subis du fait d’un acte de terrorisme, qu’au vu de leur participation active aux procédures judiciaires.

Ces quelques notations introductives ne sont bien entendu pas exhaustives.

Monsieur Pierre Sané, sous-directeur général de l’Unesco pour les sciences sociales et humaines développera, dans un instant devant vous, les positions et actions menées en la matière dans le cadre des Nations unies.

La formule de cette séance plénière est de soumettre les réflexions soulevées par le rapport introductif aux commentaires et remarques des personnalités réunies sur ce podium.